samedi 5 juin 2010

Théorie et expérience

Théorie et expérience

Avoir l'expérience d'une situation, d'une émotion, ou faire l'expérience de goûter un fruit exotique désigne le fait de vivre soi-même quelque chose, d'en faire personnellement l'épreuve, plutôt que d'en être simplement spectateur ou d'en entendre parler. Parfois, s'ajoute à cette signification une idée de test, de tentative. On fait une expérience pour essayer quelque chose que l'on ne pourrait connaître autrement. Au total, on peut dire que l'expérience est une certaine manière de connaître: l'expérience délivre un savoir à ceux qui en font l'épreuve, un savoir qu'ils tirent après coup des événements auxquels ils ont eux-mêmes pris part. L'homme d'expérience est un homme auquel on reconnaît un savoir dont la valeur tient précisément au fait qu'il s'agit d'une connaissance personnelle et tirée après coup, a posteriori dans le jargon philosophique, du fait de s'être soi-même confronté à l'objet de son savoir.
A l'opposé, on évoque une approche théorique des choses pour désigner un savoir issu d'un enseignement général, de la lecture de livres, plutôt que de la confrontation avec le réel et de l'exercice pratique de la chose même. On trouve déjà une indication de cette opposition dans les termes courants dans le grec ancien dont proviennent les mots « expérience » et « théorie ». Ainsi, en grec ancien, le mot théoria désigne l'occupation du spectateur, de celui qui parcourt le monde pour le voir plutôt que pour agir directement comme celui qui fait du commerce ou qui fait la guerre. En grec ancien, expérience se dit emperia, qui a donné l'adjectif français « empirique* », terme technique d'usage fréquent en philosophie, et qui désigne tout ce qui relève de l'expérience en général « Empirique » prend notamment à partir du XVIIe siècle une connotation souvent péjorative pour désigner tous ceux qui, dans les sciences et en philosophie, s'en tiennent à la description des faits et de l'expérience commune, et sont incapables de s'élever à une connaissance rationnelle. Sans doute est-ce là aussi une conséquence du fait qu'à l'origine « empirique » qualifiait des médecins qui tiraient l'essentiel de leur savoir de leur expérience et non de raisonnements très fiables.
Deux sens plus spécifiques des termes de théorie et d'expérience sont dérivés de ces premiers sens, mais posent en même temps des problèmes philosophiques plus précis. Une théorie est, dans un contexte scientifique, un ensemble systématique de principes, de postulats, d'hypothèses, de définitions et de lois ou d'énoncés qui se proposent de rendre compte de la réalité, ou plutôt d'un domaine déterminé de celle-ci. Ce sens de théorie a pour origine l'usage de theoria chez certains philosophes. Le mot a servi à désigner la connaissance scientifique, au sens d'un savoir doté d'une nécessité et d'une universalité auxquelles jamais l'expérience particulière, toujours située, l'ici et là maintenant de son déroulement, ne saurait s'élever. C'est par opposition à ce nouveau sens de la theoria que l'expérience en viendra à signifier, à l'époque moderne, d'un côté, l'ensemble des phénomènes sensibles dont les théories cherchent à rendre compte et, de l'autre, l'expérimentation, c'est-à-dire, d'après le latin experimentum, la mise à l'épreuve voire la « preuve par les faits », par laquelle on soumet à des tests la prétention d'une hypothèse théorique à rendre compte des phénomènes de l'expérience.
Le sens commun se représente généralement la connaissance comme un processus où la raison ordonne, classe, trie les données immédiates de l'expérience sensible et ainsi élabore des théories. I1 y aurait donc d'un côté la raison, principe d'intelligibilité et d'ordre, qui invente ou produit de la connaissance dont la théorie est la forme la plus achevée, et de l'autre l'expérience sensible, confuse, mêlée, bigarrée. I1 faut toutefois nuancer cette première représentation. Comme le remarque Aristote, l'expérience n'est pas la sensation brute et une collection désordonnée d'impressions sensibles ne fait pas pour autant une expérience. Pour qu'il y ait une expérience, et a fortiori une connaissance par expérience, il faut une certaine activité de la mémoire et de l'imagination permettant de conserver et de fixer par la pensée certains contenus de représentation. C'est pourquoi seuls les animaux doués de ces facultés peuvent constituer une expérience; encore en reste-t-elle à un niveau pauvre de connaissance dans la mesure où elle ne s'élève pas à un degré de généralité et d'abstraction très élevé.
L'homme seul accède à une véritable connaissance parce qu'il possède la raison et le langage (le logos, en grec). I1 peut non seulement former des notions générales et les lier entre elles par le discours, mais encore acquérir par la force de l'habitude un certain savoir fondé sur l'expérience accumulée au fil des ans, fort utile dans la pratique de la vie. Cependant, ce savoir demeure une connaissance de type inférieur (comparée à la science proprement dite) dans la mesure où il ignore la cause ou la raison de ce qu'il sait. C'est uniquement quand on connaît la cause d'un phénomène, mieux, les lois de leur enchainement, et que ces lois sont insérées dans ces ensembles ordonnés que sont les théories, qu'on peut parler de connaissance scientifique en un sens fort.
En quel sens la connaissance empirique est-elle une connaissance scientifique ?
Si la connaissance empirique du réel ne suppose que l'expérience ordinaire, la connaissance scientifique exige davantage qu'un simple vécu et elle ne saurait se limiter à l'accumulation d'observations factuelles. La discipline scientifique comprend cette exigence théorique d'organiser selon un ordre rationnel ce qui se donne à elle dans le cadre de l'expérience immédiate. C'est à cette condition qu'elle peut soumettre cette dernière à une généralisation répondant aux exigences d'universalité et de rigueur dont la science est par essence porteuse . Il faut donc soigneusement distinguer le fait brut, « nu », constaté dans une expérience pré-scientifique, du même fait d'expérience lorsqu'il est envisagé du point de vue d'une théorie scientifique, c'est-à-dire un ensemble organisé d'énoncés (principes, lois*, définitions, hypothèses) liés et hiérarchisés entre eux.Dans ce contexte, le fait d'expérience n'est plus un fait donné, individuel, isolé, « concret ». Il suppose une activité rationnelle du savant, qui l'a préalablement « objectivé ». Dès lors, si le fait scientifique est pour une part construit, élaboré par la théorie, la connaissance scientifique pourra se distinguer de la connaissance par expérience précisément en ce que, loin de se laisser dicter par l'expérience naturelle ce qu'elle doit voir dans les faits qu'elle étudie, elle va demander à l'expérience de répondre aux questions que la raison pose. C'est là qu'il devient nécessaire de distinguer avec fermeté l'expérience naïve, pré-scientifique ou naturelle, simple rencontre fortuite du « réel » empirique*, et l'expérimentation scientifique. La première permet au mieux de produire un empilement de connaissances plus ou moins ordonnées; la seconde exige que l'observation du réel réponde à une question préalablement formulée dans le cadre d'une démarche théorique. Dans la mesure où expérimenter revient à provoquer artificiellement certains événements, on est en droit de distinguer entre science d'observation et science d'expérimentation.
Que signifie tester expérimentalement une théorie scientifique ?
Bien comprise, l'activité rationnelle de la science ne consiste pas seulement à induire des théories scientifiques à partir des faits, mais aussi et surtout à inventer des expérimentations scientifiques, afin de tester la validité d'une théorie. La méthode expérimentale consiste à fabriquer des montages expérimentaux où des événements sont artificiellement produits et où l'on juge la puissance explicative de la théorie à sa capacité à prévoir l'événement. Ces expériences scientifiques ne sont pas faites n'importe comment: il y a des « expériences cruciales »—l'expression date du Novum organum (1620) de Bacon—censées « contrôler » la valeur d'une construction théorique. Encore faut-il savoir ce qu'on vérifie. Si une théorie scientifique consiste en un système d'hypothèses qui se soutiennent mutuellement, savoir qu'elle est contredite par l'expérimentation ne dit pas pour autant quelle hypothèse défaillante doit être reformulée.
Une seule expérimentation non concluante peut donc mettre en cause toute la théorie dans ses fondements: ainsi la théorie physique classique, la théorie newtonienne, a été profondément modifiée dans ses principes (statut du temps et de l'espace physiques modifiés, rejet de la théorie de l'éther pour comprendre la propagation de la lumière etc.) parce qu'elle ne parvenait pas à rendre raison de manière satisfaisante d'un certain nombre d'expériences, comme celles de Michelson-Morley . Ainsi, l'histoire des sciences montre qu'une expérience particulière, bien conduite et bien interprétée, peut contraindre à reprendre l'ensemble de la théorie. Cependant, il arrive parfois que l'on ne dispose pas d'une théorie unifiée, comme en physique où la théorie ondulatoire de la lumière et la théorie corpusculaire sont corroborées l'une et l'autre par des expériences, ce qui atteste, sinon la fausseté, du moins l'insuffisance de la théorie physique dans l'état actuel de son développement. On peut d'ai,leurs légitimement se demander si, contrairement à ce que pensaient les savants de l'âge classique, on peut espérer qu'une théorie soit jamais achevée et complète. Même lorsque la pensée n'a affaire qu'à ses propres productions, en mathématiques, Gödel a démontré dans un célèbre théorème qui porte son nom qu'on ne pouvait jamais décider de la compatibilité entre eux des axiomes fondamentaux d'un système théorique.
La théorie scientifique peut-elle se passer des expérimentations ?
Cependant, on risque de limiter le pouvoir théorique de la raison en considérant que n'est « vérifiable expérimentalement » que ce qui peut être effectivement expérimenté. Lorsque Galilée « imagine » ce qui se passerait si l'on animait d'un mouvement déterminé un mobile « idéal » se déplaçant dans le vide absolu, il invente une expérimentation qu'aucun dispositif réel ne permet de construire, si ce n'est très approximativement et en négligeant certaines forces de frottement. Quand Einstein « imagine » ce qui se passerait pour un observateur qui se déplacerait avec un miroir à la vitesse d'un rayon lumineux, il fait une expérience de pensée féconde dont sortira la critique de la théorie de l'éther et la théorie de la relativité, mais en aucun cas une expérimentation pratiquement réalisable.
On aurait alors tort de restreindre le sens de l'expérimentation scientifique à la réalisation effective de l'expérience. Peut-être est-ce la fonction de toute science moderne que d'épargner les expériences et de les remplacer par des figurations de faits dans la pensée, voire par des modèlisations au moyen d'ordinateurs. Que l'on puisse constater ou non par un montage expérimental l'écart entre la théorie et ce qu'elle est censée décrire, il reste à se demander sur quoi repose l'accord ou le désaccord entre la théorie et l'expérience. Cela revient à s'interroger sur les rapports de la raison et de l'expérience à un autre niveau que celui de la théorie de la science ou de l'épistémologie, sur le lien entre ce qui est a priori* préalable à l'expérience, et l'expérience.
Le rôle de la raison théorique dans la constitution de l'expérience.
Si la raison théorique dérive de l'expérience, en quel sens peut-elle encore en juger ? Le hiatus entre les « données » de l'expérience du monde sensible et les déductions rationnelles opérées par la pensée humaine ne trouble guère la confiance accordée en pratique par la plupart des hommes au savoir qu'ils croient pouvoir tirer de la perception sensible. Le fait que l'expérience contredise parfois la raison n'est pas nécessairement la conséquence du caractère trompeur de la perception. Après tout, pourquoi ne pas imputer à la raison elle-même ce désaccord.
Cette hypothèse est d'autant plus forte si l'on admet que l'expérience est à l'origine, par abstractions successives, de toutes les idées qui se forment dans l'entendement* humain. Ainsi, l'idée générale de rougeur se formerait dans l'intellect à partir de la répétition et de la comparaison de toute une série de perceptions (le rouge d'une goutte de sang, d'un verre de vin, d'un coquelicot, d'un drapeau etc.). Dans une telle perspective, le désaccord de la raison avec les données de l'expérience serait l'effet d'une réflexion insuffisante de la raison sur les idées fournies par la sensibilité. Mais, n'est-ce pas là soumettre excessivement la raison, l'expérience et, surtout accréditer le préjugé qu'il n'y a d'expérience que sensible, ou à tout le moins que l'expérience des choses qui se donne dans la nature est le seul acte de la conscience par lequel sont données les choses mêmes.
S'il n'y a de science que du nécessaire, la théorie peut-elle se fonder sur l'expérience ? La pensée scientifique vise à produire des énoncés strictement nécessaires, qu'elle lie ensuite dans cet ensemble organisé et non contradictoire qu'est une théorie. Pour ce qui est des sciences portant sur l'expérience, la raison se donne pour tâche de décrire et d'interpréter ce qui se donne dans l'expérience comme pouvant être l'objet d'une prévision possible en fonction de principes et de lois absolument contraignantes. Comment être sûr de l'universelle validité des principes et des lois attribuées par la raison à la nature ~ Comment affirmer, par exemple, qu'une relation de cause à effet est nécessaire ~ Pour qu'un événement A produise toujours dans certaines conditions en vertu d'une loi un événement B, il faudrait pouvoir vérifier dans l'expérience que cette régularité sera toujours observée. Pour pouvoir soutenir, par exemple, que l'éclair précède toujours le tonnerre ou que le soleil échauffe la pierre, il est nécessaire de vérifier cette affirmation dans tous les cas passés et à venir, ce qui est bien sûr impossible.
Ce sont des considérations de cet ordre qui ont décidé David Hume à soutenir qu'une science fondée sur l'expérience est impossible. En effet, la raison est incapable, en se fondant par induction* exclusivement sur l'expérience, de s'élever à une connaissance rigoureusement universelle et nécessairement vraie. En fait, toutes les connexions causales entre phénomènes* que la raison juge absolument nécessaires n'auraient d'existence et de nécessité que pour l'esprit qui les pense. Habitué à voir deux phénomènes se succéder, l'esprit finit par les associer de sorte que, lorsque le premier est donné dans l'expérience, il s'attend à voir bientôt le second apparaître. La raison confondrait donc constamment cette habitude subjective, cette croyance, avec une loi objective, immanente au monde extérieur de l'expérience.
Pour que la connaissance rationnelle du monde de l'expérience puisse comporter une vérité nécessaire, il faut admettre, avec Kant, que l'esprit humain impose lui-même a priori une régularité aux données brutes de l'expérience: cela revient à « fonder » métaphysiquement la physique en affirmant que l'entendement humain est « législateur » pour la nature, autrement dit qu'il prescrit a priori à ce qui se donne dans l'expérience, aux phénomènes donc, certaines lois nécessaire. Par exemple, en tant que concept a priori de l'entendement humain, la causalité* est constitutive du réel tel qu'il est appréhendé par le sujet connaissant, c'est-à-dire toujours dans l'espace et dans le temps. En d'autres termes, tout phénomène survenant dans le temps doit avoir une cause à laquelle il succède conformément à une loi, sans quoi il ne pourrait être objet d'expérience. Dès lors, on ne se borne pas à constater que le phénomène B succède au phénomène A, mais on énonce une loi « tout phénomène de type A est cause de B », passant, grâce à l'emploi du concept « pur » et général de cause, d'un simple « jugement de perception », valable ici et maintenant, à un « jugement d'expérience », valable partout et toujours.
Les limites de l'usage théorique de la raison
Pourquoi ne peut-il y avoir de théorie de ce qui dépasse l'expérience ?
Il semble cependant que la raison humaine ne se satisfasse pas de ne connaître que ce qui est accessible dans le cadre de l'expérience. Les nombreuses constructions rationnelles élaborées autour d'entités qui ne se donnent pas dans le cours ordinaire de l'expérience en témoignent. Ainsi, vouloir établir par la raison théorique l'existence de Dieu ou d'une âme humaine immatérielle et immortelle, vouloir prouver l'origine du monde ou même l'existence d'un sens de l'histoire semble avoir été l'un des objectifs les plus constants des philosophes en tant que producteurs de théories d'autant plus irréfutables qu'elles portent sur des réalités inaccessibles à l'expérience. C'est pour essayer de restreindre cette tendance profonde de la raison théorique à tenter de connaître ce qui dépasse toute expérience possible que Kant distingue deux usages de la raison.
Le premier consiste pour la raison à unifier les concepts et les règles logiques contenus dans l'entendement, en les rapportant à des idées et des principes plus élevés. Cet « usage logique » de la raison est pleinement légitime. Le second usage de la raison est un « usage transcendant* »: emportée par son élan naturel qui l'entraîne à vouloir unifier les principes et les concepts de l'entendement, la raison tente de les déduire de causes absolument premières et inconditionnées auxquelles elle attribue une existence objective au-delà des limites du monde de l'expérience. L'usage « transcendant » de la raison théorique est illégitime parce qu'il conduit naturellement la raison à affirmer l'existence d'êtres suprasensibles, situés hors de l'espace et du temps, et qu'aucune expérience directe ne peut confirmer. Si la raison dans son usage théorique est incapable d'outrepasser les limites de l'expérience, elle doit borner son champ d'investigation théorique à l'ensemble des phénomènes observables, mettre au jour les lois de la nature et cesser de rechercher les causes ultimes et suprasensibles des phénomènes.
Or, seule la raison peut légitimement critiquer la raison, c'est-à-dire déterminer ses limites en fonction de principes a priori. Une telle tâche s'avère nécessaire parce que la raison manque parfois de vigilance dans l'usage de ses propres pouvoirs, et s'efforce d'appliquer à la connaissance du « suprasensible » des principes rationnels qui n'ont de sens que rapportés à une expérience possible. Trop confiante en ses pouvoirs, la raison peut ainsi se montrer oublieuse des conditions d'application de ses raisonnements: c'est là proprement l'attitude dogmatique qui selon Kant, conduit tout droit à l'extravagance philosophique. Car privés de tout ancrage dans des phénomènes effectivement observables, les concepts de la raison pure perdent par là même toute signification: celle-ci n'est pas autre chose, en effet, que la possibilité d'une relation à des objets donnés. Ainsi, lorsque la raison prétend appliquer ses concepts hors de tout rapport à une expérience possible, elle risque fort de divaguer, ses constructions même les plus rationnelles ne reposant que sur du vide.
L'expérience de la découverte scientifique est-elle rationnelle ?
Dans un souci analogue de décrire au plus près la connexion de la raison théorique et de l'expérience, on peut aussi se demander si, dans le domaine spécifique des découvertes scientifiques, les choses se passent effectivement comme l'histoire des sciences le décrit après coup. Affirmer avec Karl Popper que « c'est le théoricien qui montre la voie à l'expérimentateur et que la théorie commande le travail expérimental de sa conception au dernier maniement en laboratoire », n'est-ce pas substituer à la science telle qu'elle se fait une image de la science telle qu'elle devrait se faire. À vouloir imposer des méthodes rationnelles à la science, on s'expose à faire de la méthodologie scientifique un obstacle au progrès des sciences qui se nourrit de ses erreurs et de ses déviations.
En quel sens les cadres de la raison théorique dépendent-ils de l'expérience ?
Peut-on tirer un enseignement de la relation entre la théorie et l'expérience qui aille au-delà du domaine restreint de la théorie de la connaissance scientifique ~ Est-ce une même rationalité, un même entendement qui est producteur de théorie ou doit-on exclure l'idée d'un entendement humain universel imposant une fois pour toutes, définitivement, ses lois et ses formes a priori au monde des phénomènes. À considérer l'histoire de la pensée humaine, il semble plutôt que la raison théorique, à l'œuvre dans la connaissance scientifique, est elle-même de part en part historique. En d'autres termes, les cadres intellectuels à partir desquels la raison entreprend de connaître le monde des phénomènes sont, eux aussi soumis à des mutations historiques. Vouloir figer dans des concepts déterminés une fois pour toutes le mouvement interne de l'expérience et de la vie, c'est s'interdire de les saisir dans ce qu'elles ont de vivant. C'est l'écueil de tout idéalisme de la raison théorique qui spécule sur le réel en l'abordant à travers le voile ou le prisme déformant de concepts abstraits.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire