vendredi 11 juin 2010

l'histoire

Dans cette réflexion sur l’histoire, distinguer deux sens de la notion d’histoire : l’histoire que les hommes font, et qui modifie le cadre culturel de leur existence, et l’histoire comme récit portant sur ces transformations.
Autrement dit, distinguer Historie - c’est-à-dire l’histoire en tant que science humaine et Geschichte - c’est-à-dire le devenir historique de l’humanité.
D’où une double interrogation portant d’abord sur la connaissance historique. Quelle en est la nature ? En quoi cette science humaine peut-elle nous permettre d’expliquer ou de comprendre les transformations des sociétés ? Quel est son objet ? s’agit-il seulement de ce que l’on appelle les événements historiques (mais qu’est-ce qu’un événement?) ou l’histoire peut-elle prétendre à d’autres objets ? L’histoire étant une science humaine, peut-elle prétendre à la même objectivité que les sciences de la nature ? Enfin, pourquoi s’intéresser au passé, autrement dit, qu’attendons-nous de la connaissance historique ?

Puis nous nous interrogerons sur ce qu’on appelle les philosophies de l’histoire, comme tentatives de donner un sens non plus à telle ou telle transformation historique de telle ou telle société, mais à la totalité du devenir historique des hommes. Faut-il comprendre l’histoire humaine comme une répétition ou comme un retour cyclique des mêmes faits ? L’histoire humaine n’est-elle qu’une succession contingente de faits qui ne nous mène nulle part, ou faut-il la voir comme un phénomène orienté vers des fins ? Et si oui, lesquelles ? Et s’il y a des fins, comment pouvons-nous les connaître ? Donc, le problème est de savoir si l’histoire humaine est guidée par un principe d’ordre ou si elle est laissée au chaos. Et autre problème : nous parlons de l’histoire humaine au singulier, alors que nous avons apparemment devant nous une multitude d’histoires singulières, celle de l’Europe, celle de la Chine etc. Au nom de quoi pouvons-nous postuler que par-delà cette diversité il y a une unité du devenir du genre humain ? Enfin, nous nous sommes accoutumés, au moins depuis le siècle des Lumières à penser l’histoire humaine en termes de progrès. Quelle est la valeur de cette notion ? Peut-elle rendre compte du devenir humain ou n’est-elle qu’un mythe qui nous trompe ?

Maintenant préciser le sens de la notion d’histoire au sens de devenir des sociétés humaines. L’histoire est bien entendu liée au temps, et tous les phénomènes qui se trouvent dans le temps et sont modifiés sous l’effet du temps peuvent être qualifiés d’historiques au sens large du terme. Ainsi, il y a une histoire de l’univers qui a commencé il y a 14 milliards d’années et une histoire du système solaire qui a commencé il y a 4,5 milliards d’années.
Les planètes se transforment et les étoiles perdent progressivement leur énergie, la terre a vu son relief modifié sous l’effet du mouvement des plaques tectoniques, de l’érosion. Certes il y a des loins de la nature, qui sont immuables et universelles comme la loi de la gravitation universelle découverte par Newton. Mais à côté de cela, il y a des phénomènes contingents et imprévisibles : ainsi on pense que l’inclinaison de l’axe de la terre de 23,5 degrés par rapport au plan de l’écliptique a été provoqué par le choc d’un astéroïde. C’est ça qui a entraîné le phénomène des saisons et a permis le développent de la vie. Il y a 65 millions d’années, chute d’une météorite sur la terre qui a produit une nuit nucléaire ayant entraîné la disparition des dinosaures et d’un énorme pourcentage d’espèces vivantes, et cela a permis le développement des mammifères dont nous sommes les descendants. On peut donc parler au sens large d’histoire de l’univers parce qu’il s’est produit des événements imprévisibles qui ont modifié le cours des choses. D’autre part, les espèces vivantes se modifient sous l’effet des processus liés à l’évolution, mais ce ne sont pas des phénomènes historiques. Par convention,
on gardera la notion d’évolution pour désigner toutes les transformations de la nature sous l’effet de causes purement naturelles et on conservera la notion d’histoire pour désigner les transformations du cadre culturel, c’est-à-dire social, politique, technique, intellectuel dans lequel vivent les hommes sous l’effet de l’action des hommes eux-mêmes.
L’histoire est en ce sens un fait proprement humain, même si l‘on parle d’histoire naturelle pour désigner la science qui s’intéresse aux transformations des espèces, mais là, histoire veut simplement dire enquête, recherche. Les animaux n’ont pas d’histoire parce qu’ils n’ont pas de culture. Ils n’ont pas cette perfectibilité dont parle Rousseau, et qui est un pouvoir infini de transformation du monde à la fois culturel et naturel. Les conditions de vie de l’animal sont fixées une fois pour toutes par la nature, elles sont le produit du processus évolutif, l’homme, lui, est un être inachevé, qui doit instituer les cadres dans lequel vivre et pour cela, il invente des institutions, des techniques, des religions, des régimes politiques et il peut les transformer à l’infini, à partir de ses insatisfactions, de ses projets, des luttes entre des projets divers ou contradictoires. L’homme comme négativité (expliquer)

Cela veut-il dire que tous les hommes sont plongés dans l’histoire ? Non, les ethnologues nous parlent de “sociétés anhistoriques”, c’est-à-dire les sociétés primitives. Définir les caractéristiques de ces sociétés. Immobilisme apparent, absence de réelle dimension juridique et politique, bas degré de développement technique, mais cependant d’authentiques sociétés, avec institutions, religions, systèmes de parenté, langues. Les primitifs ne sont pas des hommes “à l’état de nature” ou des “sauvages”, il appartiennent bien au monde de la culture. Critique de l’idée de barbare par Lévi-Strauss, méfiance à l’égard du préjugé ethnocentrique (développer cette idée). Pourquoi alors les baptiser anhistoriques ? D’abord, ce sont des sociétés qui se transforment peu dans le temps, sociétés traditionnelles, répétitives. Mais surtout parce que ce sont des sociétés sans conscience historique. Elles ont bien une conscience du passé, mais c’est une conscience mythique. Expliquer. Vie dans une temporalité circulaire. Ce qui leur manque pour fixer une authentique mémoire historique : l’écriture. Sociétés avec langage mais sans écriture. Conventionnellement, on dit que l’histoire humaine commence avec l’invention de l’écriture.
Comment rendre compte de cette différence entre sociétés froides et chaudes, ou entre sociétés anhistoriques et historiques ? Pourquoi certaines cultures n’ont-elles cessé de se transformer alors que d’autres sont immobiles ? Par incapacité ? Hypothèse de la “mentalité primitive” de Levy-Bruhl. Hypothèse de Clastres.

Première partie : interrogation sur l’histoire comme science humaine. En quoi est-elle une science et non un simple récit portant sur le passé tel qu’on peut en trouver des exemples dans le roman, comme chez Balzac ou Zola ? En effet on dit du romancier qu’il “raconte des histoires” et on peut même demander à quelqu’un d’arrêter “de nous raconter des histoires”. La notion a alors le sens de récit imaginaire ou mensonger.

Quelle est donc la nature de la connaissance historique ? Suffit-il d’avoir pour un peuple la mémoire de son passé pour en avoir une authentique connaissance historique, ou au contraire l’historien doit-il mettre en oeuvre comme tout homme de science une méthodologie spécifique qui garantisse l’objectivité des connaissances qu’il prétend nous apporter ? Et si oui, quelle est cette méthodologie ? La connaissance historique nous permet-elle d’expliquer le passé ou de le comprendre ?

En tout cas, si l’histoire se revendique comme science humaine, c’est qu’elle prétend se distinguer de l’activité de l’hagiographe, de l’idéologue, du fabricant de mythes ou de légendes. Il doit sans doute tendre à l’objectivité, mais comment celle-ci est-elle possible étant donné que l’historien est interne au processus qu’il étudie, c’est-à-dire qu’il est lui-même un être historique, appartenant à une certaine période historique ?

Et enfin, qu’attendons-nous de la connaissance historique, autrement dit, pourquoi faire de l’histoire ?

C’est Hérodote d’Halicarnasse (V° siècle avant J-C) qui est considéré comme le fondateur de l’histoire depuis que Cicéron (I° siècle avant J-C) l’a qualifié de “père de l’histoire”.
Au début de son oeuvre, intitulée Historia, c’est-à-dire “enquête”, il déclare que son intention première est la conservation des hauts faits et gestes des hommes . L’enquête qu’il entreprend à propos des guerres médiques a pour but d’empêcher que les actions accomplies par les hommes ne s’effacent avec le temps. Et il veut établir pourquoi les Grecs et les Perses se combattent. Donc, l’enquête historique se présente dès les origines avec un double souci : la conservation du passé et la recherche des causes qui ont marqué ce passé.

Mais conserver tout le passé est impossible. D’abord parce qu’une partie du passé a disparu et que de toute façon, nous ne pouvons le connaître qu’à partir des traces qu’il a laissées.
Donc, l’enquête historique est une reconstruction à partir de ces traces. Problèmes : quelles traces faut-il considérer comme significatives et pertinentes pour rendre intelligible le passé : traces matérielles, politiques, culturelles, religieuses, techniques ?

Premier problème : tout historien est confronté au problème du choix du niveau à partir duquel rendre intelligible le passé des sociétés et leurs transformations. Divergences entre ce qu’on appelle les “écoles historiques”. Prendre l’opposition entre l’école événementielle et par exemple l’école des Annales.

Pour la première, c’est le niveau politique qui est pertinent : le fait historique est d’abord l’événement qui a contribué à modifier l’histoire d’un pays, guerre, changement de régime ou de gouvernement, révolution, invasion etc.

Pour l’autre L’événement n’est que la surface des choses et il faut creuser plus profond dans l’organisation des sociétés pour montrer les transformations lentes au niveau économique, matérielle. Donc, deux façons de découper le temps et de considérer le niveau pertinent pour interroger les sociétés : le temps court de l’événementiel et le temps long et structurel.

Tout travail historique décompose le temps révolu, choisit entre ses réalités chronologiques, selon des préférences et exclusives plus ou moins conscientes. L’histoire traditionnelle attentive au temps bref, à l’individu, à l’événement, nous a depuis longtemps habitués à son récit précipité, dramatique, de souffle court.
La nouvelle histoire économique et sociale met au premier plan de sa recherche l’oscillation cyclique et elle mise sur la durée : elle s’est prise au mirage, à la réalité aussi des montées et descentes cycliques des prix. Il y a ainsi, aujourd’hui, à côté du récit ( ou du “récitatif” traditionnel ), un récitatif de la conjoncture qui met en cause le passé par large tranches : dizaines, vingtaines ou cinquantaines d’années.
Bien au-delà de ce second récitatif se situe une histoire de souffle plus soutenu encore, d’ampleur séculaire cette fois : l’histoire de longue, même de très longue durée. La formule, bonne ou mauvaise, m’est devenue familière pour désigner l’inverse de ce que François Simiand, l’un des premiers après Paul Lacombe, aura baptisé histoire événementielle. Peu importent ces formules; en tout cas c’est de l’une à l’autre, d’un pôle à l’autre du temps, de l’instantané à la longue durée que se situera notre discussion.
Non que ces mots soient d’une sûreté absolue. Ainsi le mot événement. Pour ma part, je voudrais le cantonner, l’emprisonner dans la courte durée : l’événement est explosif, “nouvelle sonnante”, comme l’on disait au XVI° siècle. De sa fumée abusive, il emplit la conscience des contemporains, mais il ne dure guère, à peine voit-on sa flamme.
Alors, disons plus clairement, au lieu d’événementiel : le temps court, à la mesure des individus, de la vie quotidienne, de nos illusions, de nos prises rapides de conscience - le temps par excellence du chroniqueur, du journaliste. Or, remarquons-le, chronique ou journal donnent, à côté des grands événements, dits historiques, les médiocres accidents de la vie ordinaire : un incendie, une catastrophe ferroviaire, le prix du blé, un crime, une représentation théâtrale, une inondation. Chacun comprendra qu’il y ait, ainsi, un temps court de toutes les formes de la vie, économique, social, littéraire, institutionnel, religieux, géographique même ( un coup de vent, une tempête ), aussi bien que politique.
A le première appréhension, le passé est cette masse de menus faits, les uns éclatants, les autres obscurs et indéfiniment répétés, ceux même dont la microsociologie ou la sociométrie, dans l’actualité, font leur butin quotidien (il y a aussi une micro histoire). Mais cette masse ne constitue pas toute l’épaisseur de l’histoire sur quoi peut travailler à l’aise la réflexion scientifique. La science sociale a presque horreur de l’événement. Non sans raison : le temps court est la plus capricieuse, la plus trompeuse des durées.
D’où chez certains d’entre nous, historiens, une méfiance vive à l’égard d’une histoire traditionnelle, dite événementielle.

F. BRAUDEL. Écrits sur l’histoire.

C’est pourquoi l’historien des longues durées devra s’initier à d’autres disciplines, comme la démographie, l’économie, la sociologie, voire des sciences exactes comme la biologie, pour la reconstitution des régimes alimentaires.

C’est aussi pourquoi on voit apparaître de nouvelles façons d’écrire l’histoire qui ne doivent plus rien à l’histoire événementielle, comme l’histoire des mentalités. Travaux sur l’enfant, la mort etc … Expliquer et développer. L’histoire moderne affirme que l’homme n’est pas seulement un animal politique, mais aussi un être qui travaille, consomme, a des croyances, des représentations du monde qui guident ses actions et ses choix.

Qu’est-ce que cela nous apprend ? Que le fait historique n’est pas donné, mais construit par l’historien à partir de choix que l’on pourrait dire philosophique sur la nature des transformations historiques. Autrement dit, il n’y a pas une façon d’écrire l’histoire mais des façons.

D’autre part, l’historien qui conduit son enquête est lui-même un être plongé dans une période de l’histoire, avec ses problèmes, ses inquiétudes. Fénelon disait au XVII° siècle que le bon historien n’est d’aucun temps et d’aucun pays. C’est une prétention impossible à réaliser. Raymond Aron : “ Il n’existe pas une réalité historique toute faite avant la science et qu’il conviendrait simplement de reproduire avec fidélité. L’histoire est le résultat de l’effort, en un sens créateur, par lequel un historien établit ce rapport entre le passé qu’il évoque et le présent qui est le sien”.

C’est-à-dire qu’il n’existe pas une histoire en soi, indépendante des questions et des problèmes posés par l’historien au passé. Cela implique deux choses : que les traces du passé ne deviennent des faits historiques qu’à partir des questions que l’historien pose au passé, par exemple, quelle est la part de la crise des subsistances dans le déclenchement de la révolution française ? Et deuxièmement, que la science historique comporte une part inéliminable de subjectivité. Expliquer.

En conclusion, l’histoire ne peut être une science exacte, pour plusieurs raisons. Elle n’a pas le pouvoir de proposer des lois explicatives comme la physique et la chimie, lois qui permettent non seulement d’expliquer mais de prévoir. Les hypothèses avancées par l’historien pour rendre compte de l’apparition de tel ou tel fait, la révolution française, la révolution industrielle, ne peuvent être testées par des moyens expérimentaux comme en physique ou biologie.

L’histoire a affaire à la contingence, à la différence des sciences dures, c’est-à-dire des événements ou faits qui se sont produits mais auraient pu ne pas se produire ou se produire autrement. La physique a affaire à une réalité soumise au principe de déterminisme.

D’autre part, les faits historiques sont uniques et ne se répètent pas, à la différence des phénomènes naturels. La seconde guerre mondiale n’est pas la répétition de la première, c’est une autre guerre, alors qu’en sciences on a affaire à des phénomènes qui se répètent et que l’on peut répéter à volonté dans les conditions artificielles du laboratoire.

En sciences dures, expliquer c’est mettre à jour les causes, les mêmes causes entraînant toujours les mêmes effets, alors que dans l’histoire des sociétés des causes semblables peuvent entraîner des effets différents : le chômage entraînera la révolte dans telle situation et tel pays, l’abattement dans tel autre etc …

Raison pour laquelle Dilthey a dit que la fonction de la science historique était moins d’expliquer que de comprendre, c’est-à-dire de ressaisir les buts et les intentions des acteurs de l’histoire. L’histoire aurait autant affaire au sens qu’aux causes.

Ensuite, faut-il réduire l’histoire à la mémoire ? On parle aujourd’hui d’un devoir de mémoire à propos de la Shoah ou de l’esclavage qui a été aboli en 1848, voulant dire par là qu’on n’a pas le droit moral d’oublier les souffrances endurées par certains hommes ou certains peuples.
Assimilation discutable : d’abord parce que l’histoire tente de reconstituer le devenir des sociétés humaines sous tous leurs aspects, politiques, sociaux, économiques, culturels, etc alors que la mémoire est sélective et elle est faite aussi d’oubli. Il y a des événements dont on ne veut pas se souvenir.
Ensuite la mémoire est nécessairement subjective : la mémoire de la décolonisation de l’Algérie ne sera pas la même chez les algériens libérés du joug colonial que chez les pieds-noirs contraints d’abandonner tous leurs biens.
Ensuite l’idée de devoir de mémoire a l’air de considérer l’histoire humaine uniquement sous l’angle des injustices et des oppressions subies par les hommes. Or il n’y a pas que ça dans l’histoire : il y a aussi des avancées, des progrès. L’idée de devoir de mémoire risque de nous faire considérer le passé sous un angle victimaire, alors le risque d’une compétition entre les victimes et leurs descendants pour savoir qui a été le plus victime : certains africains d’aujourd’hui disent que la Shoah n’est rien comparée au calvaire de leurs ancêtres réduits en esclavage. Autre risque, celui de la demande de réparation : on demande aujourd’hui à la SNCF de payer des dommages et intérêts à des descendants de déportés sous prétexte que la SNCF a organisé des convois vers les camps de la mort. Faudrait-il verser des dommages et intérêts à tous les noirs américains sous prétexte qu’ils sont tous descendants d’esclaves ?

La mémoire peut être trompeuse, mystifiée alors que la science historique a pour but la vérité et cette dernière est l’objet d’une recherche permanente : raison pour laquelle il y a danger à légiférer en matière historique sous prétexte de respecter un devoir de mémoire : prendre l’exemple de la loi Taubira.

Maintenant, le problème des philosophies de l’histoire : l’objet de l’historien est toujours localisé et partiel. Ne risque-t-il pas de perdre de vue l’ensemble du devenir de l’humanité, le mouvement global de l’histoire universelle ?

C’est la raison pour laquelle au-delà du travail des historiens, on voit apparaître ce qu’on appelle les philosophies de l’histoire dont le but est de se demander si l’histoire humaine a un sens au double sens du mot sens, une signification et une direction.
Le devenir de humanité au cours du temps est-il un piétinement sur place ou une régression, ou alors une suite chaotique d’événements se suivant sans raison comme si l’histoire humaine n’était qu’un tissu d’incohérences ? Shakespeare ( Macbeth ) “ C’est un récit raconté par un idiot, rempli de bruit et de fureur et qui ne signifie rien “.
Mais comment peut-on savoir si l’histoire humaine va quelque part ? Il n’y a pas trente six solutions …
Ou bien on croit qu’elle est dictée de l’extérieur par une puissance surnaturelle qu’on appellera Providence, ce qui correspond à une vision religieuse de l’histoire humaine,
ou on dira que l’histoire humaine est finie : point de vue de certains auteurs qui disent que l’histoire humaine est arrivée à son terme avec l’avènement de la démocratie représentative et de l’économie de marché. Ou bien on dira que l’on peut connaître le sens de l’histoire parce que contre toute apparence elle est guidée par des lois, ce sera le point de vue du matérialisme historique de Marx, ou alors on dit qu’il faut postuler pour des raisons morales que l’histoire a un sens et qu’elle est un progrès pour inciter les hommes à lutter pour améliorer le monde humain.
Tout d’abord, pour réfléchir sur le sens de l’histoire il faut que des conditions soient réunies : il faut la formation d’une conscience historique, c’est-à-dire la capacité de se situer dans le devenir historique générale pour en chercher le sens. Il faut donc avoir une conscience universelle de l’humanité, c’est-à-dire ne pas être enfermé dans les limites de sa société ou de sa civilisation, comme c’est le cas pour les sociétés primitives ou les civilisations qui vivent isolées. Pour cela, il a fallu des voyages, des rencontres entre civilisations à adopter un point de vue cosmopolitique ( expliquer ).

Ensuite il faut une conception linéaire du temps et non plus une conception cyclique comme dans de nombreuses sociétés. Expliquer. Ce sont certaines religions, et en particulier les religions monothéistes qui ont contribué à créer cette représentation linéaire du temps alors que les grecs ou les hindous en ont une cyclique.

Faut-il chercher le sens de l’histoire en-dehors de l’histoire ? C’est le point de vue de ceux qui cherchent dans une doctrine religieuse une clef pour donner du sens à l’apparent chaos de l’histoire et à supporter l’évidente injustice de nombreux faits historiques comme les guerres, les massacres …

Point de vue développé par des théologiens chrétiens en particulier, qui montre que l’histoire profane ne prend sens qu’éclairée par la seule véritable histoire qui est l’histoire sainte ou sacrée. Pour le théologien chrétien, la seule “ vraie histoire “ est celle dont l’intrigue est articulée autour des seuls véritables événements que sont la création du monde par Dieu, la faute du premier homme qui précipite les hommes dans la déchéance et l’histoire , la venue du Messie pour racheter la faute initiale et la parousie, c’est-à-dire le retour du Christ à la fin des temps annonçant le jugement dernier.

Dans cette perspective, l’idée de Providence divine devient centrale : c’est Dieu qui est en fait le seul véritable acteur de l’histoire, même si sa volonté est parfois incompréhensible : pourquoi autorise-t-il les guerres, les massacres d’innocents ? Saint Augustin dira par exemple que la chute de l’empire romain au V° siècle a été le châtiment divin de l’orgueil humain, ou Joseph de Maistre dira que la révolution française a été la punition envoyée par Dieu pour châtier les hommes des Lumières qui s’étaient progressivement éloignés de la religion en accordant plus de confiance à la raison qu’à la révélation.
Cette conception providentialiste donne sens au mal dans l’histoire humaine et n’en fait pas une pure et simple absurdité.

Conception admissible ? Repose sur le postulat d’une volonté divine intervenant dans les affaires humaines et donc sur une croyance au sens propre du terme invérifiable. dépossède les hommes de leur liberté d’action dans l’histoire, puisqu’ils ne sont plus que les jouets de la volonté de Dieu. Repose aussi sur une conception très anthropomorphique du divin : il a une volonté, il veut punir les hommes etc. Epicure disait qu’il y avait bien des Dieux, mais qu’ils étaient bienheureux et parfaitement indifférents au sort des hommes et n’intervenaient jamais dans le cours des choses humaines.
Conception providentialiste compatible avec ce que Weber appelle le désenchantement du monde et la conception rationnelle de la réalité ?

Aux divers providentialisme, on peut opposer une lecture profane et rationnelle de l’histoire humaine et voir dans cette dernière un progrès immanent de la raison : l’histoire humaine serait le développement et la diffusion continus des lumières de la raison et du savoir. Conception qui prend sa source dans l’expérience du progrès du savoir :

De même qu’un individu progresse dans ses connaissances au fur et à mesure qu’il grandit, l’humanité progresse à mesure que les générations humaines se succèdent.

Conception défendue par Comte, le fondateur de la sociologie. Formulation de la loi des trois états.

En étudiant le développement total de l’intelligence humaine dans ses diverses sphères d’activité, depuis son premier essor le plus simple jusqu’à nos jours, je crois avoir découvert une grande loi fondamentale, à laquelle il est assujetti par une nécessité invariable, et qui me semble pouvoir être solidement établie, soit sur les preuves rationnelles fournies par la connaissance de notre organisation, soit sur les vérifications historiques résultant d’un examen attentif du passé. Cette loi consiste en ce que chacune de nos conceptions principales, chaque branche de nos connaissances, passe successivement par trois états théoriques différents : l’état théologique, ou fictif; l’état métaphysique, ou abstrait; l’état scientifique ou positif. En d’autres termes, l’esprit humain, par sa nature, emploie successivement dans chacune de ses recherches trois méthodes de philosopher, dont le caractère est essentiellement différent et même radicalement opposé : d’abord la méthode théologique, ensuite la méthode métaphysique, et enfin la méthode positive. De là, trois sortes de philosophies, ou de systèmes généraux de conceptions sur l’ensemble des phénomènes, qui s’excluent mutuellement : la première est le point de départ nécessaire de l’intelligence humaine; la troisième, son état fixe et définitif; la seconde est uniquement destinée à servir de transition.
Dans l’état théologique, l’esprit humain, dirigeant essentiellement ses recherches vers la nature intime des êtres, les causes premières et finales de tous les effets qui le frappent, en un mot, vers les connaissances absolues, se représente les phénomènes comme produits par l’action directe et continue d’agents surnaturels plus ou moins nombreux, dont l’intervention arbitraire explique toutes les anomalies apparentes de l’univers.
Dans l’état métaphysique, qui n’est au fond qu’une simple modification générale du premier, les agents surnaturels sont remplacés par des forces abstraites, véritables entités (abstractions personnifiées) inhérentes aux divers êtres du monde, et conçues comme capables d’engendrer par elles-mêmes tous les phénomènes observés, dont l’explication consiste alors à assigner pour chacun l’entité correspondante.
Enfin, dans l’état positif, l’esprit humain reconnaissant l’impossibilité d’obtenir des notions absolues, renonce à chercher l’origine et la destination de l’univers, et à connaître les causes intimes des phénomènes, pour s’attacher uniquement à découvrir, par l’usage bien combiné du raisonnement et de l’observation, leurs lois effectives, c’est-à-dire leurs relations invariables de succession et de similitude. L’explication des faits, réduite alors à ses termes réels, n’est plus désormais que la liaison établie entre les divers phénomènes particuliers et quelques faits généraux, dont les progrès de la science tendent de plus en plus à diminuer le nombre.

COMTE. Cours de philosophie positive.

Ce qui entraîne une philosophie du progrès historique et un optimisme historique. Liens entre les diverses avancées de l’humanité, qui se renforcent mutuellement. Condorcet.



Depuis l’époque où l’écriture alphabétique a été connue dans la Grèce, l’histoire se lie à notre siècle, à l’état actuel de l’espèce humaine dans les pays les plus éclairés de l’Europe, par une suite non interrompue de faits et d’observations : et le tableau de la marche et des progrès de l’esprit humain est devenu véritablement historique. La philosophie n’a plus rien à deviner, n’a plus de combinaisons hypothétiques à former; il suffit de rassembler, d’ordonner les faits, et de montrer les vérités utiles qui naissent de leur enchaînement et de leur ensemble.
Il ne resterait enfin qu’un dernier tableau à tracer, celui de nos espérances, des progrès qui sont réservés aux générations futures, et que la constance des lois de la nature semble leur assurer. Il faudrait montrer par quels degrés ce qui nous paraît aujourd’hui un espoir chimérique doit successivement devenir possible et même facile; pourquoi, malgré les succès passagers des préjugés, et l’appui qu’ils reçoivent de la corruption des gouvernements ou des peuples, la vérité seule doit obtenir un triomphe durable; par quels liens la nature a indissolublement uni les progrès des lumières et ceux de la liberté, de la vertu, du respect pour les droits naturels de l’homme; comment ces seuls biens réels, si souvent séparés qu’on les a crus même incompatibles, doivent au contraire devenir inséparables, dès l’instant où les lumières auront atteint un certain terme dans un plus grand nombre de nations à la fois; et qu’elles auront pénétré la masse entière d’un grand peuple, dont la langue serait universellement répandue, dont les relations commerciales embrasseraient toute l’étendue du globe. Cette réunion s’étant déjà opérée dans la classe entière des hommes éclairés, on ne compterait plus dès lors parmi eux que des amis de l’humanité, occupés de concert d’en accélérer le perfectionnement et le bonheur.

CONDORCET. Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain. 1794.

Cependant, cet optimisme historique semble se heurter avec le constat du caractère permanent des conflits et des guerres. Faut-il alors renoncer à l’idée de progrès ?

Kant répondra non et il verra dans l’histoire humaine, qui est à la fois une suite de conflits et un progrès continu la conséquence de ce qu’il appelle l’insociable sociabilité des hommes. Idée d’une ruse de la nature. Expliquer.
Le moyen dont la nature se sert pour mener à bien le développement de toutes ses dispositions est leur antagonisme au sein de la Société, pour autant que celui-ci est cependant en fin de compte la cause d’une ordonnance régulière de cette Société. - J’entends ici par antagonisme l’insociable sociabilité des hommes, c’est-à-dire leur inclination à entrer en société, inclination qui est cependant doublée d’une répulsion générale à le faire, menaçant constamment de désagréger cette société. L’homme a un penchant à s’associer, car dans un tel état, il se sent plus qu’homme par le développement de ses dispositions naturelles. Mais il manifeste aussi une grande propension à se détacher (s’isoler), car il trouve en même temps en lui le caractère d’insociabilité qui le pousse à vouloir tout diriger dans son sens; et, de ce fait, il s’attend à rencontrer des résistances de tous côtés, de même qu’il se sait par lui-même enclin à résister aux autres. C’est cette résistance qui éveille toutes les forces de l’homme, le porte à surmonter son inclination à la paresse, et, sous l’impulsion de l’ambition, de l’instinct de domination ou de cupidité, à se frayer une place parmi ses compagnons qu’il supporte de mauvais gré, mais dont il ne peut se passer. L’homme a alors parcouru les premiers pas, qui de la grossièreté le mènent à la culture dont le fondement véritable est la valeur sociale de l’homme; c’est alors que se développent peu à peu tous les talents, que se forme le goût, et que même, cette évolution vers la clarté se poursuivant, commence à se fonder une forme de pensée qui peut avec le temps transformer la grossière disposition naturelle au discernement moral en principes pratiques déterminés. Par cette voie, un accord pathologiquement extorqué en vue de l’établissement d’une société, peut se convertir en un tout moral. Sans ces qualités d’insociabilité, peu sympathiques certes par elles-mêmes, source de la résistance que chacun doit nécessairement rencontrer à ses prétentions égoïstes, tous les talents resteraient à jamais enfouis en germes, au milieu d’une existence de bergers d’Arcadie, dans une concorde, une satisfaction, et un amour mutuels parfaits; les hommes, doux comme les agneaux qu’ils font paître, ne donneraient à l’existence guère plus de valeur que n’en a leur troupeau domestique; ils ne combleraient pas le néant de la création en considération de la fin qu’elle se propose comme nature raisonnable. Remercions donc la nature pour cette humeur peu conciliante, pour la vanité rivalisant dans l’envie, pour l’appétit insatiable de possession ou même de domination. Sans cela toutes les dispositions naturelles excellentes de l’humanité seraient étouffées dans un éternel sommeil. L’homme veut la concorde, mais la nature sait mieux que lui ce qui est bon pour son espèce: elle veut la discorde. Il veut vivre commodément et à son aise; mais la nature veut qu’il soit obligé de sortir de son inertie et de la satisfaction passive, de se jeter dans le travail et dans la peine pour trouver en retour les moyens de s’en libérer sagement.


KANT. Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique.

Mais n’est-ce pas là renverser l’ordre des choses et regarder l’histoire humaine à partir d’une représentation idéale et non pas de l’ordre des faits ? Ce sera le reproche adressé à ces auteurs par Marx et Engels : comprendre l’histoire humaine non plus à partir de la réalisation progressive d’idéaux mais du développement réel des sociétés humaines. C’est la perspective du matérialisme historique.


L’histoire de toute société jusqu’à nos jours, c’est l’histoire de la lutte de classes.
Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot : oppresseurs et opprimés, se sont trouvés en une constante opposition; ils ont mené une lutte sans répit, tantôt cachée, tantôt ouverte, une guerre qui chaque fois finissait soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la ruine commune des classes en lutte.
Aux époques historiques anciennes, nous trouvons presque partout une organisation complète de la société en ordres distincts, une hiérarchie variée de positions sociales. Dans la Rome antique, nous avons des patriciens, des chevaliers, des plébéiens, des esclaves; au Moyen-âge, des seigneurs, des vassaux, des maîtres de guilde, des compagnons, des serfs; et, dans presque chacune de ces classes, de nouvelles divisions hiérarchiques.
La société bourgeoise moderne, qui est issue des ruines de la société féodale, n’a pas surmonté les antagonismes de classes. Elle a seulement mis en place des classes nouvelles, de nouvelles conditions d’oppression, de nouvelles formes de lutte à la place des anciennes.
Toutefois, notre époque - l’époque de la bourgeoisie - se distingue des autres par un trait particulier : elle a simplifié les antagonismes de classes. De plus en plus, la société se divise en deux grands camps ennemis, en deux grandes classes qui s’affrontent directement : la bourgeoisie et le prolétariat.
Les citoyens hors barrière des premières villes sont issus des serfs du Moyen-âge; c’est parmi eux que se sont formés les premiers éléments de la bourgeoisie.
La découverte de l’Amérique, la circumnavigation de l’Afrique offrirent à la bourgeoisie naissante un nouveau champ d’action. Les marchés des Indes orientales et de la Chine, la colonisation de l’Amérique, les échanges avec les colonies, l’accroissement des moyens d’échange et des marchandises en général donnèrent au commerce, à la navigation, à l’industrie un essor inconnu jusqu’alors; du même coup, ils hâtèrent le développement de l’élément révolutionnaire au sein d’une société féodale en décomposition.
L’ancien mode de production, féodal ou corporatif, ne suffisait plus aux besoins qui augmentaient en même temps que les nouveaux marchés. La manufacture vint le remplacer. Les maîtres des jurandes furent expulsés par les petits industriels; la division du travail entre les différentes corporations disparut devant la division du travail au sein même des ateliers.
Cependant, les marchés ne cessaient de s’étendre, les marchés de s’accroître. La manufacture devint bientôt insuffisante, elle aussi. Alors la vapeur et les machines vinrent révolutionner la production industrielle. La manufacture dut céder la place à la grande industrie moderne et les petits industriels se trouvèrent détrônés par les millionnaires de l’industrie, chefs d’armées industrielles : les bourgeois modernes.
La grande industrie a fait naître le marché mondial, que la découverte de l’Amérique avait préparé. Le marché mondial a donné une impulsion énorme au commerce, à la navigation, aux voies de communication. En retour, ce développement a entraîné l’essor de l’industrie. A mesure que l’industrie, le commerce, la navigation, les chemins de fer prirent de l’extension, la bourgeoisie s’épanouissait, multipliant ses capitaux et refoulant à l’arrière-plan toutes les classes léguées par le Moyen-âge.
Nous voyons donc que la bourgeoisie moderne est elle-même le produit d’un long processus de développement, de toute une série de révolutions survenues dans le mode de production et d’échange.
Chaque étape de l’évolution parcourue par la bourgeoisie était accompagnée d’un progrès politique correspondant. Classe opprimée sous la domination des seigneurs féodaux, association énormes s’administrant elle-même dans la commune; là, république urbaine autonome, ici tiers-état taillable de la monarchie; puis, à l’époque de la manufacture, contrepoids de la noblesse dans la monarchie féodale ou absolue, soutien principal des grandes monarchies en général, la bourgeoisie a réussi à conquérir de haute lutte le pouvoir politique exclusif dans l’Etat représentatif moderne : la grande industrie et le marché mondial lui avaient frayé le chemin. Le pouvoir d’Etat moderne n’est qu’un comité qui gère les affaires communes de la bourgeoisie.
La bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle éminemment révolutionnaire.
Partout où elle est parvenue à dominer, elle a détruit toutes les conditions féodales, patriarcales, idylliques. Impitoyable, elle a déchiré les liens multicolores de la féodalité qui attachaient l’homme à son supérieur naturel, pour ne laisser subsister d’autre lien entre l’homme et l’homme que l’intérêt tout nu, l’inexorable “paiement comptant”. Frissons sacrés et pieuses ferveurs, enthousiasme chevaleresque, mélancolie béotienne, elle a noyé tout cela dans l’eau glacée du calcul égoïste. Elle a dissous la dignité de la personne dans la valeur d’échange, et aux innombrables franchises garanties et bien acquises, elle a substitué une liberté unique et sans vergogne : le libre-échange. En un mot, à la place de l’exploitation voilée par des illusions religieuses et politiques, elle a mis l’exploitation ouverte éhontée, directe, dans toute sa sécheresse.
La bourgeoisie a dépouillé de leur sainte auréole toutes les activités jusqu’alors vénérables et considérées avec un pieux respect. Elle a changé en salariés à ses gages le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, l’homme de science.
Aux relations familiales, elle a arraché leur voile de sentimentalité; elle les a réduites à un simple rapport d’argent.

Karl Marx. Manifeste du parti communiste.

Pour terminer, question : faut-il croire au progrès ? Non pas au fait qu’il y ait eu des progrès partiels, mais que l’histoire humaine soit un processus général de progrès … Ou est-ce un mythe moderne qui serait en fait la religion de la modernité ?






“Aucune idée, parmi celles qui se réfèrent à l’ordre des faits naturels, ne tient de plus près à la famille des idées religieuses que l’idée de progrès, et n’est plus propre à devenir le principe d’une sorte de foi religieuse pour ceux qui n’en n’ont plus d’autre. Elle a, comme la foi religieuse, la vertu de relever les âmes et les caractères. L’idée du progrès indéfini, c’est l’idée d’une perfection suprême, d’une loi qui domine toutes les lois particulières, d’un but éminent auquel tous les êtres doivent concourir par leur existence passagère. C’est donc au fond l’idée de divin; et il ne faut point être surpris si, chaque fois qu’elle est spécieusement évoquée en faveur d’une cause, les esprits les plus élevés, les âmes les plus généreuses se sentent entraînées de ce côté. Il ne faut pas non plus s’étonner que le fanatisme y trouve un aliment et que la maxime qui tend à corrompre toutes les religions, celle que l’excellence de la fin justifie les moyens, corrompe aussi la religion du progrès.”

COURNOT.

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