D’abord s’intéresser au terme biologie, qui désigne la science du vivant. À la différence des termes physique ou mathématiques, le terme biologie ne sera employé pour la première fois qu’au début du XIX° siècle, par Lamarck ( 1744-1829 ) pour désigner une science distincte non seulement de la physique et de la chimie, mais également de l’anatomie par exemple.
“ L’unique et vaste objet de la biologie, c’est tout ce qui est généralement commun aux végétaux et aux animaux, comme toutes les facultés qui sont propres à chacun de ces êtres sans exception. “
Ce qu’ont en commun ces deux sortes d’êtres, c’est d’être essentiellement des corps vivants, c’est-à-dire qu’ils se différencient des objets inanimés.
Lamarck ajoute :
“ Ces êtres ont, comme tout le monde le sait, la faculté de se nourrir, de se développer, de se reproduire, et sont nécessairement assujettis à la mort ( philosophie zoologique ) “
Puis il ajoute qu’entre la matière brute et les corps vivants il y a un hiatus immense qui fait que l’on ne peut ranger sur une même ligne ces deux sortes de phénomènes. Mais il dit pourtant que l’étude des êtres vivants n’est que l’étude de phénomènes purement physiques.
Ce qui pose le problème du rapport entre l’inanimé et l’animé, y a-t-il rupture ou continuité, et celui du rapport entre biologie et sciences physico-chimiques. La première doit-elle adopter la même méthodologie et les mêmes concepts que les secondes ?
Pourquoi la biologie a-t-elle mis si longtemps à se constituer comme une science à part entière ?
C’est qu’un domaine du savoir ne devient une science à part entière qu’à deux conditions au moins :
1) son objet doit être clairement cerné et défini
2) il faut disposer de méthodes rigoureusement adaptées à l’investigation de cet objet
Ce sont ces deux conditions qui ont longuement manqué. Jusqu’à la fin du XVIII°, on sait décrire les êtres vivants, on commence à savoir les classer ( Linné ) mais leur spécificité échappe encore aux savants. Il ne suffit pas de constater la différence entre l’animé et l’inanimé, il faut pouvoir expliquer ce qui fait la spécificité du vivant par rapport à l’inanimé.
Tous les êtres vivants ont en commun deux aptitudes essentielles :
1) ils sont en relation constante avec un milieu extérieur grâce auquel ils se nourrissent et se développent
2) ils sont capables de se reproduire entre eux, selon des mécanismes propres à chaque espèce.
Pour être plus précis, les êtres vivants sont des organismes.
C’est-à-dire des systèmes existant par eux-mêmes et dont tous les éléments ou organes sont interdépendants, définis chacun par une fonction spécifique. Autrement dit, les êtres vivants sont dotés d’une organisation. On ne peut pas les considérer comme de simples collections de molécules, car leur fonctionnement dépend entièrement de l’agencement de ces dernières, de leurs interrelations, de leurs interactions et de leurs interdépendances.
La notion d’interdépendance entraîne celle d’émergence : à chaque niveau de complexité ( molécules, cellules, tissu, organe etc ) apparaissent des propriétés non prévisibles d’après les propriétés des composantes de niveau inférieur.
Le concept d’organisme entraîne que ce dernier possède un certain degré d’autonomie variable selon son degré de complexité, et qu’il comporte un principe de mouvement interne, qui se traduit par la croissance chez les végétaux et la mobilité chez les animaux.
Par opposition aux machines qui contiennent également une force motrice, cad un principe de mouvement, l’organisme comporte deux caractéristiques essentielles : une relation d’échange continuelle avec le milieu, une faculté d’auto-organisation, qui se voit par exemple dans la croissance du foetus.
C’est cette notion d’organisation qui est fondamentale. Le vivant n’est pas constitué d’autres éléments fondamentaux que la matière inerte, mais c’est l’organisation de ces dernières qui donne les propriétés spécifiques du vivant.
Dans sa philosophie zoologique, Lamarck essaie de dégager les propriétés propres aux êtres vivants :
l’individualité : alors que les êtres inanimés n’en ont pas, cad que les masses solides, liquides ou gazeuses, formées de réunions de molécules n’ont pas de bornes. Les masses peuvent être plus ou moins grandes, cela n’enlève rien à la nature du corps dont il s’agit.
l’hétérogénéité de composition : cad que les êtres vivants sont composés de parties dissemblables, alors qu’un bloc de granit est homogène. Un corps inorganique peut constituer une masse soit solide soit liquide soit gazeuse, alors qu’un être vivant est toujours composé de parties solides et liquides.
la forme : les masses qui composent les êtres inorganiques n’ont pas de forme qui leur soit propre. Alors que les organismes vivants ont tous une forme qui est propre à chaque espèce. Forme imposée par les lois de la biomécanique et qui se traduit par des phénomènes de symétrie.
une croissance par assimilation et non simple juxtaposition. La croissance de la taille d’un tas de neige se fait par simple juxtaposition de cristaux et n’a pas de taille potentielle maximum. Alors que l’accroissement d’un organisme vivant est nécessairement limité ( contraintes biomécaniques ) et se fait par l’assimilation de matières qui y sont ajoutées et en font partie.
la nutrition comme chez les organismes autotrophes, c’est-à-dire capables d’autosatisfaire leurs besoins nutritionnels comme les plantes vertes avec l’aide de la lumière solaire.
la naissance et non une apparition accidentelle. cad que tous les êtres vivants sont le résultat soit d’un germe fécondé soit d’un bourgeon extensible.
la mort. cad que le propre de la vie est d’amener au bout d’un certain temps un certain été des organes et des tissus et des cellules qui rend impossible l’exécution de leur fonction.
Les biologistes contemporains donneront une caractérisation plus exhaustive :
- tous les êtres vivants sont des programmes issus de l’évolution : les organismes sont le produit de 4 milliards d’années d’évolution. Toutes leurs caractéristiques rendent compte de cette histoire. Le développement, le comportement et toutes les autres activités des organismes vivants sont en partie régis par des programmes génétiques et somatiques issus de l’accumulation de l’information génétique tout au long de l’histoire de la vie. Il existe un fil historique ininterrompu qui relie l’origine de la vie et les plus simples des procaryotes ( organisme doté d’une cellule dépourvue de noyau structuré - les bactéries en sont le plus bel exemple ) aux éléphants, aux baleines et aux êtres humains.
- propriétés chimiques : bien que fondamentalement, les êtres vivants soient formés des mêmes atomes que la matière inanimée, on ne trouve pas dans cette dernière le type de molécules responsables du développement et du fonctionnement des organismes vivants : ce sont des macromolécules, c’est-à-dire des acides nucléiques ( Il existe deux types d’acides nucléiques : l'acide désoxyribonucléique (ADN) et l'acide ribonucléique (ARN). L’ADN contient l’information génétique. L’ARN quant à lui est la copie de l'ADN (souvent en un seul brin alors que l'ADN est une double hélice = deux brins). La différence entre l'ADN et l'ARN est que l'ADN contient le génome, tout ce qui est nécessaire à la formation des protéines, mais ne peut sortir du noyau, donc l'ARN copie l'information génétique de l'ADN et sort du noyau par les pores nucléaires pour fournir l'information et permettre ainsi la synthèse directe des protéines (par les ribosomes en général), les peptides, des enzymes ( (nom féminin, souvent utilisé au masculin) est une molécule (protéine ou ARN dans le cas des ribozymes) permettant d'accélérer jusqu'à des millions de fois les réactions chimiques du métabolisme se déroulant dans le milieu cellulaire ou extracellulaire. Les enzymes agissent à faible concentration et elles se retrouvent intactes en fin de réaction : ce sont des catalyseurs biologiques (ou biocatalyseurs), des hormones ( est un messager chimique véhiculé par le sang ou la sève qui agit à distance de son site de production par fixation sur des récepteurs spécifiques. Les phéromones jouent un rôle majeur pour la reproduction de nombreuses espèces, papillons notamment, permettant au mâle de repérer la femelle à une distance parfois considérable. Chaque espèce émet une hormone ou un cocktail d'hormones qui lui est propre. Les phéromones jouent un rôle majeur pour la reproduction de nombreuses espèces, papillons notamment, permettant au mâle de repérer la femelle à une distance parfois considérable. Chaque espèce émet une hormone ou un cocktail d'hormones qui lui est propre ). La chimie organique a montré que toutes les substances trouvées dans des organismes vivants peuvent être décomposées en molécules inorganiques plus simples et en principe synthétisées en laboratoire.
- des mécanismes régulateurs : les systèmes vivants sont caractérisés par toutes sortes de systèmes de contrôle et de régulation, capables de maintenir un système donné dans un état constant ( régulation de la température interne )
- organisation : les organismes vivants sont des systèmes ordonnés complexes capables de réguler des activités médiées par leur génotype ( cad la totalité des gènes figurant dans un organisme individuel ) et qui sont l’objet de contraintes dans les domaines du développement et de l’évolution.
- ce sont des systèmes téléonomiques : les organismes vivants sont des sytèmes adaptés, résultat des innombrables générations antérieures soumis à la pression de la sélection naturelle. Ces systèmes sont programmés pour exprimer des activités téléonomiques, cad orientées vers un but, depuis le développement embryonnaire jusqu’aux activités physiologiques et éthologiques de l’adulte. ( nous verrons le rapport entre téléonomie et téléologie cad le finalisme plus tard )
- ils ont un ordre de grandeur limité : les dimensions des organismes vivants, des plus petits virus jusqu’aux plus grandes baleines concernent une gamme limitée au sein du monde moyen.
- ils obéissent à des cycles vitaux : les organismes, du moins ceux qui se reproduisent par voie sexuée,,, obéissent à des cycles vitaux déterminés, commençant par un zygote ( oeuf fécondé ) et passant par divers stades embryonnaires ou larvaires avant d’atteindre l’âge adulte.
- ce sont des systèmes ouverts : les organismes vivants tirent continuellement leur énergie et leurs matériaux de l’environnement externe et éliminent les produits finaux de leur métabolisme. Dans la mesure où ce sont des systèmes ouverts, ils ne sont pas soumis au second principe de la thermodynamique ( entropie : établit l'irréversibilité des phénomènes physiques, en particulier lors des échanges thermiques. C'est un principe d'évolution qui fut énoncé pour la première fois par Sadi Carnot en 1824 )
Ces propriétés des systèmes vivants leur confèrent un certain nombre de capacités qui n’ont pas d’équivalent dans le domaine des systèmes inanimés :
- la capacité d’évoluer
- la capacité de s’autorépliquer
- la capacité de croître et de se différencier par le biais d’un programme génétique
- la possibilité de métaboliser ( captage et libération d’énergie )
- la capacité de s’autoréguler, de façon à conserver un régime constant ( homéostasie - L'homéostasie d'un organisme cellulaire dont le liquide interstitiel est formé d'atomes est sa capacité autorégulée à conserver un fonctionnement satisfaisant et un équilibre entre le compartiment intracellulaire et le compartiment extra-cellulaire (le milieu intérieur, c'est à dire intérieur à l'organisme mais extérieur aux cellules) séparés par la membrane cellulaire, malgré une contrainte extérieure. Elle nécessite une source d'énergie extérieure. L'homéostasie se définit comme la capacité de l'organisme de maintenir un état de stabilité relative des différentes composantes de son milieu interne et ce, malgré les variations constantes de l'environnement externe. Plus simplement, l'homéostasie est donc l'équilibre interne de l'organisme. )
- la capacité par le biais de la perception et des organes des sens de répondre aux stimuli de l’environnement
- la capacité de changer à deux niveaux, celui du phénotype ( totalité des caractéristiques d’un organisme individuel résultant de l’interaction du génotype avec l’environnement )
Ensuite, la difficulté de la biologie à se constituer comme science à cause de l’obstacle du physicalisme et du modèle de scientificité proposé par la physique mathématique.
Faire comprendre maintenant pourquoi l’apparition de la biologie est si tardive historiquement.
C’est que les efforts pour connaître et pour comprendre le phénomène de la vie ont alterné ou se sont mêlé avec des interprétations de type philosophique ou religieux. L’histoire de la connaissance du vivant ne se résume pas à la succession de grandes découvertes scientifiques.
Il y a eu des attitudes philosophiques diverses à l’égard du vivant, présentes à la fois chez les philosophes et les hommes de science et qui ou bien ont favorisé ou entravé la connaissance scientifique elle-même.
C’est ce qui fait le caractère à part de la connaissance du vivant et de la biologie : contrairement à ce qui se passe dans d’autres sciences (comme la physique et la chimie) où les savants font table rase de toute interprétation philosophique de la nature, pour ne se laisser guider que par la méthode expérimentale, le travail des savants qui s’occupent du vivant paraît présupposer un certain nombre de positions philosophiques.
Premier chronologiquement, le finalisme. Il apparaît chez Aristote. Interpréter d’une façon finaliste les manifestations de la vie, c’est considérer qu’aucune d’entre elles n’est due au hasard, mais existe et se poursuit conformément au plan qui lui a été fixé d’avance. La formule : la nature ne fait rien envain.
Expliquer le vivant pour Aristote, cela revient à donner les causes de ce phénomène. Seulement, Aristote distingue quatre types de causes :
- la cause matérielle
- la cause formelle
- la cause efficiente
- la cause finale, celle qui est pour lui la plus importante.
Prenons un exemple : nous sommes devant une statue. Quelle est sa cause matérielle ? Le marbre : sans marbre, pas de statue.
La cause formelle : sa forme particulière, qui exclut toutes les autres. La forme a réduit les potentialités du marbre qui aurait pu donner naissance à un autre objet.
La cause efficiente : c’est ce qui a donné forme à la matière, cad le travail du sculpteur avec son ciseau.
Enfin, la cause finale : c’est le but en vue duquel le travail a été accompli. Et c’est ce but qui est la cause de tout ce processus, parce que sans lui, le travail de l’artiste n’aurait pas eu lieu. C’est donc cette fin qui est la cause décisive de l’existence de la statue.
Mais les causes finales ne se trouvent pas seulement pour Aristote dans l’action humaine, mais également dans la nature. Cela veut dire que la nature obéirait à un plan qui expliquerait, entre autre, sa structure hiérarchique, de la pierre à l’homme : on pourrait classer tous les êtres d’aprés le degré de complexité de leur organisation, et l’homme serait alors la fin de la nature.
Chaque organisme à son tour pourrait être décrit de façon finaliste : cad en justifiant la fonction de l’organe par le rôle qu’il a à jouer. Quel est le rapport de la cause et de l’effet ? Dans le cas de la causalité ordinaire, telle qu’on la conçoit dans les sciences de la nature, la cause précède l’effet; mais dans le cas de la cause finale, l’effet, cad le but poursuivit précède la cause.
L’explication finaliste paraît confirmée par l’observation des faits en ce qui concerne le domaine du vivant : la structure de l’oeil ne paraît pouvoir être expliquée qu’à partir de sa fonction ou de sa fin : voir.
Cependant, le finalisme est en contradiction avec le postulat fondamental des sciences de la nature, le postulat de la méthode scientifique : l’objectivité de la nature, cad “ le refus systématique de considérer comme pouvant conduire à une connaissance vraie toute interprétation des phénomènes donnée en termes de causes finales, cad de projet.” (J. Monod) En effet, la notion de projet présuppose l’existence d’une intelligence organisatrice, qui viserait des fins ou poursuivrait des buts, cad finalement une hypothèse d’ordre métaphysique ou religieuse (l’existence d’un dieu créateur), laquelle hypothèse n’a pas sa place dans le domaine de la connaissance scientifique.
Le postulat d’objectivité, comme son nom l’indique, est indémontrable car il est impossible d’imaginer une expérience qui pourrait prouver la non-existence d’un projet ou d’un but poursuivi dans la nature. ( se souvenir de la signification de la notion de postulat pour les mathématiques : c’est une proposition première que l’on demande d’admettre parce qu’elle n’est ni évidente - à la différence d’un axiome, qui, lui, est considéré comme évident pour la raison -, ni démontrable. Exemple : le cinquième postulat d’Euclide qui dit que par un point pris hors d’une droite, on ne peut mener à celle-ci qu’une parallèle et une seule). Mais ce postulat d’objectivité a guidé le développement de la connaissance scientifique depuis l’apparition de la physique mathématique.
Donc, raisonner en termes finalistes, c’est introduire une attitude non-scientifique, en affirmant que la nécessité des effets permet de rendre compte des causes. C’est violer le principe fondamental du déterminisme.
Définition du déterminisme :
- sur le plan métaphysique : doctrine selon laquelle l’ensemble du réel est un système de causes et d’effets nécessaires, y compris les faits qui paraissent de façon illusoire relever de la liberté de la volonté, du libre-arbitre.
- sur le plan épistémologique, la notion de déterminisme est au fondement de celle de loi naturelle. Elle pose qu’il est possible d e formuler un lien tel, qu’une ou plusieurs causes étant données, tels effets s’ensuivent nécessairement. Le déterminisme ne doit pas être confondu avec la simple causalité, qui établit aussi un lien entre deux phénomènes ou événements, le premier produisant le second, mais sans pour autant que cette relation soit présentée comme nécessaire. Cad que la même cause aurait pu produire d’autres effets (comme par exemple en histoire). Le déterminisme est donc le principe selon lequel, dans un domaine donné, à tout événement ou phénomène peuvent être assignées une ou plusieurs causes, les mêmes causes produisant rigoureusement les mêmes effets.
Donc, considérer les manifestations de la vie comme des effets dont il revient de chercher les causes, c’est s’engager dans une démarche scientifique; mais être finaliste, c’est ajouter à cette attitude une dimension non scientifique, en postulant que la nécessité des effets permet de rendre compte des causes.
Cependant, il paraît difficile de se passer de toute référence à la finalité en biologie. En effet, la biologie fait sans cesse référence à la notion de fonction :
L’oeil humain paraît être structuré afin de permettre d’enregistrer des images visuelles permettant de se repérer dans l’espace. Le cerveau paraît être organisé afin de traiter tout un ensemble d’informations apportées par les sens.
Phénomène par exemple très intriguant du mimétisme animal :
Le mimétisme comporte une multitude de phénomènes différents. Par exemple en ce qui concerne la couleur des plumes des oiseaux. Dans certains cas, la couleur des plumes paraît n’avoir aucune fonction à jouer ou alors une simple fonction esthétique. Mais dans d’autres cas, la coloration a une fonction repérable.
Les naturalistes distinguent les couleurs qui servent à dissimuler leurs porteurs, comme la sauterelle qui présente la couleur de l’herbe pour échapper aux prédateurs ( couleurs procryptiques ), ou alors la mante qui ressemble à la feuille pour que la proie s’approche d’elle sans méfiance ( couleurs anticryptiques ).
Il y a aussi des couleurs et des formes qui servent à tromper un éventuel prédateur :
Par exemple des papillons comestibles qui prennent l’apparence de papillons nauséeux. Chose remarquable, cette caractéristique n’affecte que les femelles dont la survie est plus importante pour la survie de l’espèce.
Ou encore les insectes inoffensifs qui vont prendre l’apparence d’insectes venimeux comme la guêpe.
Lorsque les naturalistes essaient de classer ces phénomènes de mimétisme animal, ils sont obligés de raisonner en termes de résultats recherchés et obtenus par l’animal, donc en terme de finalité et de prévision naturelle.
La tendance est alors grande de faire intervenir une intelligence créatrice ou alors un dessein intelligent pour ordonner des phénomènes en vue d’une fin.
Cependant on verra que la théorie darwinienne de l’évolution permet de rendre compte de ce type de phénomène sans faire intervenir aucune intelligence derrière les phénomènes de mimétisme ni aucune finalité.
Le biologiste François Jacob dans “ la logique du vivant “ dira :
“ L’être vivant représente bien l’exécution d’un dessein, mais qu’aucune intelligence n’a conçu. Il tend vers un but, mais qu’aucune volonté n’a choisi. Ce but est de préparer un programme génétique identique pour la génération suivante. C’est de se reproduire “.
Le choix philosophique inverse est celui du mécanisme. Le mécanisme consiste à se représenter la nature comme une grande machine, dont le fonctionnement découle strictement de l’agencement des différentes parties. Le triomphe de cette attitude est liée à la naissance de la physique, ou mécanique classique au 17° siècle.
La mécanique est la branche de la physique qui a pour objet les causes et les propriétés du mouvement. C’est Descartes qui a tenté d’appliquer les principes de la mécanique classique à la connaissance des êtres vivants.
D’abord, passer par les principes fondamentaux de la physique cartésienne. Sa physique est fondée sur l’étendue, la grandeur, la figure et le mouvement des corps.
L’étendue est considérée comme la principale caractéristique de la matière : les corps, avant toute autre qualité, sont d’abord des corps étendus, leur spatialité est fondamentale. Toutes les autres qualités des corps, comme la dureté, la couleur, n’existent pas dans le corps en tant que tel, mais sont inhérents à la nature des sens par lesquels nous les appréhendons et les connaissons. L’étendue, elle, est connaissable géométriquement, elle relève du rationnel, et non du sensible.
La physique est alors ramenée à une étude géométrisée du mouvement, à une mécanique. Tout doit être expliqué par les mouvements des corps et par la manière dont il se transmet des une aux autres lors de chocs. (il faudra attendre Newton pour voir apparaître l’idée d’un mouvement transmis à distance et non plus par un contact direct des corps : ce seront les notions de force d’attraction et de répulsion)
Chez Descartes, l’explication par le mouvement s’étend jusqu’aux qualités non spatiales des corps, comme par exemple la chaleur : la chaleur pour Descartes est la manière dont nous sommes sensibles à l’agitation des particules dont sont composés les corps.
L’étude du mouvement est mathématisée, ce qui veut dire que pour Descartes, il est possible d’introduire dans la physique la certitude des démonstrations mathématiques.
Enfin, Descartes tente de dégager les lois générales du mouvement :
la première loi veut qu’un corps conserve un même état de mouvement ou de repos, tant que la rencontre avec un autre corps ne le contraint pas à changer. C’est que l’on appelle le principe d’inertie, qui donne la primauté au mouvement rectiligne uniforme.
La physique cartésienne se caractérise donc par un rejet des causes finales. Toute explication est ramenée au mouvement, et notamment au mouvement des particules dont les corps sont composés. La physique doit être réduite à une mécanique, et la mécanique elle-même réduite à une géométrie, par la réduction de la matière à l’étendue.
Cette conception va dominer toute la science moderne de la nature. Elle s’oppose à celle d’Aristote, de l’Antiquité, du moyen-âge et de la renaissance. Pour ces époques, la nature était quasiment vivante, elle était conçue comme une puissance d’engendrement. D’ailleurs, tant en latin qu’en grec, l’étymologie suggère le caractère vivant de la nature : en latin, natura se rattache au verbe nasci, qui signifie naître; en grec, physis se rattache à phuein, engendrer. La nature est à la fois conçue comme puissance d’engendrement et comme ce qui est engendré.
Descartes critique cette conception et la remplace par celle d’une nature qui n’est plus que matière étendue, une matière qui se transforme en vertu d’une impulsion initiale, transmise et conservée selon des lois naturelles strictes et constantes : cad les lois de la mécanique et en premier lieu le principe d’inertie.
La nature cartésienne est morte, ou plus exactement inanimée. Mais il faut cependant rendre compte des êtres vivants qui s’y trouvent. En fait, la biologie cartésienne va ignorer le règne végétal, elle ne s’intéresse qu’à l’animal, et même presque seulement à l’homme. En témoigne le titre de ses deux principaux ouvrages consacrés à ce domaine : Traité de l’homme; Description du corps humain. Encore ne s’intéresse-t-il qu’au corps umain tout constitué, sans vraiment s’attacher à son processus de constitution.
La biologie cartésienne considère l’homme comme un corps, indépendamment du fait qu’il soit doté d’une âme, et il considère le corps comme un automate. Pour Descartes, l’être vivant n’est qu’un automate mécanique, et son moteur réside dans une chaleur qui se trouve dans le coeur. Etymologiquement, un automate est ce qui a en soi le principe de son mouvement, cad ses propres lois de transformation. Il s’agit alors de découper cette machine en ses différentes parties pour montrer comment elles fonctionnent selon les seules lois de la mécanique, chaque partie ayant sa propre fonction et son utilité.
Au début du texte intitulé “Description du corps humain”, Descartes expose cette conception à la fois mécaniste et machinique du corps humain :
- la chaleur qui est dans le coeur est comme le ressort et le principe de tous les mouvements de cette machine.
- les veines sont comme les tuyaux qui conduisent le sang de toutes les parties du corps vers le coeur etc...
Traité “De l’homme” : “ Je désire que vous considériez que ces fonctions suivent tout naturellement, en cette machine, de la seule disposition de ces organes, ni plus ni moins que font les mouvements d’une horloge, ou autre automate, de celle de ses contrepoids et de ses roues; en sorte qu’il ne faut point à leur occasion concevoir en elle aucune autre âme végétative, ni sensitive, ni aucun autre principe de mouvement et de vie, que son sang et ses esprits (Descartes appelle esprits animaux les parties du sang les plus agitées qui arrivent au cerveau en le dilatant et en le rendant propres à recevoir les impressions des objets extérieurs), agités par la chaleur du feu qui brûle continuellement dans son coeur, et qui n’est point d’autre nature que tous les feux qui sont dans les corps inanimés.”
Cette explication des corps-machines va d’ailleurs inspirer des découvertes importantes : à cette même époque, le médecin anglais Harvey écrit un ouvrage intitulé “Considérations anatomiques sur le mouvement du coeur et du sang chez les animaux” 1628.
En s’inspirant du modèle mécanique du fonctionnement des pompes, il met en évidence le rôle du coeur dans la circulation sanguine, et montre que le sang tourne en rond dans le corps, animé par les contractions du coeur.
Donc, la conception mécaniste de la nature amène Descartes à faire de tous les corps sans exception des machines. Les animaux (qui sont privés d’âme - et pour Descartes, cela se voit au fait qu’ils sont privés de langage), et les corps humains sont des machines. Ce qui conduit à la théorie des animaux-machines. Les animaux sont des automates mis au point par dieu. Ce sont de merveilleux automates, puisque leur créateur est infiniment habile et puissant, mais des automates quand même.
Ils fonctionnent comme toute la nature, en transformant le mouvement que Dieu a mis en eux et qui leur permet de subsister un certain temps avant leur mort, qui n’est que leur arrêt, comme celui d’un automate qui n’est plus remonté. Cependant, les animaux sont capables de sentiments et de souffrance. Comment l’expliquer ? Descartes ne voit là aucune objection à son système. Les passions - plaisir ou douleur -, sont aussi des mécanismes corporels. Ainsi, les jappements de joie ou de douleur d’un chien sont des phénomènes de type réflexe (comme le cri d’un homme qui se brûle) Ils n’indiquent pas du tout la présence d’une pensée. Les animaux sont contents ou souffrent, mais sans avoir conscience de ces affections. Ils les ressentent mais ils ne savent pas qu’ils les ressentent.
Autre obstacle, la théorie de l’élan vital, proposé par Bergson :
C’est en vain qu’on voudrait assigner à la vie un but, au sens humain du mot. Parler d’un but est penser à un modèle préexistant qui n’a plus qu’à se réaliser. C’est donc supposer, au fond, que tout est donné, que l’avenir pourrait se lire dans le présent. C’est croire que la vie, dans son mouvement et dans son intégralité, procède comme notre intelligence, qui n’est qu’une vue immobile et fragmentaire prise sur elle, et qui se place toujours naturellement en-dehors du temps. La vie, elle, progresse et dure. Sans doute on pourra toujours, en jetant un coup d’oeil sur le chemin une fois parcouru, en marquer la direction, la noter en termes psychologiques et parler comme s’il y avait eu poursuite d’un but. C’est ainsi que nous parlerons nous-mêmes. Mais, du chemin qui allait être parcouru, l’esprit humain n’a rien à dire, car le chemin a été créé au fur et à mesure de l’acte qui le parcourait, n’étant que la direction de cet acte lui-même.
Nous disons que la vie, depuis ses origines, est la continuation d’un seul et même élan qui s’est partagé entre des lignes d’évolution divergentes. Quelque chose a grandi, quelque chose s’est développé par une série d’additions qui ont été autant de créations. C’est ce développement même qui a amené à se dissocier des tendances qui ne pouvaient croître au-delà d’un certain point sans devenir incompatibles entre elles. À la rigueur, rien n’empêcherait d’imaginer un individu unique en lequel, par suite de transformations réparties sur des milliers de siècles, se serait effectuée l’évolution de la vie. Ou encore, à défaut d’un individu unique, on pourrait supposer une pluralité d’individus se succédant en une série unilinéaire. Dans les deux cas l’évolution n’aurait eu, si l’on peut s’exprimer ainsi, qu’une seule dimension. Mais l’évolution s’est faite en réalité par l’intermédiaire de millions d’individus sur des lignes divergentes, dont chacune aboutissait elle-même à un carrefour d’où rayonnaient de nouvelles voies, et ainsi de suite indéfiniment.
Henri Bergson. L’évolution créatrice. ( 1907 )
Réfutation par Claude Bernard :
De ce qui précède, il résulte que les conditions qui nous sont accessibles pour faire apparaître les phénomènes de la vie sont toutes matérielles et physico-chimiques. Il n’y a d’action possible que sur et par la matière. L’univers ne montre pas d’exception à cette loi. Toute manifestation phénoménale, qu’elle siège dans les êtres vivants ou en dehors d’eux, a pour substratum obligé des conditions matérielles. Ce sont des conditions que nous appelons les conditions déterminées du phénomène.
Nous ne pouvons connaître que les conditions matérielles et non la nature intime des phénomènes de la vie. Dès lors, nous n’avons affaire qu’à la matière, et non aux causes premières ou à la force vitale directrice qui en dérive. Ces causes nous sont inaccessibles. Croire autre chose, c’est commettre une erreur de fait et de doctrine ; c’est être dupe de métaphores et prendre au réel un langage figuré.
La conception que nous nous formons du but de toute science expérimentale et de ses moyens d’action est donc générale ; elle appartient à la physique et à la chimie et s’applique à la physiologie. Elle revient à dire, en d’autres termes, qu’un phénomène vital a, comme tout autre phénomène, un déterminisme rigoureux, et que jamais ce déterminisme ne saurait être autre chose qu’un déterminisme physico-chimique. La force vitale, la vie, appartiennent au monde métaphysique ; leur expression est une nécessité de l’esprit : nous ne pouvons nous en servir que subjectivement. Notre esprit saisit l’unité et le lien, l’harmonie des phénomènes, et il la considère comme l’expression d’une force ; mais grande serait l’erreur de croire que cette force métaphysique est active. Il en est d’ailleurs de même de ce que nous appelons les forces physiques ; ce serait une pure illusion que de vouloir rien provoquer par elles. Ce sont là des conceptions métaphysiques nécessaires, mais qui ne sortent point du domaine où elles sont nées, et ne viennent point réagir sur les phénomènes qui ont donné à l’esprit l’occasion de les créer.
Claude Bernard. Leçons sur les phénomènes de la vie commune aux animaux et aux végétaux. ( 1878)
Conclusion de ce point :
L’élan vital n’est qu’un point de vue métaphysique et le mécanisme ne rend pas compte des propriétés du vivant. Une montre, à la différence d’un être vivant ne peut ni se construire elle-même ni se réparer. Alors que dans le cas d’un organisme vivant, des forces internes sont à l’oeuvre qui assurent la formation des structures complexes du vivant.
Ce que fait remarquer Kant :
“ Dans une montre, un rouage n’en produit pas un autre et encore moins une montre d’autres montres. Elle ne remplace pas elle-même les parties dont elle est privée. Si elle est déréglée, elle ne se répare pas non plus elle-même, toutes choses qu’on peut attendre de la nature organisée. Un être organisé n’est pas seulement une machine. “ Critique de la faculté de juger.
Cependant on peut expliquer le vivant sans faire intervenir des forces occultes, mais simplement en faisant référence aux lois de la physique et de la chimie. Mais qu’est-ce qui fait alors la différence des êtres vivants avec de simples agrégats d’atomes inorganiques comme des pierres ?
On peut dire, avec le biologiste Jacques Monod que les êtres vivants se distinguent de toutes les autres structures par leur dessein et leur projet. Quel est ce projet ? Conserver l’intégrité et la totalité de leur structure et se reproduire. Monod appelle “ téléonomie “ cette activité cohérente, orientée et constructive du vivant en vue de se conserver et de se reproduire. Morphogenèse autonome et invariance caractérisent, avec la téléonomie, les êtres vivants.
Morphogenèse autonome : les êtres vivants, parce qu’ils sont doués d’un projet, sont des structures autonomes. C’est-à-dire qu’ils s’édifient indépendamment de tout agent extérieur, en suivant un programme génétique de développement ( embryogenèse ).
Monod : “ La structure d’un être vivant résulte d’un processus qui ne doit presque rien à l’action des forces extérieures, mais tout, de la forme générale jusqu’au moindre détail, à des interactions morphogénétiques internes à l’objet lui-même. Structure témoignant donc d’un déterminisme autonome, précis, rigoureux, impliquant une “ liberté “ quasi totale à l’égard d’agents ou conditions extérieurs, capables certes d’entraver ce développement, mais non de le diriger, non d’imposer à l’objet vivant son organisation “. Le hasard et la nécessité.
La reproduction invariante : l’invariance reproductive désigne le fait que les êtres vivants ont le pouvoir de se reproduire et transmettre l’information correspondant à leur propre structure. En d’autres termes, de génération en génération, ils reproduisent le matériel génétique de l’espèce.
D’où une explication de ce curieux phénomène : la reproduction sexuée. Le biologiste Weismann disait en 1885 qu’elle avait pour fonction “ de produire les différences individuelles au moyen desquelles la sélection naturelle crée de nouvelles espèces “. ( nous reviendrons plus tard sur la notion de sélection en abordant le darwinisme )
On sait que pour la biologie moderne, tout être vivant se forme par l’exécution d’un programme inscrit dans ses chromosomes. Chez les organisme qui se reproduisent par fission, le programme génétique est exactement recopié à chaque génération. Tous les individus de la population sont identiques, à l’exception de quelques mutants.
Mais dans le cas de la reproduction sexuée, chaque programme est formé par réassortiment de deux programmes différents. Chaque programme génétique, c’est-à-dire chaque individu devient différent de tous les autres, à l’exception des jumeaux vrais. Chaque enfant est l’objet d’une véritable loterie génétique.
Le réassortiment du matériel génétique à chaque génération permet de juxtaposer rapidement des mutations favorables. C’est-à-dire qu’une population d’êtres vivants sexués peut donc évoluer plus vite qu’une population dépourvue de sexualité, ce qui veut dire qu’à long terme, les populations sexuées peuvent survivre là où s’éteindraient des populations asexuées.
Donc, les organismes à reproduction sexuée ont plus de chance de produire des individus adaptés aux conditions nouvelles créées par es variations de l’environnement.
Autre caractéristique générale du vivant : son caractère totalement contingent et la faible probabilité de son apparition dans l’univers physique. L’apparition du vivant est paradoxale dans la mesure où elle est en contradiction apparente avec le second principe de ce qu’on appelle en physique la thermodynamique.
Définition de la thermodynamique : branche de la physique qui traite des échanges entre les diverses formes d'énergie, des états et des propriétés de la matière, des transformations d'état et des phénomènes de transport. La thermodynamique comprend l'étude des corps en tenant compte de l'influence de la température sur leurs caractéristiques
* Le principe zéro de la thermodynamique concerne la notion d'équilibre thermique et est à la base de la thermométrie. Si deux systèmes sont en équilibre thermique avec un troisième, alors ils sont aussi ensemble en équilibre thermique.
Le premier principe de la thermodynamique affirme que l'énergie est toujours conservée. Autrement dit, l’énergie totale d’un système isolé reste constante. Les événements qui s’y produisent ne se traduisent que par des transformations de certaines formes d’énergie en d’autres formes d’énergie. L’énergie ne peut donc pas être produite ex nihilo ; elle est en quantité invariable dans la nature. Elle ne peut que se transmettre d’un système à un autre. On ne crée pas l’énergie, on la transforme.
Ce principe est aussi une loi générale pour toutes les théories physiques (mécanique, électromagnétisme, physique nucléaire,...) On ne lui a jamais trouvé la moindre exception, bien qu'il y ait parfois eu des doutes, notamment à propos des désintégrations radioactives. On sait depuis le théorème de Noether que la conservation de l'énergie est étroitement reliée à une uniformité de structure de l'espace-temps.
Elle rejoint un principe promu par Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».
Le deuxième principe de la thermodynamique concerne la notion d'irréversibilité d'une transformation et introduit la notion d'entropie. Il affirme que l'entropie d'un système isolé augmente, ou reste constante. Il est associé à l'impossibilité du passage du désordre à l'ordre sans intervention extérieure.
On va expliquer.
La biologie insiste sur le caractère contingent de la biosphère, c’est-à-dire du règne du vivant. Monod montre que la biosphère ne contient pas une classe prévisible d’objets ou de phénomènes mais constitue un événement particulier, compatible sans doute avec les lois physiques qui régissent l’univers, mais non déductible de ces principes.
Aucune nécessité de l’existence du vivant et en plus son caractère très improbable.
Jacques Monod :
Lorsque l’on regarde ce que l’on sait ou ce que l’on devine des origines de la vie sur le globe, on est bien obligé de reconnaître que l’apparition des premiers systèmes capables de s’auto-reproduire, l’apparition des premières cellules, implique que la première d’entre elles était un être qui possédait un programme, les moyens de copier et de reproduire ce programme et les moyens de collecter l’énergie nécessaire dans le milieu ambiant pour convertir les précurseurs utilisables. C’est cela l’essence d’une cellule, autrement dit, l’invention essentielle est le code génétique, c’est-à-dire la programmation dans l’ADN d’une molécule traduisible dans une protéine, laquelle protéine aide directement ou indirectement à la reproduction de l’ADN. C’est un événement qui paraît a posteriori tellement improbable qu’on est parfaitement justifié à se demander s’il s’est produit une seule fois ou plus d’une fois à la surface de la terre. L’ensemble des êtres vivants que nous connaissons descendent d’un seul de ces essais ceci en raison de l’unité biochimique et de l’unité du code qui ne peuvent s’expliquer que s’il y a une seule source.
Jacques Monod. Le hasard et la nécessité.
D’où la conclusion que la vie est un hasard dans l’univers matériel et que l’homme lui-même est un accident de la biosphère. ( on y reviendra à propos de la théorie darwinienne de l’évolution )
D’autre part, contradiction de la présence du vivant avec le second principe de la thermodynamique.
Première formulation de ce principe par le physicien Clausius en 1850 :
Dans une enceinte énergétiquement isolée, toutes les différences de température tendent à s’annuler spontanément.
Ou encore, au sein d’une telle enceinte, où la température serait uniforme, il est impossible qu’apparaissent des différences de potentiels thermiques entre les différentes régions du système. C’est la raison pour laquelle il faut par exemple dépenser de l’énergie pour refroidir un frigidaire.
Donc, le deuxième principe de la thermodynamique prévoit la dégradation inéluctable de l’énergie au sein d’un système isolé comme l’univers par exemple. C’est ce qu’on appelle l’entropie, c’est-à-dire la dégradation de l’énergie au sein d’un système.
La dégradation de l’énergie ou accroissement de l’entropie est une conséquence prévisible des mouvements au hasard des molécules qui composent un être comme par exemple un organisme vivant.
Si deux enceintes à températures différentes sont mises en communication l’une avec l’autre, les molécules rapides et les molécules lentes vont passer d’une enceinte à l’autre au hasard de leur course, ce qui annule les différences de températures entre les deux enceintes.
L’accroissement de l’entropie est donc un accroissement du désordre. Avant le mélange des molécules, du travail pouvait être accompli par le système, puisqu’il comportait une différence de potentiel entre les deux enceintes. Mais une fois atteint l’équilibre statistique, plus aucun phénomène ne peut se produire au sein du système.
Donc, la croissance de l’entropie est un phénomène irréversible, et au sein d’un système isolé comme l’univers, il y a accroissement de désordre, c’est-à-dire une tendance irréversible vers l’inertie.
C’est dans ce cadre général que l’existence de la biosphère est paradoxale.
L’apparition du vivant et la multiplication des espèces est au contraire un accroissement de l’ordre et de l’organisation de la matière, un peu comme si le vivant était une machine à remonter le temps.
Cependant, au niveau global de l’évolution du vivant, il n’y a plus de contradiction. L’évolution apparaît comme un phénomène irréversible définissant une direction dans le temps.
En effet, toute évolution sensible de la biosphère, par exemple la différenciation de deux espèces vivantes résulte d’un grand nombre de mutations indépendantes, recombinées au hasard grâce à la reproduction sexuée. On peut alors considérer l’irréversibilité de l’évolution comme une expression du second principe de la thermodynamique.
En ce sens, il y a compatibilité entre les lois physiques et l’organisation et l’évolution du vivant.
Enfin, il faut essayer de rendre compte de l’extraordinaire variété du vivant, avec ses millions d’espèces animales et végétales et du fait qu’elles se modifient au fil du temps, ce dont nous avons des preuves par la découverte de vestiges fossiles.
Ce qui va nous amener à aborder la théorie darwinienne de l’évolution et ses implications philosophiques.
Jusqu’au début du XIX° siècle, règne un ensemble de théories que l’on appelle le fixisme. C’est l’affirmation selon laquelle toutes les espèces que nous connaissons aujourd’hui ont été créées par Dieu et ne se sont jamais modifiées.
Linné ( 1707/1778 ) disait “ Il y a autant d’espèces différentes que l’être infini en a créées au départ “.
Avantage du fixisme : il a permis de classer les organismes vivants en classe, ordre, genre, espèce.
Cependant, doctrine fausse sur le plan scientifique.
On connaissait depuis longtemps le phénomène de l’hybridation, de croisement des espèces tant végétales qu’animales, ce qui a permis d’améliorer l’agriculture et l’élevage des animaux domestiques.
D’autre part, les fixistes soutenaient l’absence de continuité entre les primates supérieurs et l’homme, puisque les premiers sont pourvus d’un os intermaxillaire alors que le second en est dépourvu. Or en 1784, on découvre un crâne fossile humain pourvu d’un os intermaxillaire, ce qui va contribuer à accréditer le transformisme, c’est-à-dire l’idée que les espèces se transforment dans le temps.
Ensuite, c’est le début de la géologie qui va progressivement repousser l’âge de la terre, alors que la Bible ne lui accordait que 4000 ans d’âge.
Le transformisme va prendre deux formes :
Le lamarckisme ( de Lamarck 1744/1829 )
Et le darwinisme ( de Darwin 1809/1882 )
Selon Lamarck, l’infinie diversité des espèces que nous connaissons résulte d’une évolution des êtres les plus simples vers les plus complexes. Le moteur de l’évolution pour Lamarck est l’adaptation : les êtes vivants évoluent sous l’effet du milieu pour s’adapter à lui. Idée que c’est la fonction qui crée l’organe et que l’absence d’usage entraîne la disparition progressive de l’organe. Lamarck affirme aussi la nature héréditaire des caractères acquis. Pour lui, les caractères acquis sous l’effet du milieu ( par exemple le long cou de la girafe qui lui permet d’atteindre les feuilles des arbres pour se nourrir ) se transmettent aux générations suivantes.
Or, fausseté du lamarckisme et en particulier de sa deuxième idée. La biologie moléculaire a montré qu’il n’y avait pas de transmission héréditaire des caractères acquis :
François Jacob : “ l’hérédité est séparée de toute fantaisie locale, de toute influence, de tout incident. Elle se loge dans la matière et son arrangement “. Ce qui se transmet ce sont les caractéristiques génétiques lesquelles sont indépendantes de l’influence du milieu.
C’est Darwin qui va proposer la solution dans son ouvrage de 1859 “ l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la lutte pour l’existence dans la nature “.
C’est dans ce qu’ils appelaient “ sélection naturelle “ que Darwin et son jeune collègue, Alfred Russel Wallace, ont voulu voir le principe moteur du changement évolutif. L’idée en est merveilleusement simple et semble même, à première vue, aller de soi. Elle repose sur l’observation suivante : dans les populations, les individus ont des caractéristiques physiques très variées, et plusieurs de ces variantes, le plus souvent héritées de leurs parents, se retrouveront chez leurs enfants. Certaines d’entre elles, transmissibles par l’hérédité, seront plus susceptibles que d’autres de favoriser le succès reproductif de l’individu, si bien que ces attributs favorables deviendront inévitablement plus communs dans la population, ce succès se répétant à chaque génération. Tout au long du processus, l’apparence de la population concernée changera peu à peu et, avec le passage du temps ( sur des millions d’années ), les effets cumulés de ces modifications progressives d’une génération à l’autre déboucheront non plus sur de petits changements physiques, mais sur la naissance de nouvelles espèces, de nouveaux genres, de nouvelles familles, etc. Selon cette conception, temps et changement sont pratiquement synonymes : plus la durée écoulée est longue, plus les changements sont nombreux.
Entre sélection naturelle et changement de la population, le rôle d’intermédiaire est joué par l’ “ adaptation “, autre idée simple : la sélection naturelle favorise les individus qui disposent des caractéristiques les plus favorables à la reproduction, donc à la promotion du vivant au sein d’un environnement donné ( que ce dernier soit stable ou changeant ). L’adaptation a clairement un rôle actif dans l’évolution, comme le montre, par exemple, la fréquence de la “ convergence “, qui fait que des espèces apparentées de façon très lointaines développent des caractéristiques physiques étonnamment similaires, ou encore le phénomène connu sous le nom de “ mimétisme “, quand, par exemple, pour se protéger de l’un de leurs prédateurs, des espèces exhibent les traits distinctifs d’autres espèces que ce prédateur ne consomme pas.
Ian Tattersall. Petit traité de l’évolution. 2002
Pour Darwin, la notion de survie du plus apte n’a pas de connotation morale. Le plus apte, c’est celui qui est le mieux adapté à la survie et la transmission de ses gènes.
Notion importante de la théorie darwinienne : celle de concurrence.
La concurrence vitale est une lutte entre l’individu et son milieu qui comportent deux types de facteurs :
D’abord des phénomènes physiques ( pluie, sécheresse, qualité des sols )
Ensuite des phénomènes biologiques : les individus de la même espèce entrent en concurrence pour la nourriture, la reproduction, le contrôle d’un territoire. Et les individus d’une espèce entrent en concurrence avec d’autres espèces pour l’accès à des ressources vitales.
Important : la sélection naturelle et la concurrence vitale ne sont pas dirigés par une intelligence supérieure, ce sont des phénomènes naturels aveugles.
Comment opère la sélection naturelle ? Elle privilégie, grâce à la concurrence vitale, les variations utiles ( celles qui sont produites par les erreurs de copie du code génétique - ce que Darwin ne savait pas ) et permet leur accumulation au fil du temps. Les individus porteurs de ces variations utiles ont donc un avantage adaptatif et peuvent se reproduire et transmettre leurs caractéristiques.
D’autre part, la théorie darwinienne réfute l’idée de progrès, idée qui est le résultat d’un préjugé anthropocentrique et qui nous fait croire que l’évolution devait donner naissance au plus parfait de tous les êtres, c’est-à-dire l’homme.
Le modèle de l’évolution est celui d’un buisson et non celui d’une échelle. Il n’y a donc pas au sens propre du terme d’espèces inférieures, si une espèce subsiste c’est qu’elle est parfaitement bien adaptée à son milieu, à la survie et à sa perpétuation.
Si l’on voulait résumer les grands axes de la théorie darwinienne :
Evolution tout court : c’est la théorie selon laquelle le monde n’est pas figé, ni de création récente, ni pris dans un cycle récurrent, mais qu’il change constamment et que les organismes sont transformés au fil du temps.
Ascendance commune : c’est la théorie selon laquelle chaque groupe d’organismes est issu d’un ancêtre commun et tous les groupes d’organismes, y compris les animaux, les micro-organismes proviennent en dernier ressort d’une unique origine de la vie sur terre.
Multiplication des espèces : cette théorie explique l’origine de l’immense diversité du monde organique. Elle postule que les espèces se multiplient, soit par ramification en espèces filles, soit par “ greffe “, c’est-à-dire par isolement géographique de populations fondatrices qui évoluent pour donner naissance à des espèces nouvelles.
Gradualisme : selon cette théorie, le changement évolutif se produit par modification progressive des populations et non par production subite ( mutationniste ) de nouveaux individus représentant un nouveau type.
Sélection naturelle : selon cette théorie, le changement évolutif est dû à l’existence d’une abondante production de variations génétiques à chaque génération. Le petit nombre d’individus qui survivent, grâce à leur combinaison particulièrement favorable de caractères transmissibles, donnent naissance à la génération suivante.
Ernst Mayr. Darwin et la pensée moderne de l’évolution. ( 1991 )
Implications philosophiques de la théorie darwinienne :
Mais la théorie de l’ascendance commune a surtout changé la position de l’homme. Pour les théologiens comme pour les philosophes, l’homme était une créature à part dans le monde vivant. Aristote, Descartes et Kant s’accordaient sur ce point, quels que fussent par ailleurs les désaccords de leurs philosophies. Dans l’Origine, Darwin se borna à une remarque cryptique : “ On en tirera des lumières sur l’origine de l’homme et sur son histoire “. Mais Ernst Haeckel, T. H. Huxley et, en 1871 Darwin lui-même ont démontré que l’homme devait être issu de l’évolution d’un ancêtre simien, le plaçant ainsi au coeur de l’arbre phylogénétique du règne animal. Ce fut la fin de l’anthropocentrisme traditionnel de la Bible et des philosophes. Cette application de la théorie de l’ascendance commune aux humains a suscité une vive opposition. Si l’on en juge par les caricatures de l’époque, nulle idée darwinienne n’était plus repoussante pour les victoriens que l’attribution d’un ancêtre primate à l’homme. Pourtant, non seulement cette filiation est aujourd’hui remarquablement bien étayée par les archives fossiles, mais les similitudes biochimiques et chromosomiques entre l’homme et les grands singes africains sont si importantes que l’on en vient à s’étonner qu’il y ait une telle différence de morphologie et de développement cérébral. L’origine primate de l’homme, mise en évidence par Darwin, souleva aussitôt des interrogations sur l’origine de l’intelligence et de la conscience qui restent encore aujourd’hui des sujets de controverse.
Ernst Mayr. Darwin et la pensée moderne de l’évolution. ( 1991)
Maintenant examiner le caractère scientifique de la science du vivant :
Lorsqu’un biologiste essaye de répondre à des questions du type “ Pourquoi n’y a-t-il pas d’oiseaux-mouches dans l’Ancien Monde ? “ ou bien “ Où l’espèce Homo Sapiens a-t-elle fait son apparition ? “, il ne peut s’appuyer sur des lois universelles, dans la mesure où il s’agit de phénomènes qui ne se sont produits qu’une seule fois. Il lui faut étudier tous les faits se rapportant à ce cas, déduire toutes les conséquences possibles des conditions qui existaient jadis, telles qu’il peut les reconstruire, et ensuite échafauder des scénarios. En d’autres termes, il lui faut élaborer des narrations historiques.
Cette démarche se distinguant fondamentalement de la recherche de lois déterministes, les praticiens de la philosophie classique des sciences - formés à la logique, aux mathématiques ou aux sciences physiques - la considéraient naguère comme irrecevable. Cependant, des auteurs récents ont vigoureusement contesté cette position et ont montré non seulement que l’élaboration de narrations historiques est une méthode correcte, mais que c’est peut-être la seule démarche scientifiquement et philosophiquement envisageable pour expliquer des phénomènes qui ne se sont produits qu’une fois.
Bien sûr, il n’est jamais possible de prouver qu’une narration historique est “ vraie “. Plus le système que l’on étudie est complexe, plus les interactions se déroulant en son sein sont nombreuses et plus il est difficile de les observer directement. Le plus souvent, on ne peut qu’en supposer l’existence. Cependant, toutes ces narrations peuvent se prêter à des tests de réfutation et être mises à l’épreuve de façon répétée.
Par exemple, la fin des dinosaures a été autrefois attribuée à l’irruption d’une maladie mortelle à laquelle ces animaux auraient été particulièrement sensibles ou bien à un changement de climat très important engendré par des phénomènes géologiques. Mais aucune de ces hypothèses n’était étayée par des preuves incontestables et toutes deux soulevaient d’autres problèmes. Cependant, lorsqu’en 1980 Walter Alvarez a avancé son hypothèse sur la collision de la Terre avec un astéroïde, et, notamment après que l’on a découvert dans le Yucatan la trace du cratère provoqué par l’impact, toutes les théories antérieures ont été abandonnées, dans la mesure où les faits découverts cadraient parfaitement bien avec le scénario envisagé.
Les narrations historiques jouant un rôle important sont les sciences suivantes : la cosmogenèse ( l’étude de l’origine de l’univers ), la géologie, la paléontologie, la phylogénie, la biogéographie, et d’autres disciplines relevant de la biologie évolutionniste. Toutes ces sciences sont caractérisées par le fait qu’elles traitent de phénomènes uniques en leur genre. C’est, en effey, le cas de n’importe quelle espèce d’êtres vivants, et, sur le plan génétique, de n’importe quel individu. C’est le cas aussi de chacune des neufs planètes du système solaire. Sur la Terre, chaque bassin hydrographique et chaque chaîne de montagne possèdent aussi des caractéristiques uniques en leur genre.
Les philosophes sont depuis longtemps irrités par les phénomènes qui n’existent qu’en un seul exemplaire. Hume avait déclaré que “ la science ne peut rien dire de satisfaisant sur les causes des phénomènes véritablement singuliers. “ S’il voulait signifier ainsi que les phénomènes uniques en leur genre ne peuvent être pleinement expliqués par des lois déterministes, il avait raison. Cependant, si l’on élargit la méthodologie de la science aux narrations historiques, on peut souvent expliquer de manière satisfaisante de tels phénomènes, et quelquefois même faire des prédictions susceptibles d’être mises à l’épreuve.
Il existe une raison pour laquelle les narrations historiques ont une valeur explicative : dans une séquence historique, les phénomènes qui viennent en premier conditionnent généralement les phénomènes plus tardifs. Par exemple, l’extinction des dinosaures à la fin du Crétacé a vidé un grand nombre de niches écologiques, et mis ainsi en place les conditions qui ont permis la spectaculaire radiation des mammifères au Paléocène et à l’Eocène, dans la mesure où ceux-ci ont alors envahi les niches écologiques inoccupées. L’objectif le plus important d’une narration historique est de découvrir les facteurs déterminants qui ont contribué à la survenue des événements postérieurs dans une séquence historique. Etablir une séquence historique ne signifie pas qu’il faut abandonner le règne de la causalité, mais qu’il s’agit de découvrir, de façon strictement empirique, une causalité particulariste. Celle-ci ne renvoie à aucune loi, elle explique un seul cas, unique en son genre.
Ernst Mayr. Qu’est-ce que la biologie ? ( 1997 )
Cependant, certains biologistes ont pensé que le processus évolutif lui-même était dirigé par des lois. Ce qui impliquerait que l’évolution ne serait pas un processus contingent.
On a d’abord invoqué la “ loi de l’accroissement de taille “. Il est évident que la vie a commencé avec des cellules de très petites taille, les Procaryotes, pour continuer deux milliards d’années plus tard par des Eucaryotes, dix à cent fois plus grosses, pour continuer par des Métazoaires.
Mais d’autre part, on constate qu’il y a des lignées qui sont restées petites ou qui ont même diminué de taille. Par exemple, les chevaux actuels sont plus petits que leurs ancêtres du Pléistocène.
Plutôt que de parler d’une loi d’accroissement de taille, il serait plus juste de parler de la constante recherche d’un équilibre entre l’organisme et le milieu où il vit. Il y a des tendances qui peuvent favoriser l’accroissement de taille, comme l’amélioration du rendement énergétique. Mais il y a aussi des facteurs susceptibles de favoriser la tendance inverse : les conditions défavorables de l’environnement, la surpopulation, de mauvaises conditions météorologiques. L’accroissement de taille est une modalité fréquente de l’évolution, mais elle n’est pas une loi et ne permet aucune prévision fiable sur l’évolution des espèces.
On a invoqué aussi une “ loi de spécialisation croissante “. Cela veut dire que le vivant commencerait toujours par des formes simples, primitives et montreraient, au cours de leur histoire, une tendance continue vers une spécialisation croissante conduisant vers des formes de plus en plus complexes et de plus en plus performantes. Mais la spécialisation peut conduire à la stagnation d’une espèce : les Dispneutes, des poissons qui ont une double respiration branchiale et pulmonaire et qui vivent dans des mares qui s’assèchent régulièrement, n’ont pas subi de modifications importantes du Dévonien à nos jours.
S’il y a une loi qui a une certaine valeur, c’est la “ loi d’irréversibilité. Dès qu’un caractère devient complexe, dès que sa manifestation exige l’action conjointe de gènes multiples et variés, il ne peut plus y avoir de réversion. Aucune espèce ne régresse vers un état plus primitif de développement. Mais cette loi ne peut permettre aucune prévision sur l’avenir de l’évolution et sur ce que seront les espèces dans l’avenir, alors que c’est ce que permet une loi au sens strict, en physique par exemple.
Haeckel, au XIX° siècle croira pouvoir formuler une “ loi biogénétique fondamentale “.
“ l’ontogenèse une une récapitulation de la phylogenèse “.
Ontogenèse : (ontogénie) décrit le développement progressif d'un organisme depuis sa conception jusqu'à sa forme mature, voire jusqu'à sa mort. En biologie du développement, ce terme s'applique aussi bien aux êtres vivants non-humains qu'aux êtres humains mais on le retrouve aussi dans le domaine de la psychologie du développement où l'ontogenèse désigne le développement psychologique d'un individu depuis l'enfance jusqu'à l'âge adulte et plus généralement, pour désigner les transformations structurelles observés dans un système vivant qui lui donne son organisation ou sa forme finale.
Phylogenèse : c’est l'étude de la formation et de l'évolution des organismes vivants en vue d'établir leur parenté. La phylogenèse est le terme le plus utilisé pour décrire la généalogie d'une espèce, d'un groupe d'espèces mais également, à un niveau intraspécifique, la généalogie entre populations ou entre individus.
On représente couramment une phylogénie par un arbre phylogénétique. La proximité des branches de cet arbre représente le degré de parenté entre les taxons, les nœuds les ancêtres communs des taxons. Dans un arbre élaboré par phénétique, la longueur des branches représente la distance génétique entre taxons; dans un arbre élaboré par cladistique (cladogramme), on place sur les branches les évènements évolutifs (caractères dérivés) ayant eu lieu dans chaque lignée.
Le principe de Haeckel pourrait s’illustrer par un exemple : l’embryon de l’homme et de tout autre mammifère passerait d’abord par un stade qui rappellerait notre lointain ancêtre poisson, avec des “ poches branchiales “, puis par un stade reptile, avant de devenir mammifère primitif, puis primate et finalement homme.
Mais affirmation problématique, parce que l’ontogenèse obéit à un mécanisme rigide déterminé par le programme génétique, fixé au moment de la fécondation, et son déroulement est totalement prévisible. Alors que la phylogenèse n’obéit ni à une programmation, ni à des mécanismes définis ni à des lois. Son cours est totalement imprévisible, elle est le fruit du hasard.
En fait, pour savoir s’il est légitime de parler de lois en biologie, il faut bien distinguer deux domaines de cette discipline : la biologie fonctionnelle et la biologie évolutive.
En biologie fonctionnelle, on étudie le fonctionnement du vivant, de ses organes, et il est possible de mettre à jour des mécanismes réguliers et constants, par exemple le rôle des bactéries sur la digestion et le fonctionnement de l’appareil digestif, on fait alors appel à la chimie. Possible également de parler de lois et de mécanismes en ce qui concerne le développement embryonnaire.
Par contre en biologie évolutive, on a affaire à des phénomènes uniques sur lesquels il est impossible d’expérimenter, c’est-à-dire qu’on a affaire à des événements, c’est-à-dire des faits qui n’existent qu’une fois, et cessent d’exister et ne réapparaissent plus, du moins sous une forme identique. On a donc bien affaire à une narration, comme le disait Mayr. Ce qui montre que l’explication, au sens de la physique mathématique n’est pas la seule manière d’expliquer le réel et de le rendre intelligible.
vendredi 4 juin 2010
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