vendredi 11 juin 2010

Tocqueville. Introd et chap. 6 2ème partie Démocratie en Amérique

( 1805-1859 )

Dans une Europe livrée depuis quarante ans aux orages politiques soulevés par la Révolution française, Tocqueville apparaît comme la conscience du milieu du siècle. Avec une lucidité qui, aujourd'hui encore, nous étonne, il fait le point pour comprendre, et non pour juger, une force dont chacun pressentait, pour s'en réjouir ou s'en alarmer, qu'elle allait changer la face du monde. Cette force, c'est l'idée démocratique. Certes, elle n'était pas ignorée. Dans la lignée de Bonald ou de Maistre, les nostalgiques de l'Ancien Régime y voyaient l'incarnation du mal. Mais ceux-là mêmes qu'à l'époque on considérait comme des libéraux parce qu'ils acceptaient la Révolution, Benjamin Constant, Guizot, Royer-Collard, s'efforçaient, par des artifices maladroits, d'en contenir les conséquences. Conscients de l'impossibilité d'annihiler le grand espoir né en 1789, ils visaient à en éluder la réalisation. Ils tentaient de dévier le courant démocratique vers des parodies de gouvernements libres où la volonté du peuple ne peut se reconnaître que traquée, divisée, affaiblie.

Or, voici qu'un jeune homme, la veille presque inconnu, lance comme un brûlot, dans ce milieu d'esprits étriqués et retors, un livre consacré à la démocratie, qui n'est ni un pamphlet, ni une utopie, ni un appel à l'insurrection. En 1835, lorsque parurent les deux premiers volumes de La Démocratie en Amérique, que voyait-on dans la démocratie ? Pour les uns, une formule irréalisable, bonne tout au plus à servir de repoussoir à un régime fondé sur la raison ; pour les autres, le drapeau d'une agitation permanente, inapte par conséquent à être l'emblème d'une organisation politique stable. Tocqueville ne s'immisce pas dans ce débat, car, pour lui, il ne s'agit plus de discuter des préférences, mais de constater comme un fait inéluctable l'avènement de la démocratie. Ce fait, il l'a enregistré aux États-Unis, et c'est à raison de la pertinence de ses observations que les sociologues se flattent de le compter parmi l'un des plus grands d'entre eux. Mais ce fait a été aussi l'objet de ses méditations. À ce titre, il apparaît à côté de Montesquieu comme le premier des moralistes politiques français. Moraliste, c'est bien d'ailleurs ce que Tocqueville voulut être. Parti en Amérique avec son ami Gustave de Beaumont, magistrat comme lui, pour y étudier le régime pénitentiaire Tocqueville comprit que quelle que soit la richesse des observations accumulées durant un séjour de moins d'un an, il serait présomptueux de sa part de prétendre offrir aux lecteurs un tableau exhaustif du Nouveau Monde. Le sujet du livre serait donc la démocratie, l'expérience américaine n'intervenant que pour fournir à la réflexion les données sans lesquelles elle n'eût abouti qu'à une théorie désincarnée. Aussi bien la deuxième partie de l'ouvrage, publiée en 1840, accuse-t-elle ce souci de s'élever aux idées générales dans les chapitres véritablement prophétiques où Tocqueville étudie « l'influence qu'exercent les idées et les sentiments démocratiques sur la société politique ».

Le succès de l'œuvre fut immense. Élu à l'Académie des sciences morales et politiques en 1838, à l'Académie française en 1841 alors qu'il n'avait que trente-six ans, l'auteur reçut la consécration d'une opinion unanime qui sut reconnaître que « jamais esprit de première valeur [...] n'avait médité avec autant de gravité et de lucidité le problème – de plus en plus ardu, à mesure que se compliquent les sociétés – de gouverner les hommes pour le bonheur du plus grand nombre sans les asservir ni les avilir » (J. J. Chevallier). Les Américains eux-mêmes lui furent reconnaissants de leur avoir révélé l'esprit et les ressorts de leurs institutions. Il n'est pas difficile de déceler, chez Tocqueville, l'intention d'instruire les gouvernants de la France. S'il a écrit un livre, ce n'est pas seulement pour satisfaire une légitime curiosité, c'est « pour y trouver des enseignements dont nous puissions profiter ». Or cette leçon, ce n'est pas d'institutions toujours contingentes et maladroites qu'il y a lieu de la tirer, c'est d'un fait qui domine l'histoire : l'égalisation des conditions. « Fait providentiel, il en a les principaux caractères, il est universel, il est durable, il échappe chaque jour à la puissance humaine ; tous les événements comme tous les hommes servent à son développement. Serait-il sage de croire qu'un mouvement social qui vient de si loin pourra être suspendu par les efforts d'une génération ? Pense-t-on qu'après avoir détruit la féodalité et vaincu les rois la démocratie reculera devant les bourgeois et les riches ? S'arrêtera-t-elle maintenant qu'elle est devenue si forte et ses adversaires si faibles ? » (La Démocratie en Amérique, « Introduction »). Il n'y faut pas penser, car ce serait aller contre Dieu lui-même. Mais on peut du moins chercher comment tirer profit de ce qu'il y a de bon dans l'égalité des conditions.

Recherche nécessaire, car nous nous engageons dans la démocratie sans exploiter ce qu'« elle pourrait offrir d'utile ». Bien au contraire, nous en aggravons les tares. Alors que la division des fortunes, en diminuant la distance qui sépare le pauvre et le riche, aurait dû les rapprocher, elle ne leur fournit que « des raisons nouvelles de se haïr ». L'idée de droits communs à tous, que l'égalité devrait fortifier, est brimée par la force, qui apparaît au riche comme au pauvre « la seule raison du présent et l'unique garantie de l'avenir ». Est-il fatal qu'il en soit ainsi ? Tocqueville trouve aux États-Unis des motifs de le croire, mais aussi des raisons d'espérer que la morale et les mœurs l'emporteront sur la malignité des hommes.
Les risques de la démocratie

Dans une lettre du 21 février 1835 à son ami Eugène Stoffels, Tocqueville expose l'enseignement général qu'il croit pouvoir dégager de son expérience américaine. De ce qu'est réellement aujourd'hui un peuple démocratique, adversaires et partisans de la démocratie ont une leçon à recevoir. Aux premiers qui croient qu'elle est synonyme de bouleversement, d'anarchie, de spoliation, de guerre civile, les États-Unis apprendront qu'un gouvernement démocratique peut respecter les fortunes, garantir les droits, épargner la liberté, honorer les croyances. Et si la volonté de Dieu n'est pas de réserver une grande somme de félicité à quelques-uns ni de justifier la maxime : Humanum paucis vivit genus (« Le genre humain vit de peu »), mais « de répandre un bonheur médiocre sur la totalité des hommes », l'exemple américain démontre que la démocratie est parfaitement qualifiée pour atteindre ce but. À ses partisans qui y voient un régime généreux et facile, le même exemple apprendra que le gouvernement démocratique n'est pas exempt de risques et qu'en tout cas « il ne peut se soutenir que moyennant certaines conditions de lumières, de moralité privée, de croyances ». Au reste, dit Tocqueville, il n'est plus temps de délibérer ; la société s'oriente vers l'égalité des conditions et dans cette marche irréversible s'annonce le règne universel de la démocratie. La question n'est donc pas de savoir si l'on doit choisir entre l'aristocratie et la démocratie, mais si l'on peut maintenir la démocratie dans l'ordre et la moralité ou s'il faut se résoudre à accepter une société démocratique « désordonnée et dépravée, livrée à des fureurs frénétiques ou courbée sous un joug plus lourd que tous ceux qui ont pesé sur les hommes depuis la chute de l'Empire romain ».

Dans l'évocation des périls qui menacent la démocratie, on se plaît aujourd'hui à admirer le prophétisme de Tocqueville. Il ne s'agit pas cependant de l'exercice d'un don de visionnaire ; c'est d'une analyse sociologique du mouvement démocratique et d'une prise de conscience des deux forces qui l'animent, liberté et égalité, que l'auteur de La Démocratie en Amérique a pu dégager les formes possibles qui s'offraient, pour l'avenir, à la démocratie naissante. Le conflit entre la liberté et l'égalité n'est certes pas logiquement inévitable, mais il semble qu'une fatalité inéluctable le provoque dans les faits. Tocqueville observe que les hommes recherchent la liberté pour échapper aux inégalités que créent les rapports de dépendance, mais qu'à peine ont-ils renversé une tyrannie ils se trouvent menacés par une autre qui, cette fois, procède de leur propre consentement. En effet, l'égalisation des conditions, que les hommes ont entreprise par leur révolte contre le despotisme politique, s'accentue chaque jour du fait de la démocratisation des mœurs inhérente au développement de la civilisation industrielle. Sans doute les individus trouveront-ils dans cette égalité, qui les rend indépendants les uns des autres, le goût de la liberté politique, mais cette liberté s'exprimera dans une volonté commune, source d'une législation uniforme et d'autant plus pesante qu'elle sera sanctionnée par la puissance du groupe tout entier. La tyrannie des assemblées naîtra ainsi du désir des individus de s'en remettre au pouvoir collectif du soin de sauvegarder l'égalité. De la liberté politique peut donc naître une servitude consentie, cette servitude qui est celle de l'individu étouffé par la masse qui l'absorbe. Le pouvoir protecteur s'étend pour mieux protéger ; sa centralisation oppressive n'est que la conséquence des espérances mises en lui comme pourvoyeur d'égalité. Il faut relire les chapitres par lesquels s'achève La Démocratie en Amérique (cf. notamment le chapitrevi de la quatrième partie : « Quelle espèce de despotisme les nations démocratiques ont à craindre ») pour admirer la précision avec laquelle Tocqueville décrit – sans lui donner un nom car, dit-il, despotisme ni tyrannie ne conviennent à ce régime nouveau – l'appareil politique « absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux » qui, sous le couvert du règne de la volonté populaire, bannit toute liberté. Ce n'est pas l'État totalitaire si l'on retient de ce terme ce qu'il sous-entend de brutalité, de misère et de cynisme..., mais c'est peut-être pire : un État où il n'est même plus nécessaire d'opprimer la liberté puisque les hommes ont perdu jusqu'au désir d'être libres. C'est un despotisme qui « dégrade les hommes sans les tourmenter » ; c'est cette servitude dont Vauvenargues disait déjà qu'« elle avilit l'homme au point de s'en faire aimer ».


Avec l’oeuvre de Tocqueville nous allons aborder la partie du cours qui s’appelle “ la politique “. S’entendre sur la définition de la notion. Au sens ordinaire, la politique, ce sont les hommes politiques, les partis, les luttes pour la conquête du pouvoir, les campagnes électorales et les diverses élections.
En philosophie, il s’agit bien plus que de cela.
Il s’agit d’une des dimensions essentielles de notre condition, étant donné qu’Aristote a défini l’homme comme l’animal politique par excellence.
Politique :
Conséquence évidente : la cité (polis) est au nombre des êtres par nature, et l’homme est par nature un animal politique, celui que la nature et non le sort prive de cité étant ou dégradé ou supérieur à l’homme...
C’est pourquoi l’homme est plus politique que n’importe quelle abeille ou tout autre animal grégaire : telle est l’évidence. C’est que la nature, comme nous disons, ne fait rien en vain. Seul parmi les animaux l’homme possède le langage (logos). Or, si la voix (phonê) est le signe du pénible et de l’agréable (elle existe également chez d’autres animaux; leur nature s’étendant jusqu’à la possession de la sensation du pénible et de l’agréable, et jusqu’à la signification de ces états à leurs congénères). Le langage a pour fin la manifestation de l’utile et du nuisible, comme du juste et de l’injuste. C’est que par rapport au reste des animaux, les hommes ont pour particularité d’être les seuls à posséder la sensation du bien et du mal, du juste et de l’injuste.

La politique est l’art ou la science de l’organisation de la vie collective des hommes. Il n’y a pas d’organisation naturelle de la vie collective chez les hommes, à la différence des abeilles ou des fourmis et nous devons donc l’inventer.
La politique n’est pas simplement fonctionnelle, c’est-à-dire qu’elle ne vise pas simplement à l’efficacité mais elle vise des valeurs : la liberté, la justice, le bien-être ou la paix. Autrement dit, elle a une dimension morale. Aristote disait que la Cité était en vue du bien vivre et pas simplement du vivre.

Donc la politique s’exerce toujours au nom de principes philosophiques.
Qui dit politique dit également pouvoir. Deux notions : potentia et potestas. La première veut dire la capacité de ( j’ai le pouvoir de courir le 100 mètres en dix secondes ) la seconde veut dire une relation entre les hommes, relation de commandement à obéissance.
Le pouvoir peut prendre différentes formes et s’exercer par différents moyens : la force ou la terreur, la contrainte, ou la persuasion ou l’acceptation. Le pouvoir peut être légitime ou illégitime. Plus personne aujourd’hui n’admettrait la notion de “ droit divin “ des rois.

Toute société où les hommes sont liés par un vivre ensemble suppose la présence d’un tel pouvoir ou d’une puissance capable d’organiser cette collectivité pour lui donner un ordre et une cohésion, pour la défendre vis-à-vis de l’extérieur et pour y instaurer la paix civile et la justice.

Dans les sociétés modernes, le pouvoir politique prend la forme de l’Etat disposant d’un certain nombre de monopoles ( expliquer rapidement )

Cela intéresse la philosophie parce qu’il s’agit de concilier le pouvoir nécessaire à l’organisation de la société et la liberté politique de façon à éviter les abus de pouvoir, despotisme et tyrannie. Comment y parvenir ?
On s’intéresse donc à l’organisation du pouvoir : comment l’Etat doit-il être organisé, quelles fins faut-il lui assigner. Mais aussi aux limites du pouvoir. La loi et le Droit sont sans doite un moyen d’échapper à un pouvoir arbitraire.

La politique a sans doute des finalités morales : justice, paix, liberté mais elle est organisée autour de catégories qui lui sont propres. Pour la morale, c’est le bien et le mal. Pour la politique ce sont des couples de notions comme public/privé, autorité/obéissance, ami/ennemi.

Page 9 T parle de ce qui l’a le plus frappé en Amérique : l’égalité des conditions.
Avant de voir ce que T veut dire par là, insister sur l’importance de la notion d’égalité en philosophie politique.
Notion d’égalité indissociable de celle de démocratie. Platon, dès l’antiquité parlait des partisans de la démocratie comme des “ amis de l’égalité “.
Le démocrate c’est celui pour qui la justice soit pensée selon une norme d’égalité. C’est le principe d’isonomie : principe de loi égale.
Problème :
Que faut-il entendre par égalité ? Que la même chose, par exemple les mêmes biens ou les mêmes pouvoirs soient attribués à chacun ? Ou alors que l’on donne à chacun ce qui lui convient et ce qu’il mérite ?
Débat qui commence avec la démocratie grecque. Platon condamnera l’égalité arithmétique, celle qui dit qu’il faut donner à tous le même. Il fera l’éloge de l’égalité géométrique disant qu’il faut établir des proportions et donner à chacun ce qui lui revient. Si les hommes sont inégaux en nature, en intelligence, en talent, faut-il leur donner les mêmes droits par exemple ?
D’autre part, l’égalité démocratique doit-elle consister à donner à chacun les mêmes biens ou à donner à chacun les mêmes pouvoirs dans la constitution de la cité ? Distinction entre égalité sociale/économique et égalité politique.

T lui croit constater une égalité des conditions ( ne tient pas compte de l’existence de l’esclavage qui ne sera interdit aux USA qu’en 1865 par le 13ème amendement de la constitution )

Egalité qui a plusieurs sens :
économique : il y a encore des riches et des pauvres mais formation d’une classe moyenne de plus en plus importante composée de personnes qui vivent de leur salaire ou de leurs revenus tirés du commence ou de l’industrie. Le droit de propriété est garanti par la loi et il y a possibilité de s’enrichir par son travail.
social : reconnaissance de l’égale dignité de tous les hommes et de l’égale dignité de toutes les occupations. T fera remarquer qu’être domestique en Amérique est une activité salariée comme une autre et n’implique aucune forme d’abaissement social ou de mépris. La plupart des hommes vivent de leur salaire.
Politique : égalité des droits et instauration du suffrage universel. C’est l’isonomie des anciens qui veut dire deux choses : égalité devant l’application de la loi ; pouvoir égal de prendre des décisions et de faire partie du souverain. Pour les Grecs, l’isonomie entraînait l’isègoria, qui était l’égalité de prise de parole devant l’assemblée.

Influence à tous les niveaux de l’égalité des conditions :

Sur l’esprit public : formation d’une opinion publique concernée par les problèmes de la cité et qui intervient dans les débats politiques. Importance de la presse pour la diffusion de ces débats. Inégalités sociales perçues comme de plus en plus insupportables. T : plus les inégalités s’effacent, plus elles deviennent insupportables aux hommes.
Sur les lois : égalité des droits, suffrage universel. Exigences de n’obéir qu’à des lois votées et contrôlées par le peuple et visant le bien commun ou l’intérêt général. Postulat d’un intérêt général au-delà de l’intérêt particulier. Prendre l’exemple d’une école publique financée par l’impôt de tous.
Sur les gouvernants : exigence qu’ils agissent au nom et en vue de l’intérêt général, qu’ils soient attentifs à l’opinion publique. En démocratie, impossibilité de gouverner contre l’opinion publique.
Sur les habitudes particulières des gouvernés : revendications populaires de formes de plus en plus nombreuses d’égalité. Habitude de voir ses réclamations entendues par les gouvernements. Reconnaissance comme lois légitimes que celles auxquelles on a pu consentir, par le vote.

Influence également sur la société civile. Expliquer la notion en la distinguant de l’Etat. La société civile c’est l’ensemble des relations spontanées entre les membres de la société, à travers le travail, les échanges économiques, les relations familiales et le choix de ses occupations privées. C’est tout ce qui ne relève pas de l’organisation étatique. Par exemple , une ONG qui est crée par des initiatives privées relève de la société civile, alors que la sécurité sociale relève de l’Etat.
Donc, l’égalité des conditions crée des opinions nouvelles : celle de l’égale valeur entre tous les hommes. Le refus de l’idée aristocratique de privilège. Le refus de toute forme d’inégalité sociale qui ne serait pas fondée sur le travail, le talent ou le mérite.
Elle modifie aussi les moeurs : en faisant considérer les hommes comme d’égale valeur, elle adoucit les moeurs et les comportements. À l’opposé, Mme de Sévigné pouvait rire au spectacle de la pendaison d’un de ses paysans.

Egalité des conditions comme fait générateur : c’est un grand trait qui modifie en profondeur la vie des sociétés, de la politique et crée une nouvelle forme de civilisation, avec de nouvelles valeurs. Disparition par exemple de la notion d’honneur, typique des civilisations aristocratiques.

Mouvement qui part d’Amérique et va s’étendre en Europe. C’est la dynamique mondiale de la démocratie.
Pourquoi a-t-elle son origine en Amérique ?
C’est une société neuve, qui n’a jamais connu l’absolutisme monarchique ou les privilèges féodaux. De plus, c’est une société d’immigrants ayant fui le despotisme des rois européens, les persécutions religieuses ou la pauvreté. Certitude de pouvoir construire un monde neuf sur de nouvelles valeurs et surtout celle d’égalité.

Cette égalité des conditions, T l’appelle démocratie. Concept très polysémique. Distinguer la simple définition nominale ( le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ) et ses définitions réelles, qui sont multiples.
Démocratie directe ou représentative. Deux formes de liberté, celle des Anciens et celle des Modernes ( distinction faite par Benjamin Constant dans “ de la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes “ conférence de 1819 ). Problème de la souveraineté du peuple, absolue ou limitée. Présence ou absence de la séparation des pouvoirs etc …

T insiste lui sur l’égalité des conditions, ce qui montre que pour lui la démocratie est plus qu’un simple régime politique, c’est une véritable civilisation, comprenant la politique, le droit, les moeurs, les comportements et les idéaux.

Page 8 : deux points de vue sur la démocratisation du monde :
Ceux qui la redoutent : persistance des préjugés aristocratiques, croyance de l’impossibilité pour un peuple de se gouverner lui-même, peur que la démocratie ne conduise au chaos social et politique.
Ceux qui la jugent un processus universel et irrésistible. T fait partie de ces derniers.

T va faire une synthèse historique montrant comment en Europe même le mouvement vers la démocratie a commencé il y a plusieurs siècles.

D’abord portrait de la France féodale et monarchique :
Concentration de la propriété et du gouvernement entre peu de mains. ( Gouverner en politique, c’est indiquer la direction vers laquelle la société doit aller et exercer cette direction ).
Pouvoir héréditaire et non électif.
Pouvoir qui s’exerce par la force et la contrainte et qui ne repose pas sur le consentement de ceux qui obéissent.
Source du pouvoir : la propriété foncière, c’est-à-dire la propriété de la terre, et non le talent, l’intelligence, le travail ou le mérite. Propriété acquise d’ailleurs par la force et la conquête. Les premiers féodaux s’emparent de leur fief par la force des armes.

Puis transformation :
Avec la montée politique du clergé, qui entraîne un début d’égalité ( paradoxe ). L’Eglise ouvre ses rangs aux pauvres, leur assure une éducation et un pouvoir sur leurs ouailles. Pouvoir ecclésiastique pouvant parfois se mettre au-dessus du pouvoir des rois. Peur des rois de se faire excommunier.
Complexification sociale : apparition d’une nouvelle classe sociale, la bourgeoisie, composée des marchands, des banquiers, des magistrats des villes libres.
D’où la nécessité de lois ( fonctions : régulation des relations sociales pour échapper aux purs et simples rapports de force, trancher pacifiquement les différends entre les hommes, garantir les droits et les propriétés ). Emergence d’un nouveau pouvoir : les légistes.

Page 9

Transformations économiques :
Appauvrissement des rois et des féodaux à cause des guerres.
Enrichissement des roturiers par le commerce ( alors que les activités lucratives sont interdites aux nobles ).
Pouvoir croissant de la bourgeoisie : les banquiers prêtent aux monarques et acquièrent sur eux un pouvoir.

Développement des lumières : dans le clergé, où on traduit les auteurs grecs, pratique de la théologie et habitude de la réflexion dans les controverses théologiques.

Accession des lettrés au pouvoir : magistrats, fonctionnaires non nobles, apparition des “ intellectuels “ - ce que le XVIII° appellera “ les philosophes “, apparition des académies savantes et des cercles littéraires où se développe le goût de la connaissance et de la réflexion. L’intelligence devient une force politique et sociale : les philosophes des Lumières qui façonneront l’opinion publique.

Dépréciation de la noblesse : les titres nobiliaires peuvent s’acheter et ne sont plus liés à la naissance et à l’exercice des métiers des armes.

Rivalités noblesse/monarchie : chacune s’appuie sur le peuple pour vaincre l’autre, ce qui va affaiblir les deux en renforcer le peuple.

Formulation d’un paradoxe : les rois comme niveleurs, c’est-à-dire ayant contribué à l’apparition de l’égalité des conditions. Sous la monarchie absolue, tous les sujets y compris les nobles sont égaux dans la soumission. Et sous des monarques comme Louis XV la noblesse déchoit par ses conduites et son abandon des valeurs aristocratiques ( débauche de la cour etc ).

Importance sociale croissante de la richesse créée par le travail et le commerce ( alors que la noblesse méprisait ces activités ). Développement des sciences comme facteur de progrès de l’égalité : dans la compréhension des sciences les différences de naissance n’ont aucune importance, tous les hommes étant égaux par la possession de la raison.

Mouvement de nivellement universel.

Importance des progrès de la culture dans l’égalisation démocratique :
Bible traduite en langue vulgaire et d’abord en allemand : tous ont accès au texte religieux, peuvent le méditer et le comprendre sans passer par l’autorité des prêtres.
Diffusion progressive des lumières grâce au développement de l’imprimerie et de la diffusion des livres qui va démocratiser l’accès au savoir. À la veille de la révolution de 89, la France a le taux d’alphabétisation le plus élevé d’Europe et les simples paysans vont pouvoir participer à la rédaction des cahiers de doléances.

Page 11 : processus global de démocratisation.

Guerres qui déciment la noblesse.
Communes qui voient naître les libertés civiles ( Angleterre ). Election des magistrats qui administrent la ville. Ville comme émergence d’un lieu de résistance aux rois et aux féodaux.
Armes à feu : perte de l’importance de la chevalerie sur le champ de bataille et régression des valeurs aristocratiques.
Imprimerie : diffusion des Lumières.
Importance émancipatrice du protestantisme. Thèse de Max Weber sur l’éthique protestante et l’origine du capitalisme. Expliquer rapidement. Développement de l’exégèse biblique qui favorise le goût de la discussion et de l’esprit critique.
Découverte de l’Amérique : possibilité offerte à tous de s’enrichir, de recommencer une vie nouvelle loin des inégalités de l’ancien monde. Absence des préjugés liés à la naissance et absence des privilèges de l’ancien régime.

P 11 : formation d’une classe moyenne. Mouvement propre à l’occident. Pour le moment, ce n’est pas un mouvement historique qui touche les autres continents.
Caractère providentiel de ce processus : il est inévitable, irréversible. L’on ne reviendra plus jamais à la vieille société aristocratique.

P 12 : nous assistons à un approfondissement continu de la démocratie : bientôt, l’on ne supportera plus les inégalités propres à la société bourgeoise. Impossible de prévoir jusqu’où ira l’égalisation des conditions. Nul ne peut prédire l’avenir de la démocratie.

Tocqueville en parle comme d’un mouvement providentiel, voulu par Dieu lui-même. Croit-il à une conception providentielle de l’histoire humaine ? Difficile à dire. veut simplement montrer le caractère inévitable de la montée de la démocratie.

P 13 : possibilité que le processus démocratique échappe aux hommes et qu’ils n’aient plus le pouvoir de le diriger. Ambivalence de ce processus.

Nécessité pour les dirigeants démocratiques :
Instruire : expliquer le lien entre démocratie et instruction.
Développer la science des affaires.
Montrer quels sont les vrais intérêts du peuple = présupposé, un peuple peut se tromper sur ses intérêts, sur ce qui est bon pour lui.
Adapter la démocratie aux temps et aux lieux : conscience que la démocratie peut prendre des formes différentes selon les pays, leur histoire, leur culture, leur niveau d’instruction. La démocratie n’est pas un produit d’exportation que l’on pourrait appliquer à n’importe quel pays. Prendre l’exemple de l’Irak ou de l’Afghanistan ( Comte : tous les pays ne sont pas mûrs pour la démocratie )

Nécessité d’une science politique nouvelle afin que la démocratie ne se développe pas au hasard. Idée que la démocratie peut présenter des dangers. Ce qui sera exposé dans la suite du texte.

Pour le moment le développement de la démocratie a été laissé au hasard, les classes éclairées s’en sont détournées et elle a grandi d’une façon sauvage. Risque de l’ochlocratie en lieu et place de la démocratie.

Révolution : les excès de la démocratie, suivis de son effondrement, avec Napoléon. Donc, nécessité d’une maîtrise consciente des progrès de la démocratie.

La démocratie moderne comporte de nombreuses imperfections : elle se caractérise par une égalité des conditions, mais les moeurs ne se sont pas encore adaptés. Donc, la démocratie doit être plus qu’un simple régime politique. Il doit y avoir des moeurs démocratiques : le respect des lois quand elles sont légitimes, l’amour du bien public et de l’intérêt général - ce qui peut entraîner l’acceptation du sacrifice d’une partie de ses intérêts particuliers, par exemple, accepter de payer l’impôt. Le souci de la vie politique de la cité : les hommes ne doivent pas se sentir étranger à la vie publique, ne pas se replier sur la sphère privée de leur existence.

Suit une peinture un peu idyllique de la société d’ancien régime, qui ne comportait pas que des inconvénients : limitation du pouvoir des rois ( rendre des compte à Dieu ) L’acceptation par les serfs du pouvoir des nobles n’était pas de la servilité, parce que le pouvoir des premiers était considéré comme naturel.
P 15 : importance du & souligné.
L’ancien régime pouvait apporter stabilité politique, puissance et gloire.

Puis fin page 15, Tocqueville fait le portrait de ce que serait pour lui une démocratie idéale :
soumission à la loi que l’on se donne à soi-même ( autonomie - peuple souverain ) et respect de la loi. Dans une démocratie malade on peut mépriser la loi, fût-elle la plus légitime, on peut vouloir y échapper. Sécurité résultant du fait que chacun saurait ses droits garantis ( il faudrait se demander lesquels ) Respect raisonné du chef de l’Etat, et non adoration aveugle, comme c’est le cas dans les tyrannies.

P 16 : une bonne démocratie doit être à l’abri des deux dangers qui la menacent : la tyrannie et la licence ( expliquer ce dernier terme ).

Mobilité de la démocratie : le changement peut y être réglé et pacifique : le débat, la compétition électorale pacifique. La démocratie doit pouvoir échapper aux bouleversements brutaux.

Première allusion à la montée de la médiocrité démocratique, médiocre voulant dire moyen. Pas de grandeur, mais plus de bien-être matériel. Plus de vices et moins de crimes.
Sentiment de l’interdépendance : développement de la division sociale du travail qui fait que la vie de chacun, la satisfaction de ses besoins dépend du travail de tous les autres. Unité de l’intérêt particulier et de l’intérêt général. La prospérité remplace la grandeur. disparition des vertus aristocratiques comme l’honneur et l’amour de la gloire ( on ne connaît plus que la passion de la célébrité : la mode démocratique des people )

P 17 : maintenant va faire le portrait de la démocratie réelle, telle qu’elle s’est construite après la tourmente révolutionnaire.
Examen alors des vices, des ambiguïtés de la démocratie réelle :
Mépris des lois et de l’autorité qui risquent de ne plus être obéis que par la crainte.

Disparition des fortes individualités qui pouvaient jadis lutter contre les abus du pouvoir ( songer à Voltaire. Pourrait-on rencontrer des Voltaire aujourd’hui ? Problème de la capacité de la démocratie à produire de grandes personnalités politiques, morales ou intellectuelles ).
Concentration du pouvoir et disparition des corps intermédiaires.
Montée de l’égalité économique mais en même temps de la convoitise et de l’envie, du ressentiment. On ne peut manifester d’envie à l’égard d’une richesse dont on sait qu’on ne pourra jamais la posséder, comme c’était le cas dans la société d’ancien régime.
Risque du culte de la force.
Perversion des moeurs.

Nous sommes restés dans un monde intermédiaire : l’ancienne société a été détruite mais la démocratie légitime n’a pas encore été construite.

Conséquences sur le plan intellectuel :
Tocqueville regrette que la démocratie réelle se soit construite dans la violence révolutionnaire et non d’une façon pacifique et éclairée.
Schizophrénie morale de l’homme démocratique : ses goûts et en particulier celui de l’égalité, ne s’accordent pas à ses opinions.
Exemple du christianisme : il affirme la liberté et l’égalité des hommes, mais dans la pratique il se situe dans le camp de ceux qui combattent la démocratie. Condamnation de cette dernière par une encyclique pontificale au XIX° siècle.
D’où de l’autre côté des hommes qui aiment la liberté et qui combattent la religion. Tocqueville paraît postuler que les deux pourraient aller de paire.
Danger d’une conception simplement matérielle du progrès - c’est-à-dire centrée sur le seul souci du bien-être matériel, ce qui donnera aujourd’hui la société de consommation - séparée du souci de l’amélioration morale des hommes : l’utile sans le juste.

P 20 : portrait des contradictions de l’homme démocratique moderne.

Remarque importante à propos de la crise des valeurs impliquée par cette démocratie imparfaite : on prône l’égalité en matière de valeurs, époque de scepticisme, de l’idée de “ à chacun sa vérité “, difficulté à reconnaître ce qui est grand, le talent, le génie, tout se vaut, le rap vaut bien Mozart etc …

P 21 : raison pour se tourner vers l’Amérique : celle-ci est devenue démocratique sans avoir eu à passer par les troubles de la révolution. Unité de l’égalité, des lois, des moeurs.
Tocqueville ne voit pas l’Amérique comme un modèle à imiter : un peuple peut se donner d’autres formes de gouvernement démocratique. Important, la démocratie n’est pas un état figé mais la possibilité d’une invention perpétuelle de nouvelles formes d’organisation allant vers toujours plus de liberté et d’égalité : exemple su statut des femmes, de la reconnaissance des minorités etc …

Mais idée que l’on pouvait tirer des enseignements de la démocratie dans la mesure où il y a chez elle unité des lois et des moeurs.

Tocqueville ne propose pas de faire la portrait d’un régime idéal, ce n’est pas un utopiste. Il constate le mouvement irrésistible de la démocratie et cherche quels avantages on peut en tirer. Mais il est bien conscient de ses ambivalences : elle présente des avantages mais aussi des dangers potentiels.

P 22 : présentation du programme de l’ouvrage. Tocqueville affirme ne pas vouloir faire d’idéologie, c’est-à-dire imposer une théorie aux faits. Il est là pour étudier les faits. P 25, il se défend de faire une oeuvre partisane.


Chapitre 6 : quels sont les avantages réels que la société américaine retire du gouvernement de la démocratie.

Rappel du fait qu’il y a plusieurs formes possibles d’organisation de la démocratie. Il y a un pluralisme démocratique, et donc, sans doute d’autres voies pour atteindre ce que la démocratie américaine a de positif.

Formulation d’un paradoxe : il est plus facile de voir les défauts de la démocratie américaine que ses qualités et avantages.

Défauts : violer des droits acquis : porter préjudice au droit de propriété à travers l’impôt ? Sanctionner des droits dangereux : tendance des peuples démocratiques à demander de plus en plus de droits et en particulier créances : on passe du droit à la poursuite du bonheur au “ droit au bonheur “.
Nécessité de distinguer la finalité de la loi ( ce vers quoi elle tend, ce qu’elle cherche à établir ) et les moyens qu’elle utilise. La finalité est du côté du raisonnable, et le moyen du côté du rationnel. Le rationnel peut être mis au service du déraisonnable. On ne peut pas penser la loi seulement en terme d’efficacité ( ce serait de la technocratie ) mais de la justice ou de la liberté.

P 27 : les lois démocratiques tendent à l’intérêt général, par exemple un peuple démocratique, comme c’est lui qui détient la souveraineté, ne peut vouloir s’opprimer lui-même, mais il peut se tromper dans la façon de réaliser cette liberté.
Les lois aristocratiques visent toujours à l’intérêt particulier, mais l’aristocratie est mieux à même de faire les lois, elle est plus pondérée. Tocqueville vise l’emportement démocratique, la facilité du peuple de décider sous le coup de ses passions ou d’engouements passagers, il est peut-être plus sujet aux préjugés etc

Les lois démocratiques sont presque toujours imparfaites mais au bout du compte elles créeront une meilleure société que des lois aristocratiques. La démocratie fait des “ fautes réparables “ : elle connaît le débat généralisé, l’alternance politique, le droit de critiquer les lois imparfaites et d’en faire de meilleures.

P 29 : les gouvernants démocratiques sont souvent médiocres. Thème de la médiocrité démocratique. On n’y rencontre ni génie politique, ni grand tribun comme dans l’antiquité grecque. Moins honnêtes : pourquoi ? Risque de corruption dans la démocratie : ce ne sont pas des hommes fortunés qui accèdent au pouvoir et ils peuvent donc profiter du pouvoir pour s’enrichir.

Contrôle de ces gouvernants par le peuple. Importance du problème de l’éducation. Montrer pourquoi il serait dramatique qu’une démocratie néglige l’instruction publique.

Un mauvais gouvernant peut être chassé du pouvoir y compris en cours de mandat : l’exemple du président Nixon, qui démissionne avant d’être frappé d’une mesure d’impeachment.

Peu importe que les gouvernants n’aient pas de génie, il suffit qu’ils aient les mêmes intérêts que la majorité du peuple. Mais pas de la totalité du peuple : introduction d’un problème fondamental : la démocratie, c’est le règne de la majorité. 50% plus une voix donne le pouvoir à un candidat. Problème de la diversité des intérêts dans une démocratie. Classes sociales aux intérêts antagonistes ( thèse de Marx. Expliquer rapidement ). Or Tocqueville admet la division de la société en classes. Donner un exemple d’antagonismes d’intérêts : la loi doit-elle s’occuper de fixer les salaires, en fixant un salaire minimal, ou doit-elle réglementer le droit de licencier ? Ne pas oublier que Tocqueville est contemporain des bouleversements révolutionnaires du XIX° siècle. Révolution de 1848, apparition de la revendication de droits-créances.

Problème du grand bien du plus grand nombre. cela implique-t-il de demander des sacrifices à certains : par exemple des impôts lourds pour les plus riches afin de financer des services publics ?

Idée importante à propos de la médiocrité des gouvernants démocratiques. Même s’ils sont corrompus, ils ne peuvent être qu’à titre individuel, la corruption ne peut devenir un système de gouvernement. ( à discuter )

À l’opposé des aristocraties qui peuvent former des castes de gouvernement.

Remarque critique à propos de l’Angleterre ( Tocqueville ne partage pas l’admiration inconditionnelle de Voltaire ou de Montesquieu ) qui est une société de castes. Expliquer.

Dernier paragraphe première partie : que la qualité du gouvernement ne dépend pas de la qualité des gouvernants. Il dissocie morale et politique. La démocratie ne demande pas des hommes justes ou vertueux.

La matière et l'esprit

Penser les rapports de la matière et l’esprit. Reviendra en fait à s’interroger sur les rapports du corps et de l’esprit et plus particulièrement du cerveau et de l’esprit. Ce qui permettra peut-être de trouver des réponses à des questions comme :
Quelle est la nature réelle des états et processus mentaux ?
Quel lien ont-ils avec le monde physique ?
Ma conscience survivra-t-elle à la disparition de mon corps physique ? Ou disparaîtra-t-elle à tout jamais lorsque mon cerveau cessera de fonctionner ?
Est-il possible qu’un système purement physique et matériel, comme un ordinateur, puisse être construit de telle sorte qu’il bénéficie d’une réelle intelligence consciente et de véritables états mentaux ?

Tout d’abord, essayer de définir les deux concepts en présence.

La matière : La matière est la substance qui compose tout corps ayant une réalité tangible. Ses trois états les plus communs sont l'état solide, l'état liquide, l'état gazeux. La matière occupe de l'espace et possède une masse. Ainsi, en physique, tout ce qui a une masse est de la matière.

La matière ordinaire qui nous entoure est formée de baryons et constitue la matière baryonique. Cette définition exclut les bosons fondamentaux, qui transportent les quatre forces fondamentales, bien qu'ils aient une masse et/ou une énergie.
La matière peut se retrouver dans plusieurs états ou phases. Les trois états les plus connus sont solide, liquide et gazeux. Il existe aussi d'autres états un peu plus exotiques, tel que plasma, cristal liquide, condensat de Bose-Einstein, superfluide et fluide supercritique. Lorsque la matière passe d'un état à l'autre, elle effectue une transition de phase. Attention : un changement d'état n'est pas une transformation chimique ! Ce phénomène est étudié en thermodynamique via les diagrammes de phase. La transition de phase se produit lorsque certaines caractéristiques de la matière changent : pression, température, volume, densité, énergie, etc.
L’esprit : se demander en quoi consiste l’esprit revient à savoir quels critères doit remplir un état pour être qualifié de “ mental “ par opposition à un état, un processus ou une propriété seulement “ physique “.

Pour simplifier, on s’en tiendra aux états mentaux humains et on laissera pour le moment de côté la question pourtant bien intéressante de savoir si et dans quelle mesure des animaux ou même des machines comme les ordinateurs peuvent avoir des états mentaux.

possibilité de distinguer plusieurs sortes d’états mentaux :
- les émotions comme le fait de ressentir de la douleur, de l’amour ou de la haine, etc
- les sensations et les perceptions comme voir une tomate rouge, entendre le bruit d’une voiture, goûter un bon vin etc
- les désirs et les volitions, au sens d’actes de volonté, comme désirer un nouveau portable, vouloir réussir un examen etc
- les croyances comme croire qu’il pleuvra demain, savoir que quatre et quatre font huit, penser que X est plus intelligent que Y etc
- ces trois dernières peuvent être classées sous le terme général de représentation. Les représentations, qui peuvent être de deux sortes, ou bien conceptuelles, comme quand on essaie de définir la notion de justice ou de vérité, ou bien imaginaires comme quand on rêve aux vacances passées. ( revenir sur la définition de la représentation à partir de Delacour et du grand dictionnaire de philosphie). possibilité de construire des systèmes de représentations comme les théories scientifiques, qui nous livrent une connaissance de la réalité.
Mais il serait aussi possible de distinguer des grandes facultés de l’esprit, comme l’intuition, l’imagination, la raison, la capacité de calculer, de raisonner, de juger.

Y a-t-il un trait caractéristique que tous ces états et phénomènes ont en commun et grâce aux quels ils sont des états mentaux ?

On peut être tenté d’invoquer la conscience.
Mais cela ne vaut que pour certains états mentaux : la psychanalyse nous apprend que nous pouvons avoir des représentations et même des désirs inconscients. On sait qu’il peut y avoir des perceptions inconscientes, et même certaines capacités mentales qui ne requièrent pas la présence de la conscience comme notre utilisation des règles de notre langue, qui nous permet de former des phrases correctes sans avoir besoin de nous représenter consciemment les règles de notre grammaire.

Cependant il y a bien des états mentaux qui requièrent la conscience. On ne peut avoir mal à la tête sans être conscient de souffir, être amoureux en ignorant qu’on l’est.
Autrement dit la conscience se caractériserait comme nous l’avons vu par des expériences vécues, éprouvées subjectivement et possédant un caractère phénoménal.
On utlise le terme de qualia pour désigner l’aspect phénoménal ou vécu de ces états mentaux. On veut dire par là qu’il s’agit d’états qui possèdent une certaine qualité sensorielle, comme l’effet que ça fait quand on voit des couleurs sur une toile ou que l’on sent un parfum que l’on aime.
Cependant, il y a des états mentaux qui ne se caractérisent pas par des qualia : par exemple les croyances et les actes de volonté. Penser que X est plus intelligent que Y ou savoir que deux et deux font quatre n’impliquent aucune expérience vécue particulière.
Les croyances et les volitions se définissent alors par un autre trait, que l’on a appelé l’intentionnalité dans le cours sur la conscience. L’expression remonte au philosophe allemand Brentano et désigne le fait qu’un état mental est dirigé vers quelque chose. Une croyance porte sur un objet spécifique à propos duquel on croit telle ou telle chose. ( Reprendre la déf de l’intentionnalité dans Dennett, la diversité des esprits )
Une croyance est également une attitude propositionnelle : une croyance, c’est le fait de croire que P, un désir, le fait de désirer que X etc. Peut-être alors n’avons-nous d’états intentionnels comme les croyances que parce que nous avons un langage.
D’autre part, ces attitude propositionnelle ont une signification et sont suceptibles d’être vraies ou fausses. Une croyance peut être illusoire ou vérifiée. Autrement dit, nos attitudes propositionnelles ont des caractéristiques sémantiques et logiques.
On peut donc dire que des désirs, ou des actes de volonté ou des croyances sont intentionnels au sens où ils se dirigent vers quelque chose, qui peut être réel ou simplement pensé ou alors imaginé.
Mais le critère de l’intentionnalité ne caractérise pas tous les états mentaux : une émotion ou une sensation ne paraissent pas viser quelque chose d’autre qu’eux-mêmes.

Donc, expérience vécue et intentionnalité comme critères du mental.
Tournons-nous maintenant vers les états physiques : peser 80 kilos, mesurer un mètre quatre vingt, avoir des milliards de neurons interconnectés dans le cerveau sont des exemples d’états physiques d’un être humain.
Quand on parle d’états physiques, cela ne veut pas dire les phénomènes étudiés par la physique par opposition à ceux qui sont étudiés par la chimie ou la biologie. Par états physiques, on entendra des états matériels susceptibles d’être étudiés par les sciences de la nature en général, possédant des caractéristiques comme une masse, une charge électrique, une vitesse etc et obéissant aux grandes lois découvertes par les sciences de la nature comme la gravitation universelle, l’équivalence masse-énergie etc …

Maintenant le problème de la distinction des états mentaux et des états physiques.
Il semble évident que les deux types d’états sont différents. L’expérience que nous avons de nous-mêmes comme êtres pensants et agissants nous pousse intuitivement à faire une distinction entre nos états mentaux et nos états physiques.

Cette distinction intuitive pourrait être formulée ainsi :
- il semble que les états mentaux sont subjectifs dans la mesure où ils sont privés alors que les états physiques sont objectifs au sens où ils sont publics.
mesurer quelqu’un avec un mètre aboutira à un résultat objectif, et personne n’est dans une situation privilégiée pour déterminer quelle est sa taille.
alors que par exemple la douleur d’untel n’est accessible qu’à lui-même, et lui seul sait directement s’il a mal et selon quelle intensité. La douleur paraît être vécue comme de l’intérieur. raison pour laquelle on considère les états mentaux comme des états internes, et qu’on considère que chacun a un accés direct à ses propres états mentaux, en quelque sorte intuitivement.
Par contre les états physiques comme par exemple la barre de métal qui se dilate en chauffant n’a d’états internes de chaleur ressentie ou vécue.
Ensuite, nous avons un accés direct à nos EM mais pas à nos EP : par exemple, même si on peut soupçonner qu’il y a un rapport entre l’état de notre cerveau et nos EM, par introspection, j’atteinds mes désirs et croyances et volitions, mais je ne sais rien de ce qui se passe dans mon cerveau. Je ne peux savoir ce qui s’y passe, que par un point de vue objectif, à la troisème personne.
D’autre part, l’intentionnalité différencie les états mentaux des états physiques. L’intentionnalité veut dire qu’un état mental est dirigé vers quelque chose, comme croire que X ou Y, qu’il a un contenu, un sens et peut être vrai ou faux.
D’autre part, il y a des relations rationnelles entre les états mentaux : par exemple, si je crois que X est vrai, alors je désirerai que Y.
Aucun état physique n’est caractérisé par de tels traits. Les phénomènes purement physiques sont reliés par des relations de causalité aveugles dépourvus de signification et de vérité comme de fausseté.

L’intentionnalité paraît d’autre part caractérisée par un autre trait : la liberté au sens de libre-arbitre. Dans une certaine mesure, la personne est libre de déterminer elle-même ses propres états mentaux : elle peut fixer ce qu’elle veut faire et ne pas faire. Cela vaut aussi pour certaines croyances : nous sommes libres de former nous-mêmes nos opinions politiques. Les états physiques semblent soumis au contraire au déterminisme : chaque état physique est l’effet d’un autre état physique. Peut-être y a-t-il des phénomènes probabilistes dans la nature, ou même du hasard ( Cournot : rencontre de deux séries causales idépendantes ) mais rien dans la nature ne se produit sans cause qui le détermine.
Pour résumer, les états mentaux sont subjectifs, nous y avons un accés privilégié, ils sont intentionnels, rationnels, caractérisés par la liberté, d’où il est tentant de tirer la conclusion que nos EM ne sont pas matériels.
Les états physiques sont objectifs, leur accés est public, ils ne sont pas conscients, pas de qualia, ils sont non rationnels et sont soumis au déterminisme.

Il faudra examiner la valeur de cette distinction. Est-elle réellement fondée ? Est-ce une distinction à valeur ontologique ? Cela veut-il dire qu’il y aurait des phénomènes qui par nature échapperaient à la connaissance que peuvent nous donner du monde les sciences de la nature ? Cela veut-il dire que ni la physique ni la biologie ni la chimie ne peuvent nous apporter une connaissance de ce qu’est l’esprit ? Ou au contraire peut-on construire comme le disent certains scientifiques, une biologie de la conscience ou atteindre le fonctionnement de nos états mentaux par des disciplines comme les neurosciences ?

Maintenant faire comprendre pourquoi il y a un problème des relations de la matière et de l’esprit ou du corps et de l’esprit, ou du cerveau et de l’esprit.

Bien qu’il semble que les états mentaux ne soient pas des états physiques, le domaine des EM n’est pas indépendant des EP. L’expérience que nous avons de nous-même montre qu’il y a entre les deux des relations de causalité :
il y a quatre types de relation causale :
1) des états physiques causent des états physiques : l’échauffement de la barre de métal qui en provoque la dilatation
2) des états physiques causent des états mentaux, par exemple notre environnement physique cause des perceptions, ainsi que des émotions.
3) des EM causent d’autres EM : la perception d’un bon restaurant cause le désir de faire un bon repas. En règle générale, les perceptions et les croyances causent des désirs et des volitions.
4) des EM causent des EP : par exemple, la volonté de lever le bras fait que le bras se lève.

Nous nous intéresserons plus particulièrement à 2) et 4) : des EM causent des EP et des EP causent des EM. Si l’on voit ça au niveau du rapport esprit/cerveau :
Certaines lésions de notre cerveau étudiées par la neurologie, sont liées à des troubles de nos états mentaux : la destruction de certains zones cérébrales peuvent provoquer aphasie, apraxie, acalculie, anosognosie, perte de la conscience de voir (vision aveugle), perte de la conscience de ce qui se passe dans la partie gauche ou droite de notre corps. Stimulation électrique de certaines zones produiront des sensations de couleurs ou de faim. Hémisection du cerveau entraînera une incapacité à coordonner les gestes des mains droite et gauche. Autrement dit des transformations de nos EP entraînent des transformations de nos EM. D’autre part, la neurobiologie et neuroanatomie étudient le problème des localisations cérébrales. Comment cela est-il possible ?
Pourquoi cela pose-t-il un reél problème ?
Parce que nous avons désormais des sciences de la nature qui reposent sur un principe fondamental : tous les processus, événements, états de choses réels ou existants peuvent ou pourront être décrits par les sciences physiques. Ou encore, tous les états physiques peuvent être expliqués par d’autres états physiques conformément à certaines lois physiques et tous les phénomènes de la nature c’est-à-dire physiques sont sous-tendus par les grandes forces découvertes par la physique ( retrouver à partir de l’univers élégant ) Puis, les trois principes qui ne peuvent être vrais en même temps.
Quand on pose le problème des rapports entre le corps et l’esprit, on est en face de trois thèses fondamentales :
1) les états mentaux ne sont pas des états physiques
2) il y a une causalité mentale, c’est-à-dire que des phénomènes mentaux comme par ex des volontés, causent des états physiques
3) et pourtant, seuls les propriétés et faits physiques sont suffisants causalement pour les mouvements physiques et les actions.
Or, ces trois propositions ne peuvent être vraies en même temps.
D’autre part, ce qui rend le problème des rapports du corps et de l’esprit si difficile, c’est le phénomène de la conscience : comment des états conscients, qui ont un caractère intrinsèquement qualitatif et subjectif, peuvent-ils être constitués d’états physiques ou émerger d’états physiques ?

Personne ne nie le fait de la conscience, presque personne ne nie qu’il y ait un rapport entre le mental et le physique, et surtout le cérébral : par exemple Bergson avance dans “ L’énergie spirituelle “ de 1919 :

“ Que nous dit l’expérience ? Elle nous montre que la vie de l’âme ou, si vous aimez mieux, la vie de la conscience, est liée à la vie du corps, qu’il y a solidarité entre elles … La conscience est incontestablement accrochée à un cerveau “

Mais le grand problème est de savoir quelle est la nature de ce lien. Et il y a diversité de réponses qui divisent aussi bien les philosophes que les savants qui s’occupent des phénomènes mentaux en neurosciences.

Nous allons examiner les grandes réponses à cette question et à ce problème.

Tout d’abord le dualisme. C’est la thèse selon laquelle la nature de l’esprit et des phénomènes mentaux réside dans quelque chose de non physique, quelque chose qui se trouve au-delà du domaine des sciences comme la physique, la chimie et la neurophysiologie. Autrement dit les phénomènes mentaux sont immatériels. Le dualisme peut prendre deux formes :
- un dualisme des substances
- un dualisme des propriétés.
Le dualisme des substances en philosophie moderne remonte à Descartes ( Discours de la méthode et Méditations métaphysiques )
Reconstituer son argumentation :
1) il est concevable, c’est-à-dire que ça n’implique pas contradiction, que tous les états physiques, y compris mon corps, n’existent pas. Par exemple, il est concevable que je rêve d’états physiques ou qu’un malin génie me trompe en faisant naître dans mon esprit l’illusion de l’existence d’états physiques extérieurs à mon esprit. On peut donc douter de l’existence d’un monde physique.
2) il est impossible que pour moi mes états mentaux n’existent pas. On ne peut pas douter qu’on pense, et chaque fois qu’on doute, on pense. Par conséquent, pour chaque être pensant la proposition “ je pense, j’existe “ est indubitable.
3) Il s’en suit qu’il est possible de concevoir de manière claire et distincte ses propres états mentaux sans concevoir l’existence de ses états physiques. Cad, chaque personne a une connaissance claire de ses états mentaux qui n’implique pas de référence à ses états physiques.
4) si on peut concevoir A sans B, on peut admettre que A puisse exister sans B. En d’autres termes, mes états mentaux peuvent être réellement séparés de mes états physiques.
5) il s’ensuit que les EM n’appartiennent pas à la substance physique ou corporelle. Les EM ne sont pas des propriétés du corps.
6) et comme tous les états sont la propriété d’une substance, les EM sont la propriété d’une substance mentale. Cad chaque être pensant est une substance mentale.

Quelle est la valeur d’un tel dualisme des substances ?
Il a un certain nombre d’arguments en sa faveur :
D’abord l’argument de l’introspection : quand on concentre sa pensée sur le contenu de ce qui se passe dans notre esprit, on ne rencontre pas des neurones avec des relations électriques et chimiques, mais des représentations, des émotions, des désirs, des sensations. Le contenu de l’esprit paraît très différent de ce que les sciences peuvent nous apprendre sur le fonctionnement de notre cerveau.
Ensuite, certains phénomènes mentaux paraissent totalement irréductibles à des phénomènes physiques ou plus exactement cérébraux : par exemple l’activité de notre esprit telle qu’elle se révèle dans le raisonnement mathématique. Ce dernier possède des caractéristiques logiques que l’on ne peut retrouver dans la matière cérébrale : une connexion entre deux neurones n’est ni logique ni illogique, elle est ou elle n’est pas tout simplement.
Enfin, l’argument des qualia, c’est-à-dire l’argument de l’irréductibilité de l’expérience vécue. Un scientifique qui aurait été enfermé dans une pièce où il n’y a que du gris et qui aurait passé sa vie à étudier les propriété de la lumière, des couleurs, des longueurs d’ondes qui les caractérisent, ne saurait rien de l’expérience du rouge que peut présenter par exemple une pomme. Autrement dit, tout ce qu’on sait sur la nature de la matière ne suffit pas à faire comprendre ce que peut être la sensation de couleur, que l’on peut trouver apaisante ou au contraire énervante.

Puis le dualisme des propriétés
Une autre forme de dualisme, le dualisme des propriétés. Cad ? C’est l’affirmation selon laquelle il n’y a pas besoin de postuler une substance immatérielle au-delà du cerveau, mais que le cerveau a cependant un ensemble de propriétés que ne possède aucun objet physique. Ce sont ces propriétés spécifiques qui sont non physiques, comme par exemple les qualia, ou le fait de vouloir ceci ou cela.

Ce que cela entraîne : un épiphénoménisme. Cela veut dire que les phénomènes mentaux sont simplement ce qui se surajoute au cerveau quand l’organisation de celui-ci dépasse un certain degré de complexité. Les PM sont ce qui accompagne simplement l’organisation complexe de la matière.

Conséquence : les épiphénomènes ne peuvent avoir d’effets réels. Autrement dit, c’est une illusion de croire par exemple que nos actions peuvent être déterminées par nos désirs ou nos volontés. Nos actions sont exclusivement déterminés par des phénomènes physiques qui se déroulent dans le cerveau et ces derniers s’accompagnent de PM. Ou on dira aussi que les PM sont des propriétés émergentes des systèmes nerveux. Cad que les PM sont réels quoiqu’immatériels mais si on veut expliquer scientifiquement le comportement humain, ce n’est pas à eux qu’il faut se référer mais aux phénomènes neuronaux qui ont leur place dans le cerveau.

On a objecté au dualisme plusieurs arguments. tout d’abord examiner ceux contre le dualisme des substances :

Le dualisme de Descartes et un dualisme interactionniste : il admet que des états physiques causent des états mentaux et inversement.Et ces influences causales paraissent établies par l’expérience courante : quand je veux lever mon bras, celui-ci se lève, et par la neurologie : des lésions au cerveau entraînent des troubles du comportement, du raisonnement, du langage, de la mémoire, de la capacité de calculer, de reconnaître les visages etc … Autrement dit, ce sont nos fonctions mentales et intellectuelles qui sont altérées par des lésions du cerveau.

Mais problème : si l’esprit est totalement différent de la matière, par exemple, en n’ayant aucune masse, aucun poids, et donc ne pouvant transmettre aucune énergie, aucune force, et s’il n’a aucune position quelque part dans l’espace, comment est-il possible que mon esprit puisse avoir une influence causale sur mon corps ? Et inversement ? Si on est dualiste, on affirme une intercation qui est incompatible avec ce que les sciences de la nature nous disent sur le fonctionnement du monde.

Autres arguments contre le dualisme des substances :

D’abord un argument contre la façon dont Descartes conduit son doute l’amenant à affirmer le dualisme des substances :
L’argument cartésien du doute contient un présupposé très discutable :
- pour qu’il y ait un sens à douter, il faut que les croyances mises en doute consevent un contenu conceptuel. Par exemple, on met en doute le fait que le bâton à moitié plongé dans l’eau est brisé. Il faut que la proposition “ le bâton est brisé “ ait un contenu conceptuel bien déterminé. Et si on doute que le bâton soit brisé, on ne doute pas que ceci soit un bâton. Cela veut dire que le contenu conceptuel de notre doute est hors de doute et que nos croyances ont des référents. Or si on se met à douter de tout, notre doute perd tout référent. Et Descartes présuppose que nos croyances peuvent avoir un contenu conceptuel hors de tout référent. C’est un point de vue sémantique très contestable. On l’appelle l’internalisme et il présuppose que le contenu de nos croyances ne dépend que de nos contenus internes et qu’il est indépendant de la constitution du monde. Or la moindre de nos croyances est liée à tout un ensemble d’autres croyances qui présupposent des réalités effectivement existentes dans le monde. D’autre part, nos croyances ne sont pas de simples états internes de notre pensée, mais dépendent d’une communauté sociale et des intercations avec d’autres personnes.
Ensuite, les critiques de Churchland à partir de la page 31 + 37

Autres critiques contre le dualisme des substances :

Tout d’abord l’idée selon laquelle une explication rationnelle du monde est d’autant meilleure qu’elle est plus simple. Or le matériaslisme est plus simple que le dualisme. Et pour le matérialiste, l’existence de la matière est indéniable alors que l’existence d’une substance spirituelle n’est qu’une hypothèse problématique.
D’autre part, la faiblesse explicative du dualisme : là où les sciences du cerveau peuvent nous apprendre beaucoup de choses sur les constituants et le fonctionnement de ce dernier et donc de l’esprit (par exemple, les soubassemnts neuronaux de la perception ou de l’émotion), le dualisme ne peut rien nous apprendre sur la nature des phénomènes mentaux, par exemple, comment se font les apprentissages, comment fonctionne la mémoire, qu’est-ce qui peut bien créer des amnésies et d’autres troubles mentaux etc ? Autrement dit, le dualisme a toujours été incapable de founir une véritable théorie de l’esprit et de ses propriétés.
Ensuite, ce n’est pas simplement la perception et la sensation qui sont sous la dépendance des états du cerveau, mais également les fonctions intellectuelles supérieures, comme la conscience, le raisonnement. Si ces derniers étaient immatériels, ils seraient invulnérables aux modifications des états du cerveau. Or c’est le contraire qui est vrai :
- des substances chimique speuvent nous anesthésier, cad nous faire perdre conscience
- des lésions cérébrales peuvent produire des troubles de la conscience comme la “ vision aveugle “ ou l’anosognosie, ou encore des incapacités à calculer, à utiliser correctement le langage etc.

Enfin, le dualisme postule que la matière ne peut pas penser. Problème à débattre mais on peut dire que la matière est capable de calculer ou même de raisonner en démontrant par exemple des théorèmes, ce que savent faire des ordinateurs. Or Descartes faisait de l’aptitude au raisonnement mathématique une des caractéristiques de l’esprit pour lui immatériel. Nos ordinateurs ont des puissances de calcul qui dépassent tout esprit humain et même la capacité de battre aux échecs des joueurs chevronnés. Autrement dit, certaines capacités intellectuelles sont accessibles à des machines simplement physiques, ce qui n’implique pas bien sûr, qu’un ordi puisse avoir des états conscients ou des émotions.

Enfin, dernier argument contre le dualisme des substances, venant cette fois de la théorie darwinienne de l’évolution : il y a d’abord eu des formes de vie sans états mentaux, les bactéries puis de la complexification de l’organisation des êtres vivants sont sortis des êtres possédant des états mentaux, et pas seulement l’homme, mais aussi des animaux.

Mais on peut être dualiste sans être intercationniste comme Descartes - laquelle interaction est inexplicable par le dualisme.
Par exemple, Spinoza ( 1632-1677) va défendre un parallèlisme psychophysique. Cad ?
Il postule qu’il y a une seule substance, qu’il appelle Dieu ou la Nature. Les EM et les EP sont des attributs de cette substance unique. Un attribut est une propriété générale. Distinction réelle des EM et des EP, cad un dualisme des propriétés.
Ensuite Spinoza postule que les relations causales existent seulement entre des phénomènes qui appartiennent au même attribut. Cad que des phénomènes physiques entraînent d’autres phénomènes physiques et que des EM entraînent d’autres EM. Chaque EM correspond à un EP et inversement sans que le premier soit la cause du second et inversement.
Ce parallèlisme ne s’appuie sur aucune preuve expérimentale, il est purement spéculatif. D’autre part, présente un inconvénient. Il implique un panpsychisme : si à chaque état mental correspond à un état physique, cela veut dire qu’à l’inverse à chaque état physique correspond à un état mental, ce qui voudrait dire que toute matière possèderait des états mentaux. mais quels peuvent être les EM d’une pierre ou d’un électron ?
Ensuite ce PPP impliquerait qu’on pourrait construire une psychologie, c’est-à-dire une science des EM sans faire référence à des EP. Or c’est impossible. Par exemple, c’est parce qu’on avale un médicament qui contient une certaine molécule chimique que notre état mental se modifie, par exemple que des angoisses disparaissent.

Une autre façon de poser le problème des rapports entre le mental et le physique est le behaviorisme philosophique. Thèses développées dans un ouvrage du philosophe anglais Ryle dans un ouvrage intitulé “ Le concept d’esprit “ de 1949.
L’idée de Ryle est qu’il ne fat pas considérer les termes mentaux ( volonté, désir, croyance etc) comme désignant des objets ou des choses mais comme de simples propriétés dispositionnelles du comportement.
Exemple pour comprendre : quand on dit d’un verre qu’il est fragile, on ne parle pas d’une mystérieuse propriété intérieure qu’il contiendrait, mais c’est simplement une propriété dispositionnelle que l’on peut formuler de la façon suivante : si le verre était heurté brutalement par un corps solide, alors il se briserait. Si on applique cela aux EM, par exemple une croyance.
Croire à quelque chose, par exemple, qu’il va pleuvoir, c’est simplement le fait de prendre son parapluie avant de sortir, d’aller à la chasse aux escargots, ou de rester chez soi de peur d’être mouillé. Autrement dit, pour le bahavioriste, les EM ne sont pas des réalités internes à notre esprit, mais une simple façon de parler de nos c comportements. Ce qui implique que le problème des rapports du corps et de l’esprit est un pseudo-problème.

Thèse problématique pour plusieurs raisons.
D’abord il est difficile de nier la réalité de nos états mentaux internes. par exemple, ressentir de la douleur, ce n’est pas simplement se mettre à chercher des médicaments, se tortiller sur sa chaise ou pousser des gémissements. La douleur a aussi une caractéristique interne vécue et subjective, révélée par une sensation immédiate et souvent incommunicable.
Ensuite, un behavioriste pense qu’un état mental est en fait simplement une disposition comportementale. Mais alors cela impliquerait qu’un état mental ne pourrait pas être la cause de nos comportements. Or il paraît évident que certains de nos comportements ont une cause mentale : si je prends un parapluie, c’est parce que je crois qu’il pleut.
Ensuite impossibilité pour le behavioriste d’éliminer les termes mentaux.

Maintenant une forme stricte de matérialisme : la thèse de l’identité. C’est-à-dire que pour cette position, les états mentaux ne sont que des états physiques du cerveau, ils peuvent être réduits à ces derniers. Continuer par Churchland et Engel et Esfeld.



- Mais les “idées” que l’on considère peut-être naïvement comme le produit de cette faculté d’intelligence, êtes-vous en mesure de les traiter comme des “objets mentaux”, de les ramener à leur base matérielle ?

- Théologiens et philosophes (pas tous) considèrent les fonctions supérieures du cerveau comme leur domaine réservé, et cela avec d’autant plus d’assurance que celles-ci ne sont pas encore tombées sous le bistouri de l’analyse scientifique. Elles le seront tôt ou tard et cela n’a rien d’inquiétant. Ce qui m’inquiète beaucoup plus, c’est l’effort considérable qu’il faudra faire à leur sujet pour sortir des discours littéraires.
Pour le neurobiologiste que je suis, il est naturel de considérer que toute activité mentale, quelle qu’elle soit, réflexion ou décision, émotion ou sentiment, conscience de soi... est déterminée par l’ensemble des influx nerveux circulant dans des ensembles définis de cellules nerveuses, en réponse ou non à des signaux extérieurs. J’irai même plus loin en disant qu’elle n’est que cela.
Comme l’écrivait Jacques Monod, un des traits les plus frappants de l’esprit humain est sa capacité de “simuler subjectivement l’expérience pour en anticiper les résultats et préparer l’action”. Cette faculté est directement liée à celle de “représentation”, par exemple, d’objets extérieurs. Diverses expériences récentes de psychophysique suggèrent la matérialité de ces images mentales. Notre hypothèse de travail est que celles-ci sont des objets bien concrets définis par la “carte “ dynamique des ensembles cellulaires engagés et des influx nerveux qui les parcourent.

Interview de Jean-Pierre Changeux, “Le Monde” 31/10/82.

L'interprétation

L’interprétation


Les enjeux de la notion – une première définition



Interpréter, c’est remonter d’un signe à sa signification ou, plus largement encore, c’est tâcher de rendre compréhensible, saisissable par la pensée, des objets, des faits et des problèmes qui se présentent comme complexes, énigmatiques, évanescents, vastes, etc. Mais il faut remarquer que les théorèmes mathématiques et les faits de la nature, bien qu’en certaines circonstances on puisse dire qu’ils sont interprétés, sont soumis le plus souvent à des procédés non interprétatifs : les théorèmes mathématiques font l’objet de démonstration, les faits naturels font l’objet d’explication en vertu d’une application des lois de la physique. En ce sens, on aimerait peut-être dire que l’interprétation n’est rien d’autre qu’une connaissance de second rang, possédant un faible degré de scientificité et se situant d’une certaine manière entre l’opinion et la science. Un tel jugement sur l’interprétation, qui prendrait comme modèles les sciences naturelles, ne comprendrait cependant son objet que négativement, par référence à ce qui est lui est supérieur sous un aspect déterminé. Or, il faut porter une grande attention à la diversité des usages de l’interprétation : on peut ainsi penser à l’interprétation d’une loi, qui en détermine le champ d’application, interprétation indispensable à toute jurisprudence devant ramener l’universel de la loi à la singularité du cas à juger, ou encore à l’interprétation en linguistique, et notamment l’interprétation sémantique permettant d’attribuer un sens à une structure profonde. D’une manière générale, ce qui distingue, cette fois-ci positivement, l’interprétation d’autres formes de connaissance, c’est qu’elle n’est pas exclusive ou unique en ce sens, premièrement, qu’il est possible qu’existe une multiplicité d’interprétations sans qu’il y ait là une anomalie ou une insuffisance et, deuxièmement, qu’une interprétation n’est jamais close, autrement dit qu’elle appelle sans cesse de nouvelles interprétations, la tâche interprétative étant infini. Nous débuterons ce cours en exposant les conceptions de l’interprétation de l’Antiquité grecque au Moyen-Âge avant de nous concentrer sur le sens et la fonction de l’interprétation à l’époque moderne dans laquelle elle joue un rôle de premier ordre dans cette discipline qu’est l’herméneutique ainsi que dans les sciences humaines.
Bref aperçu sur l’histoire de l’interprétation



« Donc, repris-je, il est alors nécessaire, dans de tels cas, que l'âme soit dans l'embarras sur ce que ce sens peut bien signaler comme « le dur », si en effet il dit que la même chose est aussi molle ; et avec celui du léger et du lourd, qu'en est-il du léger et lourd, s'il signale aussi bien le lourd comme léger que le léger comme lourd ? Et en effet, dit-il, ces interprétations sont vraiment insolites pour l'âme et ont besoin d'une enquête. Vraisemblablement donc, repris-je, dans de telles situations, l'âme tente tout d'abord, en faisant appel au raisonnement et à l'intelligence, d'examiner si chacune des choses qui lui sont dénoncées est une ou deux. » Platon, La République.



Le mot grec qui a été traduit en latin par interpretatio, puis en français par interprétation est le mot herméneia. Platon l’utilise notamment désigner chacune des multiples impressions (sensibles) opposées qui sont causées par certains objets, ces derniers se distinguant des objets saisissables dans leur unité par l’intelligence. Il n’y a donc d’interprétation qu’à partir du moment où il y a des interprétations. De plus, ce sont les sens qui interprètent les phénomènes, en donnent une traduction à l’âme. Les sens produisent des signes ou des signaux à destination de l’intelligence. En un autre sens, Platon évoque les poètes en tant qu’ils sont des interprètes des dieux ou encore ceux qui interprètent les oracles. L’art interprétatif se rapproche ici d’un art consistant à décoder des messages. Aristote quant à lui intitule l’un de ses traités De l’interprétation (Peri hermeneias). Selon lui, la langue est l’interprète des pensées en ce sens qu’elle les exprime, les présente à l’extérieur (le traité mentionné ci-dessus est également connu sous le nom de De la proposition). L’interprétation est expression, manifestation du logos.



Au Moyen-Âge, Thomas d’Aquin définit l’interprétation comme la découverte de la signification cachée d’un texte. Cette conception, qui prédomine au Moyen-Âge, est bien entendu liée à l’exégèse des Saintes Écritures, de la Bible. Se pose par exemple la question de savoir si les évènements décrits dans l’Ancien Testament, puis dans le Nouveau Testament, sont des images, s’ils sont susceptibles d’une interprétation allégorique. À la Renaissance (chez des auteurs tels que Ficin ou Pic de la Mirandole), l’interprétation de l’Écriture Sainte se complexifie en intégrant notamment des éléments de la kabbale, la signification allégorique étant alors privilégiée. Ce n’est qu’ensuite que s’impose la nécessité de la recherche d’un critère permettant de limiter la multiplicité des interprétations et de découvrir (sous l’autorité de l’Église) le sens véritable des Écritures. En vient alors à être privilégié l’étude philologique et historique du texte, s’attachant avant tout à en découvrir l’ « esprit » (en se détachant si nécessaire de la « lettre »). C’est sur cette base que s’édifie la compréhension rationnelle de la Bible au 17ème siècle, notamment chez Spinoza qui œuvre pour une lecture de la Bible qui n’aille pas contre la liberté de penser.



On peut enfin se référer à Schleiermacher qui, au tournant des 18ème et 19ème siècle, propose une réflexion novatrice sur l’interprétation de tout texte dont le sens ne nous est pas immédiatement accessible en raison de la distance historique, psychologique, etc. qui nous sépare de lui. Le sens ne nous est plus caché parce que ce serait un sens divin mais parce qu’il présente une différence d’ordre historique et culturel avec le régime de sens qui nous est familier. L’herméneutique devient alors non plus seulement exégèse biblique mais science de l’interprétation des signes. En ce sens, l’histoire comme discipline, est le lieu privilégié du développement de l’art de l’interprétation. Enfin, Schleiermacher pose que le véritable enjeu de l’interprétation est de comprendre l’auteur du texte mieux qu’il ne s’est lui-même compris.
L’interprétation dans les sciences humaines



« On obtient un idéaltype en accentuant unilatéralement un ou plusieurs points de vue et en enchaînant une multitude de phénomènes donnés isolément, diffus et discrets, que l’on trouve tantôt en grand nombre, tantôt en petit nombre et par endroits pas du tout, qu’on ordonne selon les précédents points de vue choisis unilatéralement, pour former un tableau de pensée homogène. On ne trouvera nulle part empiriquement un pareil tableau dans sa pureté conceptuelle : il est une utopie » Weber, Essai sur la théorie de la science.



L’interprétation acquiert un rôle de premier ordre avec Dilthey, auteur de la célèbre distinction entre sciences naturelles et sciences de l’esprit du point de vue de leurs procédés, l’explication et la compréhension. Les sciences naturelles expliquent les phénomènes en leur appliquant des lois générales, en les ramenant à leurs causes physiques, c’est-à-dire en subsumant le singulier sous l’universel. Les sciences de l’esprit s’attachent au contraire à comprendre les phénomènes (historiques, psychiques, etc.), à en saisir l’unité de sens, l’intention, la raison. C’est la conscience qui est leur objet. Dilthey écrit : « Nous appelons compréhension, le processus par lequel nous connaissons un « intérieur » à l’aide de signes perçus de l’extérieur ». Cette compréhension ne va pas sans interprétation. Celle-ci est « la compréhension intentionnelle des manifestations de la vie qui sont établies de manière durable ». Étant donné que c’est dans la langue (et l’écriture) que cette manifestation est la plus parfaite, l’interprétation trouve son plus grand accomplissement dans l’étude des textes, et avant tout des textes historiques. De plus, la vie étant, selon Dilthey, « déjà elle-même sa propre interprétation » (elle se donne un sens), les sciences de l’esprit sont engagées dans un cercle herméneutique inaccessible aux méthodes des sciences naturelles. Notons enfin que la compréhension et l’interprétation, loin de se réduire à « l’arbitraire romantique » et au « subjectivisme sceptique », prétendent à la certitude, à la validité universelle des connaissances qu’elles produisent.



En sociologie, Durkheim conteste cette spécificité des sciences humaines. Les faits sociaux sont, selon lui, susceptibles d’êtres traités comme des choses. Dire de la sociologie qu’elle est une science, revient à dire qu’elle est « naturaliste », (sans que cela engage une position métaphysique sur l’essence des choses sociales). Weber s’oppose à son tour à Durkheim et défend une sociologie compréhensive : « Nous appelons sociologie une science qui se propose de comprendre par interprétation l'action sociale et par là d'expliquer causalement son déroulement et ses effets.» Les sciences sociales ne peuvent s’aligner sur le modèle des sciences naturelles car elles ont affaire à des actions, celles-ci se rattachant à des intentions et possédant un sens subjectif. La sociologie n’est pas à la recherche de causes (du moins dans un premier temps) mais de motifs ou raisons. Le sociologue a alors pour tâche de produire des idéaltypes, c’est-à-dire d’ordonner une multiplicité de points de vue sur les phénomènes en un tableau de pensée qui n’est rien d’autre qu’une utopie.



Intéressons-nous à présent à l’interprétation telle qu’elle est pratiquée en psychanalyse. On pense en premier lieu à L’interprétation des rêves de Freud. Le rêve est un objet privilégié en ce sens qu’il témoigne d’une certaine forme de « relâchement » de la conscience à la faveur duquel les contenus psychiques refoulés dans l’inconscient peuvent se manifester sous des formes détournées. Freud distingue le contenu manifeste du rêve de ses idées latentes, le premier étant une expression symbolique des désirs refoulés. C’est ici que le rêve exige une méthode interprétative dans la mesure où il est nécessaire de « décoder » le langage du rêve pour faire apparaître le sens caché, c’est-à-dire le contenu psychique refoulé. Ajoutons que cette interprétation, qui se distingue totalement de l’interprétation que l’individu peut donner de son propre rêve, doit s’attacher à des éléments qui, à première vue, paraissent accidentels, anodins, sans importance.
L’herméneutique au 20ème siècle



« Quiconque cherche à comprendre est exposé aux erreurs suscitées par des préconceptions qui n'ont pas subi l'épreuve des choses elles-mêmes. Telle est la tâche constante du comprendre : élaborer les projets justes et appropriés à la chose, qui en tant que projets sont des anticipations qui n'attendent leur confirmation que des "choses elles-mêmes". » Gadamer, Vérité et méthode.



Dans la philosophie du 20ème siècle, l’interprétation joue un rôle fondamental. C’est le cas notamment dans l’ontologie existentiale de Heidegger, ontologie qui est tout à la fois une herméneutique. Dans Être et temps, Heidegger s’attache à penser le sens de l’être et, pour cela, il enracine sa réflexion dans l’être d’un étant particulier, le Dasein (c’est-à-dire l’homme en ses structures a priori d’existence, structures existentiales). Pourquoi le Dasein et pas tel animal, tel plante ou encore tel objet inanimé ? C’est que le Dasein dispose d’un privilège : dans son existence quotidienne, il a une pré-compréhension ou pré-entente de l’Être. C’est à un approfondissement ou une « articulation » de cette compréhension que se livre le philosophe, qui interprète ce qui est déjà interprétation et s’engage ainsi dans un cercle herméneutique qui n’a rien d’un cercle vicieux. Mais quelle est l’origine de la pré-compréhension ? Cette origine réside justement dans le fait que le Dasein n’est pas à lui-même sa propre origine, qu’il est jeté dans le monde et qu’il est toujours déjà en prise (tant d’un point de vue pratique que « théorique ») avec celui-ci. Autrement dit, il est tout à fait vain d’espérer avoir un accès à un prétendu monde objectif, non encore investi par l’homme. L’explication, au sens des sciences naturelles, n’est en aucun cas un retour en deçà de l’interprétation de son monde par le Dasein ; tout au contraire, elle dérive de cette interprétation, en est un mode spécifique.



Gadamer prolonge le projet herméneutique de Heidegger. Il pose que l’existence s’identifie à la compréhension par le Dasein de son monde. Son premier objet de réflexion est l’œuvre d’art. Celle-ci, dit-il, se refuse à une connaissance factuelle, cette dernière oubliant le dialogue que l’homme entretient avec le monde ; or, c’est un tel dialogue que nous avons avec l’œuvre d’art bien que son historicité (ou temporalité) propre est différente de l’historicité de notre conscience, et qu’il existe donc une distance entre elle et nous. Comprendre une œuvre d’art, c’est interpréter un sens passé dans notre expérience présente. Gadamer rompt avec les Lumières en ce qu’il refuse leur condamnation sans appel de la tradition. Il ne s’agit pas pour lui de se défaire de nos préjugés, car il est impossible que nous soyons sans préjugés, ceux-ci étant les conditions de possibilités de la compréhension, de l’interprétation. L’enjeu est bien plutôt d’interroger ces préjugés, de les mettre en question. Enfin, Gadamer insiste sur la dimension langagière de l’interprétation, sur le statut de medium du sens assurée par le langage.



L’herméneutique fut également un objet d’investigation pour Ricœur. Celui-ci (qui s’inspire notamment du travail de Freud) cherche à étendre les notions mêmes de l’interprétation des textes à celle de la pratique. L’expérience et l’action humaines deviennent ainsi susceptibles d’une compréhension en termes d’œuvres, d’auteurs, de lecteurs, etc. Derrida enfin développe une pensée de l’interprétation dont le modèle n’est pas le dialogue interhumain, mais le « dialogue » avec cet « être » muet et source de possible mésentente qu’est le texte.


Excursus



« Mais je pense que nous sommes aujourd'hui éloignés tout au moins de cette ridicule immodestie de décréter à partir de notre angle que seules seraient valables les perspectives à partir de cet angle. Le monde au contraire nous est redevenu “infini” une fois de plus : pour autant que nous ne saurions ignorer la possibilité qu'il renferme une infinité d'interprétations. Une fois encore le grand frisson nous saisit : mais qui donc aurait envie de diviniser, reprenant aussitôt cette ancienne habitude, ce monstre de monde inconnu ? Hélas, il est tant de possibilités non divines d'interprétation inscrites dans cet inconnu, trop de diableries, de sottises, de folles d'interprétation, notre propre nature humaine, trop humaine interprétation, que nous connaissons... » Nietzsche, Le gai savoir.



Nous aimerions présenter enfin les conceptions de l’interprétation de deux penseurs qui, aussi différents soient-ils, avaient en commun de nous pouvoir trouver que difficilement leur place dans la continuité de l’exposé qui précède. C’est le cas tout d’abord de Nietzsche qui écrit : « il n’y a pas de faits, rien que des interprétations ». En effet, la réalité fondamentale pour Nietzsche, bien loin d’être la « vérité » défendue par les métaphysiciens, est la vie en tant que multiplicité de désirs, hiérarchie de pulsions, lutte des instincts. La vie est volonté de puissance, expansion, devenir. L’idée d’une connaissance ou d’une morale du désintéressement est une illusion produite en accord avec un certain type de vie (dont le symbole est Socrate), une vie malade qui nie les passions et ce qu’elles ont de terrible, de tragique, en leur opposant l’être en soi, l’idéal, la morale, etc. C’est par conséquent une vie qui en se niant elle-même, est mensonge, négation de la seule réalité possible. La morale chrétienne ou platonicienne est donc une interprétation, décadente, des puissances vitales, corporelles, une certaine perspective prise sur celles-ci. Mais il ne faudrait pas croire que revenir à la réalité de la vie sensible (que les métaphysiciens qualifient d’apparence), ce serait enfin accéder aux choses en chair et en os. Que notre rapport aux choses soit en premier lieu affectif signifie que s’y mêle irréductiblement des besoins et des intérêts. Nous n’avons pas premièrement un affect ou un désir qui serait ensuite la source d’une interprétation ou d’un jugement (en quoi il serait par exemple possible de réformer ce dernier, l’égoïsme pouvant se transformer en altruisme). C’est la vie affective elle-même qui est interprétation de telle manière que pour comprendre un jugement, il faille remonter à ses motivations pulsionnelles, aux impulsions qui ont conduit à le produire. Dans l’ordre de la connaissance, aucune explication unique ne saurait triompher car la multiplicité des interprétations est constitutive de la vie.



Dans la philosophie anglo-saxonne, Peirce (né 5 ans avant Nietzsche) intègre la notion d’interprétation dans sa philosophie pragmatiste du signe. L’interprétation est le domaine des effets véhiculés par les signes, dans un processus dans lequel le representamen (le signe matériel) dénote un objet (ce dont on parle). L’interprétant (l’effet) joue le rôle d’intermédiaire entre ces deux éléments ; il assure leur liaison. Il peut être de nature émotive (il suscite des sentiments), énergétique (il engage des actions) ou logique (il provoque des représentations dans l’esprit des interlocuteurs). Ainsi, si je parle à un ami du président de la république, et s’il me comprend, c’est que nous partageons un même interprétant (logique), le concept de président. Le processus d’interprétation se poursuit alors : la discussion peut continuer par l’évocation d’un président particulier, signe qui appelle lui-même d’autres interprétants et ainsi de suite. Cette chaîne d’interprétations a cependant une fin dans la mesure où les possibilités de pensée s’épuisent. Mais ce n’est en réalité le cas que si l’on considère exclusivement les interprétants logiques (les concepts, représentations) ; les interprétants émotifs et énergétiques, en tant qu’ils sont sources d’affection et surtout d’action semblent conférer une ouverture indéfinie à l’interprétation, cette dernière se présentant alors comme un processus jamais achevé en ce qu’elle nous engage sans cesse dans de nouveaux rapports avec le monde. Notons pour finir que Peirce a eu une postérité importante dans cette discipline qu’est la sémiotique, science des signes et des systèmes signifiants.






Ce qu’il faut retenir



- La philosophie antique : Le mot interprétation vient du mot grec herméneia. Pour Platon, les interprétations sont les multiples impressions sensibles opposées que peut provoquer un objet. Les sens sont les interprètes des phénomènes, ils en donnent une traduction à l’âme. Pour Aristote, l’interprétation est l’expression, la présentation à l’extérieur des pensées opérée grâce à la langue.



- L’interprétation de la Bible : Au Moyen-Âge, prédomine le sens de l’interprétation comme découverte de la signification cachée d’un texte. Elle se confond presque entièrement avec l’exégèse de la Bible.



- La distance historique : Schleiermacher s’intéresse à l’interprétation des textes en général. Il s’agit toujours de découvrir un sens caché mais celui–ci ne l’est qu’en raison des différences culturelles, historiques, psychologiques qui nous séparent de lui. De plus, l’enjeu pour l’interprète est de comprendre l’auteur mieux qu’il ne pouvait lui-même se comprendre.



- Compréhension et interprétation : Dilthey affirme que la compréhension des manifestations de l’esprit ne repose pas sur des lois, sur une causalité comme les phénomènes naturels. Elle exige une saisie de l’unité de sens, des intentions, des raisons. Elle appelle l’interprétation, c’est-à-dire « la compréhension intentionnelle des manifestations de la vie qui sont établies de manière durable ».



- Sociologie et psychanalyse : Pour Weber, la sociologie (compréhensive), avant d’expliquer les conséquences des actions sociales, saisit celle-ci par interprétation. Cette dernière est exigée pour comprendre le sens subjectif que possède l’action. En psychanalyse, Freud se livre à une interprétation des rêves, visant à « décoder » le langage (le contenu manifeste) du rêve qui exprime de manière symbolique les désirs refoulés (sens latent du rêve).



- La pré-compréhension du monde : Pour Heidegger, le Dasein (l’homme dans ses structures existentielles) est jeté dans le monde, il est toujours déjà en prise avec celui-ci de telle manière qu’il en a d’emblée une pré-compréhension. Il est impossible d’accéder à un prétendu monde objectif antérieur à son interprétation par l’homme. L’attitude théorique est au contraire une dérivation de ce rapport « primitif » au monde qui est constitutif de l’existence.



- Interprétation et tradition : Comprendre une œuvre d’art pour Gadamer, c’est interpréter un sens passé dans une expérience présente, du point de vue de notre tradition. Gadamer s’oppose à la critique de la tradition par les penseurs des Lumières. Se défaire de nos préjugés est impossible en ce qu’ils sont la condition de possibilité de la compréhension. La tâche de l’herméneutique est bien plutôt d’interroger ces préjugés



- L’interprétation comme phénomène vital : Nietzsche affirme qu’il est impossible de découvrir des « faits bruts ». Tout rapport aux choses est d’emblée interprétatif en tant qu’il est nécessairement affectif. Un tel rapport s’enracine dans nos besoins, nos intérêts ; il se réalise en fonction d’une structure pulsionnelle, d’une hiérarchie d’instincts en lutte. L’explication unique d’un phénomène est nécessairement un mensonge masquant la multiplicité des phénomènes.



- Les interprétants : Pour Peirce, l’interprétation est un moment essentiel dans le processus de la signification. Elle est le domaine des effets du signe. L’interprétant (l’effet) peut-être de nature émotive, énergique, logique. Le signe est ainsi source de sentiments, d’actions, de représentations.









Alors que la démonstration relève d’une démarche rationnelle et savante, l’interprétation peut être considérée comme une activité commune de l’homme et même des êtres vivants en général. Lorsqu’un animal réagit aux intonations de la voix de son maître ou de ses expressions faciales, il interprète.
L’homme est quant à lui est un animal herméneutique ( expliquer la notion - ensemble des connaissances et des techniques qui permettent de faire parler des signes et de découvrir leur sens. C’est la recherche de la signification des symboles, des mythes, des allégories, des récits religieux et de tous les procédés non directement signifiants pour la pensée claire, à travers lesquels l’humanité a traduit sa condition depuis l’apparition de la conscience ) tout simplement parce qu’il est un être parlant et un être de culture.
Être parlant :
S’il arrive à notre langue d’établir des préjugés, est-ce que cela veut dire qu’elle ne laisse toujours apparaître que de la non-vérité ? La langue ne se réduit pas à cela. Elle incarne plutôt l’interprétation préalable et englobante du monde et ne peut être remplacée par rien d’autre. Avant que ne commence la pensée philosophique critique, le monde s’est toujours déjà interprété dans une langue. C’est en apprenant une langue, en grandissant dans notre langue maternelle que s’articule pour nous le monde. Cela est moins un égarement qu’une première ouverture. Cela signifie bien sûr que la formation des concepts qui s’effectue au sein de cette interprétation langagière ne peut jamais être un premier commencement. Ce n’est pas comme l’acte de forger un nouvel outil à partir d’un matériau approprié. Cela s’apparente plutôt à un prolongement de la pensée qui est à l’oeuvre dans la langue que nous parlons et dans l’interprétation du monde qui s’y trouve déposée. Nulle part n’y commence-t-on à zéro. Il ne fait bien sûr aucun doute que la langue à travers laquelle se présente l’interprétation du monde est aussi un produit et le résultat de l’expérience. L’expérience n’est pas d’abord une affaire de sensation. Ce n’est pas le fait de partir des sens et de leurs données qui peut être appelé expérience. Nous avons appris à voir en quoi les données des sens s’articulent aussi selon différents contextes d’interprétation et en quoi la perception, qui saisit quelque chose de vrai, a toujours déjà interprété le témoignage des sens bien avant l’immédiateté des données sensibles. Il est dès lors permis d’affirmer que d’un point de vue herméneutique la formation des concepts reste constamment conditionnée par la langue déjà parlée. Mais s’il en est bien ainsi, le seul chemin philosophique honnête est alors de prendre conscience de la relation entre le mot et le concept comme d’une relation essentielle qui détermine notre pensée.

Hans Georg Gadamer. L’histoire des concepts comme philosophie ( 1970 )

Ensuite, être de culture : nous sommes des êtres historiques dont le passé n’a pas un sens évident. L’histoire humaine est à interpréter. Nous vivons parmi des oeuvres, mythes, textes religieux, oeuvres d’art dont le sens doit être dégagé.

Le mot interprétation vient du latin interpres, qui désigne le médiateur, l’intermédiaire, l’agent entre deux parties, puis par extension celui qui traduit. L’interprète est celui qui traduit d’une langue dans une autre.

Herméneutique est lié au dieu Hermès, qui était le messager entre les hommes et les dieux.
Constamment l’homme interprète la réalité, c’est sa façon la plus banale de s’y rapporter. Quand on scrute l’état du ciel pour savoir le temps qu’il fera, on interprète l’état du ciel. Quand on écoute autrui, on interprète ses paroles pour savoir ce qu’il veut dire. Quand on veut découvrir le sens exact d’un texte religieux comme le Nouveau Testament, on se livre à une interprétation savante appelée exégèse. L’aptitude à interpréter certaines oeuvres d’art comme une pièce de piano de Bach peut faire de vous un interprète de génie.

Donc, interpréter, c’est essayer de dégager le sens d’oeuvres, d’événements, de comportements qui nous sont étrangers, ou de phénomènes psychologiques étranges comme les rêves, soit qu’ils nous viennent du passé, soit qu’ils viennent de cultures ou de civilisations qui nous sont étrangères.

En effet, il faut qu’il y ait au départ étrangeté ou ambiguïté dans ce qu’il y a à comprendre : on ne dira pas qu’il faut interpréter les signaux du code de la route, parce que leur sens est évident et univoque. On n’interprète pas non plus une équation mathématique, on la résout.

Le problème de l’interprétation commence quand une signification ne s’impose pas de toute évidence. Même dans la langue courante : “ la petite vieille garde le lit “ est une expression ambigue. Ou quand je dis : “ il est midi “. Le sens est évident mais la signification ne l’est pas. L’expression peut signifier qu’il est l’heure de prendre l’avion, qu’il est temps d’aller manger ou que le cours de philosophie est terminé. Il faut partir du sens des mots pour découvrir la signification de l’expression.

Encore plus vrai quand il s’agit des oeuvres de l’esprit : la pensée doit se matérialiser pour prendre une consistance, elle doit se transformer en récits, en poèmes, en monuments ou en documents de toutes sortes. Le danger est celui de la réification, c’est-à-dire que la lettre remplace ce qui a surgi un jour de l’esprit.
Interpréter c’est alors retrouver derrière la lettre d’une oeuvre ou d’une institution ce que l’auteur a voulu dire. Particulièrement vrai quand il s’agit par exemple d’oeuvres religieuses comme le Nouveau Testament qui utilise un langage poétique, des symboles, des allégories dont il faut découvrir la signification. Faut-il prendre la résurrection de Lazare comme un fait ou comme une allégorie qui aurait un sens moral ?

Donc, l’interprétation aurait à faire avec l’homme et ses créations et non avec la nature, où il n’y a rien à interpréter mais tout à expliquer.

C’est le sens de la distinction faite par Dilthey entre sciences de la nature et sciences de l’esprit.

Les sciences de l’esprit ont le droit de déterminer elles-mêmes leurs méthodes en fonction de leur objet. Ces sciences doivent partir des concepts les plus universels de la méthodologie, essayer de les appliquer à leurs objets particuliers et arriver ainsi à se constituer dans leur domaine propre des méthodes et des principes plus précis, tout comme ce fut le cas pour les sciences de la nature. Ce n’est pas en transportant dans notre domaine les méthodes trouvées par les grands savants que nous nous montrons leurs vrais disciples, mais en adaptant notre recherche à la nature de ses objets et en nous comportant ainsi envers notre science comme eux envers la leur. Les sciences de l’esprit se distinguent tout d’abord des sciences de la nature en ce que celles-ci ont pour objet des faits qui se présentent à la conscience comme des phénomènes donnés isolément et de l’extérieur, tandis qu’ils se présentent à elles-mêmes de l’intérieur, comme une réalité et un ensemble vivant. Il en résulte qu’il n’existe d’ensemble cohérent de la nature dans les sciences physiques et naturelles que grâce à des raisonnements qui complètent les données de l’expérience au moyen d’une combinaison d’hypothèses. Dans les sciences de l’esprit, par contre, l’ensemble de la vie psychique constitue partout une donnée primitive et fondamentale. La nature, nous l’expliquons ; la vie de l’âme, nous la comprenons. Car les opérations d’acquisition, les différentes façons dont les fonctions, ces éléments particuliers de la vie mentale, se combinent en un tout, nous sont donnés aussi par l’expérience interne. L’ensemble vécu est ici la chose primitive ; la distinction des choses qui le composent ne vient qu’en second lieu. Il s’ensuit que les méthodes au moyen desquelles nous étudions la vie mentale, l’histoire et la société, sont très différentes de celles qui ont conduit à la connaissance de la nature.

Dilthey. Idées concernant une psychologie descriptive et analytique. ( 1894 )

Pour Dilthey, nous expliquons les phénomènes naturels et nous comprenons les phénomènes humains.
Définir la notion d’explication telle qu’elle fonctionne par exemple en physique. Dégager des lois, c’est-à-dire des relations de causalité constantes entre des phénomènes, relation pouvant être mathématiquement formulée. Par exemple, la loi de la gravitation universelle formulée par Newton.

“ Deux corps ponctuels de masse MA et MB s'attirent avec une force proportionnelle à chacune des masses, et inversement proportionnelle au carré de la distance qui les sépare. Cette force a pour direction la droite passant par le centre de gravité de ces deux corps. “

D’après cette distinction faite par Dilthey, croire qu’il y aurait quelque chose à interpréter dans la nature serait le reflet d’une mentalité pré-logique ou mythique comme quand on croyait dans l’antiquité que les mouvements brusques du sol étaient l’expression de la colère d’une divinité. Cette méthode d’interprétation est le reflet de l’enfance de l’esprit humain. Correspond à un besoin de se rassurer : quand on donne un sens à un phénomène incompréhensible, on le rend plus familier et on peut éventuellement croire qu’on peut agir dessus, par des prières par exemple.

D’autre part, les sciences et disciplines qui s’occupent de l’homme ne devraient pas avoir recours aux méthodes et concepts des sciences de la nature, sous peine de passer à côté de la spécificité de leur objet. Ainsi on rencontre aujourd’hui des disciplines qui essaient de naturaliser l’homme :
La pensée ne serait que l’activité du cerveau, les fonctions supérieures de l’intelligence seraient analogues à l’activité de machines comme les ordinateurs, et les neurosciences seraient capables d’expliquer la diversité des comportements humains.
De même, certaines sciences humaines se sont constituées en essayant d’imiter la rationalité et les méthodes des sciences de la nature. Par exemple la sociologie qui essaie d’avoir recours aux méthodes des sciences naturelles : observation, mesure, expérimentation. D’autre part en se soumettant aux mêmes exigences d’objectivité, c’est-à-dire en traitant les faits humains de l’extérieur, comme des choses objectivement observables.
Durkheim dira : “ la première règle et la plus fondamentale est de considérer les faits sociaux comme des choses “.
C’est ainsi qu’il va étudier statistiquement le phénomène du suicide, en le mettant en rapport avec différents facteurs sociaux comme la groupe social auquel la personne appartenait, sa religion, le célibat etc et en reliant statistiquement le suicide à ces différents facteurs.
De même en démographie, l’étude des naissances met en relation fécondité, revenus des familles, appartenance à tel ou tel groupe social avec d’autres facteurs comme l’âge, l’adoption ou non d’une pratique contraceptive, l’appartenance religieuse, le niveau de vie ou d’éducation etc.

Sans doute valable dans certains domaines, mais ne peut rendre compte de ce qu’il y a de spécifique dans les faits de culture ou dans les événements historiques. L’histoire par exemple, doit faire intervenir des acteurs, qui avaient des buts, des projets, des idéologies dont il faut essayer de percer la signification : par exemple, que voulait Hitler en planifiant la solution finale ?

D’où plusieurs questions : les faits humains relèvent-ils exclusivement de l’interprétation ou peut-on aussi les expliquer ? D’autre part, dans les sciences de la nature, n’y a-t-il aucune place pour l’interprétation ?

Le positivisme dire qu’il faut épurer la vraie connaissance scientifique de toute interprétation, puisque celle-ci n’est pas testable, et que l’on peut toujours proposer des interprétations gratuites ou incompatibles, parce que par principe, l’interprétation n’est pas testable expérimentalement.

Prendre l’exemple peut-être le plus clair, celui de l’interprétation freudienne des rêves.

Rappel de la distinction clef de Freud :

Toutes les tentatives faites jusqu’à présent pour élucider les problèmes du rêve s’attachaient à son contenu manifeste, tel que nous le livre le souvenir, et s’efforçaient d’interpréter ce contenu manifeste. Lors même qu’elles renonçaient à l’interprétation, elles se fondaient encore sur ce contenu manifeste.
Nous sommes seuls à avoir tenu compte de quelque chose d’autre : pour nous, entre le contenu du rêve et les résultats auxquels parvient notre étude, il faut insérer un nouveau matériel psychique, le contenu latent ou les pensées du rêve, que met en évidence notre procédé d’analyse. C’est à partir de ces pensées latentes et non à partir du contenu manifeste que nous cherchons la solution.
De là vient qu’un nouveau travail s’impose à nous. Nous devons rechercher quelles sont les relations entre le contenu manifeste du rêve et les pensées latentes et examiner le processus par lequel celles-ci ont produit celui-là.
Les pensées du rêve et le contenu du rêve nous apparaissent comme deux exposés des mêmes faits en deux langues différentes ; ou mieux, le contenu du rêve nous apparaît comme une transcription des pensées du rêve, dans un autre mode d’expression, dont nous ne pouvons connaître les signes et les règles que quand nous aurons comparé la traduction et l’original. Nous comprenons les pensées du rêve d’une manière immédiate dès qu’elles nous apparaissent. Le contenu du rêve nous est donné sous forme de hiéroglyphes, dont les signes doivent être successivement traduits dans la langue des pensées du rêve. On se trompera évidemment si on veut lire ces signes comme des images et non selon leur signification conventionnelle. Supposons que je regarde un rébus : il représente une maison sous le toit de laquelle on voit un canot, puis une lettre isolée, un personnage sans tête qui court, etc. Je pourrais déclarer que ni cet ensemble, ni ses diverses partes n’ont de sens. Un canot ne doit pas se trouver sur le toit d’une maison et une personne qui n’a pas de tête ne peut pas courir ; de plus, la personne est plus grande que la maison, et, en admettant que le tout doive représenter un paysage, il ne convient pas d’y introduire des lettres isolées, qui ne sauraient apparaître dans la nature. Je ne jugerai exactement le rébus que lorsque je renoncerai à apprécier ainsi le tout et les parties, mais m’efforcerai de remplacer chaque image par une syllabe ou par un mot qui, pour une raison quelconque, peut être représenté par cette image. Ainsi réunis, les mots ne seront plus dépourvus de sens, mais pourront former quelque belle et profonde parole. Le rêve est un rébus, nos prédécesseurs ont commis la faute de vouloir l’interpréter en tant que dessin. C’est pourquoi il a paru absurde et sans valeur.

Sigmund Freud. L’interprétation des rêves. ( 1900 )

Exemple d’interprétation de rêve :

Il voyage en chemin de fer. Le train s’arrête en pleine campagne. Il pense qu’il s’agit d’un accident, qu’il faut songer à se sauver, traverse tous les compartiments du train et tue tous ceux qu’il rencontre : conducteur, mécanicien, etc.
À cela se rattache le souvenir d’un récit fait par un ami. Sur un chemin de fer italien, on transportait un fou dans un compartiment réservé, mais par mégarde, on avait laissé un voyageur entrer dans le même compartiment. Le fou tua le voyageur. Le rêveur s’identifie donc avec le fou et justifie son acte par la représentation obsédante, qui le tourmente de temps à autre, qu’il doit “ supprimer tous les témoins “. Mais il trouve ensuite une meilleure motivation qui forme le point de départ du rêve. Il a revu la veille au théâtre la jeune fille qu’il devait épouser, mais dont il s’était détaché parce qu’elle le rendait jaloux. Vu l’intensité que peut atteindre chez lui la jalousie, il serait réellement devenu fou s’il avait épousé cette jeune fille. Cela signifie : il la considère comme si peu sûre, qu’il aurait été obligé de tuer tous ceux qu’il aurait trouvés sur son chemin, car il eût été jaloux de tout le monde. Nous savons déjà que le fait de traverser une série de pièces ( ici de compartiments ) est le symbole du mariage.
À propos de l’arrêt du train en pleine campagne et de la peur d’un accident, il nous raconte qu’un jour où il voyageait réellement en chemin de fer, le train s’était subitement arrêté entre deux stations. Une jeune dame qui se trouvait à côté de lui déclare qu’il va probablement se produire un accident et que dans ce cas la première précaution à prendre est de lever les jambes en l’air. Ces “ jambes en l’air “ ont aussi joué un rôle dans les nombreuses promenades et excursions à la campagne qu’il fit avec la jeune fille au temps heureux de leurs premières amours. Nouvelle preuve qu’il faudrait qu’il fût fou pour l’épouser à présent. Et pourtant la connaissance que j’avais de la situation me permet d’affirmer que le désir de commette cette folie n’en persistait pas moins chez lui.

Sigmund Freud. Introduction à la psychanalyse. ( 1916-1917 )

N’y a-t-il pas là le risque de la gratuité de l’interprétation ? Objection de Popper. Les thèses de Freud n’ont aucune pertinence parce qu’elles ne sont pas réfutables.


J’ai proposé de prendre pour critère en la matière la possibilité pour un système théorique, d’être réfuté ou invalidé. Selon cette conception, un système doit être tenu pour scientifique seulement s’il formule des assertions pouvant entrer en conflit avec certaines observations. Les tentatives pour provoquer des conflits de ce type, c’est-à-dire pour réfuter ce système permettent en fait de le tester. Pouvoir être testé, c’est pouvoir être réfuté, et cette propriété peut donc servir, de la même manière, de critère de démarcation.
Cette conception voit dans la démarche critique la caractéristique essentielle de la science. Le savant doit donc étudier les théories sous l’angle de leur aptitude à être examinées de manière critique : il se demande si celles-ci se prêtent à des critiques de toute nature et, lorsque tel est le cas, si elles sont en mesure d’y résister. La théorie de Newton, par exemple, prédisant certains écarts par rapport aux lois de Kepler ( en raison des interactions entre planètes ), alors que ceux-ci n’avaient pas été observés. Elle s’exposait en conséquence à des tentatives de réfutation dont l’échec allait signifier le succès de cette théorie. La théorie einsteinienne a été testée de manière analogue. Et de fait, tous les tests effectifs constituent des tentatives de réfutation. Ce n’est que lorsqu’une théorie est parvenue à supporter les contraintes de ce genre d’efforts qu’on pourra affirmer qu’elle se trouve confirmée ou corroborée par l’expérience.
Parmi les théories, certaines pourront être très bien testées, d’autres se prêteront très difficilement à être testées, d’autres encore seront impossibles à tester. Les dernières n’intéressent pas les chercheurs des sciences empiriques. On peut les qualifier de métaphysiques.

Karl Popper. Conjectures et réfutations.

Qu’est-ce alors qu’une bonne interprétation ? Par exemple d’une oeuvre d’art ? L’interprète se doit de posséder des connaissances nombreuses et variées en histoire, sociologie, histoire des techniques, sciences. Mais comment garantir la bonne interprétation ? Par exemple celle du Château de Kafka. Expliquer rapidement. C’est justement ce qui ferait la grandeur de l’oeuvre d’art d’être un réservoir de significations multiples qui peuvent être interprétées de nouveau à chaque génération, alors qu’un roman de hall de gare a épuisé sa signification à la première lecture.
Ou alors interprétation d’un phénomène historique comme la révolution française. Tous les historiens sont d’accord sur les faits qui sont tous connus, dates, événements marquants etc mais quelle est la signification de la révolution ? Interprétation marxiste ou libérale. Expliquer.

Ensuite : n’y a-t-il aucune place pour l’interprétation en sciences ? Exemple de la théorie darwinienne de l’évolution. Tout le monde d’accord sur les grands principes mais différentes interprétations : à propos de la présence ou non de la finalité dans l’évolution. Ou encore interprétation gradualiste, saltationniste ou équilibres ponctués. ( Équilibres ponctués est un développement de la théorie de l'évolution proposée par deux paléontologues américains, Stephen Jay Gould et Niles Eldredge. Elle postule que l'évolution comprend de longues périodes d'équilibre ponctuées de brèves périodes de changements importants comme la spéciation ou les extinctions. )