vendredi 11 juin 2010

L'interprétation

L’interprétation


Les enjeux de la notion – une première définition



Interpréter, c’est remonter d’un signe à sa signification ou, plus largement encore, c’est tâcher de rendre compréhensible, saisissable par la pensée, des objets, des faits et des problèmes qui se présentent comme complexes, énigmatiques, évanescents, vastes, etc. Mais il faut remarquer que les théorèmes mathématiques et les faits de la nature, bien qu’en certaines circonstances on puisse dire qu’ils sont interprétés, sont soumis le plus souvent à des procédés non interprétatifs : les théorèmes mathématiques font l’objet de démonstration, les faits naturels font l’objet d’explication en vertu d’une application des lois de la physique. En ce sens, on aimerait peut-être dire que l’interprétation n’est rien d’autre qu’une connaissance de second rang, possédant un faible degré de scientificité et se situant d’une certaine manière entre l’opinion et la science. Un tel jugement sur l’interprétation, qui prendrait comme modèles les sciences naturelles, ne comprendrait cependant son objet que négativement, par référence à ce qui est lui est supérieur sous un aspect déterminé. Or, il faut porter une grande attention à la diversité des usages de l’interprétation : on peut ainsi penser à l’interprétation d’une loi, qui en détermine le champ d’application, interprétation indispensable à toute jurisprudence devant ramener l’universel de la loi à la singularité du cas à juger, ou encore à l’interprétation en linguistique, et notamment l’interprétation sémantique permettant d’attribuer un sens à une structure profonde. D’une manière générale, ce qui distingue, cette fois-ci positivement, l’interprétation d’autres formes de connaissance, c’est qu’elle n’est pas exclusive ou unique en ce sens, premièrement, qu’il est possible qu’existe une multiplicité d’interprétations sans qu’il y ait là une anomalie ou une insuffisance et, deuxièmement, qu’une interprétation n’est jamais close, autrement dit qu’elle appelle sans cesse de nouvelles interprétations, la tâche interprétative étant infini. Nous débuterons ce cours en exposant les conceptions de l’interprétation de l’Antiquité grecque au Moyen-Âge avant de nous concentrer sur le sens et la fonction de l’interprétation à l’époque moderne dans laquelle elle joue un rôle de premier ordre dans cette discipline qu’est l’herméneutique ainsi que dans les sciences humaines.
Bref aperçu sur l’histoire de l’interprétation



« Donc, repris-je, il est alors nécessaire, dans de tels cas, que l'âme soit dans l'embarras sur ce que ce sens peut bien signaler comme « le dur », si en effet il dit que la même chose est aussi molle ; et avec celui du léger et du lourd, qu'en est-il du léger et lourd, s'il signale aussi bien le lourd comme léger que le léger comme lourd ? Et en effet, dit-il, ces interprétations sont vraiment insolites pour l'âme et ont besoin d'une enquête. Vraisemblablement donc, repris-je, dans de telles situations, l'âme tente tout d'abord, en faisant appel au raisonnement et à l'intelligence, d'examiner si chacune des choses qui lui sont dénoncées est une ou deux. » Platon, La République.



Le mot grec qui a été traduit en latin par interpretatio, puis en français par interprétation est le mot herméneia. Platon l’utilise notamment désigner chacune des multiples impressions (sensibles) opposées qui sont causées par certains objets, ces derniers se distinguant des objets saisissables dans leur unité par l’intelligence. Il n’y a donc d’interprétation qu’à partir du moment où il y a des interprétations. De plus, ce sont les sens qui interprètent les phénomènes, en donnent une traduction à l’âme. Les sens produisent des signes ou des signaux à destination de l’intelligence. En un autre sens, Platon évoque les poètes en tant qu’ils sont des interprètes des dieux ou encore ceux qui interprètent les oracles. L’art interprétatif se rapproche ici d’un art consistant à décoder des messages. Aristote quant à lui intitule l’un de ses traités De l’interprétation (Peri hermeneias). Selon lui, la langue est l’interprète des pensées en ce sens qu’elle les exprime, les présente à l’extérieur (le traité mentionné ci-dessus est également connu sous le nom de De la proposition). L’interprétation est expression, manifestation du logos.



Au Moyen-Âge, Thomas d’Aquin définit l’interprétation comme la découverte de la signification cachée d’un texte. Cette conception, qui prédomine au Moyen-Âge, est bien entendu liée à l’exégèse des Saintes Écritures, de la Bible. Se pose par exemple la question de savoir si les évènements décrits dans l’Ancien Testament, puis dans le Nouveau Testament, sont des images, s’ils sont susceptibles d’une interprétation allégorique. À la Renaissance (chez des auteurs tels que Ficin ou Pic de la Mirandole), l’interprétation de l’Écriture Sainte se complexifie en intégrant notamment des éléments de la kabbale, la signification allégorique étant alors privilégiée. Ce n’est qu’ensuite que s’impose la nécessité de la recherche d’un critère permettant de limiter la multiplicité des interprétations et de découvrir (sous l’autorité de l’Église) le sens véritable des Écritures. En vient alors à être privilégié l’étude philologique et historique du texte, s’attachant avant tout à en découvrir l’ « esprit » (en se détachant si nécessaire de la « lettre »). C’est sur cette base que s’édifie la compréhension rationnelle de la Bible au 17ème siècle, notamment chez Spinoza qui œuvre pour une lecture de la Bible qui n’aille pas contre la liberté de penser.



On peut enfin se référer à Schleiermacher qui, au tournant des 18ème et 19ème siècle, propose une réflexion novatrice sur l’interprétation de tout texte dont le sens ne nous est pas immédiatement accessible en raison de la distance historique, psychologique, etc. qui nous sépare de lui. Le sens ne nous est plus caché parce que ce serait un sens divin mais parce qu’il présente une différence d’ordre historique et culturel avec le régime de sens qui nous est familier. L’herméneutique devient alors non plus seulement exégèse biblique mais science de l’interprétation des signes. En ce sens, l’histoire comme discipline, est le lieu privilégié du développement de l’art de l’interprétation. Enfin, Schleiermacher pose que le véritable enjeu de l’interprétation est de comprendre l’auteur du texte mieux qu’il ne s’est lui-même compris.
L’interprétation dans les sciences humaines



« On obtient un idéaltype en accentuant unilatéralement un ou plusieurs points de vue et en enchaînant une multitude de phénomènes donnés isolément, diffus et discrets, que l’on trouve tantôt en grand nombre, tantôt en petit nombre et par endroits pas du tout, qu’on ordonne selon les précédents points de vue choisis unilatéralement, pour former un tableau de pensée homogène. On ne trouvera nulle part empiriquement un pareil tableau dans sa pureté conceptuelle : il est une utopie » Weber, Essai sur la théorie de la science.



L’interprétation acquiert un rôle de premier ordre avec Dilthey, auteur de la célèbre distinction entre sciences naturelles et sciences de l’esprit du point de vue de leurs procédés, l’explication et la compréhension. Les sciences naturelles expliquent les phénomènes en leur appliquant des lois générales, en les ramenant à leurs causes physiques, c’est-à-dire en subsumant le singulier sous l’universel. Les sciences de l’esprit s’attachent au contraire à comprendre les phénomènes (historiques, psychiques, etc.), à en saisir l’unité de sens, l’intention, la raison. C’est la conscience qui est leur objet. Dilthey écrit : « Nous appelons compréhension, le processus par lequel nous connaissons un « intérieur » à l’aide de signes perçus de l’extérieur ». Cette compréhension ne va pas sans interprétation. Celle-ci est « la compréhension intentionnelle des manifestations de la vie qui sont établies de manière durable ». Étant donné que c’est dans la langue (et l’écriture) que cette manifestation est la plus parfaite, l’interprétation trouve son plus grand accomplissement dans l’étude des textes, et avant tout des textes historiques. De plus, la vie étant, selon Dilthey, « déjà elle-même sa propre interprétation » (elle se donne un sens), les sciences de l’esprit sont engagées dans un cercle herméneutique inaccessible aux méthodes des sciences naturelles. Notons enfin que la compréhension et l’interprétation, loin de se réduire à « l’arbitraire romantique » et au « subjectivisme sceptique », prétendent à la certitude, à la validité universelle des connaissances qu’elles produisent.



En sociologie, Durkheim conteste cette spécificité des sciences humaines. Les faits sociaux sont, selon lui, susceptibles d’êtres traités comme des choses. Dire de la sociologie qu’elle est une science, revient à dire qu’elle est « naturaliste », (sans que cela engage une position métaphysique sur l’essence des choses sociales). Weber s’oppose à son tour à Durkheim et défend une sociologie compréhensive : « Nous appelons sociologie une science qui se propose de comprendre par interprétation l'action sociale et par là d'expliquer causalement son déroulement et ses effets.» Les sciences sociales ne peuvent s’aligner sur le modèle des sciences naturelles car elles ont affaire à des actions, celles-ci se rattachant à des intentions et possédant un sens subjectif. La sociologie n’est pas à la recherche de causes (du moins dans un premier temps) mais de motifs ou raisons. Le sociologue a alors pour tâche de produire des idéaltypes, c’est-à-dire d’ordonner une multiplicité de points de vue sur les phénomènes en un tableau de pensée qui n’est rien d’autre qu’une utopie.



Intéressons-nous à présent à l’interprétation telle qu’elle est pratiquée en psychanalyse. On pense en premier lieu à L’interprétation des rêves de Freud. Le rêve est un objet privilégié en ce sens qu’il témoigne d’une certaine forme de « relâchement » de la conscience à la faveur duquel les contenus psychiques refoulés dans l’inconscient peuvent se manifester sous des formes détournées. Freud distingue le contenu manifeste du rêve de ses idées latentes, le premier étant une expression symbolique des désirs refoulés. C’est ici que le rêve exige une méthode interprétative dans la mesure où il est nécessaire de « décoder » le langage du rêve pour faire apparaître le sens caché, c’est-à-dire le contenu psychique refoulé. Ajoutons que cette interprétation, qui se distingue totalement de l’interprétation que l’individu peut donner de son propre rêve, doit s’attacher à des éléments qui, à première vue, paraissent accidentels, anodins, sans importance.
L’herméneutique au 20ème siècle



« Quiconque cherche à comprendre est exposé aux erreurs suscitées par des préconceptions qui n'ont pas subi l'épreuve des choses elles-mêmes. Telle est la tâche constante du comprendre : élaborer les projets justes et appropriés à la chose, qui en tant que projets sont des anticipations qui n'attendent leur confirmation que des "choses elles-mêmes". » Gadamer, Vérité et méthode.



Dans la philosophie du 20ème siècle, l’interprétation joue un rôle fondamental. C’est le cas notamment dans l’ontologie existentiale de Heidegger, ontologie qui est tout à la fois une herméneutique. Dans Être et temps, Heidegger s’attache à penser le sens de l’être et, pour cela, il enracine sa réflexion dans l’être d’un étant particulier, le Dasein (c’est-à-dire l’homme en ses structures a priori d’existence, structures existentiales). Pourquoi le Dasein et pas tel animal, tel plante ou encore tel objet inanimé ? C’est que le Dasein dispose d’un privilège : dans son existence quotidienne, il a une pré-compréhension ou pré-entente de l’Être. C’est à un approfondissement ou une « articulation » de cette compréhension que se livre le philosophe, qui interprète ce qui est déjà interprétation et s’engage ainsi dans un cercle herméneutique qui n’a rien d’un cercle vicieux. Mais quelle est l’origine de la pré-compréhension ? Cette origine réside justement dans le fait que le Dasein n’est pas à lui-même sa propre origine, qu’il est jeté dans le monde et qu’il est toujours déjà en prise (tant d’un point de vue pratique que « théorique ») avec celui-ci. Autrement dit, il est tout à fait vain d’espérer avoir un accès à un prétendu monde objectif, non encore investi par l’homme. L’explication, au sens des sciences naturelles, n’est en aucun cas un retour en deçà de l’interprétation de son monde par le Dasein ; tout au contraire, elle dérive de cette interprétation, en est un mode spécifique.



Gadamer prolonge le projet herméneutique de Heidegger. Il pose que l’existence s’identifie à la compréhension par le Dasein de son monde. Son premier objet de réflexion est l’œuvre d’art. Celle-ci, dit-il, se refuse à une connaissance factuelle, cette dernière oubliant le dialogue que l’homme entretient avec le monde ; or, c’est un tel dialogue que nous avons avec l’œuvre d’art bien que son historicité (ou temporalité) propre est différente de l’historicité de notre conscience, et qu’il existe donc une distance entre elle et nous. Comprendre une œuvre d’art, c’est interpréter un sens passé dans notre expérience présente. Gadamer rompt avec les Lumières en ce qu’il refuse leur condamnation sans appel de la tradition. Il ne s’agit pas pour lui de se défaire de nos préjugés, car il est impossible que nous soyons sans préjugés, ceux-ci étant les conditions de possibilités de la compréhension, de l’interprétation. L’enjeu est bien plutôt d’interroger ces préjugés, de les mettre en question. Enfin, Gadamer insiste sur la dimension langagière de l’interprétation, sur le statut de medium du sens assurée par le langage.



L’herméneutique fut également un objet d’investigation pour Ricœur. Celui-ci (qui s’inspire notamment du travail de Freud) cherche à étendre les notions mêmes de l’interprétation des textes à celle de la pratique. L’expérience et l’action humaines deviennent ainsi susceptibles d’une compréhension en termes d’œuvres, d’auteurs, de lecteurs, etc. Derrida enfin développe une pensée de l’interprétation dont le modèle n’est pas le dialogue interhumain, mais le « dialogue » avec cet « être » muet et source de possible mésentente qu’est le texte.


Excursus



« Mais je pense que nous sommes aujourd'hui éloignés tout au moins de cette ridicule immodestie de décréter à partir de notre angle que seules seraient valables les perspectives à partir de cet angle. Le monde au contraire nous est redevenu “infini” une fois de plus : pour autant que nous ne saurions ignorer la possibilité qu'il renferme une infinité d'interprétations. Une fois encore le grand frisson nous saisit : mais qui donc aurait envie de diviniser, reprenant aussitôt cette ancienne habitude, ce monstre de monde inconnu ? Hélas, il est tant de possibilités non divines d'interprétation inscrites dans cet inconnu, trop de diableries, de sottises, de folles d'interprétation, notre propre nature humaine, trop humaine interprétation, que nous connaissons... » Nietzsche, Le gai savoir.



Nous aimerions présenter enfin les conceptions de l’interprétation de deux penseurs qui, aussi différents soient-ils, avaient en commun de nous pouvoir trouver que difficilement leur place dans la continuité de l’exposé qui précède. C’est le cas tout d’abord de Nietzsche qui écrit : « il n’y a pas de faits, rien que des interprétations ». En effet, la réalité fondamentale pour Nietzsche, bien loin d’être la « vérité » défendue par les métaphysiciens, est la vie en tant que multiplicité de désirs, hiérarchie de pulsions, lutte des instincts. La vie est volonté de puissance, expansion, devenir. L’idée d’une connaissance ou d’une morale du désintéressement est une illusion produite en accord avec un certain type de vie (dont le symbole est Socrate), une vie malade qui nie les passions et ce qu’elles ont de terrible, de tragique, en leur opposant l’être en soi, l’idéal, la morale, etc. C’est par conséquent une vie qui en se niant elle-même, est mensonge, négation de la seule réalité possible. La morale chrétienne ou platonicienne est donc une interprétation, décadente, des puissances vitales, corporelles, une certaine perspective prise sur celles-ci. Mais il ne faudrait pas croire que revenir à la réalité de la vie sensible (que les métaphysiciens qualifient d’apparence), ce serait enfin accéder aux choses en chair et en os. Que notre rapport aux choses soit en premier lieu affectif signifie que s’y mêle irréductiblement des besoins et des intérêts. Nous n’avons pas premièrement un affect ou un désir qui serait ensuite la source d’une interprétation ou d’un jugement (en quoi il serait par exemple possible de réformer ce dernier, l’égoïsme pouvant se transformer en altruisme). C’est la vie affective elle-même qui est interprétation de telle manière que pour comprendre un jugement, il faille remonter à ses motivations pulsionnelles, aux impulsions qui ont conduit à le produire. Dans l’ordre de la connaissance, aucune explication unique ne saurait triompher car la multiplicité des interprétations est constitutive de la vie.



Dans la philosophie anglo-saxonne, Peirce (né 5 ans avant Nietzsche) intègre la notion d’interprétation dans sa philosophie pragmatiste du signe. L’interprétation est le domaine des effets véhiculés par les signes, dans un processus dans lequel le representamen (le signe matériel) dénote un objet (ce dont on parle). L’interprétant (l’effet) joue le rôle d’intermédiaire entre ces deux éléments ; il assure leur liaison. Il peut être de nature émotive (il suscite des sentiments), énergétique (il engage des actions) ou logique (il provoque des représentations dans l’esprit des interlocuteurs). Ainsi, si je parle à un ami du président de la république, et s’il me comprend, c’est que nous partageons un même interprétant (logique), le concept de président. Le processus d’interprétation se poursuit alors : la discussion peut continuer par l’évocation d’un président particulier, signe qui appelle lui-même d’autres interprétants et ainsi de suite. Cette chaîne d’interprétations a cependant une fin dans la mesure où les possibilités de pensée s’épuisent. Mais ce n’est en réalité le cas que si l’on considère exclusivement les interprétants logiques (les concepts, représentations) ; les interprétants émotifs et énergétiques, en tant qu’ils sont sources d’affection et surtout d’action semblent conférer une ouverture indéfinie à l’interprétation, cette dernière se présentant alors comme un processus jamais achevé en ce qu’elle nous engage sans cesse dans de nouveaux rapports avec le monde. Notons pour finir que Peirce a eu une postérité importante dans cette discipline qu’est la sémiotique, science des signes et des systèmes signifiants.






Ce qu’il faut retenir



- La philosophie antique : Le mot interprétation vient du mot grec herméneia. Pour Platon, les interprétations sont les multiples impressions sensibles opposées que peut provoquer un objet. Les sens sont les interprètes des phénomènes, ils en donnent une traduction à l’âme. Pour Aristote, l’interprétation est l’expression, la présentation à l’extérieur des pensées opérée grâce à la langue.



- L’interprétation de la Bible : Au Moyen-Âge, prédomine le sens de l’interprétation comme découverte de la signification cachée d’un texte. Elle se confond presque entièrement avec l’exégèse de la Bible.



- La distance historique : Schleiermacher s’intéresse à l’interprétation des textes en général. Il s’agit toujours de découvrir un sens caché mais celui–ci ne l’est qu’en raison des différences culturelles, historiques, psychologiques qui nous séparent de lui. De plus, l’enjeu pour l’interprète est de comprendre l’auteur mieux qu’il ne pouvait lui-même se comprendre.



- Compréhension et interprétation : Dilthey affirme que la compréhension des manifestations de l’esprit ne repose pas sur des lois, sur une causalité comme les phénomènes naturels. Elle exige une saisie de l’unité de sens, des intentions, des raisons. Elle appelle l’interprétation, c’est-à-dire « la compréhension intentionnelle des manifestations de la vie qui sont établies de manière durable ».



- Sociologie et psychanalyse : Pour Weber, la sociologie (compréhensive), avant d’expliquer les conséquences des actions sociales, saisit celle-ci par interprétation. Cette dernière est exigée pour comprendre le sens subjectif que possède l’action. En psychanalyse, Freud se livre à une interprétation des rêves, visant à « décoder » le langage (le contenu manifeste) du rêve qui exprime de manière symbolique les désirs refoulés (sens latent du rêve).



- La pré-compréhension du monde : Pour Heidegger, le Dasein (l’homme dans ses structures existentielles) est jeté dans le monde, il est toujours déjà en prise avec celui-ci de telle manière qu’il en a d’emblée une pré-compréhension. Il est impossible d’accéder à un prétendu monde objectif antérieur à son interprétation par l’homme. L’attitude théorique est au contraire une dérivation de ce rapport « primitif » au monde qui est constitutif de l’existence.



- Interprétation et tradition : Comprendre une œuvre d’art pour Gadamer, c’est interpréter un sens passé dans une expérience présente, du point de vue de notre tradition. Gadamer s’oppose à la critique de la tradition par les penseurs des Lumières. Se défaire de nos préjugés est impossible en ce qu’ils sont la condition de possibilité de la compréhension. La tâche de l’herméneutique est bien plutôt d’interroger ces préjugés



- L’interprétation comme phénomène vital : Nietzsche affirme qu’il est impossible de découvrir des « faits bruts ». Tout rapport aux choses est d’emblée interprétatif en tant qu’il est nécessairement affectif. Un tel rapport s’enracine dans nos besoins, nos intérêts ; il se réalise en fonction d’une structure pulsionnelle, d’une hiérarchie d’instincts en lutte. L’explication unique d’un phénomène est nécessairement un mensonge masquant la multiplicité des phénomènes.



- Les interprétants : Pour Peirce, l’interprétation est un moment essentiel dans le processus de la signification. Elle est le domaine des effets du signe. L’interprétant (l’effet) peut-être de nature émotive, énergique, logique. Le signe est ainsi source de sentiments, d’actions, de représentations.









Alors que la démonstration relève d’une démarche rationnelle et savante, l’interprétation peut être considérée comme une activité commune de l’homme et même des êtres vivants en général. Lorsqu’un animal réagit aux intonations de la voix de son maître ou de ses expressions faciales, il interprète.
L’homme est quant à lui est un animal herméneutique ( expliquer la notion - ensemble des connaissances et des techniques qui permettent de faire parler des signes et de découvrir leur sens. C’est la recherche de la signification des symboles, des mythes, des allégories, des récits religieux et de tous les procédés non directement signifiants pour la pensée claire, à travers lesquels l’humanité a traduit sa condition depuis l’apparition de la conscience ) tout simplement parce qu’il est un être parlant et un être de culture.
Être parlant :
S’il arrive à notre langue d’établir des préjugés, est-ce que cela veut dire qu’elle ne laisse toujours apparaître que de la non-vérité ? La langue ne se réduit pas à cela. Elle incarne plutôt l’interprétation préalable et englobante du monde et ne peut être remplacée par rien d’autre. Avant que ne commence la pensée philosophique critique, le monde s’est toujours déjà interprété dans une langue. C’est en apprenant une langue, en grandissant dans notre langue maternelle que s’articule pour nous le monde. Cela est moins un égarement qu’une première ouverture. Cela signifie bien sûr que la formation des concepts qui s’effectue au sein de cette interprétation langagière ne peut jamais être un premier commencement. Ce n’est pas comme l’acte de forger un nouvel outil à partir d’un matériau approprié. Cela s’apparente plutôt à un prolongement de la pensée qui est à l’oeuvre dans la langue que nous parlons et dans l’interprétation du monde qui s’y trouve déposée. Nulle part n’y commence-t-on à zéro. Il ne fait bien sûr aucun doute que la langue à travers laquelle se présente l’interprétation du monde est aussi un produit et le résultat de l’expérience. L’expérience n’est pas d’abord une affaire de sensation. Ce n’est pas le fait de partir des sens et de leurs données qui peut être appelé expérience. Nous avons appris à voir en quoi les données des sens s’articulent aussi selon différents contextes d’interprétation et en quoi la perception, qui saisit quelque chose de vrai, a toujours déjà interprété le témoignage des sens bien avant l’immédiateté des données sensibles. Il est dès lors permis d’affirmer que d’un point de vue herméneutique la formation des concepts reste constamment conditionnée par la langue déjà parlée. Mais s’il en est bien ainsi, le seul chemin philosophique honnête est alors de prendre conscience de la relation entre le mot et le concept comme d’une relation essentielle qui détermine notre pensée.

Hans Georg Gadamer. L’histoire des concepts comme philosophie ( 1970 )

Ensuite, être de culture : nous sommes des êtres historiques dont le passé n’a pas un sens évident. L’histoire humaine est à interpréter. Nous vivons parmi des oeuvres, mythes, textes religieux, oeuvres d’art dont le sens doit être dégagé.

Le mot interprétation vient du latin interpres, qui désigne le médiateur, l’intermédiaire, l’agent entre deux parties, puis par extension celui qui traduit. L’interprète est celui qui traduit d’une langue dans une autre.

Herméneutique est lié au dieu Hermès, qui était le messager entre les hommes et les dieux.
Constamment l’homme interprète la réalité, c’est sa façon la plus banale de s’y rapporter. Quand on scrute l’état du ciel pour savoir le temps qu’il fera, on interprète l’état du ciel. Quand on écoute autrui, on interprète ses paroles pour savoir ce qu’il veut dire. Quand on veut découvrir le sens exact d’un texte religieux comme le Nouveau Testament, on se livre à une interprétation savante appelée exégèse. L’aptitude à interpréter certaines oeuvres d’art comme une pièce de piano de Bach peut faire de vous un interprète de génie.

Donc, interpréter, c’est essayer de dégager le sens d’oeuvres, d’événements, de comportements qui nous sont étrangers, ou de phénomènes psychologiques étranges comme les rêves, soit qu’ils nous viennent du passé, soit qu’ils viennent de cultures ou de civilisations qui nous sont étrangères.

En effet, il faut qu’il y ait au départ étrangeté ou ambiguïté dans ce qu’il y a à comprendre : on ne dira pas qu’il faut interpréter les signaux du code de la route, parce que leur sens est évident et univoque. On n’interprète pas non plus une équation mathématique, on la résout.

Le problème de l’interprétation commence quand une signification ne s’impose pas de toute évidence. Même dans la langue courante : “ la petite vieille garde le lit “ est une expression ambigue. Ou quand je dis : “ il est midi “. Le sens est évident mais la signification ne l’est pas. L’expression peut signifier qu’il est l’heure de prendre l’avion, qu’il est temps d’aller manger ou que le cours de philosophie est terminé. Il faut partir du sens des mots pour découvrir la signification de l’expression.

Encore plus vrai quand il s’agit des oeuvres de l’esprit : la pensée doit se matérialiser pour prendre une consistance, elle doit se transformer en récits, en poèmes, en monuments ou en documents de toutes sortes. Le danger est celui de la réification, c’est-à-dire que la lettre remplace ce qui a surgi un jour de l’esprit.
Interpréter c’est alors retrouver derrière la lettre d’une oeuvre ou d’une institution ce que l’auteur a voulu dire. Particulièrement vrai quand il s’agit par exemple d’oeuvres religieuses comme le Nouveau Testament qui utilise un langage poétique, des symboles, des allégories dont il faut découvrir la signification. Faut-il prendre la résurrection de Lazare comme un fait ou comme une allégorie qui aurait un sens moral ?

Donc, l’interprétation aurait à faire avec l’homme et ses créations et non avec la nature, où il n’y a rien à interpréter mais tout à expliquer.

C’est le sens de la distinction faite par Dilthey entre sciences de la nature et sciences de l’esprit.

Les sciences de l’esprit ont le droit de déterminer elles-mêmes leurs méthodes en fonction de leur objet. Ces sciences doivent partir des concepts les plus universels de la méthodologie, essayer de les appliquer à leurs objets particuliers et arriver ainsi à se constituer dans leur domaine propre des méthodes et des principes plus précis, tout comme ce fut le cas pour les sciences de la nature. Ce n’est pas en transportant dans notre domaine les méthodes trouvées par les grands savants que nous nous montrons leurs vrais disciples, mais en adaptant notre recherche à la nature de ses objets et en nous comportant ainsi envers notre science comme eux envers la leur. Les sciences de l’esprit se distinguent tout d’abord des sciences de la nature en ce que celles-ci ont pour objet des faits qui se présentent à la conscience comme des phénomènes donnés isolément et de l’extérieur, tandis qu’ils se présentent à elles-mêmes de l’intérieur, comme une réalité et un ensemble vivant. Il en résulte qu’il n’existe d’ensemble cohérent de la nature dans les sciences physiques et naturelles que grâce à des raisonnements qui complètent les données de l’expérience au moyen d’une combinaison d’hypothèses. Dans les sciences de l’esprit, par contre, l’ensemble de la vie psychique constitue partout une donnée primitive et fondamentale. La nature, nous l’expliquons ; la vie de l’âme, nous la comprenons. Car les opérations d’acquisition, les différentes façons dont les fonctions, ces éléments particuliers de la vie mentale, se combinent en un tout, nous sont donnés aussi par l’expérience interne. L’ensemble vécu est ici la chose primitive ; la distinction des choses qui le composent ne vient qu’en second lieu. Il s’ensuit que les méthodes au moyen desquelles nous étudions la vie mentale, l’histoire et la société, sont très différentes de celles qui ont conduit à la connaissance de la nature.

Dilthey. Idées concernant une psychologie descriptive et analytique. ( 1894 )

Pour Dilthey, nous expliquons les phénomènes naturels et nous comprenons les phénomènes humains.
Définir la notion d’explication telle qu’elle fonctionne par exemple en physique. Dégager des lois, c’est-à-dire des relations de causalité constantes entre des phénomènes, relation pouvant être mathématiquement formulée. Par exemple, la loi de la gravitation universelle formulée par Newton.

“ Deux corps ponctuels de masse MA et MB s'attirent avec une force proportionnelle à chacune des masses, et inversement proportionnelle au carré de la distance qui les sépare. Cette force a pour direction la droite passant par le centre de gravité de ces deux corps. “

D’après cette distinction faite par Dilthey, croire qu’il y aurait quelque chose à interpréter dans la nature serait le reflet d’une mentalité pré-logique ou mythique comme quand on croyait dans l’antiquité que les mouvements brusques du sol étaient l’expression de la colère d’une divinité. Cette méthode d’interprétation est le reflet de l’enfance de l’esprit humain. Correspond à un besoin de se rassurer : quand on donne un sens à un phénomène incompréhensible, on le rend plus familier et on peut éventuellement croire qu’on peut agir dessus, par des prières par exemple.

D’autre part, les sciences et disciplines qui s’occupent de l’homme ne devraient pas avoir recours aux méthodes et concepts des sciences de la nature, sous peine de passer à côté de la spécificité de leur objet. Ainsi on rencontre aujourd’hui des disciplines qui essaient de naturaliser l’homme :
La pensée ne serait que l’activité du cerveau, les fonctions supérieures de l’intelligence seraient analogues à l’activité de machines comme les ordinateurs, et les neurosciences seraient capables d’expliquer la diversité des comportements humains.
De même, certaines sciences humaines se sont constituées en essayant d’imiter la rationalité et les méthodes des sciences de la nature. Par exemple la sociologie qui essaie d’avoir recours aux méthodes des sciences naturelles : observation, mesure, expérimentation. D’autre part en se soumettant aux mêmes exigences d’objectivité, c’est-à-dire en traitant les faits humains de l’extérieur, comme des choses objectivement observables.
Durkheim dira : “ la première règle et la plus fondamentale est de considérer les faits sociaux comme des choses “.
C’est ainsi qu’il va étudier statistiquement le phénomène du suicide, en le mettant en rapport avec différents facteurs sociaux comme la groupe social auquel la personne appartenait, sa religion, le célibat etc et en reliant statistiquement le suicide à ces différents facteurs.
De même en démographie, l’étude des naissances met en relation fécondité, revenus des familles, appartenance à tel ou tel groupe social avec d’autres facteurs comme l’âge, l’adoption ou non d’une pratique contraceptive, l’appartenance religieuse, le niveau de vie ou d’éducation etc.

Sans doute valable dans certains domaines, mais ne peut rendre compte de ce qu’il y a de spécifique dans les faits de culture ou dans les événements historiques. L’histoire par exemple, doit faire intervenir des acteurs, qui avaient des buts, des projets, des idéologies dont il faut essayer de percer la signification : par exemple, que voulait Hitler en planifiant la solution finale ?

D’où plusieurs questions : les faits humains relèvent-ils exclusivement de l’interprétation ou peut-on aussi les expliquer ? D’autre part, dans les sciences de la nature, n’y a-t-il aucune place pour l’interprétation ?

Le positivisme dire qu’il faut épurer la vraie connaissance scientifique de toute interprétation, puisque celle-ci n’est pas testable, et que l’on peut toujours proposer des interprétations gratuites ou incompatibles, parce que par principe, l’interprétation n’est pas testable expérimentalement.

Prendre l’exemple peut-être le plus clair, celui de l’interprétation freudienne des rêves.

Rappel de la distinction clef de Freud :

Toutes les tentatives faites jusqu’à présent pour élucider les problèmes du rêve s’attachaient à son contenu manifeste, tel que nous le livre le souvenir, et s’efforçaient d’interpréter ce contenu manifeste. Lors même qu’elles renonçaient à l’interprétation, elles se fondaient encore sur ce contenu manifeste.
Nous sommes seuls à avoir tenu compte de quelque chose d’autre : pour nous, entre le contenu du rêve et les résultats auxquels parvient notre étude, il faut insérer un nouveau matériel psychique, le contenu latent ou les pensées du rêve, que met en évidence notre procédé d’analyse. C’est à partir de ces pensées latentes et non à partir du contenu manifeste que nous cherchons la solution.
De là vient qu’un nouveau travail s’impose à nous. Nous devons rechercher quelles sont les relations entre le contenu manifeste du rêve et les pensées latentes et examiner le processus par lequel celles-ci ont produit celui-là.
Les pensées du rêve et le contenu du rêve nous apparaissent comme deux exposés des mêmes faits en deux langues différentes ; ou mieux, le contenu du rêve nous apparaît comme une transcription des pensées du rêve, dans un autre mode d’expression, dont nous ne pouvons connaître les signes et les règles que quand nous aurons comparé la traduction et l’original. Nous comprenons les pensées du rêve d’une manière immédiate dès qu’elles nous apparaissent. Le contenu du rêve nous est donné sous forme de hiéroglyphes, dont les signes doivent être successivement traduits dans la langue des pensées du rêve. On se trompera évidemment si on veut lire ces signes comme des images et non selon leur signification conventionnelle. Supposons que je regarde un rébus : il représente une maison sous le toit de laquelle on voit un canot, puis une lettre isolée, un personnage sans tête qui court, etc. Je pourrais déclarer que ni cet ensemble, ni ses diverses partes n’ont de sens. Un canot ne doit pas se trouver sur le toit d’une maison et une personne qui n’a pas de tête ne peut pas courir ; de plus, la personne est plus grande que la maison, et, en admettant que le tout doive représenter un paysage, il ne convient pas d’y introduire des lettres isolées, qui ne sauraient apparaître dans la nature. Je ne jugerai exactement le rébus que lorsque je renoncerai à apprécier ainsi le tout et les parties, mais m’efforcerai de remplacer chaque image par une syllabe ou par un mot qui, pour une raison quelconque, peut être représenté par cette image. Ainsi réunis, les mots ne seront plus dépourvus de sens, mais pourront former quelque belle et profonde parole. Le rêve est un rébus, nos prédécesseurs ont commis la faute de vouloir l’interpréter en tant que dessin. C’est pourquoi il a paru absurde et sans valeur.

Sigmund Freud. L’interprétation des rêves. ( 1900 )

Exemple d’interprétation de rêve :

Il voyage en chemin de fer. Le train s’arrête en pleine campagne. Il pense qu’il s’agit d’un accident, qu’il faut songer à se sauver, traverse tous les compartiments du train et tue tous ceux qu’il rencontre : conducteur, mécanicien, etc.
À cela se rattache le souvenir d’un récit fait par un ami. Sur un chemin de fer italien, on transportait un fou dans un compartiment réservé, mais par mégarde, on avait laissé un voyageur entrer dans le même compartiment. Le fou tua le voyageur. Le rêveur s’identifie donc avec le fou et justifie son acte par la représentation obsédante, qui le tourmente de temps à autre, qu’il doit “ supprimer tous les témoins “. Mais il trouve ensuite une meilleure motivation qui forme le point de départ du rêve. Il a revu la veille au théâtre la jeune fille qu’il devait épouser, mais dont il s’était détaché parce qu’elle le rendait jaloux. Vu l’intensité que peut atteindre chez lui la jalousie, il serait réellement devenu fou s’il avait épousé cette jeune fille. Cela signifie : il la considère comme si peu sûre, qu’il aurait été obligé de tuer tous ceux qu’il aurait trouvés sur son chemin, car il eût été jaloux de tout le monde. Nous savons déjà que le fait de traverser une série de pièces ( ici de compartiments ) est le symbole du mariage.
À propos de l’arrêt du train en pleine campagne et de la peur d’un accident, il nous raconte qu’un jour où il voyageait réellement en chemin de fer, le train s’était subitement arrêté entre deux stations. Une jeune dame qui se trouvait à côté de lui déclare qu’il va probablement se produire un accident et que dans ce cas la première précaution à prendre est de lever les jambes en l’air. Ces “ jambes en l’air “ ont aussi joué un rôle dans les nombreuses promenades et excursions à la campagne qu’il fit avec la jeune fille au temps heureux de leurs premières amours. Nouvelle preuve qu’il faudrait qu’il fût fou pour l’épouser à présent. Et pourtant la connaissance que j’avais de la situation me permet d’affirmer que le désir de commette cette folie n’en persistait pas moins chez lui.

Sigmund Freud. Introduction à la psychanalyse. ( 1916-1917 )

N’y a-t-il pas là le risque de la gratuité de l’interprétation ? Objection de Popper. Les thèses de Freud n’ont aucune pertinence parce qu’elles ne sont pas réfutables.


J’ai proposé de prendre pour critère en la matière la possibilité pour un système théorique, d’être réfuté ou invalidé. Selon cette conception, un système doit être tenu pour scientifique seulement s’il formule des assertions pouvant entrer en conflit avec certaines observations. Les tentatives pour provoquer des conflits de ce type, c’est-à-dire pour réfuter ce système permettent en fait de le tester. Pouvoir être testé, c’est pouvoir être réfuté, et cette propriété peut donc servir, de la même manière, de critère de démarcation.
Cette conception voit dans la démarche critique la caractéristique essentielle de la science. Le savant doit donc étudier les théories sous l’angle de leur aptitude à être examinées de manière critique : il se demande si celles-ci se prêtent à des critiques de toute nature et, lorsque tel est le cas, si elles sont en mesure d’y résister. La théorie de Newton, par exemple, prédisant certains écarts par rapport aux lois de Kepler ( en raison des interactions entre planètes ), alors que ceux-ci n’avaient pas été observés. Elle s’exposait en conséquence à des tentatives de réfutation dont l’échec allait signifier le succès de cette théorie. La théorie einsteinienne a été testée de manière analogue. Et de fait, tous les tests effectifs constituent des tentatives de réfutation. Ce n’est que lorsqu’une théorie est parvenue à supporter les contraintes de ce genre d’efforts qu’on pourra affirmer qu’elle se trouve confirmée ou corroborée par l’expérience.
Parmi les théories, certaines pourront être très bien testées, d’autres se prêteront très difficilement à être testées, d’autres encore seront impossibles à tester. Les dernières n’intéressent pas les chercheurs des sciences empiriques. On peut les qualifier de métaphysiques.

Karl Popper. Conjectures et réfutations.

Qu’est-ce alors qu’une bonne interprétation ? Par exemple d’une oeuvre d’art ? L’interprète se doit de posséder des connaissances nombreuses et variées en histoire, sociologie, histoire des techniques, sciences. Mais comment garantir la bonne interprétation ? Par exemple celle du Château de Kafka. Expliquer rapidement. C’est justement ce qui ferait la grandeur de l’oeuvre d’art d’être un réservoir de significations multiples qui peuvent être interprétées de nouveau à chaque génération, alors qu’un roman de hall de gare a épuisé sa signification à la première lecture.
Ou alors interprétation d’un phénomène historique comme la révolution française. Tous les historiens sont d’accord sur les faits qui sont tous connus, dates, événements marquants etc mais quelle est la signification de la révolution ? Interprétation marxiste ou libérale. Expliquer.

Ensuite : n’y a-t-il aucune place pour l’interprétation en sciences ? Exemple de la théorie darwinienne de l’évolution. Tout le monde d’accord sur les grands principes mais différentes interprétations : à propos de la présence ou non de la finalité dans l’évolution. Ou encore interprétation gradualiste, saltationniste ou équilibres ponctués. ( Équilibres ponctués est un développement de la théorie de l'évolution proposée par deux paléontologues américains, Stephen Jay Gould et Niles Eldredge. Elle postule que l'évolution comprend de longues périodes d'équilibre ponctuées de brèves périodes de changements importants comme la spéciation ou les extinctions. )

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire