lundi 15 mars 2010

La société et l'Etat

Parler de la société, c’est parler de la condition première de développement pour l’homme. L’homme est par nature un animal social.
ses besoins fondamentaux ne peuvent être satisfaits sans le secours de ses semblables: division du travail, sans laquelle il n’y aurait ni adaptation ni transformation du milieu.
Dans sa relation à autrui et par le langage, l’homme peut se rapporter à un monde humain, en dehors duquel aucune existence n’aurait de véritable signification.
Donc, il n’y a pas de rapport au monde et à la nature qui ne soit médiatisé de part en part par la S.

Cependant, comme le faisait remarquer Freud dans “malaise dans la civilisation”, cette existence au sein de la société ne va pas de soi. Il y a un lien nécéssaire qui unit chacun à ses semblables dans la société, mais d’autre part, il y a une résistance que chacun oppose plus ou moins secrètement aux contraintes et obligations collectives.
Cette résistance montre que l’individu réclame pour lui-même le droit d’exister et qu’il soit tenu compte de ses penchants et de ses intérêts propres. Kant parlait d’insociable sociabilité.
Se pose alors un problème: savoir si l’individu, parcequ’il ne peut exister en dehors de la société, ne doit vivre que par elle et pour elle. Comte faisait remarquer que nous avions à son égard plus de devoirs que de droits à invoquer. Ou au contraire, la société n’est-elle que la condition de possibilité de développement et de l’épanouissement individuels.

Cependant, possibilité de faire remarquer qu’en dehors de la société, l’individu n’est qu’une abstraction: chaque homme est l’héritier des générations qui le précèdent, et chacun reçoit de la S les conditions de son développement. On pourrait alors dire que nul ne peut, sans injustice, se désolidariser du corps social. Comte: l’individu n’est qu’une partie d’une totalité organique qui le dépasse.

Il est peut-être artificiel et faux d’opposer individu/société. L’existence même de l’individu est permise par la société elle-même, par ex. par des lois qui garantissent des droits individuels: c’est par le biais de garanties sociales que l’homme émerge et se pense lui-même comme individu.

Plutôt que de parler de conflit individu/société, il vaut mieux parler de conflits entre individus au sein d’une société. Ces conflits sont-ils une anomalie qu’il conviendrait d’essayer de résorber, ou au contraire sont-ils le moteur des évolutions sociales, ce qui garantit aux S leur vitalité? Kant montrait la fonction positive des antagonismes.

Possibilité de dire que: il ne peut y avoir de société lorsque les hommes n’ont pas entre eux quelqu’intérêt commun; mais il ne saurait y avoir de S s’il n’y avait entre les hommes des différences.

Nécéssité de distinguer alors société et communauté. La C., c’est une façon d’être ensemble en partageant des rapports d’affectivité, des croyances ou des valeurs: la famille, un groupe religieux sont des C. Dans une C., il y a un sentiment naturel et presque animal de solidarité. L’intérêt de chacun et celui de tous sont confondus. Ne dit-on pas que l’on appartient à une communauté?
Par contre, dans une S. les lins entre individus sont de nature plus complexe. Il ne s’agit pas seulement d’affectivité ou de valeurs, mais également de liens
d’échange, de type économique: coopération mais également division du travail. Les intérêts des uns et des autres peuvent être opposés, contradictoires, ce qui rend problématique l’idée de solidarité.

Le champ social apparaît divisé par des conflits d’intérêts, d’opinions, de valeurs qui peuvent menacer la cohésion sociale. Donc, aussi nécéssaire que soit la S., son organisation ne va pas de soi. Possibilité de dire avec Comte que toute S. humaine, par la force des choses est organisée, et que cette organisation précède les décisions conscientes des hommes; mais cette organisation n’est pas un faitde nature, comme dans une société animale, cad que les hommes débattent, entrent en conflit à propos des règles qu’il convient de se donner. Mais ces règles ne sont plus des règles sociales à proprement parler: elles sont politiques ou juridiques, résultats d’intentions conscientes, alors que les règles sociales sont largement inconscientes: les règles de politesse, ou vestimentaires, elles sont anonymes, sans auteur.

Donc, les règles sont de deux sortes: règles culturelles et sociales pour les sociétés primitives, règles politiques et juridiques pour les sociétés historiques. Ces règles ne sont pas seulement des instances régulatrices de la vie sociale, elles instaurent des relations de pouvoir entre les hommes. Ce pouvoir peut être politique ou non politique. Il est non politique dans les sociétés primitives: les règles émanent de la S toute entière, et c’est la communauté elle-même qui veille à ce qu’elles soient respectées.
Des ethnologues font remarquer que dans ces S., il n’y a ni roi ni loi: “Il n’y a pas de roi dans la tribu, mais un chef, et ce n’est pas un chef d’état. Il est chargé de résorber les conflits qui peuvent surgir entre les individus ou entre familles. Mais il ne dispose, pour rétablir l’ordre et la concorde, que du seul prestige que lui reconnait la S.”

Dans les S. historiques, on voit apparaître le pouvoir politique. Comment définir la notion de pouvoir?


A ) Qu’est-ce que le pouvoir ? 

 

Dans l'ensemble des expressions qui comprennent
le mot pouvoir, on peut distinguer celles qui
emploient la tournure : "avoir le pouvoir de" de
celles qui sont sous la forme : "avoir du
pouvoir sur". 

Ces deux tournures renvoient à deux sens
distincts du mot pouvoir. 
 
1 ) Avoir le
pouvoir de. 

 

Cette forme de pouvoir est celle qui ne s'exerce
pas sur des personnes, pas directement du moins.
Elle se présente elle-même sous deux formes
assez différentes l'une de l'autre. 

 
 

a ) "avoir le pouvoir de"
comme capacité de faire, de
créer ou de transformer. 

Il s’agit de la forme du pouvoir qui porte sur
des objets. C’est le pouvoir de faire, la
capacité de faire quelque chose. 

  

Notamment de produire ou de transformer des
objets. Cette définition rapproche le "pouvoir
de" du travail et de la technique. A ce titre,
il s’apparente au savoir-faire, à l’habileté, à
l’aptitude pour un sujet de produire et de
transformer quelque chose. 

  

Mais ce sens du mot pouvoir est paradoxalement
très proche de l'idée de pouvoir magique : un
pouvoir magique, c'est le pouvoir de faire, de
créer quelque chose ou d'obtenir un effet par
des moyens économiques ou en faisant l'économie
de tous les moyens. C'est la maîtrise technique
sans technique. C'est d'ailleurs ainsi qu'on
pourrait définir la magie : une activité qui par
des moyens non techniques cherche à atteindre
des fins qui pourraient être visées par une
technique. (La rivalité et l'apparentement à la
fois de la magie et de la technique est assez
bien figurée par l'apprenti sorcier qui pour
s'épargner de la peine utilise la magie pour
effectuer une tâche ingrate. Ce qui va mal
tourner.) 

Il ne faudrait pas croire que la magie et l'idée
de pouvoir magique soient si éloignée de nous :
imaginer par exemple réussir une dissertation en
s'en remettant à l'inspiration et en ignorant la
méthode, c'est croire qu'on a des pouvoirs
magiques… 

  

Cette définition du pouvoir n’a pas de rapport
direct avec l'Etat, encore que l’exercice du
pouvoir de l’Etat suppose certains savoir-faire
qui sont des pouvoirs en ce sens du mot, comme
les pouvoirs de communiquer, de convaincre,
d’organiser... Mais, ce n'est pas en ce sens que
nous confondons l'Etat et le pouvoir. 

 
 
 

b ) "avoir le
pouvoir de" comme
avoir le droit de.

  

A savoir : la capacité de faire, mais non pas au
sens technique ou physique, mais au sens
juridique : dans ce cas, "avoir le pouvoir de"
signifie avoir le droit de faire quelque chose,
droit qui s'ajoute à la possibilité ou au désir
de le faire. L'idée de pouvoir contient en effet
plus que celle de droit : elle est celle de
droit ajoutée à celle de capacité effective,
voire du désir de faire. 

"Avoir le droit" signifie que l'accomplissement
d'une action est permis par la loi. Avoir le
droit, c'est être autorisé par la loi. Avoir le
pouvoir de, c'est donc non seulement avoir un
droit, mais encore la capacité et l'envie de
faire ce que la loi m'autorise à faire. Etre en
droit et en mesure de faire quelque chose. 

  

Ce sens du mot pouvoir nous intéresse ici à
plusieurs titres. 

  

D'abord, ce sens du mot pouvoir nous intéresse
parce qu'il concerne tous les individus en tant
qu'ils disposent de certains droits, précisément
ceux que l'Etat, par la loi, leur a accordé. Or,
ces droits sont au cœur d'une des questions
soulevées en introduction puisqu'ils servent à
distinguer les Etats qu'on dit libres et
légitimes de ceux qui ne le sont pas. Plus on en
a et plus l'Etat auquel on appartient peut être
dit libre. 

Ensuite en cela qu'au sein de l'Etat, de ses
institutions, on peut observer l'existence de
pouvoirs qui répondent à cette définition :
lorsqu'on parle du pouvoir législatif, par
exemple, on parle du droit qu'ont certains élus
de faire la loi, de décider des lois, et ce en
vertu d'autres lois, celles de la constitution,
qui accordent aux élus du peuple ce droit. 

Lorsque quelqu'un dit : "En vertu des pouvoirs
qui me sont conférés…", "Il est en mon pouvoir
de", on retrouve encore ce sens du mot pouvoir :
un droit que l'on doit à une loi ou à quelqu'un
qui nous autorise à effectuer certains actes que
ne peuvent pas accomplir d'autres, comme marier,
baptiser, déclarer la guerre, prononcer une
sentence, … 
 

Enfin, parce que ce sens du mot pouvoir n'est
pas sans rapport avec celui qui proprement nous
intéresse : avoir du pouvoir sur. 
 
 

 
 

2 ) Avoir du
pouvoir sur. 

Il est remarquable que le mot pouvoir compris en
ce sens possède une puissance d'évocation, des
connotations à la fois très nombreuses, très
puissantes et surtout très peu fondées : elles
masquent sa réalité au lieu de la révéler. 

  

Le "pouvoir sur", c’est spécifiquement le
pouvoir qui a pour objets un ou des individus,
c’est-à-dire qui s'exerce sur des subjectivités.
Plus précisément, il a comme objet autrui en
tant qu'il est capable d’actions volontaires ou
les autres en tant qu'ils sont libres. 

On peut observer la présence du "pouvoir sur"
partout où d'un côté au moins une personne
exige, demande, suggère, ordonne, … et où de
l'autre au moins une personne cède, obéit,
accepte, se soumet… quels que soient les raisons
et les moyens. On a affaire à du pouvoir chaque
fois qu’on rencontre une situation dans laquelle
quelqu’un parvient à faire vouloir faire ou ne
pas faire à un autre une action déterminée et
cela quelle qu'ait pu être l'intention première
de celui sur lequel ce pouvoir s'exerce. 
  
  
 
a ) Comment est-il
possible de faire
vouloir faire ? 

Comment est-il possible de faire vouloir faire
quelque chose à quelqu’un, c’est-à-dire de lui
faire vouloir ce qu’un autre que lui veut qu’il
fasse ? Comment peut-on déterminer la volonté
d’un autre ? Ou, ce qui revient au même, comment
les autres font-ils pour nous déterminer à
vouloir faire quelque chose ? Alors que le plus
souvent, sans cette intervention, nous n’aurions
pas pris la décision de faire ce qu’on va tout
de même faire... 

  

Il existe trois grands moyens d’obtenir de
quelqu’un qu’il fasse ce qu’on veut qu’il fasse,
donc trois explications à cet apparent prodige.
Qui correspondent aussi aux trois formes
majeures du pouvoir sur quelqu'un. 
  

1 - La menace. C’est la forme la plus connue du
pouvoir, parce qu’elle est la plus visible et la
plus "violente", en apparence au moins. 

En quoi consiste cette forme de pouvoir ? 

Ecartons un malentendu : menacer quelqu’un pour
qu'il fasse quelque chose, ce n'est pas le
forcer à le faire, si par "forcer" on entend
faire faire par la force, c'est-à-dire en
employant sa force pour faire céder ou plier une
autre force. Forcer ou contraindre, c'est non
pas faire vouloir faire, mais c’est un pur
faire-faire au sens de faire accomplir un acte
en l'accompagnant, de force. C'est de l’ordre de
la nécessité mécanique et pas de l'ordre du
pouvoir parce que le pouvoir suppose volonté et
liberté. 

Cette forme de pouvoir qu'est la menace ne
suppose précisément presque jamais l’usage de la
force de la part de celui qui menace puisque
pour obtenir que l’autre fasse quelque chose, il
suffit de le menacer de faire usage de sa force.
Menacer d'en user et non user de la violence. Et
encore dans un but particulier : non pas pour
forcer à faire, mais en représailles au cas où
ne serait pas fait ce qui est demandé. 

Toutefois, la force ou plutôt la violence, peut
toutefois être employée dans ce cas, mais à
titre d’échantillon pourrait-on dire, afin de
donner de la crédibilité à la menace. 

  
Il ne faut donc surtout pas confondre, comme on
le fait trop souvent, rapport de pouvoir et
violence : on imagine le pouvoir sous la forme
d'une violence répressive ou simplement
agressive alors qu'il est presque le contraire :
au lieu de réprimer des conduites spontanées, il
détermine l'adoption d'une autre conduite. Cette
confusion tient précisément à cela que la
violence, sans être le pouvoir lui-même, peut
être un moyen très visible d'en avoir et de
l'exercer. Un moyen, non l'essence du pouvoir.
Si la violence est répressive, elle peut en
effet servir à aménager la probabilité des
conduites possibles si au lieu de ne faire que
réprimer, elle laisse une issue, une
possibilité, c'est-à-dire si elle "invite" à
adopter une conduite déterminée : celle qu'elle
ne réprime pas. 
 

En somme, l’essence de ce type de pouvoir, c’est
le chantage : on fait faire grâce à un chantage
dans lequel on met en jeu la vie, l’intégrité
physique ou psychologique, la liberté, la
réputation, la fortune, l’affection des autres
ou pour les autres de celui qu’on veut faire
agir. 

Ce sur quoi s’appuie cette forme de pouvoir, ce
sont les peurs, les terreurs et sur
l’imagination de celui sur lequel s'exerce ce
pouvoir. 
 
 

Cette forme de pouvoir qui repose sur la menace
est très proche d’une autre forme de pouvoir :
celle qui consiste à faire vouloir faire grâce à
une faveur, une rétribution ou la promesse d’une
rétribution. Variante : celle qui consiste à
faire vouloir faire après avoir fait de l’autre
son obligé, après qu’il ait contracté une dette
envers soi, dette qu’on fait payer, rembourser
par les actions qu’on commande.
L’accomplissement du devoir de rembourser
constitue en effet un moyen efficace de pression
sur quelqu’un. 
 

Ces deux aspects du pouvoir apparaissent dans
l’expression bien connue de la carotte et du
bâton. 
 

S’agit-il là de la plus efficace des formes du
pouvoir ? 

Apparemment, oui, mais en réalité et
paradoxalement, c’est la plus faible dans la
mesure où elle ne repose jamais sur la bonne
volonté de celui qu’on fait agir. Il agit contre
son gré, malgré lui. Ce qui rend cette forme de
pouvoir fragile. Je peux toujours ne pas céder,
quoique cela puisse me coûter… On confond en
effet trop facilement les effets de la menace
avec une contrainte qui, par définition, n'offre
pas la possibilité d'être transgressée, niée,
refusée, neutralisée, rendue inopérante. Trop
facilement on se dit qu'on n'a pas le choix,
qu'il n'y a rien à faire sinon céder. Ce
discours est discutable parce qu'il n'est pas
tout à fait cohérent : si nous n'avons pas le
choix, alors il ne peut être question de parler
de pouvoir, de céder, de se soumettre puisque
tout cela, comme l'a montré Foucault, suppose
précisément qu'on soit libre, qu'on ait le choix
de faire autre chose. On ne peut pas avoir la
possibilité de faire autre chose et dire qu'on
se soumet parce qu'on n'a pas le choix, c'est
contradictoire. Ne pas avoir le choix, ce n'est
pas la même chose que faire ce qui est le plus
prudent. Si c'est le plus prudent, c'est qu'il y
a des options imprudentes, donc le choix… 

Mais, si on confond ne pas avoir le choix et se
soumettre soi-même aux exigences d'un autre,
c'est parce qu'on n'est pas prêt de prendre le
risque de perdre ce que peut nous prendre celui
qui nous menace : ses faveurs ou notre vie.
Inversement, celui qui est prêt à sacrifier ce
qu'on menace de lui prendre cesse de se sentir
forcer et est d'autant plus libre. On n’a jamais
autant le choix que lorsqu’on cherche à nous
priver de toute alternative : comme le dit
Sartre, les français n’ont jamais été aussi
libres que sous l’occupation. A savoir : libres
de choisir entre collaborer, se soumettre sans
consentir et résister. 
 

2 - L’autorité. L’autorité donne du pouvoir sur
les autres, que cette autorité soit naturelle
(charisme, charme) ou fondée sur la
reconnaissance d’une compétence, d’une
expérience, d’une sagesse supérieures qui
justifie qu’on s’y réfère et qu’on s’y soumette.
Cette forme de pouvoir n’existe que là où il
existe une hiérarchie spontanée et forte entre
les individus. 

L’autorité est un phénomène plutôt étrange parce
qu’elle "fait autorité", s’impose, soumet sans
aucune médiation : celle de la menace ou même
parfois celle de la parole. 

Cette forme de pouvoir est sans aucun doute la
plus puissante de toutes les formes de pouvoirs,
puisqu’elle soumet totalement la volonté de ceux
qui la reconnaissent de telle sorte qu’ils
veulent intimement ce qu’elle veut. De telle
sorte que ceux y sont soumis, et qui ne peuvent
pas ne pas s’y soumettre, peuvent aller jusqu’à
accepter de mourir. Cas des soldats d’Alexandre
Le Grand par exemple. 

Autres exemples : l’homme providentiel, le
prophète, le tribun. Cf : M. Weber. Le savant et
le politique. 

Toutefois, elle est fragile parce qu’elle ne
survit pas à la personne qui détient cette
autorité, et parce qu’il est toujours possible
que cette personne fasse une erreur ou commette
une faute qui remette en cause son autorité. 

Maintenant, il faudrait penser les rapports du pouvoir et de l’autorité L’autorité est un rapport d’inégalité, mais qui n’est pas basé sur la force. L’autorité n’est pas la contrainte, qui est l’usage de la violence pour détourner la volonté d’autrui; elle n’est pas non plus la persuasion qui suppose des interlocuteurs égaux. Le maître a de l’autorité parcequ’il inspire un respect en vertu de sa compétence. Il doit avoir fait ses preuves dans le temps. Il ne s’agit pas de la confiance irréfléchie que l’on peut accorder à qqu’un en vertu de sa réputation. Si le maître vient à décevoir par ses erreurs ou ses hésitations, il remplacera la reconnaissance de ses élèves par l’emploi de la force: il deviendra alors autoritaire. L’autoritarisme , c’est l’échec de l’autorité. Donc l’autorité s’oppose à la force.

  

3 - La persuasion ou le fait de convaincre. On
peut imposer sa volonté et faire vouloir faire
aux autres ce qu’ils n’avaient pas
nécessairement spontanément l’intention de faire
en les persuadant en parvenant à les convaincre
de l’intérêt, de la valeur, du bien-fondé de
l’action exigée. 

Mais attention, persuader n’est pas convaincre.
Un discours fort peut faire vouloir faire des
actions qui n’ont ni le sens, ni la valeur que
celui qui a réussi à persuader leur prête. Cf :
Platon, Le Gorgias. 

Il faut néanmoins observer que les
caractéristiques fondamentales de cette forme de
pouvoir, qui la différencie des deux autres,
c’est qu’elle ne se rencontre qu’entre égaux en
fait et en droit et qu’elle ne s’adresse chez
les autres qu’à leur raison, leur faculté de
concevoir, de comprendre et de raisonner. 

C'est cette forme de l'exercice du pouvoir qui
est au fondement de l'exercice contractuel du
pouvoir dont parle Foucault. Pour s'engager, il
est nécessaire que les deux parties qui
contractent se soient convaincues du bien fondé
de ce à quoi elles s'engagent. 
  

  

Telles sont donc les trois formes du "pouvoir
sur", c’est-à-dire les trois moyens par lesquels
il est possible de déterminer les autres à
vouloir faire quelque chose qu’ils n’auraient
peut-être pas fait spontanément. Ces trois
formes de pouvoirs sont en effet trois façons
différentes de déterminer la volonté des autres,
donc leurs actions. 

  
Donc, en conclusion :
D’abord faire remarquer que le pouvoir n’est pas une chose, une substance, mais une relation entre des hommes, contrairement à ce que pourraient laisser supposer de nombreuses expressions toutes faites: prendre le pouvoir, la conquête du pouvoir, qui laissent croire que le pouvoir est une chose, comme une réalité matérielle dont il serait possible de s’emparer.

Il faudrait le distinguer de la simple influence: dans tous les groupes humains, il y a des individus dont le charisme exerce une influence sur d’autres hommes, en modifiant leurs idées ou leurs comportements. Mais cette influence n’entraîne aucune obligation. Donc elle n’est pas la condition suffisante à l’exercice d’un pouvoir car celui-ci se mesure à la capacité d’obtenir l’obéissance. C’est bien ce qui distingue l’influence que peut avoir un intellectuel connu ou les médias, et le pouvoir détenu par un représentant de l’Etat: la réalité du pouvoir de ce dernier se reconnaît aux sanctions qu’il est en droit de prendre en cas de désobeissance. Cela ne signifie pas que ce pouvoir est fondé sur la force, mais qu’il peut y recourir parcequ’il y a des règles qui en codifient l’usage.

Ensuite, le pouvoir a besoin d’être reconnu pour s’exercer. A l’opposé, la domination que l’homme exerce sur la nature est une pure efficacité technique: c’est parceque les hommes maîtrisent les lois de la nature, les relations de cause à effet, qu’ils peuvent agir sur elle; mais entre la nature et l’homme, il n’y a pas de dialogue; cad que la domination s’exerce essentiellement sur des choses.

Par contre, il faut que les moyens que le pouvoir emploie soient reconnus pour être suivis d’effets. Cad que le pouvoir s’exerce principalement par le commandement: la relation commandement-obéissance est constitutive du politique. Cela veut dire que le pouvoir se situe non pas dans un domaine instrumental, mais dans un domaine communicationnel. Le pouvoir s’exerce dans un ordre symbolique, il utilise des signes, et non pas des causes. Le pouvoir se caractérise alors comme une capacité à faire vouloir par l’intermédiaire de signes.

C’est pourquoi le pouvoir ne va jamais sans des symboles qui en traduisent la réalité: un sceptre ou une couronne, des palais qui inspirent la crainte ou les respect, des cérémonies solennelles et ritualisées. On a souvent dénoncé le côté théâtral du pouvoir et de son exercice, comme si c’était une pure et simple mystification visant à obtenir des hommes la peur ou l’obeissance inconditionnelle. C’est peut-être naïf. Ce côté théâtral vise à rappeler au moins deux choses: que le pouvoir est une réalité proprement humaine; ainsi, dans ce qu’on appelle les sociétés animales, il n’y a pas de symboles du pouvoir de la reine par ex. sur les autres abeilles: tout simplement parceque dans une telle société, il n’y a pas à proprement parler de relation commandement-obéissance, les relations entre les individus sont régies par des lois naturelles, il n’y pas d’ordres à comprendre. Ensuite, le decorum du pouvoir vise à montrer qu’il ne s’agit pas là d’un fait social banal, mais d’une réalité qui est la condition de possibilité de l’existence même d’une société, de sa cohésion, de son ordre.

Alors que le pouvoir, quoique non réductible à la force, a besoin de la force. Le pouvoir, quelque soit sa forme, doit pouvoir user de la répression et de la sanction. Mais la force dont il use n’est pas la force brute, cad la violence:

-la répression est l’emploi de la force qui vise à empêcher la transgression des lois: elle doit opposer une force supèrieure à celle qui risque de transgresser la loi. Toutefois, elle est décrétée par une instance extérieure à la force qui réprime, en fonction d’un jugement qui prend en compte les intérêts de la collectivité.

-la sanction, elle aussi, présuppose l’existence d’un système juridique, d’un corps de règles qui vont définir ce qui est permis, défendu, obligatoire, et qui définira des sanctions proportionnées aux délits. Là encore, sanctionner n’est pas l’usage de la force brute.


Cela entraîne une conséquence: c’est que le pouvoir politique est toujours et par définition légal, cad qu’il s’exerce conformèment à un corps de lois. Mais légal ne veut pas dire nécéssairement légitime. Il faudra nous interroger sur les conditions de légitimité du pouvoir politique: réside-t-il dans l’acceptation de la part de ceux qui obéissent, dans la conformité à des principes supérieurs, universels et in tangibles? Nous reprendrons ce problème en examinant la nature de l’Etat.

1 ) Où trouve-t-on du
pouvoir ? 

D'abord, à partir de la définition donnée du
pouvoir, il est possible de repérer un ensemble
de faits de pouvoirs qui n’ont pas tous un
rapport avec l’Etat. Ces faits de pouvoir, nous
les trouvons d’abord au sein de la vie sociale,
de la société. On peut dire qu’elle est tissée
de liens de pouvoir, qu’elle est faite d’une
multiplicité de liens de pouvoir. L’essentiel
des relations sociales peut en effet être
analysées comme des relations de pouvoir. Ce qui
signifie que rien n'est moins concentré, n'est
plus disséminé que les faits de pouvoir et
qu'une conception trop étroitement politique ou
juridique du pouvoir, c’est-à-dire qui lie le
pouvoir à l’Etat, occulte la réalité des faits
de pouvoir. 
 

Au sein des groupes sociaux.  

Les individus ne sont pas des entités isolées et
indépendantes au sein de la vie sociale : ils
appartiennent tous à des degrés divers à des
groupes sociaux, tels que la famille, la classe,
l’atelier, la communauté religieuse, la
collectivité, la communauté nationale, la caste,
l’ordre, la classe sociale, le parti politique,
le syndicat... au sein desquels certains
individus exercent un pouvoir sur les autres. 

Quelques exemples : rapport parents/enfants,
rapport entre ceux qui travaillent et ceux qui
organisent et surveillent le travail, rapport
entre un entraîneur et des sportifs, rapport
entre un parti et ses militants, rapport de
domination ou d’autorité entre des individus qui
appartiennent à la même classe ou au même
établissement (bande, racket, influence de
certains sur d’autres...) 
 
 
Contrairement à ce qu'on pourrait penser
spontanément, les relations de pouvoir au sein
d'un groupe social ne sont ni secondaires, ni
étrangères à ce groupe et à sa vie propre. Au
contraire, ce sont les relations de pouvoirs qui
produisent, organisent, déterminent la nature ou
le statut, pérennisent ou détruisent des groupes
sociaux. Il n'y a pas des groupes sociaux puis
du pouvoir, il y a du pouvoir qui engendre des
groupes sociaux. 


Entre les groupes sociaux. 

Mais, les groupes sociaux ne font pas qu’exercer
un pouvoir sur leurs membres, par
l’intermédiaire de l’un ou l’autre de leurs
membres, ils exercent aussi un pouvoir les uns
sur les autres. C’est ce qui se produit dans les
conflits de classe, les grèves, le lobbying,
l’intervention des intellectuels dans les
affaires publiques… 

  

En outre, il faut ajouter que si des groupes
sociaux se constituent par des relations
internes de pouvoir, il arrive aussi qu'ils se
constituent par des relations externes de
pouvoir. 


Maintenant, reprendre toutes ces idées pour essayer de cerner avec plus de précision la nature même du pouvoir politique.

Nous avons dit que la société était un fait premier, qu’elle précèdait toujours l’existence des individus, et que toutes les sociètés ne connaissaient pas le phénomène du pouvoir politique; puis, que le pouvoir politique était certainement condition de possibilité de l’existence même des sociétés. N’y a-t-il pas là une contradiction? Nous allons voir que non.

Pendant longtemps, les sociétés ont pu se penser elle-mêmes comme des communautés, ou comme le nom l’indique, ce qui était commun aux membres du groupe se révélait être plus fort que ce qui les distinguait. C’est le cas des tribus primitives, ou encore peut-être des sociétés médiévales. Ces communautés étaient enracinées dans des traditions ancestrales, étaient plus soucieuses de la survie du groupe que de la liberté ou du bonheur des individus. L’intérêt de chacun ne se distinguait pas de l’intérêt de tous.

Mais les sociétés ne sont plus des communautés: le développement historique des forces productives produit des conflits grandissants d’intérêts économiques, il y a apparition de pouvoirs économiques; la division croissante du travail, la spécialisation des tâches, la circulation des idées, des croyances, produit la possibilité del’apparition d’un grand nombre de conflits, d’ordre politique, économique, culturel, religieux, linguistique etc... Toutes les sociétés historiques sont potentiellement conflictuelles.

Les philosophes du 17° et du 18° siècle ont essayé de rendre compte de la nécéssité de l’apparition du pouvoir politique, en montrant l’impossibilité de vivre dans l’état de nature, et en montrant la nécéssité de la substitution de l’état civil à l’état de nature.
Il ne faut pas entendre par état de nature une époque improbable où les hommes auraient hésité entre l’animalité et l’humanité, mais un trait de la nature des hommes à vivre en dehors de toute loi, ce que Kant appelait sauvagerie. A cet égard, c’est moins le passé que le présent qui peut nous montrer ce qu’est l’état de nature: lorsque des peuples sont déchirés per des luttes intestines, des guerres civiles, lorsque des ethnies se disputent la conquête d’un pouvoir qui ne serait rien d’autre que le reflet de leurs intérêts respectifs.

Lecture et commentaire du texte de Hobbes LEVIATHAN.

Cela permet de comprendre la nature du pouvoir politique: il est institué pour permettre à chaque pouvoir particulier de s’exercer sans prétendre à une hégémonie préjudiciable aux autres. C’est pourquoi on appelera pouvoir politique la faculté dont jouissent une ou plusieurs personnes de faire les lois et d’user le cas échéant de la force pour les faire respecter.

On voit que quelqu’en soit la forme, ou la nature, le but du pouvoir politique est avant tout le maintien de l’ordre public, cad la transformation d’un état de nature où chacun dispose d’un pouvoir infini en un état civil où chacun voit son pouvoir limité par des lois dont la transgression est passible de sanctions.

C’est en ce sens que le pouvoir politique est dit souverain, cad détenteur d’un pouvoir qui permet de décourager quiconque serait tenté de le concurrencer ou de le défier. Ce pouvoir, il ne le doit pas seulement à la force dont il monopolise l’usage (on parlera alors de force publique), mais encore à la conviction qu’à la violence des désirs individuels, des intérêts particuliers, il est juste d’opposer la rigueur des lois.

Cela peut nous permettre de poser une question: le pouvoir du tyran est-il un authentique pouvoir politique? Le tyran est celui qui obtient l’obéissance par l’usage de la violence, à sa volonté particulière, et en-dehors de toute loi. Il a pu obtenir ce pouvoir par la violence armée brutale, par la ruse, la séduction, mais ces deux dernières ne sont que des formes déguisées de la violence.

Le pouvoir du tyran est arbitraire, et il ne peut jamais obtenir des hommes qu’ils consentent à leur servitude. Être condamné à l’obéissance par la peur, ce n’est par reconnaître au tyran le droit de commander. Il n’y a rien de plus fragile que le pouvoir tyrannique, puisqu’il repose sur la volonté d’un seul qui peut à tout instant périr, être mis à mort par une sédition, et ne peut compter réellement sur aucune loyauté. Manquent au pouvoir tyrannique la permanence et la stabilité et la reconnaissance qui font d’un pouvoir un pouvoir politique.

Pour qu’il y ait pouvoir politique, il faut certainement que l’on ait dépassé les relations personnelles d’allégeance pour aller vers une institutionnalisation du pouvoir.
Par exemple, dans une tragédie d’Euripide intitulée les Suppliantes, on voit un messager arriver à Athènes et demander à rencontrer le tyran de la cité. Et ce messager apprend avec stupéfaction que le pouvoir ne se confond pas avec un homme, mais qu’il réside dans un principe abstrait, la loi, qui n’agit pas par la peur qu’elle inspire, mais par le consentement qu’elle suscite.

C’est qu’il faut distinguer l’exercice et la propriété du pouvoir. Dans une tyrannie ou dans un régime féodal, il y a un lien de dépendance personnelle entre les sujets et ceux qui obéissent. Celien de dépendance fait que l’obéissance est une soumission à une personne, un lien de loyauté ou de fidèlité personnelle à l’égard d’un être à qui on pourra prêter des qualités exceptionnelles: les sociologues comme Max Weber parleront à cet égard de pouvoir charismatique pour désigner la possession réelle ou supposée par une personne de qualités personnelles de courage, de claivoyance etc...
Mais ce pouvoir charismatique, même s’il peut faire faire aux hommes de grandes choses, ne peut vaincre le temps: avec le temps, les qualités d’un homme s’érodent, et il peut toujours mourir. Moïse peut bien entraîner le peuple juif vers la terre promise, Napoléon entraîner ses troupes à travers toute l’Europe, l’obeissance prend la forme d’une foi aveugle, et ce n’est pas un réel rapport politique de commandement à obéissance.
Il faut qu’il y ait une institutionnalisation du pouvoir, de façon à ce que plus personne ne soit propriétaire du pouvoir; et la forme par excellence du pouvoir politique, c’est l’Etat, sur lequel nous réfléchirons dans une étape suivante.

Pour le moment, nous allons nous interroger sur la légitimité du pouvoir politique, ou plus exactement sur ses conditions de légitimité. On pourrait dire que le pouvoir politique est par nature légal, puisqu’il s’exerce par la médiation de lois juridiques, mais il n’est pas nécéssairement légitime.

Il faut distinguer le fait qu’un pouvoir puisse se faire obéir, et le droit qu’a un pouvoir à commander et à se faire obéir. C’est la distinction de la légalité et de la légitimité. Nous allons nous interroger sur la légitimité de la légalité.

Un pouvoir peut règner par le consentement et l’accord de ceux qui obéissent, mais aussi par la peur, la terreur, la menace ou l’intimidation. Mais suffit-il de la reconnaissance pour faire d’un pouvoir un pouvoir légitime? Après tout, le pouvoir nazi a été reconnu et accepté dans un premier temps par une large majorité d’allemands; cela suffisait-il à en faire un pouvoir légitime? Donc poser cette question: qu’est-ce qui fait la légitimité du pouvoir, pour pouvoir répondre ensuite à une foule d’autres questions: avons-nous le droit de désobéir au pouvoir? y a-t-il un droit à la rebellion? qu’est-ce qu’une usurpation de pouvoir? quand est-on en présence d ‘un abus de pouvoir?


Poser donc le problème du fondement du pouvoir.

Une première façon d’aborder le problème serait de refuser au pouvoir tout fondement, toute légitimité, en affirmant que le pouvoir est toujours et par nature arbitraire.

Pour Pascal, la légitimité est un faux problème. La seule chose qu’il faille attendre du pouvoir, c’est qu’il fonctionne, et instaure de l’ordre dans les rapports humains, qui sans lui, seraient la proie des passions. Conséquence de l’idée d’une nature humaine corrompue par le péché originel. Le pouvoir repose sur des règles de droit qui sont arbitraires. Le pouvoir n’a qu’une vertu fonctionnelle. Il est donc complètement déplacé de s’inquièter de ce que pourrait être un pouvoir juste.

Ce qui est important, c’est qu’il y ait un ordre, garant de la paix. La vraie justice n’est pas de ce monde; il ne reste donc que la force: (Pensées) “ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que le juste et le fort fussent ensemble et que la paix fût, qui est le souverain bien.

Peu importe que l’ordre soit juste, pourvu que l’on comprenne qu’il est juste qu’il y ait un ordre. Tout pouvoir est bon à partir du moment où il s’impose. S’interroger sur le fondement du pouvoir en place, c’est qqchose de dangereux, parceque cela risque d’en remettre en cause la stabilité. Donc, le fait du pouvoir est seul à pouvoir justifier le droit.

On pourrait prendre cela pour du cynisme. Mais la perspective de Pascal est avant tout chrétienne: le pouvoir politique est la marque même de la déchéance des hommes. Il faut se garder de diviniser le pouvoir politique. Si les hommes en ont besoin, c’est à cause de leur éloignement de Dieu. Celui qui veut vraiment chercher la justice n’ira pas la chercher dans les affaires humaines, mais du côté de la transcendance divine. La seule légitimité qu’accepte de reconnaître Pascal, c’est son efficacité. Donc désacralisation radicale du pouvoir. Tout ce qu’on peut attendre du pouvoir, c’est qu’il soit capable de durer, de satisfaire l’aspiration à la tranquillité des hommes.

Ce jugement pessimiste paraît confirmé par les faits: le pouvoir de l’Etat ne nous apparaît-il pas toujours lointain, ses décisions incompréhensibles. Même dans une démocratie, qu’est-ce qui échappe plus aux citoyens que la décision de déclarer une guerre?

Introduire un chapitre sur le réalisme politique de Machiavel. (texte)

Et pourtant, pouvons nous nous satisfaire d’une telle attitude? Ne risque-t-on pas de se priver des moyens de juger le pouvoir? Peut-on alors faire encore la distinction entre un pouvoir juste et un pouvoir injuste, un pouvoir auquel il est légitime d’obéir et un pouvoir arbitraire règnant sur un peuple de sujets simplement habitués à une obéissance sans discussion. Mais si nous sommes des animaux politiques, c’est une exigence que de penser les conditions de légitimité du commandement et de l’obéissance, parcequ’il y va tout simplement de la définition même de la liberté politique.
Il y a une exigence de légitimité que l’on peut reconnaître même dans les pires des régimes, même dans la tyrannie: aucun pouvoir ne se contentera de l’exercice de la force pure. Le tyran pressent qu’un pouvoir purement arbitraire ne saurait se terminer autrement que par la violence qui l’a fait naître, aussi cherche-t-il à tenter de justifier son droit à commander. Un dictateur invoquera une nécéssité, par ex, protèger son pays du chaos, d’une conspiration ou d’une invasion.

Faire la critique de la conception sociologique de la légitimité de Max Weber, en montrant qu’il ne s’agit pas du problème de la légitimité au sens philosophique du terme.

Donc poser ce problème.

Une première réponse historique a été proposée: la doctrine du droit divin, traditionnellement défendue par l’église depuis le moyen-âge, et qui a servi de justification à la monarchie. Important d’y faire référence, parceque c’est en opposition à cette doctrine que seront proposées les diverses théories du contrat social ax 17° et 18°.

théorie qui affirme que le pouvoir politique, loin d’être arbitraire, a un fondement qui le justifie: Dieu. Théorie qui reprend une parole de saint Paul dans l’épitre aux romains: “Il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent sont constituées par Dieu.”

Cela ne veut pas dire que Dieu nommerait les gouvernants, les souverains peuvent avoir un pouvoir héréditaire, être élus par la noblesse comme en Pologne, mais ils tiennent leur droit de commander de Dieu et non des hommes. Ils sont les lieutenants de Dieu.

Plusieurs conséquences: le droit divin est en principe compatible avec n’importe quelle forme de gouvernement ou d’Etat, mais dans les faits, il a servi à justifier la monarchie. Le droit divin implique l’idée que le roi doit des comptes à dieu sur la façon dont il gouverne le royaume, mais pas aux hommes. Celui qui résiste au roi désobéit à Dieu, l’obéissance doit être inconditionnelle.

C’est contre cette doctrine que se développent les théories contractualistes du pouvoir et de l’autorité politiques, qui impliquent une laïcisation du politique.
Avec la notion de contrat social, on est en présence de l’affirmation selon laquelle le pouvoir a sa source uniquement dans des conventions humaines. C’est aussi la rupture avec la tradition antique inaugurée par Aristote qui affirmait que l’homme était naturellement un animal politique. L’ordre civil est désormais défini comme un artifice, résultat d’une création humaine.

Partir de la définition du C. donnée par le code civil : “le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’engagent envers une ou plusieurs autres à donner, à faire, ou à ne pas faire quelquechose.”

En philo politique, on appellera contrat celui qui est bilatéral ou multilatéral, cad qui contient des engagements réciproques. Certains auteurs ont attaqué la théorie du contrat ou pacte social, en disant qu’on ne pouvait l’accepter comme une explication de l’origine des sociétés politiques. Le sociologue Durkheim dira par ex. que cette théorie n’a aucun rapport avec les faits, puisque l’histoire ne nous montre aucun exemple d’une société politique qui aurait à son origine un tel contrat. Sur le plan historique, c’est tout à fait vrai, mais ce n’est pas une objection.

D’autres diront qu’un contrat n’a de sens que s’il existe dèjà une autorité capable d’en garantir l’exécution, et que par conséquent, on ne saurait pour expliquer l’origine des sociétés politiques, faire appel à une institution qui les présuppose dèjà constituées. Tout cela est vrai, mais n’est pas une objection.

Ces critiques confondent deux choses qu’il faut soigneusement distinguer : le problème de l’origine des sociétés politiques, et le problème de leur fondement. Confusion du fait et du droit. Les contractualistes parlent du fondement, et non de l’origine.

les grands contractualistes: Hobbes 1588-1679; Spinoza 1632-1677; Locke 1632-1704; Rousseau 1712-1778.

Ce que tous les grands contractualistes ont en commun est énoncé par Rousseau dès les premiers chapitres du premier Livre du contrat social.

- le pouvoir politique ne vient pas de la nature. Ce qui veut dire deux choses:
D’abord, les hommes sont naturellement égaux, ils naissent tous libres, nul n’a par nature le droit de commander à autrui. Aucun don naturel, ni la vigueur physique, ni la supériorité intellectuelle, ne confère à un homme une autorité ou un pouvoir quelconque sur ses semblables. Il est vrai que les hommes sont inégaux en force, en intelligence ou en talents, mais cela ne donne pas aux uns le droit de commander et aux autres l’obligation d’obéir. L’obligation d’obéir ne peut avoir son fondement que dans le libre engagement de celui qui s’oblige.

On est aux antipodes de toute perspective aristocratique, telle qu’on la rencontre dans l’antiquité, où ce sont les meilleurs (aristoi), cad les plus braves, les plus courageux, les plus raisonnables, qui ont en vertu d’une supériorité naturelle le droit de commander. Conception qui permet à Aristote de justifier l’esclavage: il y aurait une inégalité de nature entre les hommes, qui justifierait une inégalité politique et le pouvoir de certains sur d’autres. Quelle inégalité? Pas de force ni même d’intelligence, mais inégalité dans l’aptitude à se gouverner soi-même: certains hommes sont capables de mettre leurs désirs et passions au service de leur raison, ils savent se gouverner. D’autres seraient esclaves de leurs propres désirs et passions. Il est alors légitime que celui qui sait se gouverner lui-même commande à celui qui en est incapable. Le contractualisme rompt avec cette perspective. Les inégalités naturelles ne peuvent fonder les inégalités politiques. Dans ces conditions, tout pouvoir qui n’est pas tyrannique ne peut être fondé que sur le consentement de ceux qui y sont soumis.
C’est ce que dira Locke dans son Essai sur le gouvernement civil: les hommes étant tous libres, égaux et indépendants par nature, personne ne peut être tiré de cet état naturel, ni soumis au pouvoir politique d’un autre homme, sans son consentement.

d’autre part, le pouvoir politique n’est pas la continuation de l’autorité naturelle que possède le père de famille sur ses enfants. Rousseau admet que la famille n’est pas un établissement humain, par exemple. C’est une sorte de société naturelle. Et il ajoute que comme le père est physiquement plus fort que ses enfants, aussi longtemps que son secours leur est nécéssaire, le pouvoir paternel est établi par la nature. Mais le pouvoir paternel n’est pas destiné à durer. C’est la nature qui fixe des limites à ce pouvoir. Une fois l’éducation terminée, le pouvoir paternel n’a plus de raison d’être. L’enfant n’est tenu à l’obéissance que jusqu’à sa majorité.
“Encore les enfants ne restent-ils liés au père qu’aussi longtemps qu’ils ont besoin de lui pour se conserver. Sitôt que ce besoin cesse, le lien naturel se dissout. Les enfants, exempts de l’obéissance qu’ils devaient au père, le père exempt des soins qu’il devait aux enfants, rentrent tous également dans l’indépendance.” Kant plus tard dira qu’il faudrait se méfier d’un pouvoir politique qui se définirait comme un pouvoir paternel (le roi, père de ses sujets), il ne pourrait être que despotique: le père n’exerce son pouvoir que sur des êtres mineurs. Et il faut se méfier de formules comme celles de Bossuet qui dit: l’autorité royale est paternelle, et son caractère est la bonté.

- le pouvoir ne vient pas de Dieu.

- il ne vient pas non plus du droit du plus fort.

Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir. De là le droit du plus fort; droit pris ironiquement en apparence, et réellement établi en principe: Mais ne nous expliquera-t-on jamais ce mot? La force est une puissance physique; je ne vois point quelle moralité peut résulter de ses effets. Céder à la force est un acte de nécéssité, non de volonté; c’est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir?
Supposons un moment ce prétendu droit. Je dis qu’il n’en résulte qu’un galimatias inexplicable. Car sitôt que c’est la force qui fait le droit, l’effet change avec la cause; toute force qui surmonte la première succède à son droit. Sitôt qu’on peut désobéir impunément on le peut légitimement, et puisque le plus fort a toujours raison, il ne s’agit que de faire en sorte qu’on soit le plus fort. Or qu’est-ce qu’un droit qui périt quand la force cesse? S’il faut obéir par force on n’a pas besoin d’obéir par devoir, et si l’on n’est plus forcé d’obéir, on n’y est plus obligé. On voit donc que ce mot de droit n’ajoute rien à la force; il ne signifie ici rien du tout.
Obéissez aux puissances. Si cela veut dire, cédez à la force, le précepte est bon, mais superflu, je réponds qu’il ne sera jamais violé. Toute puissance vient de Dieu, je l’avoue; mais toute maladie en vient aussi. Est-ce à dire qu’il soit défendu d’appeler le médecin? Qu’un brigand me surprenne au coin d’un bois : non seulement il faut par force donner la bourse, mais quand je pourrais la soustraire suis-je en conscience obligé de la donner? car enfin le pistolet qu’il tient est aussi une puissance.
Convenons donc que force ne fait pas droit, et qu’on n’est obligé d’obéir qu’aux puissances légitimes. Ainsi ma question primitive revient toujours.


ROUSSEAU Contrat social. Livre 1 Chapitre III

Cette doctrine du droit du plus fort a été défendue par un interlocuteur de socrate, dans un dialogue de Platon , intitulé le Gorgias. Le sophiste Calliclès, mis en scène par Platon, affirme que les lois ont été faites par les plus faibles, pour empêcher les plus forts, cad les meilleurs, de gouverner. Les lois ne seraient qu’une ruse de la faiblesse qui déclare que toute forme de supériorité est laide et injuste. Mais Calliclès oppose la justice selon les conventions humaines, et la justice selon la nature, cad la seule acceptable.
Calliclès : “Mais la nature elle-même, selon moi, nous prouve qu’en bonne justice, celui qui vaut plus doit l’emporter sur celui qui vaut moins, le capable sur l’incapable. Elle nous montre partout, chez les animaux et chez l’homme, dans les cités et les familles, qu’il en est bien ainsi, que la marque du juste, c’est la domination du puissant sur le faible et sa supériorité admise.”

Rousseau va démonter l’inconsistance de cette notion du “droit du plus fort” au chapitre III du livre 1 du contrat social.

Idée commune à tous les penseurs du contrat : les hommes sont libres et ègaux en droits, et aucun pouvoir politique n’est légitime s’il ne repose sur le consentement des individus. Problème posé dans les termes d’un passage de l’état de nature à un état civil: comment est-on passé d’un état naturel d’indépendance où les hommes ne sont soumis qu’au droit naturel à l’état civil où les hommes obéissent à un pouvoir commun? Par le moyen du contrat.

Seulement, il y a plusieurs façons de définir ce contrat: à la Hobbes ou à la Rousseau

(Précision importante: la notion d’état de nature ne désigne pas un état réel, historique, ayant existé avant l’émergence des sociétés politiquement organisées. C’est un concept régulateur permettant de penser le fondement du pouvoir politique, et non pas son origine historique. Cela permet de penser ce que serait une société privée de toute organisation politique.)

Explication du texte de Hobbes. Léviathan. Chapitre XVII
La seule façon d’ériger un tel pouvoir commun, apte à défendre les gens de l’attaque des étrangers, et des torts qu’ils pourraient se faire les uns aux autres, et ainsi à les protéger de telle sorte que par leur industrie et par les productions de la terre, ils puissent se nourir et vivre satisfaits, c’est de confier tout leur pouvoir et toute leur force à un seul homme, ou à une seule assemblée, qui puisse réduire toutes leurs volontés, par la règle de la majorité, en une seule volonté. Cela revient à dire : désigner un homme, ou une assemblée, pour assumer leur personnalité; et que chacun s’avoue et se reconnaisse comme l’auteur de ce qu’aura fait ou fait faire, quand aux choses qui concernent la paix et la sécurité commune, celui qui a ainsi assumé leur personnalité, que chacun par conséquent soumette sa volonté et son jugement à la volonté et au jugement de cet homme ou de cette assemblée. Cela va plus loin que le consensus, ou concorde : il s’agit d’une unité réelle de tous en une seule et même personne, unité réalisée par une convention de chacun avec chacun passée de telle sorte que c’est comme si chacun disait à chacun : j’autorise cet homme ou cette assemblée, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et que tu autorises toutes tes actions de la même manière. Cela fait, la multitude ainsi unie en une seule personne est appelée une REPUBLIQUE, en latin CIVITAS. Telle est la génération de ce grand LEVIATHAN, ou plutôt pour en parler avec plus de révérence, de ce dieu mortel, auquel nous devons, sous le Dieu immortel, notre paix et notre protection. Car en vertu de cette autorité qu’il a reçue de chaque individu de la République, l’emploi lui est conféré d’un tel pouvoir et d’une telle force, que l’effroi qu’ils inspirent lui permet de modeler les volontés de tous, en vue de la paix à l’intérieur et de l’aide mutuelle contre les ennemis de l’extérieur. En lui réside l’essence de la République, qui se définit : une personne unique telle qu’une grande multitude d’hommes se sont faits, chacun d’entre eux, par des conventions mutuelles qu’ils ont passées l’un avec l’autre, l’auteur de ses actions, afin qu’elle use de la force et des ressources de tous, comme elle le jugera expédient, en vue de leur paix et de leur commune défense.
Le dépositaire de cette personnalité est appelé SOUVERAIN, et l’on dit qu’il possède le pouvoir souverain; tout autre homme est son SUJET.


HOBBES. Léviathan Chapitre XVII.
Commentaire texte Hobbes.

1°§ - finalités du pouvoir politique
-sécurité extérieure ( tous les groupes qui sont en dehors de cette collectivité politique qui se constitue en sont potentiellement les ennemis. Intuition profonde: les relations entre les collectivités politiques relèvent de l’état de nature)
-sécurité intérieure (que personne n’ai plus rien à craindre de son voisin)
-bien-être (jouir dans la tranquillité des fruits de son travail)

-moyens pour atteindre ces fins:
- abandon par chacun de la totalité de son droit naturel à qui? à un homme ou une assemblée
-les contractants s’engagent entre eux, mais pas avec cet homme
-cet homme transforme les volontés particulières en une seule volonté
-il voudra et jugera à la place de tous. CAD? Il fera seul les lois et prendra les décisions pour viser les fins ci-dessus.

2°§ -assumer leur personnalité: création d’un être artificiel doté d’une personnalité morale
-est-ce soumission aveugle? NON chacun doit se reconnaître dans les lois et décisions, faire comme si elles étaient siennes. Parcequ’il n’a plus le droit de les juger, ni de se rebeller contre elles.
-étymologie de rebellion? re- bellare: retour à la guerre
-distinction auteur,acteur: les hommes qui ont abandonné leur droit naturel sont auteurs, celui qui fait les lois et agit est acteur.

3°§ -unité de tous en une seule personne
-distinction multitude, peuple; la multitude est multiple, division, opposition des volontés.
-le peuple est une personne civile, douée d’une volonté unique. le peuple ne gouverne pas, seul l’homme a qui on a abandonné son DN, et qui gouverne au nom du peuple
-à cette condition que tous abandonnent... Pourquoi? : si un seul refuse, garde son DN, on n’a pas quitté l’état de nature.
-le pacte lie les contractants entre eux, mais le souverain n’est lié par aucun engagement. Il est souverain absolu.
-définition de la liberté politique : faire ce qui est permis par les lois. Ce sont les lois qui définissent le juste et l’injuste: POSITIVISME JURIDIQUE, opposé au JUSNATURALISME. pas de juste ni d’injuste avant la création des lois; donc, le souverain ne peut jamais commettre d’injustices.
-le souverain est donc SOUVERAIN ABSOLU.

4°§ -définir république voir page jointe.
-moyens du pouvoir : la peur; faire règner l’effroi. monopolisation de la force qui devient force publique, et qui n’est plus du tout simple violence. Pessimisme anthropologique.
-distinction souverain,sujet. ne pas confondre souverain et monarche; est souverain celui qui détient le pouvoir souverain ou la souveraineté.



nécéssité de définir la souveraineté pour pouvoir se demander: qui doit être souverain? un homme? une assemblée? un peuple?

La souveraineté renvoie à l’idée d’un pouvoir suprême. Est souverain l’individu ou le principe au-dessus duquel il n’y a rien de plus élevé.

On peut employer ce mot dans un contexte ordinaire: on dira qu’un jury de bac est souverain, cad que sa décision est absolue, que rien ni personne n’a ni le droit ni le pouvoir de lui imposer une décision.

En politique, la souveraineté désigne le pouvoir politique originaire dont procèdent tous les autres pouvoirs, celui de commander, de faire les lois, de juger, de punir, de récompenser.

Le premier penseur a avoir défini cette notion essentielle de la politique est un juriste du 16° Jean BODIN, auteur en 1583 des Six Livres de la République.

La souveraineté consiste pour lui en cinq attributs essentiels:

“le premier et le plus important est de nommer les plus hauts magistrats et de définir à chacun son office; le second est de promulguer ou d’abroger les lois; le troisième de déclarer la guerre et conclure la paix; le quatrième de juger en dernier ressort par-dessus tous les magistrats et le dernier d’avoir droit de vie et de mort aux endroits mêmes où la loi ne prête pas à la clémence.”

ces attributs sont ceux du Prince, mais non pas au sens de personne privée, mais de personne publique. C’est en effet en tant que personne publique qu’il a le droit de lever des impôts et contributions et le droit de battre monnaie. Ce sont les privilèges du Prince, ce que nous appelerions aujourd’hui la puissance publique. Montrer les enjeux contemporains.

Caractéristiques fondamentales de la souveraineté selon Bodin:
-indivisibilité. “celui qui aura puissance de donner loi à tous, c’est-à-dire commander ou défendre ce qu’il voudra, sans qu’on en puisse appeler, ni même s’opposer à ses mandements, il défendra aux autres de faire ni paix ni guerre, ni lever tailles, ni rendre la foi et hommage sans son congé: et celui à qui sera due la foi et hommage lige, obligera la noblesse et le peuple de ne prêter obéissance à autre qu’à lui.”
-mandements: ordres par lesquels on fait venir qqu’un; ordre publié par une personne qui détient une autorité
-lige: qui promet fidélité sans restriction
-foi: fidélité, exactitude à remplir ses engagements.

-autrement dit, la souveraineté politique exige qu’il n’y ait plus d’autre puissance au sein de la cité qui prétende commander: ni seigneurs feéodaux, ni pouvoir religieux. les convictions religieuses doivent s’incliner devant la loi qui émane du pouvoir souverain: celui qui invoquerait ses convictions religieuses pour ne pas respecter les lois ne serait qu’un hors-la-loi (donner l’exemple des commandos anti-avortement)
-ensuite: le droit positif qui émane du pouvoir souverain l’emport sur les coutumes de la communauté; on ne peut plus opposer des traditions anciennes pour refuser la loi. En corse, la vendetta est une tradition, mais elle est hors-la-loi. On ne peut plus revendiquer le droit de se venger, seule laloi peut punir. Ou encore: les femmes africaines qui invoquent des traditions pour pratiquer l’excision.

-la souveraineté atteste l’indépendance de la République. Personne ne peut forcer la collectivité à obéir à des lois qu’elle n’a pas choisies. Personne ne peut lui reprocher de faire tout ce qui est en son pouvoir pour se défendre. L’armée est la matérialisation de la souveraineté de l’Etat. Les critiques contre les essais nucléaires français étaient des insultes à la souveraineté de la nation. Personne n’a à juger à sa place des meilleurs moyens de se défendre. Le droit de faire la guerre fait partie de la souveraineté de L’Etat.

-la souveraineté est donc une et indivisible. Une souveraineté limitée ou partagée est une contradiction dans les termes.

-la souveraineté est enfin un principe de continuité et de permanence du pouvoir politique: la république dure alors que ceux qui exercent le pouvoir passent.

-enfin, la souveraineté se caractérise par son absoluité. Elle se marque par le fait que le souverain n’est lié par aucune loi humaine, ni par aucun contrat, mais qu’il a une entière puissance législative.

-chez Hobbes, la souveraineté s’incarne dans la République, qu’il appelle en anglais COMMONWEALTH.

Problèmes qui découleront de cela: qui doit être le souverain; théorie contractualiste du peuple souverain. Les critiques contre la souveraineté du peuple, au nom de la démocratie Constant. Idée de normes au-dessus de la volonté du peuple. Lesquelles?


Expliciter la notion de république.

Nécéssité de distinguer le sens moderne de l’idée de rép. du sens ancien, tel que chez les grecs ou les romains, ou les philosophes du 17° et 18°.

Aukourd’hui, la notion de rép se tourne vers la défense et la garantie d’une organisation politique précise:

celle qui implique la participation des citoyens à la conduite des affaires publiques.
c’est avant tout une constitution qui soustrait la puissance de légiférer et de juger à celle d’un roi
Définition de Montesquieu: “le gouvernement républicain est celui où le peuple en corps, ou seulement une partie du peuple, a la puissance souveraine.”

mais la rép. au sens moderne présuppose aussi une certaine forme de société construite autour de principes communs:
-un Etat laïc
-l’indistinction des citoyens (cad affirmer l’égalité des citoyens en droits et devant la loi malgré les différences naturelles, économiques, sociales, culturelles, religieuses)
-un gouvernement de la loi
-un mode d’éducation qui trouve son ambition de former à l’usage de la raison, à l’autonomie. Un Etat qui renoncerait à instruire, ou qui laisserait l’instruction à des groupes ou association privés ne serait plus républicain.
-l’idéal républicain est inséparable de l’énoncé des devoirs du citoyens (suffrage, impôts, service militaire...)
-la rép. moderne affirme que le citoyen est à construire, et que l’homme n’est pas spontanèment citoyen; spontanèment, chacun est bourgeois, cad avant tout soucieux de la satisfaction de ses intér^ts particuliers.
-la rép. suppose aussi des moeurs républicaines, cad avant tout le souci de l’intérêt général: J. Barni: “citoyens, voulez vous vivre libres au sein de la république, apprenez à respecter en votre personne et dans celle des autres la dignité humaine.” Ton trés kantien . Impératif catégorique.
-moralité tournée vers autrui et exigence de solidarité.

Différence avec la démocratie: la démo affirme la souveraineté du peuple tel qu’il est; la république affirme que le peuple est à instituer, à construire.

Le sens ancien de rép. est autre: Hobbes est partisan de la monarchie absolue et il nomme république la cité instituée par l’abandon par tous de leur droit naturel.
Contradiction? non!

L’étymologie latine voit en la res-publica l’idée d’une chose commune, d’un objet commun qui relie et rassemble les êtres et qui constitue un vivre-ensemble au sein d’une collectivité.

L’idée de République peut désigner littéralement l’obéissance à une loi commune qui suggère en chacun des devoirs, sans faire pour autant référence à un Etat ou à une organisation politique particulière. C’est en ce sens qu’au moyen-âge on pouvait parler de la Respublica christiana pour désigner la communauté des chrétiens: idée d’une collectivité fondée sur un principe spirituel commun.

Rien donc à voir avec l’idée d’un régime politique, comme lorsqu’on parle de V° République.

Au sens classique, la rép. affirme la nécéssité politique d’un bien commun, et la défaillance des gouvernements fondés sur l’arbitraire d’une volonté.
Idée d’un souci de la cité qui substitue un espace commun aux égoismes et aux passions individuels.
Conséquences de ce texte: il n’y a pas de sociabilité naturelle des hommes. Les hommes ont échappé à la peur qui règnait dans l’état de nature en cèdant tout leur droit naturel à un homme. Ils n’ont pas passé de contrat avec lui; cad qu’il n’y a aucun engagement mutuel entre les sujets et le souverain. Le souverain est seul à faire les lois. La peur n’a pas disparu de l’état civil, mais ce n’est plus la peur que les hommes pourraient avoir les uns des autres, c’est la peur qu’inspire le pouvoir absolu et qui empêchent les hommes de se nuire mutuellement C’est l’importance chez l’homme des passions qui rend nécéssaire cette soumission de la nature humaine à un pouvoir autoritaire, monarchique, qui, seul peut faire contre-poids à l’impétuosité des passions. Mais l’intérêt du souverain se confond avec celui de ses sujets: il tient d’eux sa richesse, sa puissance et n’a donc pas intérêt à les lèser. Son devoir consiste à assurer la paix et la sécurité. Pour cela, il doit cumuler pouvoir exécutif et législatif, définir à travers les lois ce qui est juste ou injuste sans que les individus eux-mêmes puissent en décider ou se prévaloir de d’un droit naturel extérieur à celui que concède le souverain. La liberté des sujets est définie par ce que la loi n’interdit pas.

Le pouvoir du souverain est un pouvoir absolu (cad etymologiquement lié par rien) et sans partage. Est-ce pour autant un pouvoir despotique? Nécéssité de distinguer ces deux notions. Si le souverain oubliait le but pour lequel le pouvoir lui a été conféré, que se passerait-il? S’il spoliait arbitrairement les sujets de leurs biens, s’il s’en prenait à leur vie? Ce serait purement et simplement un retour à l’insécurité de l’état de nature, chacun récupérerait alors le droit naturel de se défendre par n’importe quels moyens. L’importance de hobbes, c’est d’avoir dégagé la notion de pouvoir souverain.

Définir cette notion de souveraineté. (mots du pouvoir)

Les présupposés des théories du contrat, du moins celle Hobbes : la liberté est avant tout le pouvoir de vaquer à la poursuite de buts privés à l’abri des lois qui nous prémunissent contre les dangers représentés par la présence des autres hommes. Est-ce la seule définition possible de la liberté politique? Est-elle la plus pertinente?

D’autre part, présupposé que l’individu précède l’institution du pouvoir politique, que la personne, sa sécurité est la valeur suprême: c’est la marque de l’individualisme moderne qui fait de la personne un absolu. Nous verrons le caractère problématique de cet individualisme dans la partie consacrée à l’Etat et dans le cours consacré au droit.
Critique faite par Hegel des théories du contrat: la notion de contrat comme engagement réciproque vient du droit privé, et essentiellement du domaines des échanges marchands, et serait donc incapable de rendre compte de la nature du pouvoir politique.

Mais la théorie du contrat de Hobbes n’est pas la seule. Importance de la pensée de Rousseau, qui fait apparaître la notion de volonté générale.

D’abord, divergence avec Hobbes sur le problème de la finalité du pouvoir politique: pour Hobbes, c’est avant tout assurer la paix civile, cad la sécurité.

Rousseau a en vue lui uniquement la liberté. Il rétorque à Hobbes qu’un despote est capable d’assurer la tranquillité civile. Il montre qu’on peut vivre tranquille dans un cachot.

L’originalité de Rousseau vient de la façon dont il pose le problème: au chapitre VI du livre I du contrat social : “ Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant.”

Pour Hobbes, il fallait accepter de sacrifier une partie de sa liberté pour pouvoir vivre en sécurité. Pour Rousseau, il s’agit de savoir comment les hommes peuvent s’unir en un corps politique, sans pour cela renoncer à leur liberté puisqu’elle est un droit inaliénable.

Le contrat selon Rousseau : l’aliénation de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté. Mais cette aliénation n’est pas un abandon, c’est la transformation des droits naturels de l’individu en droits civils. Et on n’abandonne pas ses droits naturels à un homme.

L’association civile a pour but d’empêcher qu’un homme tombe sous la domination d’un autre homme. Il faut substituer aux relations d’homme à homme, où l’un peut toujours se soumettre l’autre, les relations du citoyen à la loi. Personne n’a plus à obéir à un homme, mais seulement à la loi. Seulement, problème, qui doit être l’auteur de la loi? Nous allons le voir.

Donc, je suis libre quand personne, en tant que plus fort, plus riche, plus puissant, ne peut me faire dépendre de lui, et quand je n’ai à obéir qu’à la loi. Mais qui est l’auteur de la loi? Le Souverain. Mais le souverain chez Rousseau n’est ni un homme, ni une assemblée, c’est le Peuple en son entier. Le Peuple est souverain en ce sens qu’il est législateur, cad qu’il fait les lois.

Donc, les citoyens font partie du souverain en tant qu’ils font les lois, et ils deviennent sujets en tant qu’ils obéissent aux lois qu’ils ont faites. Donc, plus de distinction entre le souverain et les sujets. Les mêmes hommes font partie du souverain quand ils font les lois, et ils sont sujets quand ils obéissent aux lois qu’ils se sont donnés à eux-mêmes.

D’où la définition rousseauiste de la liberté : la liberté , c’est l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite. Donc, dans la cité, chacun sera libre parceque les lois le protègent contre l’arbitraire des volontés individuelles, et parcequ’il est l’auteur des lois auxquelles il va obéir.

Les lois pour être des lois justes, doivent émaner du peuple souverain. Cad que la fonction du souverain n’est pas de gouverner, mais de légiférer. Il faut distinguer souverain et gouvernement : le souverain veut, cad qu’il fait les lois, le gouvernement exécute, cad qu’il applique les lois votées par le souverain.

Le gouvernement est un moyen terme entre le peuple souverain, qui vote les lois, et le peuple sujet, auquel les lois s’appliquent. Le gouvernement est un corps particulier, et non universel, comme le souverain. C’est une sorte de mal nécéssaire, parceque d’un côté, il est indispensable pour faire appliquer la volonté du souverain, mais d’un autre côté, il peut toujours essayer d’usurper la volonté du souverain.

Les lois doivent émaner de la volonté du souverain, que Rousseau appelle volonté générale. Mais la volonté générale ne se réduit pas à la somme des volontés particulières, ce n’est pas la volonté de tous.

Rousseau : il y a souvent bien de la différence entre la volonté de tous et la volonté générale; celle-ci ne regarde qu’à l’intérêt commun; l’autre regarde à l’intérêt privé et n’est qu’une somme de volontés particulières.

La VG, c’est donc la volonté des citoyens soucieux du bien commun, c’est donc une volonté rationnelle et raisonnable. Elle ne peut errer. La cité ne peut vouloir se nuire à elle-même. Condition pour qu’il puisse y avoir une volonté générale: l’égalité; là où il y a de trop riches et de trop pauvres, il ne peut y avoir de VG.

La VG suppose des citoyens capables de faire abstraction de leur intérêt particulier, sinon, ce n’est plus que le règne de la volonté majoritaire.

Donc, pour être générale, il faut que la volonté concerne une question d’intérêt commun; il faut que la décision prise ne fasse pas acception des personnes : “Tout acte de souveraineté, cad tout acte authentique de la VG, oblige ou favorise également tous les citoyens, en sorte que le souverain connait seulement le corps de la nation, et ne distingue aucun de ceux qui la composent.”

Une loi qui viserait l’intérêt d’un groupe particulier ne serait pas du tout une loi. Donc rien à voir avec l’idée d’une loi comme expression d’un compromis d’intérêts particuliers.

Mais en se dévouant au bien public, chacun n’agit finalement que pour son propre bien, étant données les conditions de la vie en société, l’intérêt de chacun est lié à celui de tous les autres.


Nous allons reprendre ces problèmes en réfléchissant sur une forme particulière d’organisation du pouvoir politique qu’on appelle l’Etat.

D’abord, nous pouvons faire remarquer que l’Etat n’a pas toujours éxisté. Cela n’est pas évident parcequ’aujourd’hui, il impose partout sa présence: c’est lui qui dispense le savoir et l’évalue en garantissant des diplômes, c’est à lui que l’on confie le soin d’assurer la sécurité intérieure et extérieure, c’est à lui que la société s’en remet lorsqu’il s’agit de tempèrer les rigueurs de la vie économique.

Plusieurs étapes.
-définition de l’Etat comme forme spécifique du pouvoir politique.
-analyse des conditions de légitimité: examen des notions d’Etat de droit et de raison d’Etat.
-examen du problème des rapports entre l’Etat et la société. Quels doivent être leurs rapports?

Possibilité de donner une première forme de définition de l’E. L’Etat désigne soit un ensemble organisé d’institutions politiques, juridiques, administratives, policières, militaires et économiques regroupées sous un gouvernement et sur un territoire propre et in dépendant, soit le peuple qui est ainsi pratiquement organisé.

Il convient alors de distinguer l’Etat de la nation. L’Etat renvoie à une collectivité juridique, cad à un ensemble d’individus soumis à une même législation ou à un même pouvoir politique; la nation fait plutôt référence à une communauté naturelle, historique et affective. Encore que. Poser le problème des deux définitions possibles de la nation: la juridique, à la française, et la romantique allemande, essayer de faire comprendre les enjeux.

La distinction entre Etat et nation ou entre Etat et société permet de considérer l’Etat, conformèment à l’étymologie, comme ce qui maintient la nation ou la société. (en latin, status désigne le fait de se tenir debout, immobile). L’Etat apparaît alors comme l’ensemble organique des institutions d’une communauté historique. La raison d’être de l’Etat est donc la régulation de la vie sociale ou nationale.

Historiquement, il est apparu comme un pouvoir souverain reconnu comme seul détenteur de la force publique qu’il oppose à la violence individuelle et collective. Il a du combattre les libertés féodales préjudiciables à l’ordre public. Il met en place des institutions chargées de servir la collectivité dans son ensemble. Il a pour fonction de désamorcer les conflits en représentant aux hommes que ce qui les rapproche est plus important que ce qui les divise: un territoire commun en lieu et place des particularismes locaux; une monnaie unique qui facilite les échanges, une justice fondée sur l’égalité des droits, et, avec l’avènement de la République, une histoire et une éducation commune qui contribueront à transformer de simples sujets en citoyens.

Mais d’abord, il faut examiner la valeur des thèses des penseurs anti-étatistes, qui dénient toute légitimité à l’Etat, quelle qu’en soit la forme, même démocratique, ou républicaine. La pensée anti-étatique affirme qu’il est dans la nature même de l’Etat que d’opprimer, d’asservir, d’exiger des individus qu’ils sacrifient leur liberté aux intérêts supérieurs de l’Etat.

L’anti-étatisme raisonne comme si le pouvoir politique en lui-même, quelqu’en soit la forme, était toujours abus de pouvoir, comme si la liberté résidait dans le déploiement de la volonté ou des désirs individuels, contre l’Etat.

Anti-étatisme que l’on trouve dans l’anarchisme, par exemple chez le philosophe allemand Stirner, auteur en 1844 le l’unique et sa propriété:
l’Etat n’a qu’un seul but, limiter, dompter, assujettir l’individu, le subordonner à quelquechose de général; il n’est que la manifestation évidente de la limitation de moi-même, de ma restriction, de mon esclavage. Jamais un Etat ne se propose d’obtenir la libre activité de l’individu.

Donc une position individualiste. C’est sans doute ainsi que l’Etat nous apparaît au premier regard: comme un ensemble de contraintes qui s’imposent à ma volonté individuelle (je dois aller à l’école même si je ne le souhaite pas, payer mes impôts, aller à l’armée, éventuellement accepter le sacrifice de ma vie en cas de déclaration de guerre)

Mais possibilité de formuler des objections: la notion même d’individu a-t-elle un sens en dehors de l’organisation politique et étatique de la société? N’est-ce pas parceque l’Etat garantit des lois qui reconnaissent mes droits et me permettent de les exercer que je me pense d’abord comme individu? Serais-je un individu si je ne bénéficiais pas de la protection du droit? Dans une société primitive où il n’y a ni loi ni Etat, personne ne se pense d’abord comme individu, mais comme simple partie d’une totalité organique, qui ne peut survivre indépendamment du groupe. Le fait qu’une société primitive puisse faire périr quelqu’un en faisant comme si personne ne le voyait plus)

Autre forme de l’anti-étatisme: celui de marx pour qui tout Etat est un Etat de classe, instrument d’oppression d’une classe sur une autre.
Engels, dans un texte de 1884, l’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat: “Comme l’Etat est né du besoin de refréner des oppositions de classes, mais comme il est né, en même temps, au milieu du conflit des classes, il est, dans la règle, l’Etat de la classe la plus puissante, de celle qui domine au point de vue économique et qui, grâce à lui, devient aussi classe politiquement dominante et acquiert ainsi de nouveaux moyens pour mater et exploiter la classe opprimée. L’Etat n’existe donc pas de toute éternité.”

Quelles sont les solutions apportées par l’anti-étatisme au problème de l’organisation sociale? Celle d’une libre association des hommes, par le moyen de ce que Proudhon appellera le contrat. Pour que règnent la liberté et la justice, tous les hommes vivant en société doivent débattre librement pour finir par trouver un accord où les intérêts de tous sont pris en compte. Ce contrat qui résulte d’une délibération doit pouvoir être modifiable au cas où les intérêts individuels viennent à changer. La société est donc organisée par une multitude de contrats régissant tous les domaines de l’existence sociale, chacun gardant la pleine possession de sa volonté individuelle. La pensée anarchiste oppose à la permanence et à la stabilité des institutions étatiques, une recherche perpétuellement renouvelée d’un équilibre entre des groupes et leurs intérêts.
Opposition à toute idée d’un pouvoir centralisé. Idée d’un fédéralisme, que les anarchistes opposent à l’idée de démocratie telle qu’elle est issue de la révolution française, en particulier, refus de l’Etat centralisé jacobin. Refus du principe du suffrage universel, parceque le régime parlementaire repose sur la délégation de pouvoir. A quoi les anars opposent l’idée de l’organisation syndicale comme instance de défense des intérêts au sein duquel l’individu conserve son pouvoir de contestation.

Parler rapidement de la thèse marxiste du dépérissement de l’Etat.

Peut-on admettre une telle conception, qui refuse l’idée même d’autorité légitime, et l’idée du rapport commandement/obéissance?
Pour que cela soit possible, ne faudrait-il pas que les hommes n’aient plus d’intérêts économiques contradictoires? Car l’on peut concilier par un accord des intérêts différents, mais lorsque ces derniers sont contradictoires, on ne peut faire prévaloir les uns au détriment des autres que par la force. Il faudrait donc que soit dèjà réalisée l’égalité matérielle et économique.

Ensuite, cela supposerait une communauté d’hommes raisonnables, débarassés de leur égoisme, cad peut-être une mutation de la nature humaine.

C’est également concevoir la société sur le modèle d’un groupe de discussion permanent; cela vaut peut-être lorsqu’il s’agit de discuter afin de chercher la vérité, mais dans une société, où il faut prendre des décisions, il y a bien un moment où il faut arrêter de discuter, afin d’agir, et pour cela, le rapport commandement-obéissance est sans doute indispensable.

L’idée de libre-association repose sur une sorte d’opimisme anthropologique. Celui-ci est-il justifié?

Possibilité d’opposer deux objections. D’abord celle de Freud: présence en nous de pulsions dangereuses, destructrices, anti-sociales, qui doivent être tenues en laisse. N’y a-t-il pas la nécéssité d’une instance répressive qui contraigne les hommes à abandonner certaines de leurs exigences, de façon à pouvoir vivre en commun?
Objection de Hobbes: alors même qu’il y a des lois, un Etat, nous avons des raisons de craindre nos semblables, de nous protèger lorsque nous voyageons. Nous mettons nos biens sous clef, nous fermons nos portes. Cela serait encore plus vrai s’il n’y avait ni lois ni Etat pour les garantir.

Une société sans Etat ressemblerait-elle au paradis de la libre-association ou à l’enfer de ce que Hobbes Appelait état de nature? Risque de violence permanente, crainte, insécurité. Regardons ce qui se passe dans les situations de guerre civile, pù les lois ne prévalent plus, où il n’y a plus de pouvoir d’Etat.

L’anti-étatisme a raison de critiquer des Etats historiquement existants et qui en effet peuvent être oppressifs, despotiques. Mais est-ce une raison pour imputer à la nature même de l’Etat des caractéristiques qui ne valent peut-être que pour des formes historiques et particulières d’Etats?

L’anti-étatisme empêche de poser la question des conditions de légitimité de l’Etat et la question de ses fins. Que devons-nous attendre de l’Etat, quelles doivent en être les fonctions, quelles attributions faut-il leur accorder, et lesquelles leur refuser? C’est ce que nous allons voir maintenant.

La première grande conception est le théorie libérale de l’Etat, ou Etat de droit. Précision sur cette notion d’Etat de droit. On a pris l’habitude d’opposer cet Etat de Droit à l’Etat despotique, totalitaire, ou encore à ce qu’on appelle la Raison d’Etat. La Raison d’Etat, c’est l’idée que l’Etat, pour sauvegarder sa propre stabilité, ou les intérêts supérieurs de la nation, ou la sécurité du territoire peut violer les lois dont il est le garant. Il pourrait procèder à des écoutes téléphoniques illégales, des détentions abusives, les tenants du pouvoir pourraient mentir au peuple, non dans leur intérêt propre, mais dans celui de l’Etat.



La raison d’Etat désigne l’impératif au nom duquel le pouvoir s’autorise à transgresser le droit dans l’intérêt public.

Trois conditions la déterminent : le critère de la nécéssité, la justification des moyens par une fin supérieure, l’exigence du secret.

S’agit-il d’une survivance des pratiques poltiques del’absolutisme, ou d’une limite qu’impose à l’Etat de droit la dure réalité des faits?

Ministre de l’intérieur février 1987 : la démocratie s’arrête là où commencent les intérêts de l’Etat.

Deux problèmes distincts :

Celui des rapports entre l’action politique et la morale commune : peut-on mentir dans l’intérêt de l’Etat? (ex : la maladie cachée de Mitterand ). Idée de la priorité du salut public : salus populi suprema lex.

Celui des rapports entre l’Etat et la loi. La question n’est plus de savoir si le magistrat est autorisé à contrevenir aux règles collectives en cas de péril, mis s’il leur est soumis dans l’exercice normal de son autorité.

Le prince est-il lié par les lois ou est-il au-dessus des lois? L’idée de raison d’Etat est alors lié au principe de l’autonomie du puvoir politique, affirmé par Machiavel.

Rupture du politique avec l’ordre juridico-éthique. Idée que l’Etat ne connait pas d’autre souci que celui de sa propre conservation.

En ce sens, l’idée d’Etat de droit opposée à la raison d’Etat, signifie que l’Etat est au service du droit , que le pouvoir de l’Etat est limité par la loi. D’autre part, l’idée d’Etat de droit opposée à l’Etat despotique signifie que la fonction de l’Etat est de garantire des droits fondamentaux possédés par tous les membres de la collectivité. Cad que l’Etat n’est pas considéré comme une fin en soi mais seulement comme un moyen. Le pouvoir politique est au service d’une fin non politique.

Mais précaution. D’une certaine façon, tout Etat est de droit, cad que dans tout Etat, fut-il despotique ou totalitaire, le pouvoir politique est juridifié. Le droit peut être injuste, oppressif, mais il y a du droit; c’est ce qui distingue le despotisme du pouvoir tyrannique.

A quoi il faudrait ajouter ceci: l’Etat est l’institution qui traite les hommes comme des sujets de droit et non comme des individus privés: cad qui cnsidère ce qui unit les hommes comme citoyens (ils sont tous écoliers, contribuables, électeurs), et non pas ce qui les singularise au risque de les diviser comme individus. Cela signifie aussi que le pouvoir est une fonction assumée, et non plus une propriété.

Cela implique aussi une dissociation de la morale et de la politique. On ne saurait demander aux gouvernants, aux fonctionnaires et aux cotoyens d’être vertueux. Comme le disait Diderot,” l’affaire du droit n’est pas de surveiller la vertu du citoyen, de règler sa conduite, ou encore de s’assurer qu’il est juste.” C’est la thèse de Spinoza: la politique ne peut dépendre des bons sentiments, aussi louables soient-ils.

En conséquent, l’intérêt général exigera seulement qu’on préserve l’Etat des effets des passions humaines en créant des institutions qui dissuadront les individus d’en faire un mauvais usage. Peu importent les motivations des hommes pourvu qu’ils s’acquittent bien de leurs tâches, ce qui ne signifie pas qu’ils doivent être immoraux, mais que la morale n’est pas nécéssaire au salut de l’Etat. Vrai aussi pour les gouvernés: il importe peu à l’Etat que subjectivement les hommes soient rebelles ou bienveillants à l’égard des finances publiques si l’impôt qu’ils doivent est normalement acquitté. Ce qui intéresse l’Etat, c’est le contribuable comme sujet de droit et non la pureté morale de ses intentions comme sujet moral.

D’autre part, l’émergence de l’Etat, cad de l’Etat de droit implique une séparation radicale du politique et du religieux. Comme l’Etat est une puissance souveraine, il ne peut admettre qu’une autorité religieuse quelle qu’elle soit détienne le pouvoir de dire le droit, ou incite à désobéir au droit. C’est en vain qu’on invoquerait le caractère sacré des croyances pour imposer ses convictions, car une croyance n’est sacrée que pour celui qui la professe, mais elle ne saurait engager celui qui ne la partage pas à lui reconnaître ce caractère.

Pour l’Etat, aucune croyance n’est sacrée. On doit le respect à des personnes comme sujets de droit, cad qu’on doit s’abstenir de toute violence à leur égard, non pas parceque leurs croyances seraient respectables ou sacrées, mais parce qu’elles disposent du droit de les professer, fussent-elles absurdes ou insensées. C’est pourquoi l’Etat ne peut pas jouer le rôle de gardien des dogmes, et c’est aussi pourquoi la notion de République chrétienne ou de République islamique est une contradiction dans les termes. En France, la séparation du politique et du religieux s’appelle laïcité.

Reprendre la distinction kantienne entre l’état juridico-civil et l’état éthico-civil in le Pouvoir Dia 2 p. 206. Kant. la religion dans les limites...

Maintenant, la conception typiquement libérale de l’Etat de droit. En posant deux ordres de problèmes: quelle est la fonction de l’Etat, dans cette perspective, et quels sont les moyens institutionnels pour mettre en oeuvre et garantir les fonctions attribuées à l’Etat?

D’abord la fonction ou finalité de l’Etat pour la pensée libérale. Le libéralisme politique part de l’affirmation que l’Etat est légitime dans la mesure où il vise la seule finalité qu’il faut lui attribuer: garantir la tranquillité, la sûreté et le bien du peuple. La conception libérale attribue à l’Etat la tâche d’assurer l’ordre public, mais elle ne lui reconnaît pas le droit d’intervenir dans le jeu des intérêts particuliers, et spécialement, des intérêts économiques.

C’est que la société n’est pas perçue comme une somme d’intérêts contradictoires, mais comme une somme d’intérêts qui concourent à la prospérité générale, purvu que l’Etat laisse à chacun la liberté de les faire valoir.. Idée de la complémentarité des intérêts., et surtout idée que du libre jeu des intérêts particuliers va naître la propérité générale.

Thèse d’Adam Smith: “ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais de leur attachement à leurs propres intérêts: nous nous adressons, non pas à leur humanité, mais à leur amour pour eux-mêmes, et jamais nous ne leur parlons de nos besoins, mais toujours de leurs avantages.” Chacun travaillant ainsi à son intérêt particulier, une sorte de “main invisible” harmonise les intérêts des uns et des autres et contribue ainsi à la prospérité générale.

L’Etat libéral n’a pour seule fonction que de sauvegarder les droits fondamentaux de chacun, ces droits que les individus ne sauraient garantir par eux-mêmes. Il doit seulement permettre la jouissance des droits individuels et la recherche des intérêts particuliers qui caractérisent la “société civile”. L’Etat est donc au service de la société civile.

Cette conception propose une certaine définition de la liberté politique. La liberté est conçue comme jouissance de droits individuels, poursuite de ses intérêts privés, et non pas comme participation au pouvoir et à l’exercice de celui-ci. C’est la grande différence entre ce que Benjamin Constant nommait la liberté des anciens (cad des grecs) et la liberté des modernes. Pour les premiers, l’exercice de leurs droits politiques était la condition de leur liberté; être libre, c’était pouvoir se faire entendre sur la place publique, participer aux décisions de la Cité.
Mais pour les Anciens, ce n’est pas faire la loi; l’étranger eput être législateur; la pratique du nomothèète.

Pour les modernes, la liberté est conçue comme le pouvoir vaquer à la poursuite de ses intérêts privés, en étant protègés par les lois. La participation à la vie publique serait perçue comme une perte de temps qu’il vaudrait mieux consacrer à la poursuite de ses buts particuliers. Il suffit aux citoyens d’être à l’origine de la souveraineté; ils peuvent alors la confier à des représentants, des professionnels de la politique, qui vont les décharger du soucis de participer aux affaires publiques. Lien essentiel entre le libéralisme politique et la notion de représentation.

Problème des représentants:

- quelle est la nature de la représentation?
- faut-il un mandat impératif?
- est-ce la délégation de la volonté à des hommes à qui on délègue le pouvoir de vouloir à ma place?
- est-ce une délégation à des hommes que l’on considère comme détenteurs d’un savoir qui n’est pas partagé par tous, d’une compétence particulière? Mais de quel type?
- faut-il considérer ces représentants comme une médiation empêchant le peuple souverain de légiférer directement? Danger éventuel de la démocratie directe. Risqu d’aveuglement du peuple.
- les délégués ne risquent-ils pas d’être les simples représentants de groupes d’intérêts particuliers, voire de lobbies. La loi ne serait plus alors que le règne de l’intérêt majoritaire, ou le règne du compromis d’intérêts. Mais un intérêt majoritaire n’est jamais qu’un intérêt particulier. Et je serais alors obligé d’obéir à une loi dans laquelle je ne me reconnaîtrais pas.

D’autre part, lien entre conception libérale de l’Etat et le libéralisme économique. Chez les grands penseurs du libéralisme, en particulier Locke, il y a l’idée que l’homme est propriétaire avant d’être citoyen, raison pour laquelle l’etat a pour fonction fondamentale de protèger la propriété. Terme sous lequel Locke entend non seulement les biens matériels, mais aussi la vie et la liberté. Conséquence: toute institution politique qui se fixe d’autres tâches , ou qui n’accomplit pas celle-là est contraire aux droits fondamentaux de l’humanité.

Locke pense pouvoir montrer que le monde de la propriété est antérieur à l’institution politique, qu’il se constitue dans l’état de nature. Il s’agit pour lui de montrer le caractère naturel de la propriété.

La prop. naît de la condition animale de l’homme, de la nécéssité où il se trouve de se nourir pour survivre. Pour se nourir, il doit s’approprier les fruits de la terre.Tous les fruits que la terre a produit naturellement n’appartiennent à personne en particulier. Qu’est-ce qui va alors bien pouvoir faire que des hommes deviennent propriétaires de qqchose?

D’abord, dit Locke, chacun est propriétaire de son propre corps, et du travail que celui-ci peut fournir. Donc, au moment où un homme joint aux fruits de la nature le travail de ses mains, il ajoute qqchose qui lui appartient en propre, son travail, et par là, il s’approprie les fruits de la terre, qui ne sont plus alors chose commune. La prop. commence par le travail et confère un droit de propriété. Ce qui est important, c’est que ce droit ne dépend pas du consentement des autres individus, il est antérieur à l’institution politique.

Un individu a-t-il le droit d’acquérir autant de propriété qu’il le veut? La doctrine traditionnelle de l’Eglise voulait limiter le droit de prop. en avançant l’argument suivant: celui qui s’approprie par son travail les fruits de la terre doit en laisser suffisamment, et d’aussi bons aux autres; de plus, il ne doit pas gaspiller, laisser périr ceux qu’il s’approprie. Locke rejette cette argumentation, le droit de propriété est illimité.Car le travail qui fonde la propriété, loin d’enlever qqchose au fonds commun de l’humanité, y ajoute. Celui qui exploite la nature crée des richesses. Les choses de ce monde tirent leur valeur non pas de leur bonté intrinsèque, mais de la quantité de travail humain qui s’y trouve incorporé.

Cela entraîne une conséquence essentielle sur le plan du libéralisme politique. L’Etat n’est pas institué pour faire le bonheur des individus. Si les initiatives individuelles suffisent à promouvoir l’intérêt de chacun, l’Etat n’a pas à intervenir dans la société civile, sinon pour préserver la sécurité et assurer le respect des règles de la concurrence. Il s’agit donc de limiter les attibutions de l’Etat.

Dans une telle conception, on se place dans l’hypothèse d’une égalité des chances. Cette dernière n’est pas contrdite par les inégalités sociales et économiques,; celles-ci ne sont que le reflet de l’usage différent que les individus font de leur liberté. Autrement dit, les inégalités ne sont pas des injustices car si certaines personnes choisissent de travailler moins ou refusent de prendre des risques, personne sinon eux-mêmes ne pourra être tenu responsable de la place qu’elles occupent dans la société. C’est pourquoi il serait au contraire injuste de demander à l’Etat d’intervenir pour corriger les inégalités qui n’ont été voulues par personne. Benjamin Constant faisait remarquer que même si l’Etat le voulait, il ne pourrait durablement s’opposer au libre marché. L’Etat n’a plus le pouvoir de retenir la richesse, qui peut du jour au lendemain passer les frontières. L’Etat peut bien inquièter les personnes, mais il ne peut plus s’emparer de leurs biens.

Donc le libéralisme prétend réduire l’Etat à une instance politique neutre dont la seule fonction est de garantir l’autonomie de la société civile.

Quels sont les moyens invoqués pour remplir cette tâche? Il y a là un problème sur lequel il va falloir réfléchir: d’une part l’Etat doit veiller à la jouissance des droits et de la liberté des individus, mais en même temps, il faut réussir à protèger les personnes privées de tout risque d’empiètement du pouvoir d’Etat sur la sphère privée de l’existence. Peut-être une contradiction.

Quels sont les moyens envisagés par les théoriciens de l’Etat libéral pour limiter le pouvoir étatique?

D’abord en affirmant qu’il y a une instance extérieure et supérieure au pouvoir de l’Etat: ce sont les droits naturels de l’homme, ce que l’on appelle des droits-libertés: liberté de conscience, d’expression, de circulation, de propriété.. Ces droits sont des limites que le pouvoir politique ne doit pas violer. (affirmation de la primauté de l’individu)

On pourrait croire que l’Etat libéral se confond avec la démocratie au sens de: exercice par le peuple de sa souveraineté, cad pouvoir de faire des lois qui émanent de la volonté populaire.
Mais pas du tout. En effet un peuple pourrait faire des lois limitant le droit de s’enrichir, limitant la propriété. Cela implique que la souveraineté du peuple soit encadrée afin qu’elle ne puisse porter atteinte aux droits individuels.

Plusieurs moyens pour cela. D’abord l’Etat est soumis à un ensemble de règles juridiques. Ceux qui exercent le pouvoir, aussi bien que les simples citoyens sont soumis à des lois. L’on n’obéit plus qu’à des lois et non plus à des personnes.

Question : cela protège de l’arbitraire du pouvoir, mais cela garantit-il de la légitimité des lois?

Il y a une sorte d’architecture juridique idéale de l’Etat:

au sommet, les droits naturels, inaliénables, reconnus et proclamés éventuellement dans une déclaration solennelle.
en dessous, une constitution, qui assure la garantie des droits naturels en les transformant en droits civils.
en dessous les lois, adoptées par le corps législatif, et qui doivent être en accord avec les principes constitutionnels pour être valides
et enfin le gouvernement qui est chargé de l’application des lois, et qui prend des décisions conformes aux lois, qui ne doit avoir aucun pouvoir normatif, et qui ne doit pas aller contre l’autonomie de la société civile.

enchâssement de normes. Donc, l’Etat de droit ainsi conçu, ce n’est pas la toute-puissance de la majorité, mais le moyen qui doit garantir le respect de l’individu, de ses valeurs et de ses aspirations.

Deuxième grand moyen auquel la pensée libérale a recours pour garantir les libertés individuelles: la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. C’est la fameuse thèse de Montesquieu: “pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir”

C’est le livre XI de l’esprit des lois. Il ne faut pas que tous les pouvoirs soient aux mains d’un seul homme ou d’une seule assemblée, parceque, dit Montesquieu, c’est une expérience éternelle que celui qui détient du pouvoir est porté à en abuser. C’est pourquoi, selon lui, on ne rencontre la liberté politique ni dans la démocratie ni dans la monarchie, mais seulement dans ce qu’il nomme les gouvernements modérés, dont la monarchie constitutionnelle anglaise est le type idéal.

D’où la définition de la liberté politique selon Montesquieu: “la liberté politique ne consiste point à faire tout ce que l’on veut. Dans un Etat, cad dans une société où il y a des lois, la liberté ne peut consister qu’à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir, et à n’être point contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir...La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent.”

A quoi M. ajoute: “la liberté politique, dans un citoyen, est cette tranquiliité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté; et, pour qu’on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel, qu’un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.”

A quoi on pourrait ajouter: soit tel que le citoyen ne puisse pas craindre les empiètements du pouvoir de l’Etat dans sa vie privée. On pourrait presque dire que pour la pensée libérale, l’Etat est un mal nécéssaire, dont il faudrait essayer de se passer. L’idéal libéral serait une société sans Etat, régulée par le libre jeu des intérêts particuliers.

Examen de la valeur de cette conception.

D’abord peut-être une contradiction: comment l’Etat peut-il être le garant des droits individuels? Par le monopole du pouvoir politique: il contraint les hommes à obéir aux lois, il punit les violations de la loi. Comment peut-on en même temps vouloir se protèger de l’Etat? Idée libérale que l’on ne peut être libre que contre l’Etat. Comment peut-on en même temps l’être par l’Etat? L’idée d’une auto-limitation du pouvoir d’Etat a-t-il un sens?

Ensuite, la critique marxiste de l’Etat libéral. Ce dernier n’est pas neutre; il n’est rien d’autre que l’Etat dont la bourgeoisie a eu historiquement besoin pour asseoir son pouvoir. Il est faux que du jeu des intérêts peut naître la prospérité commune: il y a des antagonismes irréconciliables d’intérêts.

L’Etat libéral prétend ne pas avoir à perturber les lois du marché. Or celui-ci peut provoquer l’opposition grandissante de la richesse et de la pauvreté. Or, si des hommes s’appauvrissent pour des raisons économiques, à quoi servent les droits garantis par l’Etat? Que signifie la liberté de conscience quand on ne dispose pas des moyens de s’instruire?

Ensuite l’importante critique rousseauiste du libéralisme, dans lequel il voit à la fois le règne de la corruption, et l’abdication par les hommes de la liberté politique, un système d’asservissement.

Cad? Nous avons vu que le fondement du libéralisme, c’est la distinction de la société civile et de l’Etat. Ce dernier n’est que l’instrument de la première. La société civile tend à se suffire à elle-même: chacun y exerce librement ses talents pour assurer sa conservation la plus confortable possible, chacun cherche à améliorer sa condition, et cherche à faire reconnaître ses mérites par ses égaux.
Quant à l’Etat, au service de la recherche individuelle de la conservation, il fait appliquer les lois qui garantissent à chacun la sécurité et la libre recherche du bonheur selon l’idée qu’il s’en fait.

Ce sont là les principes. Mais comment cela fonctionne-t-il en fait? Dans un tel système, l’individu est la seul source de ses actions. Mais quels vont être les motifs de ces actions supposées siennes? Il entre nécéssairement en relation avec les autres individus pour son éducation, ses affaires ou ses plaisirs: il dépend d’eux sans être gouverné par eux. Comment ces individus vont-ils se rapporter les uns aux autres? Ils vont, dit Rousseau, se comparer.

Se comparer, c’est le péché originel de l’homme et du monde moderne. L’homme qui se compare est toujours malheureux: il y aura toujours quelqu’un de plus riche que moi, ou alors, si je suis le plus riche, il y aura qqu’un de plus intelligent etc...

L’homme qui se compare est toujours malheureux, mais il est de plus toujours corrompu: le désir de devenir le premier le conduira à commettre toutes les malhonnêtétés que la morale ordinaire réprouve. D’autre part, les nécéssités de la concurrence obligeront chacun à présenter aux autres une image qui les flatte et qui le flatte: son extérieur ne sera jamais en accord avec son intérieur et sa vie sera un mensonge permanent.

L’homme qui se compare est divisé, aliéné, il ne peut jamais être lui-même: dans ses rapports avec les autres, il ne pense qu’à lui-même, mais dans ses rapports avec lui-même, il ne pense qu’aux autres.

Raison pour laquelle Rousseau dénoncera la richesse; ce n’est pas simplement pour lui une catégorie économique, mais le symptôme d’une société fondée sur la comparaison, et où les hommes ne s’appartiennent plus.

Mais la conception libérale de l’Etat et de la société a encore un autre vice: c’est que l’homme n’y est plus citoyen, il n’est plus que bourgeois, qui est un type humain dégradé. Le bourgeois, c’est celui qui est refermé sur lui-même, qui ne connait plus que son intérêt particulier, mais qui, pour pouvoir satisfaire cet intérêt , a besoin des autres; il en est dépendant tout en cherchant à les exploiter.

Le bourgeois, c’est celui qui a renoncé à la liberté politique: explication du chap XV du livreIII du contrat social.

Mieux l’Etat est constitué, plus les affaires publiques l’emportent sur les privées dans l’esprit des citoyens. Il y a même beaucoup moins d’affaires privées, parceque la somme du bonheur commun fournissant une portion plus considérable à celui de chaque individu, il lui en reste moins à chercher dans les soins particuliers. Dans une cité bien conduite, chacun vole aux assemblées; sous un mauvais gouvernement nul n’aime à faire un pas pour s’y rendre; parceque nul n’y prend intérêt à ce qui s’y fait, qu’on prévoit que la volonté générale n’y dominera pas, et qu’enfin les soins domestiques absorbent tout. (...) Sitôt que quelqu’un dit des affaires de l’Etat : que m’importe? on doit compter que l’Etat est perdu.
L’attièdissement de l’amour de la patrie, l’activité de l’intérêt privé, l’immensité des Etats, les conquêtes, l’abus du gouvernement ont fait imaginer la voie des députés ou représentants du peuple dans les assemblées de la nation. (...)
La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu’elle ne peut être aliénée; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point : elle est la même ou elle est autre; il n’y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires; ils ne peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle; ce n’est point une loi. Le peuple anglais pense être libre; il se trompe fort, il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement; sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. Dans les courts moments de sa liberté, l’usage qu’il en fait mérite bien qu’il la perde.
L’idée des représentants est moderne: elle nous vient du gouvernement féodal, de cet inique et absurde gouvernement dans lequel l’espèce humaine est dégradée, et où le nom d’homme est en déshonneur. Dans les anciennes républiques et même dans les monarchies, jamais le peuple n’eut de représentants; on ne connaissait pas ce mot-là.



ROUSSEAU Contrat social. Livre III Chapitre xv.

Critique hegelienne du libéralisme. C’est parceque l’Etat moderne n’est pas soumis à des intérêts particuliers, mais qu’il les transcende que hegel peut le définir comme l’incarnation de la Raison. Dans son vocabulaire, Hegel dit de l’Etat moderne qu’il est la réconciliation du particulier et de l’universel. Cad? Le particulier, c’est tout ce qui relève de la sphère de la vie privée, avec ses choix de modes de vie, de croyances, ce qui appartient à la sphère économique. La Cité grecque antique avait ignoré cette dimension de la particularité; elle ignorait l’idée de droits individuels qu’il aurait fallu impérativement respecter: elle imposait la fidélité aux dieux de la Cité, elle ignorait ce que nous appelerions la liberté de conscience, elle bannissait les hommes qui prenaient trop d’importance ( l’institution de l’ostracisme). L’Etat moderne reconnaît cette dimension.
Mais il incarne aussi l’universel, cad la capacité de dépasser les buts individuels bornés. En participant à la vie de L’Etat, nous devenons citoyens, capables de penser au bien commun, nous nous arrachons à notre particularité. C’est pourquoi c’est un devoir universel de défendre l’Etat lorsqu’il est menacé comme tel, cad dans son indépendance, sa souveraineté. Alors que l’individualiste libéral ne se sent pas en danger tant que son intérêt particulier n’est pas menacé: l’Etat est-il envahi, peu importe pourvu qu’il puisse continuer à faire des affaires. Souveraineté hegelienne de l’Etat comme réconciliation du particulier et de l’universel.

Maintenant, la notion d’Etat providence. La notion même d’Etat providence peut être trouvée chez Tocqueville : “le gouvernement ayant pris la place de la providence, il est naturel que chacun l’invoque dans ses nécéssités particulières.” Pour les penseurs libéraux, l’EP est celui qui, en prétendant intervenir dans le libre jeu des intérêts de la société civile, perturbe les mécanismes naturels de la vie sociale et économique, et est porteur de dangers politiques.

L’EP est cette forme d’Etat qui effectivement intervient dans la vie de la société civile, qui ne se contente pas de maintenir l’ordre, mais entreprend de l’aménager. S’il le fait, c’est qu’il doute de la capacité de la société civile à réaliser par ses seules forces l’harmonie à laquelle elle prétend. Loin de former une totalité homogène, la société civile est constituée de volontés particulières qui, comme elles sont motivées par des intérêts s’entrechoquent aveuglèment plus qu’elles ne s’harmonisent.

Comme chacun poursuit son intérêt particulier, il ne se préoccupe pas des conséquences de son action sur le corps social. A supposer qu’une pénurie d’essence menace la société, chacun voudra s’en procurer au plus vite, et cela va accélerer la pénurie qui aurait pu être différée par une répartition équitable du carburant. En d’autres termes, la société civile est aveugle parceque sa rationalité vise des objectifs à court terme et non des fins sur lesquelles les hommes auraient réfléchi afin d’en définir le sens et la valeur. C’est le caractère borné de la recherche du profit à court terme qui engendre les désastres écologiques par exemple.

La société civile est aveugle également lorsqu’elle affirme que les inégalités ne sont pas des injustices. Pour qu’il en soit ainsi, il faudrait que l’égalité de droit se double d’une égalité de fait qui donne à chacun la même chance de faire valoir ses intérêts. Le libéralisme affirme qu’il en est ainsi, mais rien n’est moins sûr.

On affirme l’égalité des chances dans la réussite scolaire; mais y a-t-il réellement égalité des chances entre celui qui dispose à la maison des conditions matérielles favorables à l’étude, une bibliothèque, des parents qui peuvent l’aider, et celui qui ne possède pas cela? Comment se fait-il qu’à l’université l’on ne retrouve qu’un petit pourcetage de fils et filles d’ouvriers, artisans et agriculteurs?

Par exemple, si on est théoriquement libre de refuser un emploi qu’on estime injustement payé, notre choix nous engage beaucoup plus que l’employeur. Celui-ci pourra toujours trouver un autre individu qui , poussé par la misère, acceptera les conditions de salaire que nous avions réfusées. L’employeur lui est prêt à faire jouer la concurrence parcequ’elle jouera en sa faveur, alors qu’elle jouera en défaveur de celui qui cherche du travail.

C’est pourquoi les défenseurs de l’EP affirment que c’est la fonction de l’Etat que de corriger les inégalités qui risquent de se transformer en injustices. Car s’il est vrai que les individus sont égaux en droit, il est loin d’être vrai qu’ils le soient en fait. De ce point de vue l’EP est une anti-nature, il affirme que la justice ne découle pas mécaniquement du libre jeu des échanges, mais qu’elle doit être instituée par un acte de volonté.

C’est à cela que pense le philosophe Condorcet lorsqu’il affirme que c’est à L’Etat que doit revenir l’obligation d’organiser l’instruction publique. Dans une République, les hommes sont supposés être des citoyens conscients, rationnels et suffisamment informés des problèmes politiques pour pouvoir effectuer leurs choix en connaissance de cause. C’est pourquoi il revient à l’Etat d’instruire, non seulement pour favoriser les aspirations individuelles, mais pour faire des citoyens libres et responsables, car l’aisance matérielle favorise l’accès à la culture, alors que la pauvreté en ferme l’accés.
Dans la version libérale de L’ETat, la liberté préexiste au lien social, elle est un attribut constitutif de l’homme que l’Etat doit se borner à garantir.

Dans l’EP, les hommes n’ont pas seulement à défendre leurs droits contre l’arbitraire, ils doivent aussi reconnaître tout ce qu’ils doivent à ceux qui en rendent l’exercice possible. Si nous pouvons nous déplacer librement, ce n’est pas d’abord parceque j’ai un droit individuel à la liberté de déplacement, mais c’est parcequ’il y a des milliers de personnes qui travaillent pour construire et entretenir les voies de communication. Si nous recevons notre courrier régulièrement, c’est que nous dépendons du travail d’autrui.

Il faut comprendre que la jouissance de nos droits et l’exercice de nos libertés engendrent une dette à l’égard de la collectivité. Il serait superficiel et faux de voir dans la société une somme d’individus indépendants les uns des autres; la société se présent comme un système complexe de solidarités où chacun n’existe que par l’action d’autrui. C’est là que réside le mensonge de l’individualisme libéral. C’est pourquoi l’EP se fait un devoir de satisfaire les aspirations des plus défavorisés en garantissant des droits sociaux, comme le droit à la sécurité sociale, à l’éducation ou à un minimum de ressources. Cela n’est pas un effet de la charité, mais l’effet d’une dette sociale. Contrairement à ce que prétend le libéralisme, ma liberté ne s’arrête pas où commence celle des autres, mais elle passe par celle des autres. C’est pourquoi l’EP ne s’assigne pas comme seule fin le règne de la sécurité, mais le règne de la justice.

Cependant, n’y a-t-il pas là aussi des dangers dont il faut avoir conscience? Analyse du texte de Tocqueville.

Je pense donc que l’espèce d’oppression dont les peuples démocratiques sont menacés ne ressemblera à rien de ce qui l’a précédée dans le monde; nos contemporains ne sauraient en trouver l’image dans leurs souvenirs. Je cherche en vain moi-même une expression qui reproduise exactement l’idée que je m’en forme et la renferme; les anciens mots de despotisme et de tyrannie ne conviennent point. La chose est nouvelle, il faut donc tâcher de la définir, puisque je ne peux la nommer.
Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde; je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres: ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas; il les touche et ne les sent point; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et, s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie.
Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre?
Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l’avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger.
J’ai toujours cru que cette sorte de servitude, réglée, douce et paisible, dont je viens de faire le tableau, pourrait se combiner mieux qu’on ne l’imagine avec quelques-unes des formes extérieures de la liberté, et qu’il ne lui serait pas impossible de s’établir à l’ombre même de la souveraineté du peuple.

TOCQUEVILLE. De la démocratie en Amérique.


Etude de la démocratie comme tendance historique générale, verq qui toutes les sociétés se dirigeront progressivement.

Cependant pour lui, danger d’un despotisme nouveau: celui de la démocratie. Thème totalement neuf. Avant lui, on avait posé le problème de l’effondrment de la démo. Platon montrait qu’elle ouvrait la voie à la tyrannie par l’intermédiaire des démagogues.

Toc. Lui, parle de despotisme démocratique.

Distinction de deux formes: la démo politique et la démocratie sociale.

Ce qui se développe, c’est la démo sociale, cad l’égalisation progressive des conditions. Formation d’une gigantesque classe moyenne.

Mêmes revenus, loisirs, métiers, comportements, divertissements. Les hommes sont pr^ts à se battre pour l’égalité.

D’abord, un jugement de valeur : égalisation qui sera un nivellement par le bas. Il n’y aura plus de grandes passions. Plus de grands crimes, mais plus non plus de grandes ambitions. Le besoin de sécurité matérielle engendrera la médiocrité. Ce sera l’invasion du bien-être et de l’utile qui détrôneront la grandeur et la beauté. Règne de la platitude, disparition des héros.

Developpement du conformisme, acceptation de l’opinion commune. Règne de la loi du nombre, de la loi de la majorité sociale. Toc parle de tyrannie de la majorité. Tendance à l’uniformisation des goûts, des idées, des comportements; règne des médias qui fournissent une sorte de prêt-à-penser. Risque pour les minorités de n’avoir plus droit à la parole.

L’Etat tutélaire fournit le bien-être matériel. Développement du despotisme de l’administration. L’Etat ôte aux citoyens toute responsabilité. Le plus effrayant dans ce despotisme démocratique, c’est que personne en le ressentira plus comme une oppression politique. Les citoyens auront choisi leurs tuteurs, ils oublieront jusqu’à l’idée m^me de liberté politique.

Ce sera un despotisme invisible, contre lequel plus personne n’aura envie de lutter, parcequ’il sera doux. Donc, le problème posé est celui de la compatibilité de la liberté et de l’égalité.


Le despotisme démocratique consisterait dans la présence d’un EP qui aurait réussi à faire oublier aux hommes le souci de s’occuper eux-mêmes des affaires de la cité. Mais souvenons nous de ce que disait Rousseau: c’était dans le monde libéral lui-même qu’il voyait la source de cette indifférence à l’égard des affaires publiques. Reprocher à l’EP d’être une source possible de despotisme politique, c’est peut-être oublier que c’est dans la perspective libérale que les hommes deviennent de plus en plus incapables de se penser comme citoyens.


Il y a un passage très périlleux dans la vie des peuples démocratiques. Lorsque le goût des jouissances matérielles se développe chez un de ces peuples plus rapidement que les lumières et que les habitudes de la liberté, il vient un moment où les hommes sont emportés et comme hors d’eux-mêmes, à la vue de ces biens nouveaux qu’ils sont prêts à saisir (...).
Si, à ce moment critique, un ambitieux habile vient à s’emparer du pouvoir, il trouve que la voie à toutes les usurpations est ouverte.
Qu’il veille quelque temps à ce que tous les intérêts matériels prospèrent, on le tiendra aisément quitte du reste. Qu’il garantisse surtout le bon ordre. Les hommes qui ont la passion des jouissances matérielles découvrent d’ordinaire comment les agitations de la liberté troublent le bien-être, avant que d’apercevoir comment la liberté sert à se le procurer.
(...) Je conviendrai sans peine que la paix publique est un grand bien; mais je ne veux pas oublier cependant que c’est à travers le bon ordre que tous les peuples sont arrivés à la tyrannie. Il ne s’ensuit pas assurément que les peuples doivent méprise r la paix publique; mais il ne faut pas qu’lle leur suffise. Une nation qui ne demande à son gouvernement que le maintien de l’ordre est dèjà esclave au fond du coeur; elle est esclave de son bien-être, et l’homme qui doit l’enchaîner peut paraître.

Alexis de Tocqueville.

Possibilité de poser la question de savoir si la République, cad l’organisation politique qui fait passer le bien commun avant l’intérêt particulier est compatible avec le libéralisme politique et économique.

L’Etat tutélaire risque de participer au mouvement de transformation historique des peuples en masses. Monde moderne comme irruption des masses sur la scène de l’histoire, ou de la foule.

Opposition peuple/foule. un peuple est composé d’individus définis par des droits, des devoirs, une conscience civique. Une foule est une masse, on dit que l’individu se fond dans la masse.

Disparition de l’individualité avec sa faculté de juger, son sens critique.

Freud : “ chez les individus réunis en foule, toutes les inhibitions individuelles ont disparu, alors que les instincts cruels, brutaux, destructeurs, survivance des époques primitives, qui dorment au fond de chacun, sont éveillés et cherchent à se satisfaire.”
Foule comme régression. Sa faculté d’être suggestionnable, d’avoir des engouements subits, qui ne durent pas. Son irrationalité, son besoin d’être dirigé. Perte de l’autonomie du sujet.

Les Etats totalitaires vont règner sur des masses.



Poser le problème de la transformation du peuple en masse.

C’est l’Etat totalitaire qui prétend faire disparaître tous les conflits qui animent la société civile, qui tente d’extirper tous les facteurs de différenciation susceptibles de faire obstacle à l’avènement d’une communauté parfaitement transparente. L’ET repose sur une conception organiciste de la collectivité, cad une conception qui affirme que chaque individu n’existe que par rapport à un tout qui le comprend et le dépasse. Dans un tel système, on pose l’identité des fins individuelles et collectives.

C’est pourquoi il y a là abolition de la frontière qui sépare dans un Etat de droit la sphère privée et la sphère publique. Toutes les dimensions de l’existence deviennent publiques. L’Etat absorbe la société civile. Il pénètre à l’intérieur des familles comme à l’intérieur du monde du travail; il contrôle la vie intellectuelle ou religieuse, les associations sportives et culturelles; Il ne se contente pas d’organiser la vie économique, il prétend en répartir les fruits, distribuer le travail, mais également organiser les loisirs. Et quand il prétend instruire l’enfant, c’est toujours pour lui enseigner des valeurs, des croyances, une conception du monde, et non pour lui apprendre à penser par lui-même. Ce pouvoir est totalitaire en ceci aussi qu’il prétend juger les hommes non plus seulement sur leurs actes, mais également sur leurs intentions. En un mot, il prétend se substituer à la société, en tentant de réaliser une communauté transparente à elle-même.

L’on voit que la liberté réside peut-être dans cette perpétuelle tension entre la fuite vers le particulier et le despotisme de l’universel.