mercredi 10 mars 2010

La culture

NATURE ET CULTURE.


Plan :

- la nature comme réalité culturelle



Introduction.

Nous allons nous interroger sur les rapports de la nature et de la culture.

Faire cela, c’est une façon de s’interroger sur l’homme : seul, il est à la jonction de deux mondes, celui de la N et celui de la C.

Il est un être vivant, comme l’animal, mais il appartient à un monde d’artifices, de conventions, de règles, de lois, de coutumes qui relèvent de la C.


Pourquoi cette interrogation sur ce rapport N-C ?

D’abord pour pouvoir répondre à une question théorique : qu’est-ce que l’homme ? Il s’agit d’une réflexion sur nous-mêmes (mais pas au sens psychologique)

Ensuite, dans une perspective critique : la nature est souvent invoquée pour porter des jugements de valeurs sur les conduites, les comportements humains.

Cad que la nature est invoquée comme norme. On dira que l’homosexualité est contre-nature.


Certains parlerons du statut naturellement inférieur du statut social des femmes.

D’autres que les inégalités sociales ont une origine naturelle, que les relations hiérarchiques au sein de la vie sociale ont une origine dans des inégalités naturelles d’intelligence, de talents, de capacités.


La référence à la nature suffit-elle à légitimer un comportement, une conduite, une institution ? Et à quelle nature se réfère-t-ton ? Peut-on prendre la nature comme norme des comportements humains ?

La nature est-elle un guide ? Par ex en matière morale ? Nous dit-elle ce que nous devons faire ? Est-il légitime d’assimiler “naturel” et “normal” ?


On dira que la technique humaine détruit la nature et qu’il conviendrait de la respecter. Critique de la société technologique : voeu de certains d’effectuer un “retour à la nature” ou de se “rapprocher de la nature” ou de ”mener une vie plus naturelle”.

On parlera de “médecine naturelle”, pour le moins problématique, puisque la médecine par définition est une modification d’un phénomène naturel qu’est la maladie !

A ce sujet, distinguer “soigner” et “guérir” : la remarque d’Hippocrate (4° siècle) : “tous les malades qui reçoivent des soins ne guérissent pas, quelques malades qui ne reçoivent aucun soin guérissent.”

Un écrivain du 19° disait : “à Versailles, la nature n’a plus rien de naturel”

Sur un dépliant publicitaire, on lit : “ au Maroc, la nature est restée naturelle”.

Une marque de produits biologiques dit : “refaites corps avec la nature”, mais un homme de sciences peut dire : “la nature engendre des monstres”.

Donc, on est confronté à l’extraordinaire polysémie du mot “nature”.

Le montrer à travers cette phrase :

“ Peintre de nature morte et de nature chagrine, fin connaisseur de la nature humaine, il avait le sentiment de la nature et, après avoir été payé en nature pour son tableau “La Nature”, représentant des paysannes nature, peintes d’aprés nature, grandeur nature, il disparut dans la nature, au grand scandale des petites natures qui veulent corriger la nature et considèrent le retour à la nature comme un acte contre nature.”

Possibilité de repérer plus d’une dizaine de sens : réalité extérieure, principe vital, essence, instinct, pulsions, tempérament, caractère, ensemble des phénomènes, univers, paysage, organes de la génération, déterminisme etc...

Même flou à propos de l’usage de la notion de culture : on parle de culture jeune, de culture d’entreprise, des difficultés nées du voisinage dans une même société de personnes venant de cultures différentes ou ayant des valeurs culturelles différentes.

On parlera de la nécessité d’admettre des sociétés multiculturelles ou au contraire certains protesteront contre le “métissage culturel” censé faire perdre à une société son identité.

On dira qu’il faut protéger le patrimoine culturel, et pour cela on ouvrira de nouveaux musées dans lesquels on mettra les plus grandes oeuvres de la peinture, mais également, on ouvrira des éco-musées dans lesquels on exposera des outils de travail des paysans de jadis.

Bref, tant à propos de l’idée de nature que de culture, un grand flou et vague. Question essentielle : de quoi parle-t-on ?

C’est justement parce que ces idées sont difficiles à cerner et à définir quelles sont philosophiquement intéressantes.

Formulation d’un paradoxe philosophique :

“ Une idée est d’autant plus éclairante qu’elle crée plus d’obscurité, qu’elle soulève plus de difficultés et n’escamote pas les obstacles. La valeur d’une idée se mesure moins aux solutions qu’elle permet d’obtenir qu’aux problèmes qu’elle fait surgir, et tient moins à sa capacité de résorption qu’à sa puissance d’interrogation.”

Essayer de ramener cette diversité et cette confusion à la clarté conceptuelle.

Si on se réfère à l’étymologie des mots : en grec : le mot physis, nature, qui a donné “physique”, a la même racine que “foetus” et vient d’un verbe (phuein) qui signifie “croître”, “pousser”, “faire croître”. en latin, le verbe nascere, naître. (natalité, natif, prénatal).

D’où l’idée que la N est un principe de production, de croissance, en dehors de toute intervention humaine. La N serait ce qui possède en soi son propre principe de développement.

Cependant, ambiguïté : c’est la nature qui engendre une extraordinaire diversité d’espèces - et on peut alors se poser la question : pourquoi une telle diversité ? la nature poursuit-elle à travers cela des fins ? - mais c’est également la nature qui engendre la corruption (expliquer) et la destruction : si on abandonne une ville, on dira que la nature reprend ses droits, la rouille finira par détruire ce qui est en métal, et la corrosion est un phénomène naturel.

Donc à la fois puissance de production et de destruction.

(Pas indispensable :Au début de sa Physique (du grec physis = nature), Aristote:

“Parmi les êtres que nous voyons, les uns existent par le seul fait de la nature; et les autres sont produits par des causes différentes. Ainsi c’est la nature qui fait les animaux et les parties dont ils sont composés; c’est elle qui fait les plantes et les corps simples, tels que la terre, le feu, l’air et l’eau; car nous disons de tous ces êtres et de tous ceux du même genre qu’ils existent naturellement. Tous les êtres que nous venons de nommer présentent évidemment, par rapport aux êtres qui ne sont pas des produits de la nature, une grande différence; les êtres naturels portent tous en eux-mêmes un principe de mouvement et de repos; soit que pour les uns ce mouvement se produisent dans l’espace; soit que pour d’autres ce soit un mouvement d’accroissement et de décroissement; soit que pour d’autres encore, ce soit un mouvement de simple altération. (...) La nature doit donc être considérée comme un principe de mouvement et de repos”.

La N pour Aristote conduit les choses à leur achèvement, à leur perfection, au complet développement qui leur est propre.)

A partir de là, peut-être possibilité de faire une distinction entre nature et culture :

antériorité de la nature : la N est le milieu dans lequel vit l’homme, mais qui n’est pas son oeuvre; mais c’est également ce qui en nous est inné : nos instincts (mais nous avons vu ce qu’il y avait de problématique dans cette affirmation de la possession par l’homme d’instincts), nos besoins, nos tendances qui assurent la perpétuation biologique de la vie.

Ce qui amène une question : s’il y a en nous une part de nature (notre corps, les fonctions organiques, etc,) peut-on dire qu’il y a une nature de l’homme ?

Le mot N est alors entendu en un 2° sens : celui d’essence. Cad ce qu’une chose est par elle-même quand elle n’est pas modifiée par une intervention extérieure. Ce qui constitue la nature permanente d’un être, indépendamment de ce qui lui arrive. Ce qui définit un être, indépendamment du fait qu’il existe.

La nature d’une chose, c’est donc son essence. Une chose de la nature a une nature : l’ensemble des propriétés physico-chimiques qui le constituent, et tout est simple.

Mais lorsqu’il s’agit de l’homme, comment connaître sa nature, si on admet qu’il a une double existence. Hegel (1770-1831) Esthétique.

“Les choses de la nature n’existent qu’immédiatement et d’une seule façon, tandis que l’homme, parce qu’il est esprit, a une double existence; il existe d’une part au même titre que les choses de la nature, mais d’autre part, il existe aussi pour soi, il se contemple, se représente à lui-même, se pense et n’est esprit que par cette activité qui constitue son être pour soi.”

A-t-on même le droit de parler de “nature humaine” ? En 1739, le philosophe anglais David Hume (1711-1776) publiait son “traité de la nature humaine”, mais aujourd’hui, domine dans la philo l’idée que l’homme n’aurait pas de nature, mais une histoire. Cas de l’existentialisme de Sartre (1905-1980).

Importance de la définition de la notion de nature pour la philo politique, quand on essaie de penser les relations entre les hommes. Faut-il dire avec Hobbes (1588-1679) que par nature l’homme est un loup pour l’homme ? ou avec Rousseau (1712-1778) que l’homme est naturellement bon? ou avec Kant que l’homme est par nature à la fois sociable et insociable ?
la N se distinguerait et s’opposerait alors à plusieurs notions :

- nature/ artifice : est artificiel tout ce qui résulte d’une intervention humaine : l’eau de source est naturelle, le sucre de synthèse est artificiel.
- nature/artifice peuvent également s’opposer en un deuxième sens : la nature au sens de ce qui est authentique, par opposition à ce qui est dégradé, de moindre valeur. Nature alors comporte un jugement de valeur.

- nature/convention : ce qui dépend d’une décision humaine est conventionnel. L’âge de la puberté est naturel, l’âge de la majorité légale est conventionnelle.

- nature/institution : on distingue ce qui est donné par la nature et ce qui est institué par les hommes : nos lois, nos coutumes, nos règles, ce qui nous sert de point de repère dans notre existence sociale.

- nature/acquis : ce qu’un être vivant tient de la nature est inné, ce qui lui vient d’une influence extérieure est acquis.

I) La nature comme réalité culturelle.

Mais cette simplicité est une fausse simplicité. On cherche d’abord à montrer quelle est la nature de la nature, pour pouvoir ensuite l’opposer et l’articuler à la culture.

Mais nous ne saisissons jamais immédiatement (expliquer) la nature telle qu’elle est; nous ne la saisissons qu’à travers des idées que nous nous faisons de la nature, et qui relèvent de la culture. La nature est d’abord une idée.

Le simple spectacle des phénomènes naturels est ambigu : le ciel étoilé et muet plonge Blaise Pascal (1623-1662) dans l’effroi et Kant dans l’admiration de l’ordre du monde.

Les Alpes qui attirent aujourd’hui tant de touristes émerveillés horrifiaient la Marquise de Sévigné.

D’où le caractère problématique de l’appellation “la nature” : il y a des conceptions de la nature, qui sont des conceptions qui relèvent de la C.

Prendre des exemples :

on voit un homme manger. quoi de plus naturel que de manger ? Il y a des fonctions naturelles qui sont à l’oeuvre : déglutition, digestion, assimilation.

Cependant : cet homme mange-t-il simplement parce qu’il a faim ? ou pour d’autres raisons ? Par gourmandise, respect de l’hôte qui l’invite, cad politesse ? Il a des “manières de table” : manger avec des baguettes ou autres, en observant un certain rituel qui permet de dire s’il est distingué ou grossier. Il mange à telle ou telle heure, en suivant un certain ordre; il sélectionne les aliments, selon des prescriptions religieuses, selon ses goûts, les ordres de son médecin. Son estomac digère, mais plus ou moins bien selon les aliments; il y a des aliments trop forts, ou acides pour lui, qu’il ne supportera pas.

Autrement dit, un corps qui se nourrit ne fait pas que satisfaire une fonction purement naturelle, il est déjà pris dans un univers culturel d’habitudes de signes. Les réactions corporelles, d’acceptation ou d’intolérance aux aliments est “éduquée” par des habitudes culturelles.

Autre exemple : observons un coin de campagne : nous y voyons des réalités naturelles : des arbres qui poussent etc...

Cependant : si on a des connaissances géographiques et historiques, on lira dans ce paysage une histoire humaine et l’activité des hommes. Le paysage change selon les civilisations, les cultures, les régions (développer)

Nous cherchons à rencontrer la nature et partout nous rencontrons la culture. Donc, la nature perçue n’est pas nature “naturelle”, mais nature marquée par cette activité propre à l’homme qu’est le travail.

D’un autre point de vue : la conception que les hommes se font de la nature est culturelle. On a toujours observé la nature, et on s’est toujours donné des conceptions de la nature seulement, ce n’était pas toujours la même.

Il y a la nature du primitif, de l’homme de science, du poète, du technicien, de l’ingénieur. Les représentations que les hommes se font de la nature sont des catégories de leur culture et de leur degré de culture.

On parle de la nature au féminin : c’est l’image de la mère-nature, la nourricière, celle qui offre ses dons, qui protège. Nature génitrice, qui dispense la vie. Nature du poète. Nature anthropomorphisée. Mais également nature-marâtre, puissance occulte, aveugle, idiote, absurde ou maléfique. (Baudelaire)

Donc, la nature, cela n’existe pas; nous la voyons non telle qu’elle est, mais telle que nous voudrions qu’elle soit. Toute vision de la nature est “acculturée”.

Lévi-Strauss : “il n’y a pas de phénomènes naturels à l’état brut : ceux-ci n’existent pour l’homme que conceptualisés, et comme filtrés par des normes logiques et affectives qui relèvent de la culture”. (anthropologie structurale deux)

Les grecs perçoivent dans les sources le murmure des Muses, le bruit de l’eau devient discours. Mais c’est l’homme qui interprète, donne du sens au bruit.

Importance de la conception magique de la nature chez l’homme primitif : la magie est la croyance en l’existence de rapports d’affinité entre les choses, fondés sur la ressemblance ou la contagion; ou bien la croyance en la causalité symbolique de la pensée et du langage sur les phénomènes : pouvoir d’agir sur les choses par des formules magiques. Pouvoir surnaturel présent en certaines choses ou certains individus capables de les utiliser.

D’où : L’homme primitif, dans la nature cherche à comprendre la volonté des dieux de la mer, des volcans, des fleuves. Regard poétique encore.

Possibilité de dire que pour le primitif et l’enfant, la nature est anthropomorphisée, cad pensée à l’image de l’homme. L’homme a des besoins et des désirs, et il commence à les projeter sur la nature qui l’entoure.

Ce qui se traduit par une conception finaliste de la nature : cad la croyance que la nature est orienté vers certaines fins, et que ces fins, c’est la satisfaction des désirs et des besoins humains; croyance que la N est faite pour l’homme.

Les psychologues qui étudient le développement de l’intelligence chez l’enfant montrent qu’à l’âge de 5 ans, ce dernier croit que les astres et les nuages se déplacent avec lui : ils le suivent. Croyance que les astres veillent sur notre destin. Ou que la maladie est une punition.

On pourrait dire : nous ne sommes pas des primitifs, nous avons un rapport plus rationnel à la nature. La nature est pour nous objet de science et de technique. Pour atteindre un regard rationnel sur la nature, il a fallu se débarrasser de cette subjectivité envahissante :

“ la nature ne sera conçue comme une réalité pour elle-même, que dans la mesure où la conscience aura conquis une certaine liberté par rapport à ses propres problèmes. “ (Lenoble)

La N conçue comme objet d’une connaissance scientifique.

Apparition du mécanisme avec Descartes : formulation simple de cette conception par Diderot : “ le monde n’est plus un dieu, c’est une machine qui a ses roues, ses cordes, ses poulies, ses ressorts et des poids.” La physique qu’on appelle mécanique étudie les propriétés des mouvements des corps.

Mais à ses débuts, la physique postule l’existence d‘un dieu qui a donné ses lois à la nature. Pour Descartes, la nature seule ne permet pas de penser l’origine et la raison d’être des lois de la nature; il faut un dieu pour lui donner ces lois :

“ Sachez donc, premièrement, que par la nature je n’entends point ici quelque déesse, ou quelque autre sorte de puissance imaginaire, mais que je me sers de ce mot pour signifier la matière même en tant que je la considère avec toutes les qualités que je lui ai attribuées comprises toutes ensemble, et sous cette condition que dieu continue de la conserver en la même façon qu’il l’a créée. Car de cela seul qu’il continue ainsi de la conserver, il suit de nécessité qu’il doit y avoir plusieurs changements en ses parties, lesquelles ne pouvant, ce me semble, être proprement attribuées à l’action de dieu, parce qu’elle ne change point, je les attribue à la nature; et les règles suivant les quelles se font ces changements, je les nomme lois de la nature.” Descartes. le monde.

La physique nouvelle se représente la nature comme régie par des lois : les lois sont définies comme des rapports invariables, constants et mesurables entre des phénomènes : élévation de la température d’un morceau de métal et sa dilatation. Les lois ne font pas saisir le pourquoi des phénomènes (cela relève de la métaphysique) mais le comment des phénomènes.

La N comme objet de la connaissance scientifique conçue comme obéissant au déterminisme : la notion de déterminisme est au fondement de celle de loi physique :

elle pose qu’il est possible de formuler un lien tel qu’une ou plusieurs causes étant données, tel effet s’ensuit nécessairement (cad ne peut pas ne pas se produire)

La conception déterministe n’affirme pas seulement qu’il y a de la causalité dans la nature : il pourrait y avoir des causes produisant des effets différents. Mais affirmation que les mêmes causes engendrent toujours les mêmes effets.

Déterminisme excluant tout finalisme : les phénomènes ne visent aucune fin, contrairement à la conception finaliste qui affirme par ex. que les courants et les marées existent dans les mers de façon à agiter les eaux pour les purger de leurs impuretés afin qu’elles soient utiles et bienfaisantes aux hommes. Ou l’idée que les étoiles ont été placée au ciel afin que les hommes s’en servent dans leurs voyages maritimes pour ne pas s’égarer.

On pourrait dire : avec l’apparition de la conception scientifique de la nature, les hommes sont enfin sortis de l’enfance de la pensée, ils ont abandonné le point de vue dominé par le désir et l’imagination, et la raison leur permet de concevoir la nature comme intelligible, expliquable.

Expliquer : montrer quelles sont les lois qui sous-tendent les phénomènes naturels. Les hommes ne se laissent plus dominer par les impressions des sens, c’est la raison comme faculté de connaître qui est à l’oeuvre.

Point de vue du positivisme (Comte 1798-1857) avec la formulation de la loi des trois états dans le “Discours sur l’esprit positif “ de 1844. Il y a une histoire de l’esprit humain, qui passe dans son développement par des phases qui se suivent dans un ordre nécessaire.

l’esprit humain est théologien dans sa jeunesse, métaphysicien dans son adolescence et positif dans sa maturité.

Dans l’état théologique, l’homme explique les phénomènes en faisant intervenir la volonté de personnages divins et tout puissants : la foudre est lancée par Zeus. Mode d’explication impliquant la croyance aux miracles, puisqu’il repose sur le caprice des dieux.

dans l’état métaphysique, les phénomènes sont expliqués en faisant référence à des forces abstraites caractérisant la nature : on dit ainsi que la nature a horreur du vide. On parle de la vertu dormitive de l’opium. Progrès par rapport à l’état précédent : on admet une certaine régularité des phénomènes.

Enfin, l’état positif : on renonce au miracle aussi bien qu’aux pseudo explications verbales. On renonce à la question pourquoi (qui implique la recherche de causes finales), on se contente de la question “comment”, qui permet de constater des relations entre phénomènes et de formuler des lois.

L’état positif est l’âge de la science : l’esprit humain renonce à la connaissance de l’absolu, les causes premières ou finales, et se contente du relatif, cad de l’établissement de relations constantes entre les phénomènes.

La nature a perdu son merveilleux, elle est de la matière régie par des lois que la raison peut saisir. Ordre et régularité des phénomènes.

Avec l’avènement de la pensée scientifique, a-t-on enfin saisi la nature telle qu’elle est en elle-même ? On a dit : nous ne percevons la nature qu’à travers le filtre de la culture.

Or, comme nous le verrons, diversité des cultures, donc des représentations de la nature. A quoi s’oppose la prétention du discours scientifique à l’universalité cad à la validité pour tout être pensant. La connaissance scientifique repose sur une méthode expérimentale qui permet une observation rigoureuse de la réalité, en mettant de côté l’imperfection des sens, ainsi que nos désirs, passions et intérêts. Vérification expérimentale.

Cela permet-il de dire que nous saisissons alors la nature indépendamment de tout critère culturel et que nous saisissons la nature telle qu’elle est vraiment ?

Deux problèmes à poser.

D’abord en partant de la définition donnée par Kant de la nature : “ la nature est l’existence des choses en tant que déterminées selon des lois universelles. “

Croyance naïve que les lois sont des propriétés de la nature, que les lois sont dans la nature. S’il y a de l’ordre dans la nature, ce n’est pas parce que la nature serait elle-même ordonnée, mais c’est parce que notre faculté de connaître introduit de l’ordre dans la nature. C’est notre entendement qui prescrit des lois à la nature afin que celle-ci soit connaissable pour nous. Différence entre la nature comme milieu de vie, nature contemplée et comme objet de connaissance.


L’expliquer : les cadres a priori de la connaissance; les catégories de l’entendement et les cadres a priori de la sensibilité. La distinction entre la chose en soi et le phénomène.



Quand Galilée fit rouler ses sphères sur un plan incliné avec un degré d’accélération dû à la pesanteur déterminé selon sa volonté, quand Torricelli fit supporter à l’air un poids qu’il savait lui-même d’avance être égal à celui d’une colonne d’eau à lui connue, ou quand, plus tard, Stahl transforma les métaux en chaux et la chaux en métal, en leur ôtant ou en lui restituant quelque chose, ce fut une révélation lumineuse pour tous les physiciens. Ils comprirent que la raison ne voit que ce qu’elle produit elle-même d’aprés ses propres plans et qu’elle doit prendre les devants avec les principes qui déterminent ses jugements, suivant des lois immuables, qu’elle doit obliger la nature à répondre à ses questions et ne pas se laisser conduire pour ainsi dire en laisse par elle; car autrement, faites au hasard et sans aucun plan tracé d’avance, nos observations ne se rattacheraient point à une loi nécessaire, chose que la raison demande et dont elle a besoin. Il faut donc que la raison se présente à la nature tenant, d’une main, ses principes qui seuls peuvent donner aux phénomènes concordant entre eux l’autorité de lois, et de l’autre, l’expérimentation qu’elle a imaginée d’aprés ces principes, pour être instruite par elle, il est vrai, mais non pas comme un écolier qui se laisse dire tout ce qu’il plaît au maître, mais, au contraire, comme un juge en fonction qui force les témoins à répondre aux questions qu’il leur pose. La physique est donc ainsi redevable de la révolution si profitable opérée dans sa méthode uniquement à cette idée qu’elle doit chercher dans la nature - et non pas faussement imaginer en elle - conformément à ce que la raison y transporte elle-même, ce qu’il faut qu’elle en apprenne et dont elle ne pourrait rien connaître par elle-même. C’est par là seulement que la physique a trouvé tout d’abord la sûre voie d’une science, alors que depuis tant d siècles elle en était restée à de simples tâtonnements.

KANT Seconde préface à la Critique de la raison pure.“




D’abord en partant de la définition donnée par Kant de la nature : “ la nature est l’existence des choses en tant que déterminées selon des lois universelles. “

Ou encore : “par nature, nous entendons la connexion des phénomènes, quant à leur existence, d’aprés des règles nécessaires, cad d’aprés des lois.”

ou encore : “la nature est l’ensemble des phénomènes.”

Kant ne parle pas de la nature comme objet de contemplation esthétique, ou la nature comme environnement, ou comme paysage, mais comme objet de connaissance.

Part d’un constat : la naissance de la physique scientifique. Se pose la question : “comment la connaissance scientifique de la nature est-elle possible, et que doit être la nature pour qu’elle puisse être connaissable ?”

Plusieurs façons d’envisager le problème de la connaissance : les théories empiristes :

- est empiriste toute doctrine philosophique admettant que la connaissance humaine, jusqu’à la connaissance scientifique tire de l’expérience ses objets et ses contenus.

Expérience, cad ? La faculté d’appréhender le réel soit par l’intuition sensible (expérience externe) soit par l’intuition psychologique (expérience interne)

Intuition ? : un mode de connaissance immédiat et direct qui place l’esprit d’emblée en présence de son objet. L’intuition externe est donnée par la sensibilité.

Idée d’une passivité de l’esprit qui enregistre les données de l’expérience, qui ensuite à les ordonner, les organiser.

Critique par Kant de l’empirisme, en montrant qu’une telle doctrine ne peut pas rendre compte des caractéristiques de la connaissance scientifique.

L’expérience peut nous montrer qu’une pomme tombe de sa branche vers la terre. Mais la CS ne se contente pas de dire qu’une pomme particulière (celle que j’ai sous les yeux) tombe vers la terre. La CS dirait : “Toute pomme tombe toujours vers la terre.”
Cad que la CS formule une proposition qui a une portée universelle et nécessaire. Or ces deux dernières caractéristiques, l’universalité et la nécessité ne peuvent pas provenir de l’expérience :

L’induction (expliquer : un raisonnement inductif est un raisonnement dans lequel on part de faits particuliers à une affirmation universelle - l’exemple des cygnes -) ne peut pas nous permettre d’avancer des propositions à portée universelle et nécessaire.

En effet, les faits observés sont toujours en nombre limité alors que la loi est universelle.

D’où la question kantienne : d’où peut bien provenir la nécessité et l’universalité des lois formulées par les sciences de la nature ?

Pour comprendre cela, Kant réfléchit sur ce que font les scientifiques : il prend trois exemples; nous en examinerons deux : Galilée et Torricelli.

Galilée : formulation de la première loi de la physique moderne : la loi de la chute des corps. 1604.

la vitesse d’un corps qui tombe s’accroît proportionnellement au temps de chute et cette accélération de vitesse est la même pour tous les corps.

Ou encore : la chute des corps est un mouvement uniformément accéléré.

Torricelli : physicien italien du début du 17°. Découverte de la pression atmosphérique : l’atmosphère forme au-dessus de la surface de la terre une colonne d’air d’un poids déterminé, dont la pression sur les corps placés à cette surface s’exerce comme celle des corps liquides et solides.

Galilée construit une expérience : il fait rouler une boule de métal à l’intérieur d’un canal rectiligne pratiqué dans une pièce de bois que l’on peut incliner à volonté, et, pour une inclinaison donnée, il vérifie que la durée de la chute est toujours la même.

Qu’y a-t-il là de révolutionnaire ? Galilée comprend que le mouvement d’une boule roulant le long d’un plan incliné est une chute ralentie, mais tout de même une chute.

Cette chute détermine une accélération; cette accélération est proportionnelle au sinus de l’angle d’inclinaison, et elle est nulle quand le plan est horizontal.

Mais pour comprendre cela, il a fallu un détour de l’intelligence. Ce n’est pas l’expérience sensible qui a pu enseigner cela à Galilée, il a fallu construire de toute pièce une expérimentation (distinguer d’expérience), pour parvenir à la formulation d’une loi qui va contre l’expérience familière.

D’autre part, en disant que la vitesse de la chute est proportionnelle au sinus de l’angle d’inclinaison du plan, Galilée affirme que la nature est d’essence mathématique. “La nature est écrite en langage mathématique”.

Il formule une loi qui a une valeur universelle et qui peut rendre compte de toutes formes de chutes de corps : aussi bien la trajectoire d’une balle de fusil, la pomme qui tombe de l’arbre, une voiture qui descend une pente. La loi scientifique unifie des domaines apparemment hétérogènes d ela réalité. Elle permet de concevoir l’unité derrière la diversité. Expliquer, c’est ramener la multiplicité de phénomènes hétérogènes à un petit nombre de lois.

Quelle fut cette “révélation lumineuse pour tous les physiciens” ?

Expl. de la phrase suivante : “la raison ne voit que ce qu’elle produit...”

Dans l’élaboration de la connaissance de la nature, l’esprit n’est pas passif, il n’enregistre pas simplement les données des sens; c’est la raison connaissante qui impose sa forme à la réalité. L’esprit n’est pas l’auteur de la nature, du réel; celui-ci existe indépendamment de nous; mais la raison construit la nature comme objet de connaissance.

Distinction kantienne entre la chose en soi et le phénomène. La chose en soi, c’est le réel indépendamment de notre esprit. La seule chose que nous pouvons en dire : il est. Le phénomène, c’est le réel tel qu’il est appréhendé et mis en forme par notre pouvoir de connaître.

Ce pouvoir de connaître impose des principes qui sont a priori, cad qui ne découlent pas de l’expérience, mais la rendent possible. Cadres a priori de la sensibilité et de l’entendement.

“La raison prend les devants avec les principes qui déterminent ses jugements...” Principes a priori comme la causalité.

Pourquoi a priori : l’expérience sensible ne nous donne pas à voir des relations de causalité : on ne voit que des phénomènes qui se succèdent dans le temps, l’un vient après l’autre. C’est notre esprit qui structure les relations entre les phénomènes selon le principe de causalité, qui est la grille à travers laquelle notre esprit saisit le réel afin qu’il soit connaissable.

La nécessité vient du caractère a priori de ces principes; rien de ce qui découle de l’expérience ne peut être dit nécessaire.
La raison est active : elle pose des questions à la nature, elle construit une démarche.

Révolution méthodologique, appelée “révolution copernicienne”

Pourquoi ? Référence au physicien polonais Copernic. première moitié du 16° siècle.

Jusqu’à lui, règne du modèle de l’univers du physicien Ptolémée (2° siècle après J-C), postulant l’immobilité de la terre et sa position centrale dans un système solaire gravitant autour d’elle.

Modèle devenu incompatible avec les observations astronomiques qui s’accumulent.

En 1543, Copernic avance, dans l’ouvrage publié juste avant sa mort : “contre le sens commun, j’ose imaginer quelque mouvement à la terre...” Et les observations se comprennent mieux si on part d’un modèle admettant le mouvement des planètes autour du soleil.

Il s’agit donc d’un changement de point de vue. Opérer le même changement de point de vue pour expliquer la possibilité de la connaissance scientifique : au lieu de dire que la connaissance est un reflet en notre esprit de la nature, montrer que c’est la raison qui construit l’objet qu’elle connaît. Cad “construit” au sens d’objet de connaissance.

D’où la leçon : nous ne connaissons des choses que ce que nous y mettons nous mêmes. Ce qui ne veut pas dire une subjectivité de la connaissance. Objectivité, mais seulement pour notre pouvoir de connaître.

La nature comme objet de la CS est donc une construction de notre esprit. La nature comme ensemble des phénomènes. Mais les phénomènes ne sont pas les choses telles qu’elles sont en soi, mais telles qu’elles sont structurées par notre pouvoir de connaître.

Enfin, distinguer phénomène et apparence. Laquelle est trompeuse : l’apparence de l’immobilité de la terre et de sa position centrale.

La nature n’est plus qu’un objet offert à la rationalité scientifique, qui la fouille, la mesure, la dissèque. Elle n’est plus qu’une chose. La pensée de l’idée de nature n’est possible qu’à partir de la pensée d’un sujet de la connaissance. (à ne pas confondre avec la simple subjectivité. Expliquer) La nature n’est que le produit de notre faculté de connaître. Le montrer à partir de l’article “la” nature, qui postule une unité de la nature. Or celle-ci ne se voit pas, elle ne peut être que pensée,posée, postulée, pour que la nature puisse être objet de connaissance.

Donc, la N comme produit de notre faculté de connaître. Mais en quoi est-ce un point de vue qui relève de la culture ?

Descartes, discours de la méthode. 1637 C’est la formulation d’un manifeste de la raison qui s’émancipe de la tutelle religieuse et le manifeste de la raison conquérant la nature. La raison se veut utile et efficace :

“Au lieu de cette philosophie spéculative, qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature.”

Formulation d’une ambition prométhéenne : la raison comme moyen de connaissance afin de se soumettre la nature. C’est le projet culturel de l’occident technicien qui “arraisonne” la nature pour la soumettre à nos projets. Ce n’est plus la nature contemplée du poète, ni la nature soignée par le paysan, qui en attend sa subsistance, c’est la nature soumise à un projet humain de conquête et d’appropriation. C’est une nature d’ingénieur et de technicien.

Bien qu’il y ait une objectivité de la connaissance scientifique, celle-ci est tout de même la façon dont l’homme qui veut s’approprier la nature a besoin de se la représenter pour pouvoir le faire.

Le jardinage est bien sûr une rectification de la nature, il la perfectionne, de même que l’agriculture traditionnelle, mais la nature de l’âge scientifique, technicien et industriel est tout autre : elle est corvéable à merci. Se poser dans le cadre du cours sur la technique la question de la valeur de ce projet.

Donc, s’interroger sur ce qu’est la nature, c’est en fait toujours s’interroger sur ce qu’est la culture en la diversité de ses projets.

D’autre part : peut-on affirmer simplement l’unité de la nature ? Cette unité est postulée par les sciences afin d’en faire un objet de connaissance.

Cependant, toutes les sciences étudient-elles la même nature ? La physique étudie une “nature morte”, de la matière en mouvement. Mais la biologie étudie la vie.

Comment penser le rapport entre nature inanimée et nature animée, cad monde du vivant ? La vie n’est-elle qu’un produit de l’organisation de la matière, ou est-elle d’un autre ordre ? Peut-on se passer de l’idée de finalité pour rendre compte du vivant ?

Enfin, l’homme est un produit de la nature. Mais il paraît être doué de capacités qui n’en font pas un simple être de nature : la liberté de choisir, la liberté de la volonté.

Y a-t-il surgissement d’un monde de la contingence ou de la liberté au sein d’un monde naturel régi par la nécessité, ou bien cette liberté n’est-elle qu’une illusion produite par l’ignorance des déterminismes qui nous régissent ? Donc caractère problématique de l’unité de la nature, qui impose de poser le problème de la place de l’homme dans la nature, et donc de réfléchir sur la culture.

II) Définition de la culture.

On pourrait aborder la question de la culture et de sa définition par la signification “agricole” du terme culture. Cultiver une plante, c’est lui prodiguer des soins, la planter, l’arroser, la protéger, pour la faire pousser, la faire grandir et lui permettre de donner des fruits.

Etymologie : culture vient du verbe latin colere: cultiver, soigner, habiter. La racine “col” est liée à l’idée de soins, apportées aussi bien à la terre, qu’à des personnes, qu’à des dieux.

D’où : cultiver des plantes; se cultiver: cesser d’être à l’état sauvage, inculte, analphabète; culte rendu à un dieu. Un homme inculte, c’est un homme laissé à sa sauvagerie; une terre inculte, c’est une terre laissée à l’abandon.

La question : l’homme serait-il abandonné s’il n’appartenait pas à la culture ?
D’abord essayer de définir la notion de culture plus précisément

Distinguer trois sens dans lesquels il est possible de parler de culture :

- le sens le plus large, ontologique. La culture est tout ce par quoi l’existence humaine apparaît comme s’élevant au-dessus de la pure animalité, et plus généralement, au-dessus de la pure et simple nature.

- le sens anthropologique : on parle de culture pour désigner la façon dont une population donnée, prise à un certain moment de son histoire, réalise, concrétise la culture au premier sens du terme.

Définition classique de l’anthropologue américain Tylor (Primitive culture, 1871 ) : “Le mot culture, pris dans son sens ethnographique le plus étendu, désigne ce tout complexe comprenant les sciences, les croyances, les arts, la morale, les lois, les coutumes et les autres facultés et habitudes acquises par l’homme dans l’état social.”

La culture est un ensemble d’acquis matériels, spirituels, techniques, de l’ordre du savoir-faire et du savoir-vivre, des conduites et des habitudes, des règles et des moeurs, des valeurs et des représentations, des récits et des mythes fondateurs, des langues.

Font alors partie de la culture : nos connaissances, la langue, sans laquelle il n’y aurait pas de connaissance, les règles de parenté, les systèmes d’éducation, toutes les règles qui régissent les rapports sociaux, mais aussi nos gestes, nos attitudes corporelles, les expressions, du visage par ex, nos types d’habitation, nos techniques, qui relèvent de la culture au sens matériel.

- le troisième sens, classique, du mot culture. Désigne un processus qui concerne un individu, et par lequel il réalise sa propre humanité. C’est un exercice persévérant des facultés de l’esprit portées à leur plus haut degré de perfection. Egalement un sens moral : l’homme cultivé est curieux et respectueux des autres hommes, méprise les plaisirs vulgaires, déteste la brutalité, agit toujours selon sa conscience et en connaissance de cause. Cette culture passe par l’apprentissage des “oeuvres de l’esprit” : l’art, la poésie, la littérature, la pensée conceptuelle (sciences et philosophie ) Possibilité de parler de “culture humaniste”. (reprendre l’idéal de la paidéia p.464)

Possibilité de poser un certain nombre de questions : la culture est-elle essentielle à l’homme ou pas? C’est-à-dire : peut-on penser l’homme en dehors de la culture au sens A ? L’idée d’un homme naturel, qui n’aurait pas encore été transformé par la culture, est-elle acceptable, cohérente ? Peut-on penser un homme à l’état de nature ?

y a-t-il une nécessité ou une contingence de l’ordre culturel ?

quel est le rapport pour l’homme entre nature et culture : la culture est-elle un dépassement, une négation, ou un accomplissement de la nature ?

y a-t-il rupture ou continuité entre l’ordre de la nature et celui de la culture ?

Possibilité pour certains hommes d’être incultes (dépourvus de connaissances, insensibles à l’art, rustres, cad non polis par la fréquentation des oeuvres de l’esprit), mais peut-on dire pour autant que ces hommes sont hors-culture au 1er sens ?

Ce que le 18° siècle appelait “sauvage” (étymologie : qui vit dans les bois) , et que l’on nomme aujourd’hui primitif : s’agit-il d’hommes à l’état de nature ? S’agit-il de vestiges de ce que furent les hommes avant l’apparition du phénomène culturel, et le progrès des cultures ?

- ensuite : il y a le phénomène humain de la culture (sensA), mais il y a une très grande diversité de cultures au sens B. Poser alors la question de leur valeur respective : peut-on les comparer, les hiérarchiser ? Avec quels critères ? Relativisme ou possibilité de les ranger dans un ordre de perfectionnement croissant ? La distinction du barbare et du civilisé a-t-elle un sens ou relève-t-elle du préjugé ?

- enfin, toutes les cultures n’ont pas connu la culture au sens C (l’idée de perfectionnement individuel) Tout simplement parce qu’elles ignorent les raffinements qui caractérisent certaines sociétés : les sciences, la réflexion philosophique etc...( Chez Cicéron, on trouve d’ailleurs une identification de la philosophie et de la “cultura animi”).

Beaucoup de sociétés se sont donné des “modèles de l’excellence humaine”. Certaines ont insisté sur la civilité, le raffinement des moeurs, la courtoisie, la politesse. D’autres sur le courage à la guerre. L’idéal du guerrier médiéval japonais est un idéal culturel : il exige d’être cruel avec ses ennemis, être capable de les tuer sans hésitation, se sacrifier si son seigneur le demande.

Idéal qui apparaît à nos yeux comme barbare. Même question qu’auparavant : peut-on comparer, hiérarchiser ces idéaux culturels, y a-t-il un modèle de l’excellence humaine qui dominerait tous les autres, au au contraire faut-il conclure à un relativisme ? Notre “humanisme” n’étant qu’un idéal parmi d’autres, historiquement daté et peut-être voué à disparaître ?

Ou bien y a-t-il en l’homme quelque chose qui indique vers quoi il devrait être éduqué pour pleinement développer sa propre humanité ? Poser la question de la finalité de l’éducation. Pas de société qui ne doive éduquer, cad transmettre les acquis au sens B, mais cela suffit-il à former l’humanité d’un homme ? Ne faut-il pas poser la question de la finalité morale de l’éducation ?

Pour comprendre les trois sens du mot “culture”, voir à quoi ils s’opposent :

le sens A : à nature ou animalité.
le sens B : la monstruosité (un être à qui on ne transmettrait aucun acquis ne serait peut-être pas humain)
le sens C : la barbarie, la grossièreté. En ce sens un homme peut être inhumain, sans être un animal.

La culture au sens A.

Possibilité alors de distinguer homme et animal :

L’animal est un être de nature en ce que son comportement est régi par l’instinct. Instinct comme impulsion naturelle à agir et à se comporter d’une certaine manière.

Ses caractéristiques fondamentales : l’innéité - il n’a pas à être appris.
l’uniformité - il n’est pas ou que peu susceptible de transformation.
la spécificité - il est propre à une espèce.

L’instinct produit des comportements stéréotypés. Il est au service de la survie de l’animal et de la perpétuation de l’espèce. Il est biologiquement héréditaire. Les animaux sont susceptibles d’apprentissage : domestication, dressage, mais même là, ils ne sortent pas du cadre naturel : on dresse un animal en agissant sur ses sensations, ses besoins. Expliquer.

A l’opposé, l’homme invente des comportements qui ne sont pas déterminés par la nature : par ex des comportements de politesse ou de savoir-vivre, lorsqu’il mange.

L’homme a-t-il le choix de ne pas être un être de culture ? Certainement pas, si l’on voit qu’il souffre d’un “déficit instinctuel”. Comme si la nature n’avait pas été prévoyante à son égard.

La nature a donné à l’animal tous les moyens nécessaires à sa survie et à la perpétuation de son espèce : l’instinct, des aptitudes physiques développées : force, endurance, caractéristiques naturelles qui le protègent des agressions de l’environnement.

Importance de la remarque de Kant dans ses propos sur l’éducation et dans l’idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique :

“La nature a voulu que l’homme tire entièrement de lui-même tout ce qui dépasse l’agencement mécanique de son existence animale, et qu’il ne participe à aucune autre félicité ou perfection que celle qu’il s’est créée lui-même, indépendamment de l’instinct par sa propre raison”. (3° prop)

la nature a fait l’homme démuni : ni les griffes du lion, ni les crocs du chien, mais seulement des mains. Insister sur l’importance de la main. Pourquoi ? Technique, modèle de l’outil, outil à faire tous les autres outils, relation à autrui, caresse, fonction symbolique : avertir, saluer, menacer etc...

D’autre part : l’enfant humain qui vient de naître a besoin de soins : lire et copier le texte de Kant p. 69. Expliquer la notion de soin.

D’où : l’homme est la seule créature qui doive être éduquée. L’homme naît appartenant à l’espèce humaine, mais pas encore à l’humanité. C’est l’éducation qui l’humanise. “L’homme ne peut devenir homme que par l’éducation. Il n’est que ce que l’éducation fait de lui.”

Or c’est la culture qui est ce processus éducatif. Transmission de l’acquis. Que serait un homme privé de la culture au sens A ? Un animal ? Non, mais un monstre : prendre le cas des enfants sauvages. Il serait inhumain.

Ce qu’on a appelé “sauvage” ne pouvait désigner des êtres hors-culture; mais seulement des hommes vivant dans des cultures au sens B tellement différentes des nôtres (autres valeurs coutumes, croyances, comportements, habillement etc...) qu’on a cru qu’ils étaient en dehors de toute culture au sens A, qu’ils relevaient de l’animalité. Erreur appelée “ethnocentrisme” et dénoncé par l’ethnologie, qui montre que la culture n’est pas contenue dans un modèle unique.

D’autre part, l’homme possède une propriété : la perfectibilité texte de Rousseau.

“Je ne vois dans tout animal qu’une machine ingénieuse, à qui la nature a donné des sens pour se remonter elle-même, et pour se garantir, jusqu’à un certain point, de tout ce qui tend à la détruire ou à la déranger. J’aperçois précisément les mêmes choses dans la machine humaine; avec cette différence que la nature seule fait tout dans les opérations de la bête, au lieu que l’homme concourt aux siennes en qualité d’agent libre. L’une choisit ou rejette par instinct, et l’autre par un acte de liberté; ce qui fait que la bête ne peut s’écarter de la règle qui lui est prescrite, même quand il lui serait avantageux de le faire, et que l’homme s’en écarte souvent à son préjudice. C’est ainsi qu’un pigeon mourrait de faim près d’un bassin rempli des meilleures viandes, et un chat sur des tas de fruits ou de grain, quoique l’un et l’autre pût très bien se nourrir de l’aliment qu’il dédaigne, s’il était avisé d’en essayer (...)
Tout animal a des idées, puisqu’il a des sens; il combine ses idées jusqu’à un certain point : et l’homme ne diffère à cet égard de la bête que du plus au moins. Quelques philosophes ont même avancé qu’il y a plus de différence de tel homme à tel homme, que de tel homme à telle bête. Ce n’est donc pas tant l’entendement qui fait parmi les animaux la différence spécifique de l’homme, que sa qualité d’agent libre. La nature commande à tout animal, et la bête obéit. L’homme éprouve la même impression, mais il se reconnaît libre d’acquiescer ou de résister; et c’est surtout dans la conscience de cette liberté que se montre la spiritualité de son âme (...)
Mais, quand les difficultés qui environnent toutes ces questions, laisseraient quelque lieu de disputer sur cette différence de l’homme et de l’animal, il y a une autre qualité très spécifique qui les distingue, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation, c’est la faculté de se perfectionner; faculté qui, à l’aide des circonstances développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous tant dans l’espèce que dans l’individu, au lieu qu’un animal est, au bout de quelques mois, ce qu’il sera toute sa vie, et son espèce, au bout de mille ans, ce qu’elle était la première année de ces mille ans. Pourquoi l’homme est-il seul sujet à devenir imbécile ? N’est-ce point qu’il retourne ainsi dans son état primitif, et que, tandis que la bête, qui n’a rien acquis et qui n’a rien non plus à perdre, reste toujours avec son instinct, l’homme, reperdant par la vieillesse ou d’autres accidents, tout ce que sa perfectibilité lui avait fait acquérir, retombe ainsi plus bas que la bête même ? Il serait triste pour nous d’être forcés de convenir que cette faculté distinctive, et presque illimitée, est la source de tous les malheurs de l’homme; que c’est elle qui le tire, à force de temps, de cette condition originaire, dans laquelle il coulerait des jours tranquilles, et innocents; que c’est elle, qui faisant éclore avec les siècles ses lumières et ses erreurs, ses vices et ses vertus, le rend à la longue le tyran de lui-même, et de la Nature.”

J-J Rousseau. Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. 1754.

Ambiguïté de la perfectibilité.

Donc, l’homme est “naturellement” un être de culture.

La culture relève de la convention, au sens de : ce qui ne découle pas de la nature. Ce qui permet d’expliquer la diversité des cultures (au sens B) Ainsi que le problème du lien nature-culture : rupture ou continuité ? Continuité au sens que c’est la nature qui a permis l’émergence de l’espèce, avec les caractéristiques naturelles qui ont permis à l’homme d’être un être de culture : la main, un cerveau développé, la station verticale, la faculté symbolique.

Mais cela ne peut rendre compte des caractéristiques culturelles, qui ne découlent pas de la nature, mais sont inventions humaines. La nature n’est que condition de possibilité de nos traits culturels et non pas cause déterminante.

Les anthropologues ont montré que des actes apparemment élémentaires comme le sommeil, la respiration, la marche relevaient de la culture. Développer. Idem pour l’expression des sentiments

Un premier fait est constant : c’est que le deuil n’est pas l’expression spontanée d’émotions individuelles. Si les parents pleurent, se lamentent, se meurtrissent, ce n’est pas qu’ils se sentent personnellement atteints par la mort de leur proche. Sans doute, il peut se faire, dans des cas particuliers, que le chagrin exprimé soit réellement ressenti. Mais, le plus généralement, il n’y a aucun rapport entre les sentiments éprouvés et les gestes exécutés par les acteurs du rite. Si, au moment même où les pleureurs paraissent le plus accablés par la douleur, on leur adresse la parole pour les entretenir de quelque intérêt temporel, il arrive souvent qu’ils changent aussitôt de visage et de ton, prennent un air riant et causent le plus gaiement du monde. Le deuil n’est pas un mouvement naturel de la sensibilité privée, froissée par une perte cruelle; c’est un devoir imposé par le groupe. On se lamente, non pas simplement parce qu’on est triste, mais parce qu’on st tenu de se lamenter. C’est une attitude rituelle qu’on est obligé d’adopter par respect pour l’usage, mais qui est, dans une large mesure, indépendante de l’état affectif des individus. Cette obligation est, d’ailleurs, sanctionnée par des peines ou mythiques ou sociales. On croit, par exemple, que quand un parent ne porte pas le deuil comme il convient, l’âme du mort s’attache à ses pas et le tue. Dans d’autres cas, la société ne s’en remet pas aux forces religieuses du soin de punir les négligents; elle intervient elle-même et réprime les fautes rituelles. Si un gendre ne rend pas à son beau-père les devoirs funéraires qu’il lui doit, s’il ne fait pas les incisions prescrites, ses beaux-pères tribaux lui reprennent sa femme et la donnent à un autre. Aussi, pour se mettre en règle avec l’usage, force-t-on parfois les larmes à couler par des moyens artificiels.

Durkheim. Les formes élémentaires de la vie religieuse.

La convention ou encore l’arbitraire (ce qui n’est pas fondé en nature) est universelle : il n’est pas plus naturel de se vêtir avec nos vêtements qu’avec d’autres; pas plus naturel de manger avec couteaux et fourchettes qu’avec des baguettes, assis sur une chaise qu’accroupi etc...

Dire de la coutume qu’elle est conventionnelle, implique qu’il y a différentes manières d’être humain. Mais cela veut-il dire qu’il y a des humanités ?

Cad : chaque coutume a donc un aspect contingent, accidentel (par opposition à : essentiel) Les coutumes auraient pu être autres, nous n’aurions pas été moins humains. Notre humanité ne colle pas à nos manières d’être.

Il y a donc une humanité plus essentielle que celle définie par nos coutumes culturelles.

Mais où la chercher ? En-deça des cultures, dans une nature humaine enfouie sous la diversité culturelle ? Idée de Hume :



Tout le monde reconnaît qu’il y a beaucoup d’uniformité dans les actions humaines, dans toutes les nations et à toutes les époques, et que la nature humaine reste toujours la même dans ses principes et ses opérations. Les mêmes motifs produisent toujours les mêmes actions; les mêmes événements suivent les mêmes causes. L’ambition, l’avarice, l’amour de soi, la vanité, la générosité, l’esprit public : ces passions, qui se mêlent à divers degrés et se répandent dans la société, ont été, depuis le commencement du monde, et sont encore la source de toutes les actions et entreprises qu’on a toujours observées parmi les hommes. Voulez-vous connaître le sentiments, les inclinations et le genre de vie des Grecs et des romains. Étudiez bien le caractère et les actions des Français et des Anglais; vous ne pouvez vous tromper beaucoup si vous transférez aux premiers la plupart des observations que vous avez faites sur les seconds. Les hommes sont si bien les mêmes, à toutes les époques et en tous les lieux, que l’histoire ne nous indique rien de nouveau ni d’étrange sur ce point.
Son principal usage est seulement de nous découvrir les principes constants et universels de la nature humaine en montrant les hommes dans toutes les diverses circonstances et situations, et en nous fournissant des matériaux d’où nous pouvons former nos informations et nous familiariser avec les ressorts réguliers de l’action et de la conduite humaine.

David HUME.
Ou par-delà la diversité culturelle ? Cependant, nous sommes toujours plongés dans une culture particulière.

Solution ?
Faut-il envisager la construction d’une culture universelle ? N’est-ce pas ce qui est en train de se réaliser par la multiplication des échanges, des moyens de communication ? Ou n’est-ce que la victoire par la force et la puissance (économique) d’une modèle culturel armi d’autres ? Ne pas confondre unité et identité. Ce qui est en train de se construire est peut-être le nivellement culturel plus que l’unité.

Ou bien, du sein d’une culture particulière, accéder à la pleine reconnaissance de l’unité l’homme, en affirmant l’égale valeur de toutes les cultures.

Ne pas se tromper sur le sens de “convention” : cela ne veut pas nécessairement dire “résultant d’un accord, d’une délibération, d’un choix volontaire et conscient”.

Certaines dimensions seulement de la culture relèvent du choix : les institutions, les lois au sens juridique, les oeuvres. D’autres non : les moeurs, les coutumes : elles sont le produit de la vie sociale, sans auteurs, anonymes : la façon de marcher, produit des “techniques” d’habillement, ou de portage etc...; ou les rites de politesse.

“Il n’est pas plus naturel ou pas moins conventionnel de crier dans la colère ou d’embrasser dans l’amour que d’appeler table une table. Les sentiments et les conduites passionnelles sont inventés comme les mots. Même ceux qui, comme la paternité, paraissent inscrits dans le corps humain sont en réalité des institutions.
Il est impossible de superposer chez l’homme une première couche de comportements que l’on appellerait “naturels” et un monde culturel ou spirituel fabriqué. Tout est fabriqué et tout est naturel chez l’homme, comme on voudra dire, en ce sens qu’il n’est pas un mot, pas une conduite qui ne doive quelque chose à l’être simplement biologique, et qui en même temps ne se dérobe à la simplicité de la vie animale, ne détourne de leur sens les conduites vitales, par une sorte d’échappement et par un génie de l’équivoque qui pourraient servir à définir l’homme.”

M. Merleau-Ponty

Mais c’est ce que nous avons tendance à oublier : il y a une dimension de passivité, non consciente dans le processus d’acculturation, cad le processus par lequel nous recevons l’acquis culturel de la part de notre milieu social.

Nous ne choisissons librement ni notre nom, ni notre langue, ni les interdits, ni les valeurs et les préjugés qui vont constituer le cadre mental de notre existence. Le résultat, c’est l’habitude, la coutume, l’évidence qui nous rend l’arbitraire culturel acceptable, convenable, allant de soi. Ce qui produit une illusion de la “naturalité” de l’arbitraire culturel (expliquer). La culture nous devient tellement naturelle que nous ne songeons plus ni à nous en étonner ni à nous en scandaliser.

Montesquieu, dans l’”Essai touchant les lois naturelles” : “Dites à un cannibale, instruit dès sa jeunesse à tuer des hommes pour se nourrir de leur chair, que c’est là une action injuste et qu’il n’a qu’à rentrer en lui-même pour y trouver une loi qui la défend, il vous répondra naïvement qu’il ne perçoit rien de semblable, et que ceux de son pays sont faits comme lui. C’est en vain que vous essaierez de le convaincre. L’exemple et l’éducation se sont emparés de son esprit et ont effacé ses impressions naturelles auxquelles seul vous prétendez le ramener, et qu’il n’est plus en état de reconnaître.”

Cela est vrai de toute culture qui entend se faire passer pour naturelle et légitime. (la tendance à la naturalisation de l’humain :le racisme).

D’un côté, universalité du fait culturel coextensif à l’humanité, d’un autre côté, diversité des cultures dans l’espace et le temps. Est-il possible par-delà cette diversité de trouver des universaux culturels, des invariants, cad des traits qui seraient constitutifs de n’importe quelle culture et de toute culture ?

Peut-être : l’attention accordée aux morts (universalité des rites funéraires; tabou interdisant de traiter la dépouille humaine comme une chose; sentiment d’inhumanité lorsque c’est le cas); le langage; les règles de parenté accompagnées de la prohibition de l’inceste.

Commencer par ce qui est peut-être premier : le langage.

La nature nous a doté d’une faculté de langage (organisation cérébrale, phonatoire) mais le langage et son utilisation, sa concrétisation dans des langues relève de la culture.

Benveniste : “ L’homme n’a pas été créé deux fois, une fois sans langage et une fois avec le langage. L’émergence de l’homo sapiens dans la série animale peut avoir été favorisée par sa structure corporelle ou son organisation nerveuse; elle est due avant tout à sa faculté de représentation symbolique, source commune de la pensée, du langage et de la société.”

structure corporelle : passage à la station corporelle permanente, main avec le pouce opposable.
organisation nerveuse : cerveau complexe avec apparition du cortex, accordant la faculté d’association.

On parle de faculté symbolique : faculté de construire et d’utiliser des substituts verbaux, gestuels, ou matériels aux choses elles-mêmes; cad des réalités qui ont pour particularité de signifier.

Raison pour laquelle on peut dire que l’homme ne vit pas “dans” la nature.


L’homme a, pour ainsi dire, découvert une nouvelle méthode d’adaptation au milieu. Entre les systèmes récepteur et effecteur propres à toute espèce animale existe chez l’homme un troisième chaînon que l’on peut appeler système symbolique. Ce nouvel acquis transforme l’ensemble d ela vie humaine. Comparé aux autres animaux, l’homme en vit pas seulement dans une réalité plus vaste, il vit, pour ainsi dire, dans une nouvelle dimension de la réalité. Entre les réactions organiques et les réponses humaines existe une différence indubitable. Dans le premier cas, à un stimulus externe correspond une réponse directe et immédiate; dans le second cas, la réponse est différée. Elle est suspendue et retardée par un processus lent et compliqué de la pensée. Le bénéfice d’un tel délai peut sembler à première vue bien contestable. “L’homme qui médite, dit Rousseau, est un animal dépravé” : outrepasser les frontières de la vie organique n’est pas pour la nature humaine perfection mais dégradation.
Il n’existe pourtant aucun remède contre ce renversement de l’ordre naturel. L’homme ne peut échapper à son propre accomplissement. Il ne peut qu’accepter les conditions de sa vie propre. Il ne vit plus dans un univers simplement matériel, mais dans un univers symbolique. Le langage, le mythe, l’art, la religion sont des éléments de cet univers. Ce sont les fils différents qui tissent la toile du symbolisme, la trame enchevêtrée de l’expérience humaine. Tout progrès dans la pensée et l’expérience de l’homme complique cette toile et la renforce. L’homme ne peut plus se trouver en présence immédiate de la réalité; il ne peut plus la voir, pour ainsi dire, face à face. La réalité matérielle semble reculer à mesure que l’activité symbolique de l’homme progresse. Loin d’avoir rapport aux choses mêmes, l’homme, d’une certaine manière, s’entretient constamment avec lui-même. Il s’est tellement entouré de formes linguistiques, d’images artistiques, de symboles mythiques, de rites religieux, qu’il ne peut rien voir ni connaître sans interposer cet élément médiateur artificiel.

Ernst CASSIRER. Essai sur l’homme.

L’homme vit dans un monde de signes, de symboles.

Pourquoi est-ce fondamental ?

Capacité symbolique à la base de la capacité à conceptualiser, cad à construire des idées, des représentations générales. Indissociabilité pensée/langage. Les langues que nous parlons ne sont pas des décalques de la réalité, mais des instances qui catégorisent la réalité, qui la structurent. Nous n’avons jamais accès à la réalité elle-même, mais à la réalité pensée, découpée et organisée par la langue que nous parlons.

Langage outil de la pensée discursive, cad de la pensée qui raisonne, argumente, démontre, convainc, persuade.

Langage comme symbolisme le plus économique : ne demande aucun effort musculaire, ni déplacement corporel; la nuit n’est pas un obstacle, à la différence des gestes.

Mais surtout, le langage comme véhicule essentiel de la culture : la culture est l’ensemble des acquis transmis par le langage (pas de transmission biologique) La plasticité du langage, sa capacité à transmettre n’importe quel contenu lui permet de communiquer n’importe quelle forme d’acquis culturel.

Sorte de cercle vicieux : pas de culture sans langage, mais pas d’acquisition du langage sans culture : la nature ne nous a donné que la faculté symbolique qui inclut la faculté linguistique, mais elle ne nous détermine à parler aucune langue en particulier.

Y a-t-il un sens à se demander ce qui est premier ? Chaque instance présuppose l’autre. Les deux n’ont pu qu’émerger ensemble.


Georges CHARBONNIER. - Quelle distinction y a-t-il lieu d’établir entre nature et culture?
Claude LEVI-STRAUSS. - C’est la distinction fondamentale pour l’ethnologue et souvent un peu embarrassante chez nous, parceque le terme de culture qui est d’importation anglaise n’a pas exactement le même sens traditionnel, en français, que celui que les fondateurs des sciences anthropologiques (1) lui ont donné. La nature, c’est tout ce qui est en nous par hérédité biologique; la culture, c’est au contraire, tout ce que nous tenons de la tradition externe et, pour reprendre la définition classique de Tylor (2) - je cite de mémoire et inexactement sans doute - enfin, la culture ou la civilisation, c’est l’ensemble des coutumes, des croyances, des institutions telles que l’art, le droit, la religion, les techniques de la vie matérielle, en un mot, toutes les habitudes ou les aptitudes apprises par l’homme en tant que membre d’une société. Il y a donc là deux grands ordres de faits, l’un grâce auquel nous tenons à l’animalité par tout ce que nous sommes, du fait même de notre naissance et des caractéristiques que nous ont léguées nos parents et nos ancêtres, lesquelles relèvent de la biologie, de la psychologie quelquefois; et d’autre part, tout cet univers artificiel qui est celui dans lequel nous vivons en tant que membres d’une société. L’ethnologie ou, au sens large, l’anthropologie, essaie de faire, dans l’ordre de la culture, la même oeuvre de description, d’observation, de classification et d’interprétation, que le zoologiste ou le botaniste le fait dans l’ordre de la nature. C’est dans ce sens, d’ailleurs, qu’on peut dire que l’ethnologie est une science naturelle ou qu’elle aspire à se constituer à l’exemple des sciences naturelles.
G.C. - La culture, d’une certaine manière, doit provenir de la nature ?
C. L.-S. - Disons qu’elle implique une quantité de facteurs d’ordre naturel. Il est bien certain que dans toute société, quelle qu’elle soit, les hommes ont fondamentalement les mêmes besoins : se nourrir, se protéger contre le froid, se reproduire, d’autres encore.
G.C. - Mais pour s’élaborer ?
C. L.-S. - Dans la mesure où, précisément, il s’agit de besoins fondamentaux et de besoins dont l’origine est naturelle, ils sont identiques au sein de l’espèce homo sapiens. Ce qui intéresse l’ethnologue et ce qui relève de la culture, ce sont les modulations, si je puis dire, différentes selon les sociétés et les époques, qui se sont imposées à une matière première, par définition identique toujours et partout.
G.C. - Quel est le signe le plus humble que l’on admet comme représentatif de la culture? Le signe le plus humble ?
C. L.S. - Pendant très longtemps, on a pensé, et beaucoup d’ethnologues pensent peut-être encore que c’est la présence d’objets manufacturés. On a défini l’homme comme Homo Faber, fabricateur d’outils, en voyant dans ce caractère la marque même de la culture. J’avoue que je ne suis pas d’accors et que l’un de mes buts essentiels a toujours été de placer la ligne de démarcation entre nature et culture, non dans l’outillage, mais dans le langage articulé. C’est là vraiment que le saut se fait; supposez que nous rencontrions, sur une planète inconnue, des êtres vivants qui fabriquent des outils, nous ne serions pas sûrs pour autant qu’ils relèvent de l’ordre de l’humanité. En vérité, nous en rencontrons sur notre globe, puisque certains animaux sont capables, jusqu’à un certain point, de fabriquer des outils ou des ébauches d’outils. Pourtant nous ne croyons pas qu’ils aient accompli le passage de la nature à la culture. Mais imaginez que nous tombions sur des êtres vivants qui possèdent un langage, aussi différent du nôtre qu’on voudra, mais qui serait traduisible dans notre langage, donc des êtres avec lesquels nous pourrions communiquer (...)
(...) Je pense que tout problème est de langage, nous le disions pour l’art. Le langage m’apparaît comme le fait culturel par excellence, et cela à plusieurs titres; d’abord parceque le langage est une partie de la culture, l’une de ces aptitudes ou habitudes que nous recevons de la tradition externe; en second lieu parce que le langage est l’instrument essentiel, le moyen privilégié par lequel nous nous assimilons à la culture de notre groupe... Un enfant apprend sa culture parce qu’on lui parle: on le réprimande, on l’exhorte, et tout cela se fait avec des mots; enfin et surtout, parce que le langage est la plus parfaite de toutes les manifestations d’ordre culturel qui forment, à un titre ou à un autre, des systèmes, et si nous voulons comprendre ce que c’est que l’art, la religion, le droit, peut-être même la cuisine ou les règles de politesse, il faut les concevoir comme des codes formés par l’articulation de signes, sur le modèle de la communication linguistique.

Georges Charbonnier. Entretiens avec Claude Lévi-Strauss.

En outre, la langue est la première forme sous laquelle l’enfant humain rencontre la règle sociale, sous la forme de la règle linguistique. (enfant : infans; cad qui ne parle pas; il faut introduire l’enfant dans l’univers humain en faisant d relui un être parlant)

Culture comme ensemble de règles, de normes, de tous ordres : linguistiques, alimentaires, de pudeur, de bonne moeurs, morales, de comportement, par ex en matière sexuelle.

L’animal qui est un être de nature obéit à des lois physiques, à des déterminismes comportementaux (instincts) ( mais se méfier du caractère anthropomorphique du langage “obéir”)

L’homme en tant qu’il est fragment de nature obéit à des lois naturelles : gravitation, lois de la physiologie etc... Mais il obéit aussi à des normes sociales et culturelles. La règle sociale est normative : elle prescrit ce qui doit être, par des moyens divers : la force, la peur, en faisant appel à la raison, la persuasion, par la coutume.

Distinguer l’instinct et le désir : caractère non déterminé de l’objet du désir : on peut parler de déviance à l’égard de la norme sociale, mais non de conduite contre-nature(homosexualité)

Comme la règle est normative elle peut toujours être enfreinte. Donc se méfier : quand on dit d’un comportement qu’il est normal, ça ne peut vouloir dire conforme à la nature. La nature ne réprouve pas certaines conduites, elle en rend certaines possibles, d’autres impossibles. Il n’y a donc pas dans la nature d’anormalités au sens de déviances, de violations des interdits mis en place par le règles. (donner des exemples)

Existe-t-il des règles universelles ?


Posons donc que tout ce qui est universel, chez l’homme, relève de l’ordre de la nature et se caractérise par la spontanéité, qui tout ce qui est astreint à une norme appartient à la culture et présente les attributs du relatif et du particulier. Nous nous trouvons alors confrontés avec un fait, ou plutôt un ensemble de faits, qui n’est pas loin, à la lumière des définitions précédentes, d’apparaître comme un scandale : nous voulons dire cet ensemble complexe de croyances, de coutumes, de stipulations et d’institutions que l’on désigne sommairement sous le nom de prohibition de l’inceste. Car la prohibition de l’inceste présente, sans la moindre équivoque, et indissolublement réunis, les deux caractères où nous avons reconnu les attributs contradictoires de deux ordres exclusifs : elle constitue une règle, mais une règle qui, seule entre toutes les règles sociales, possède en même temps un caractère d’universalité. Que la prohibition de l’inceste constitue une règle n’a guère besoin d’être démontré : il suffira de rappeler que l’interdiction du mariage entre proches parents peut avoir un champ d’application variable selon la façon dont chaque groupe définit ce qu’il entend par proche parent; mais que cette interdiction, sanctionnée par des pénalités sans doute variables, et pouvant aller de l’exécution immédiate des coupables à la réprobation diffuse, parfois seulement à la moquerie, est toujours présente dans n’importe quel groupe social.

Claude Lévi-Strauss. Les structures élémentaires de la parenté (1947)

Pourquoi un tel interdit ? Amorcer l’échange : la culture comme système généralisé d’échanges.

Retenir deux points essentiels : la culture s’accompagne d’un processus éducatif qui permet l’intériorisation des règles, des normes, des valeurs, des interdits, et du langage, qui est le véhicule de toute culture.

Nécessité de revenir sur la définition même de la notion d’éducation : quelle est sa vraie nature ? quelles sont ses fins ?

Comme nous sommes des êtres culturels, notre héritage biologique est entièrement transformé par la culture, cad le langage, la travail, la vie sociale.

- nos sens deviennent capables de percevoir non seulement les choses, mais également leur beauté, ce qui présuppose un regard désintéressé qui ne peut s’acquérir que par la culture et dont l’animal est incapable.

- le besoin de s’alimenter se transforme en goût culinaire et en convivialité

- le besoin de se vêtir en mode vestimentaire chargée de significations symboliques.

- le besoin sexuel en désir amoureux

- le corps lui-même, cad ce qui apparaît comme le plus strictement physique est transformé par la culture : aucune société n’accepte de laisser le corps à l’état naturel; il est modifié dans ses aspects et ses utilisations; cosmétiques, tatouages, modification de la forme des dents, des pieds. A tel point que pour certaines tribus primitives, la véritable nudité n’est pas dans l’absence de vêtements, mais dans l’absence de tatouages.

On définit dans toutes les sociétés des postures corporelles convenables et inconvenantes, l’allure de la marche, la position dans le sommeil, dans l’amour.

Les ethnologues parlent de “techniques du corps”. Le donné biologique disparaît derrière des marques d’acculturation. Domestication du corps comme moment capital dans le devenir de l’humanité. Il s’agit d’obtenir du corps une plus grande efficacité en fonction de buts sociaux ou culturels à atteindre : efficacité au travail, à la guerre; apprentissage de la soumission à travers la discipline militaire : discipliner le corps pour domestiquer l’esprit. Assurer la maîtrise du corps, notamment en ce qui concerne les réactions émotives. Toutes les sociétés n’autorisent pas de la même façon le rire, les larmes, la gesticulation.

Possibilité de définir l’homme comme un “animal dénaturé”.

Mais comment comprendre cette dénaturation ?

- briser la nature en nous : l’idée freudienne d’un conflit entre nature et civilisation.



L’homme n’est point cet être débonnaire, au coeur assoiffé d’amour, dont on dit qu’il se défend quand on l’attaque, mais un être, au contraire, qui doit porter au compte de ses données instinctives une bonne somme d’agressivité. Pour lui, par conséquent, le prochain n’est pas seulement un auxiliaire et un objet sexuel possibles, mais aussi un objet de tentation. L’homme est, en effet, tenté de satisfaire son besoin d’agression aux dépens de son prochain, d’exploiter son travail sans dédommagements, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de s’approprier ses biens, de l’humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer. Homo homini lupus : qui aurait le courage, en face de tous les enseignements de la vie et de l’histoire, de s’inscrire en faux contre cet adage? (...)
Cette tendance à l’agression, que nous pouvons déceler en nous-mêmes et dont nous supposons à bon droit l’existence chez autrui, constitue le facteur principal de perturbation dans nos rapports avec notre prochain; c’est elle qui impose à la civilisation tant d’efforts. Par suite de cette hostilité primaire qui dresse les hommes les uns contre les autres, la société civilisée est constamment menacée de ruine. L’intérêt du travail solidaire ne suffirait pas à la maintenir : les passions instinctives sont plus fortes que les intérêts rationnels. La civilisation doit tout mettre en oeuvre pour limiter l’agressivité humaine et pour en réduire les manifestations à l’aide de réactions psychiques d’ordre éthique. De là, cette mobilisation de méthodes incitant les hommes à des identifications et à des relations d’amour inhibées quant au but; de là cette restriction de la vie sexuelle; de là aussi cet idéal imposé d’aimer son prochain comme soi-même, idéal dont la justification véritable est précisément que rien n’est plus contraire à la nature humaine primitive. Tous les efforts fournis en son nom par la civilisation n’ont guère abouti jusqu’à présent. Elle croit prévenir les excès les plus grossiers de la force brutale en se réservant le droit d’en user elle-même contre les criminels, mais la loi ne peut atteindre les manifestations les plus prudentes et les plus subtiles de l’agressivité humaine. Il est toujours possible d’unir les une aux autres par les liens de l’amour une plus grande masse d’hommes, à la seule condition qu’il en reste d’autres en dehors d’elle pour recevoir les coups. Mais il serait injuste de reprocher à la civilisation de vouloir exclure de l’activité humaine la lutte et la concurrence. San doute sont-elles indispensables, mais rivalité n’est pas nécessairement hostilité; c’est simplement abuser de la première que d’en prendre prétexte pour justifier la seconde.

FREUD Malaise dans la civilisation.

- ou comme construction de l’homme justement parce que celui ci souffre d’un déficit naturel.

Dernier point : la culture est donc action de l’homme sur lui-même. Cette action a une histoire. Se demander si l’historicité est une dimension essentielle ou pas de la culture. Méfiance à l’égard des idéologies naïves du progrès. Objection constituée par l’existence des sociétés primitives non-historiques.

Maintenant se poser la question de savoir s’il y a un sens à parler d’homme à l’état de nature.

En disant de l’homme qu’il est un animal dénaturé, avons-nous défini l’être même de l’homme, en affirmant que l’homme n’est humain que par la culture (mais alors rappeler la distinction entre espèce humaine et humanité) où n’avons-nous fait que décrire un état historique?

Si on répond oui à la première question, alors la nature de l’homme est d’être un être qui s’arrache à la nature, d’être un être de culture. Et la nature de l’homme est de n’avoir pas de nature, cad d’essence immuable.

Cependant : des philosophes comme Rousseau ou Hobbes parlent d’état de nature dans lequel les hommes auraient vécu avant de constituer des sociétés. L’homme serait-il donc humain avant la constitution des sociétés ?

Comprendre ce qu’ils ont voulu dire par là.

Prendre le cas des analyses de Rousseau. Dans le discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes 1755.

Point de départ du raisonnement : pour connaître les causes des inégalités sociales entre les hommes, il faut commencer par connaître les hommes eux-mêmes. Connaître l’homme “tel que la nature l’a formé”.

Pour cela, remonter à ce qu’étaient les hommes dans l’état de nature (cad une situation où il n’y a pas de société, de lois, d’artifices)

La première partie du discours décrit l’état de nature et l’homme naturel sous trois aspects : physique, métaphysique et moral.

aspect physique : l’homme primitif vit en harmonie avec son milieu. Pas d’instinct spécifique, mais aptitude à imiter les instincts de tous les autres animaux. Adaptation spontanée au milieu. Unité avec la nature, il n’est pas séparé du monde par les outils. Son corps est son seul outil, mais il le transporte toujours avec lui. C’est un être robuste et sain.

Cet homme primitif mène une vie immédiate. Concentration sur le présent; inutilité de la prévision : la nature pourvoit à ses besoins. Le primitif vit dans la plénitude dans la mesure où il ignore l’angoisse de la mort. Dépourvu d’imagination, qui conduit à se projeter vers l’avenir.

Primitif à l’abri du besoin, de la maladie et de la mort. Ne connaît pas le malheur, plus qu’il n’est heureux véritablement.

Aspect métaphysique, cad ce qui concerne la question de la liberté et des facultés spirituelles de l’homme. Qu’est-ce qui distingue l’homme du simple mécanisme physique ?

L’homme naturel se définit-il par la raison ou par la liberté ? Rousseau répond : la liberté.

Pourquoi ? parce qu’on peut rendre compte physiquement de l’apparition des idées .

Par contre ce qui distingue l’homme de l’animal, c’est la liberté, le libre-arbitre, cad le pouvoir de choisir, d’être la cause première et volontaire de sa conduite. Conduites humaines excluant le déterminisme naturel. Le primitif obéit à la nature, mais librement, alors que l’animal le fait mécaniquement.

Autre caractère : la perfectibilité. capacité de s’adapter à des situations nouvelles. Liberté et perfectibilité comme les deux revers d’une même médaille.

Mais la perfectibilité est une potentialité; elle aurait pu très bien ne jamais se développer. Il faudra l’intervention de circonstances extérieures qui auraient pu ne jamais se produire. L’entrée dans l’histoire et la culture est donc contingente.

L’h. primitif ne réfléchit pas; il vit dans la pure sensation. Caractère passif de la sensation; pas besoin de réflexion tant qu’il y a harmonie avec le milieu naturel.

Egalement privé de langage. Isolement.

Aspect moral : la thèse de la bonté naturelle. Incapacité de faire le bien comme le mal. Moralement neutre. Opposition à Hobbes qui affirme que dans l’état de nature, l’homme est doté d’amour-propre qui le dresse contre ses semblables et fait de chacun l’ennemi de chacun;

Obj. de Rousseau : distinguer l’amour de soi-même et l’amour-propre. “L’amour de soi-même est un sentiment naturel qui porte tout animal à veiller à sa propre conservation.” “L’amour-propre n’est qu’un sentiment relatif, factice et né dans la société, qui porte chaque individu à faire plus de cas de soi que de tout autre.”

Ensuite la pitié comme disposition pré-rationnelle; répugnance innée à voir souffrir son semblable.

La situation de l’homme primitif ou sauvage aurait pu se perpétuer indéfiniment s’il n’y avait pas eu des facteurs contingents qui vont pousser les hommes à quitter l’état de nature et à fonder des sociétés, entrer dans l’histoire et entamer un processus de progrès qui pour Rousseau est un développement des maux et de la servitude : la propriété, le luxe, la servitude politique. (facteurs contingents : la multiplication des hommes, la variation des climats qui poussera les hommes à se rapprocher, la nature qui devient moins généreuse)

Quel est le sens de cette idée d’un homme naturel, d’un homme à l’état de nature ? Une pure hypothèse méthodologique.

Précision dans la préface : lire page 72 version hatier. Idem Hobbes. Donc pas la description d’une réalité empirique. Rousseau veut simplement montrer qu’on ne peut justifier les inégalités sociales par des inégalités qui auraient été constitutives de l’état de nature.

Donc, cela n’invalide pas l’idée selon laquelle l’homme n’est homme qu’au sein de la culture (mais dans l’histoire ?)

Maintenant, autre problème : l’homme est un être de culture, mais il y a diversité des cultures, au sens B. la culture ne se réalise qu’au sein de cultures particulières.

La philo tente de poser la question : qu’est-ce que l’homme. Par là, elle tente de saisir une essence, de le distinguer de l’animal, de penser sa place dans la nature, son rapport à la nature.

Mais l’anthropologie, l’histoire nous montrent qu’il y a également des hommes, une extraordinaire diversité humaine du point de vue culturel.

l’opinion commune a tendance à faire éclater l’unité de l’humanité posée par la philo quand elle affirme que l’homme est un animal rationnel, ou social, ou parlant.

L’OC est tentée de dire : ce ne sont pas les mêmes hommes, ou : ce ne sont pas des hommes. La philo doit tenter de penser cette diversité, pour en comprendre le sens. Ne faut-il pas se poser la question des causes de cette diversité ?

toutes les questions que nous allons poser pourraient se ramener à celle-ci : la diversité des cultures est-elle un obstacle à l’unité du genre humain ?

Question qui en comprend deux : l’unité du genre humain est-elle pensable malgré ou par delà la diversité des cultures ? et L’unification du genre humain est-il possible et même souhaitable ?

Partir d’un constat :

la diversité des langues, des moeurs, des religions est souvent perçue comme une expérience malheureuse (la construction de la tour de babel, sa destruction, les hommes punis et condamnés à parler des langues différentes)

la coexistence des religions engendre intolérance, fanatisme, chacune revendiquant pour elle seule l’universalité.

la contradiction des moeurs, l’incompatibilité des règles de vie accentue la difficulté d’une compréhension mutuelle , ou rend impossible un respect minimal.

devons-nous nous attacher à notre culture sous prétexte que c’est elle qui nous a fait, que nous tenons d’elle notre humanité (puisque hors culture, un être humain ne serait pas humain) Avons nous le droit de la critiquer , de prendre du recul ?

mais cela ne risque-t-il pas d’engendrer un attachement qui nous aveugle ,en nous faisant nous considérer seulement comme des héritiers du passé ?

ou bien faut-il dire qu’avant d’appartenir à une culture particulière, nous appartenons d’abord à l’humanité, et raisonner en termes cosmopolites, en disant que l’appartenance à une culture est secondaire par rapport au devenir du genre humain dans lequel nous nous inscrivons ?

Alors, l’affirmation d’une communauté de destin à tous les hommes : notre humanité serait une réalité à construire dans un projet historique concernant la totalité des hommes ? (projets kantiens pour penser les conditions de possibilité d’une paix perpétuelle entre les nations, ainsi qu’une unification politique de l‘humanité)

La philo a une prétention à l’universalité, mais la diversité des cultures l’oblige à réfléchir sur elle-même : elle est née dans une culture particulière. Alors question : l’esprit a-t-il le pouvoir de s’affranchir des caractéristiques culturelles, ou est-il irrémédiablement prisonnier de ces caractéristiques ? On a dit de l’homme qu’il était un “pouvoir de s’arracher à la nature”. Ne faut-il pas également demander s’il n’est pas “pouvoir de s’arracher à sa culture” ?

Implication politique de cette thèse : lien avec le constructivisme politique : le fait social et culturel n’est pas une fatalité devant laquelle nécessairement plier; possibilité de reconstruire la vie sociale et culturelle sur des bases rationnelles ou des exigences morales, comme celle de justice : idée moderne de contrat social.

On parle parfois d’une philo allemande, d’une philo française, caractérisée par la clarté, comme on parle du caractère français, ou allemand. L’activité de la pensée peut-elle atteindre une réelle universalité, ou n’est-elle qu’un reflet culturel : ainsi la critique aujourd’hui de la fausse universalité des droits de l’homme par certaines religions qui n’y voient qu’un préjugé propre à certaines cultures, ou des valeurs bonnes seulement pour certaines cultures.

Partir d’une question simple : est-il possible de juger objectivement de la valeur des cultures ? Pouvons-nous les comparer pour les classer, les hiérarchiser, selon une échelle de plus ou moins grande perfection ou humanité ? Y a-t-il des cultures plus humaines que d’autres ?

L’opinion commune a déjà répondu : les grecs parlaient des barbares; les chinois accueillant les occidentaux les considéraient comme des barbares. Les missionnaires arrivant en Amérique après 1492 disputent pour savoir si les indiens ont une âme; les premiers voyageurs décrivent des êtres fabuleux à mi-chemin entre l’homme et l’animal.

Les premiers anthropologues parlent d’hommes primitifs. Les hommes pourtant éclairés du xviii° parlent des sauvages, en y voyant des vestiges d’hommes de l’état de nature. Autrement dit, la tendance la plus naturelle des hommes est de hiérachiser les cultures, ou même de refuser l’humanité à ce qui n’appartient pas à sa culture.

L’idée que tous les peuples du monde forment une seule humanité n’est pas consubstantielle au genre humain. Ce qui a même longtemps distingué les hommes de la plupart des autres espèces animales, c’est précisèment qu’ils ne se reconnaissent pas entre eux. Un chien, pour un chien, a toujours été un autre chien. Un homme devait, au contraire, remplir des conditions draconiennes pour ne pas être radié du monde humain : il fallait être le semblable, sur le plan physique, ou culturel.

Lévi-Strauss rappelle que la notion d’humanité, englobant, sans distinction de race ou de civilisation, toutes les formes de l’espèce humaine, est d’apparition fort tardive et d’expansion limitée. Là même où elle semble avoir atteint son plus haut degré de développement, il n’est nullement certain qu’elle soit à l’abri des équivoques et des régressions. Le nazisme, et l’épisode de Lévinas qui montre que les prisonniers n’étaient plus des hommes que dans le regard d’un chien.

Comment la philo doit-elle traiter cette opinion ?

Nécessité de distinguer espèce humaine et humanité.

L’espèce humaine est une caractérisation biologique : possibilité d’en affirmer sans hésitation l’unité. reprendre l’argumentation du naturaliste Buffon (18°s) , elle-même reprise par Kant :

“tous les hommes sur toute l’étendue de la terre appartiennent à un seul et même genre naturel, parce que, régulièrement par accouplement, ils donnent naissance à des enfants féconds, malgré, par ailleurs, la grande diversité d’aspects physiques que l’on rencontre.”

Explication de la diversité physique : l’homme était destiné à tous les climats et à n’importe quelle constitution du sol. La diversité physique est la réponse à la diversité des milieux. (déjà l’idée que même sur le plan physique, il y a indétermination de l’homme, alors qu’il y a un lien rigide entre telle espèce animale et tel type de milieu, telle espèce disparaissant si le milieu se modifie)

Mais cette unité biologique ne résout pas le problème de l’unité de l’humanité, étant donné que l’humanité s’achève elle-même dans une culture. L’espèce humaine, c’est ce que la nature a fait de l’homme, l’humanité, c’est ce que l’homme fait de lui-même.

Aller chercher des éléments de réflexion du côté de l’anthropologie, de l’ethnologie.

Tous les hommes vivent en société : partout présence du langage, de règles sociales, de la technique, de représentations symboliques. Le “sauvage” est un mythe.

Maintenant le problème de la comparaison :


L’attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu’elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une attitude inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. “Habitudes de sauvages”, “cela n’est pas de chez nous”, “on ne devrait pas permettre cela”, etc., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères. Ainsi l’Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare; la civilisation occidentale a ensuite utilisé le terme de sauvage dans le même sens. Or, derrière ces épithètes se dissimule un même jugement : il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l’inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain; et sauvage, qui veut dire “de la forêt”, évoque aussi un genre de vie animal par opposition à la culture humaine. (...)
Cette attitude de pensée, au nom de laquelle on rejette les “sauvages” (ou tous ceux qu’on choisit de considérer comme tels) hors de l’humanité, est justement l’attitude la plus marquante et la plus instinctive de ces sauvages mêmes. (...)
L’humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village; à tel point qu’un grand nombre de populations dites primitives se désignent elles-mêmes d’un nom qui signifie les “hommes” (ou parfois - dirons-nous avec plus de discrétion ? - les “bons”, les “excellents”, les “complets”), impliquant ainsi que les autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des vertus ou même de la nature humaine, mais qu’ils sont tout au plus composés de “mauvais”, de “méchants”, de “singes de terre” ou “d’oeufs de pou”. On va souvent jusqu’à priver l’étranger de ce dernier degré de réalité en en faisant un “fantôme” ou une “apparition”. Ainsi se réalisent de curieuses situations où deux interlocuteurs se donnent cruellement la réplique. Dans les grandes Antilles, quelques années après la découverte de l’Amérique, pendant que les Espagnols envoyaient des commissions d’enquête pour rechercher si les indigènes avaient ou non une âme, ces derniers s’employaient à immerger des blancs prisonniers, afin de vérifier, par une surveillance prolongée, si leur cadavre était ou non sujet à la putréfaction. (...)
En refusant l’humanité à ceux qui apparaissent comme les plus “sauvages” ou “barbares” de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie.

Claude Lévi-Strauss. Race et histoire.

Apparition du mythe du barbare au sein même de l’effort rationnel pour comprendre la diversité culturelle : la notion de “mentalité primitive” et de “pensée pré-logique” dans l’ethnologie de Levy-Bruhl.

Pour L B, les fonctions mentales sont façonnées par des représentations collectives.

Les hommes primitifs auraient de par leur culture, des fonctions mentales différentes des nôtres, raisonneraient autrement: la réalité serait saisie à travers la croyance en des forces, des actions, des influences imperceptibles aux sens. Pensée magique;

Pré-logique : cad ? Pensée qui serait indifférente à la contradiction : une chose ou un être peuvent être lui-même et autre chose en même temps : le bororo qui est un perroquet (totem) Pensée qui pense en termes de participation.

Pensée qui serait moins apte que la nôtre à analyser, à abstraire, à conceptualiser. Ignorance de la relation de causalité, remplacée par celle d’influence mystique : si un homme meurt, on se demande quel sorcier lui a jeté un sort (la mort n’est pas conçue comme phénomène naturel)

Importance des rêves, visions, censés faire entrer en contact avec le surnaturel.

Caractère ethnocentrique de cette conception.

“Chaque fois que nous sommes portés à qualifier une culture humaine d’inerte ou de stationnaire, nous devons donc nous demander si cet immobilisme apparent ne résulte pas de l’ignorance où nous sommes de ses intérêts véritables, conscients ou inconscients, et si, ayant des critères différents des nôtres, cette culture n’est pas, à notre égard, victime de la même illusion. Autrement dit, nous nous apparaîtrions l’un à l’autre comme dépourvus d’intérêt, tout simplement parce que nous ne nous ressemblons pas.
La civilisation occidentale s’est entièrement vouée, depuis deux ou trois siècles, à mettre à la disposition de l’homme des moyens mécaniques de plus en plus puissants. Si l’on adopte ce critère, on fera de la quantité d’énergie disponible par tête d’habitant l’expression du plus ou moins haut degré de développement des sociétés humaines. La civilisation occidentale sous sa forme nord-américaine occupera la place de tête, les sociétés européennes, soviétique et japonaise venant ensuite, avec, à la traîne, une masse de sociétés asiatiques et africaines qui deviendront vite indistinctes. Or, ces centaines ou même ces milliers de sociétés qu’on appelle “insuffisamment développées” et “primitives”, qui se fondent dans un ensemble confus quand on les envisage sous le rapport que nous venons de citer (et qui n’est guère propre à les qualifier, puisque cette ligne de développement leur manque ou occupe chez elles une place très secondaire), elles ne sont tout de même pas identiques. Sous d’autres rapports, elles se placent aux antipodes les unes des autres; selon le point de vue choisi, on aboutirait donc à des classements différents.
Si le critère retenu avait été le degré d’aptitude à triompher des milieux géographiques les plus hostiles, il n’y a guère de doute que les Eskimo d’une part, les Bédouins de l’autre, emporteraient la palme. L’Inde a su, mieux qu’aucune autre civilisation, élaborer un système philosophico-religieux, et la Chine un genre de vie, l’un et l’autre capables de réduire les conséquences psychologiques d’un déséquilibre démographique. (...) L’Occident, maître des machines, témoigne de connaissances très élémentaires sur l’utilisation et les ressources de cette suprême machine qu’est le corps humain. Dans ce domaine au contraire, comme dans celui connexe des rapports entre le physique et le moral, l’Orient et l’Extrème-Orient possèdent sur lui une avance de plusieurs millénaires; ils ont produit ces vastes sommes théoriques et pratiques que sont le yoga de l’Inde, les techniques du souffle chinoises ou la gymnastique viscérale des anciens Maori. L’agriculture sans terre, depuis peu à l’ordre du jour, a été pratiquée pendant plusieurs siècles par certains peuple polynésiens qui eussent pu aussi enseigner au monde l’art de la navigation, et qui l’ont profondément bouleversé au XVIII° siècle, en lui révélant un type de vie sociale et morale plus libre et plus généreux que tout ce que l’on soupçonnait.”

Claude Lévi-Strauss. Race et histoire

Pour l’ethno, impossibilité de hiérarchiser les cultures, pour deux raisons :

- neutralité axiologique : l’ethnologue est homme de science, il ne porte pas de jugement de valeur. Suspension du jugement moral par rapport à tout ce qui pourrait être considéré dans les populations étudiées comme choquant, répugnant ou même barbare (maxime spinoziste : ne pas pleurer, ne pas rire, ne pas haïr, mais comprendre) Comprendre la fonction symbolique de l’anthropophagie, au lieu de condamner une pratique jugée barbare. Opposition anthropophagie et anthropoémie :cad les sociétés qui “vomissent” ceux qu’elles rejettent (valeur de l’emprisonnement)

- méfiance à l’égard d’une théorie peut-être naïve du progrès, de la logique évolutionniste pensant que ce devrait être le destin de tous les peuples et de toutes les cultures que de suivre la voie du développement technique et de la maîtrise sur la nature. Ethno : toutes les sociétés sont adultes, aucune n’est resté dans l’enfance de l’humanité. L’ingéniosité humaine ne s’est pas plus exercée dans certaines sociétés que dans d’autres, mais seulement dans des directions différentes. Risque de l’ethnocentrisme. Les critères de jugement ne peuvent être que des critères culturels. Relativisme ethnologique.

- incitation à se méfier de la fausse simplicité et évidence de la notion de progrés : nécessité de distinguer les divers domaines du progrés : technique, politique, juridique, moral, scientifique. Comment penser leur articulation ? L’un est-il la cause de tous les autres ? Sont-ils tous porteurs d’une valeur positive ? Sont-ils compatibles ? Ainsi le progrés technique qui risque d’engendrer une énorme régrssion sociale, en faisant disparaître le travail.

Idée que l’on peut constater seulement la diversité des fins, mais pas les comparer et encore moins les hiérarchiser.

Donc unité de l’humanité, mais pas unité de destin. Ce qui posera le problème de savoir s’il y a une histoire de l’humanité ou des histoires des cultures et des civilisations.

Si une culture ou une civilisation s’impose et domine, ce n’est pas en raison de sa plus grande valeur, mais en raison de sa force, de sa capacité à détruire les autres cultures et à appauvrir la diversité culturelle. Danger de cet appauvrissement; Nécessaire cécité de chaque culture à l’égard des autres : l’acceptation entraînerait l’uniformisation.

Cependant, objection : ne peut-on pas dire que la culture la plus haute est celle qui est parvenue à la conscience de cette impossibilité de hiérarchiser, celle qui est parvenue à poser la question de sa propre valeur, autrement dit celle au sein de laquelle est parvenue à naître un regard universel sur l’homme, qui est capable de voir l’homme derrière l’être de culture, et de penser les devoirs à l’égard de tout homme ?

Ne peut-on également dire qu’est supérieure la culture où est née l’attitude qui consiste à refuser de dire : “ceci est bon, parce que c’est notre manière à nous”, pour adopter une autre attitude, qui consiste à demander : “où est le bien, pour que nous puissions le servir?”

Cette nouvelle attitude, c’est celle de la philosophie. Jusqu’alors, c’étaient les coutumes qui jugeaient les comportements des hommes, avec l’apparition en Grèce de la philo, ce sont les coutumes qui se voient citées à comparaître et jugées. Mon humanité ne colle plus à ma tradition. La philo est cosmopolite dès son surgissement.

Mais on peut aussi poser la question de la valeur de cette diversité culturelle : pourquoi faudrait-il la protéger, en quoi a-t-elle en elle-même une valeur ? La diversité est de l’ordre du fait. Or le fait, par le seul fait qu’il existe n’a pas encore de valeur. Au fait, il faut demander : de quel droit ? ou : quelle est ta valeur ? Danger du culturalisme : faire éclater l’espace commun aux hommes : la critique du féminisme qui définit l’humain par des critères biologiques, le culturalisme qui enferme chacun dans sa différence : une discrimination à rebours :usa.

On a montré que l’homme est un être de culture, mais nous venons aussi de voir que l’homme a cette capacité de ne pas simplement s’assimiler à sa culture d’origine; ce qui peut vouloir dire que l’homme est aussi pouvoir de s’arracher à la culture, autrement dit, que l’humanité de l’homme ne culmine pas dans la culture au sens 2.

Nécessité de poser la question de la valeur des idéaux qui prétendent former l’homme, le cultiver, l’accomplir. Toutes les cultures peuvent-elles de la même manière garantir l’accomplisement de l’humanité de l’homme ?

Mais qu’est-ce qui peut nous garantir que nous sommes en présence d’idéaux ou de valeurs qui permettent bien l’accomplissement de l’humanité de l’homme ? En un mot : pourquoi préférer la culture qui fera du respect de la personne et des droits de chacun une fin absolue à celle qui pratique l’anthropophagie ?

En quoi l’une serait-elle plus humaine que l’autre ? (au sens de conforme à l’idée de ce que l’homme devrait être pour être pleinement humain)

Se souvenir des mises en garde du Montaigne : (Essais)

“Il n’y a rien de sauvage et de barbare en cette nation, à ce qu’on m’en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage; comme de vrai il semble que nous n’avons pas d’autre mire de la vérité et de la raison que l’exemple et l’idée des opinions et usances du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police, le parfait et accompli usage de toutes choses.”

Ne peut-on trouver de “mire” au sens de Montaigne ailleurs que dans l’usage ?

Si c’est le cas, risque de réduire l’”humanité” à un voisinage de cultures hétérogènes, autarciques, chacune fermée sur ses propres valeurs, celles-ci incommunicables à ceux qui n’appartiennent pas à cette culture ?

Si c’est le cas, il n’y a plus “une” histoire de l’humanité, et il faut renoncer à en chercher le sens, mais seulement des histoires des cultures qui naissent, croissent puis disparaissent.

Faut-il même dire que l’histoire est une dimension essentielle de l’humanité, puisqu’il y a des sociétés sans histoire, et que celles-ci au dire du relativisme ethnologique, ont une égale valeur à toutes les autres ?

Mais qu’ai-je alors de commun avec le chinois, l’africain; je peux alors reposer la question de Montesquieu : “comment peut-on être persan” ? Au nom de quoi puis-je dire de tout autre homme qu’il est mon semblable ?

Si les valeurs de ma culture ne peuvent être prises comme repères (la critique ethnologique de l’ethnocentrisme est justifiée), comment sortir de cette impasse ?

La nature elle-même ne peut-elle nous servir de guide ? Paradoxe : nous avons dit que la nature nous avait fait achevé, n’y a-t-il pas là une indication des fins qu’elle nous assigne à travers cet inachèvement ?

Importance de la distinction de deux sens de la notion d’anthropologie:
- étude de l’homme en sa diversité

- connaissance de ce que l’homme, en tant qu’être de libre-arbitre, fait ou peut et doit faire de lui-même. (sens kantien)



“La nature a voulu que l’homme tire entièrement de lui-même tout ce qui dépasse l’agencement mécanique de son existence animale, et qu’il ne participe à aucune autre félicité ou perfection que celle qu’il s’est créée lui-même, indépendamment de l’instinct par sa propre raison. - En effet, la nature ne fait rien en vain, et elle n’est pas prodigue dans l’emploi des moyens pour atteindre ses buts. En munissant l’homme de la raison et de la liberté du vouloir qui se fonde sur cette raison, elle indiquait déjà clairement son dessein en ce qui concerne la dotation de l’homme. Il ne devait pas être gouverné par l’instinct, ni secondé et informé par une connaissance innée; il devait bien plutôt tirer tout de lui-même. Le soin d’inventer ses moyens d’existence, son habillement, sa sécurité et sa défense extérieure (pour lesquelles elle ne lui avait donné ni les cornes du taureau, ni les griffes du lion, ni les crocs du chien, mais seulement des mains), tous les divertissements qui peuvent rendre la vie agréable, son intelligence, sa sagesse même, et jusqu’à la bonté de son vouloir, devaient être entièrement son oeuvre propre. La nature semble même s’être complu à sa plus grande économie, et avoir mesuré sa dotation animale au plus court et au plus juste en fonction des besoins les plus pressants d’une existence à ses débuts; comme si elle voulait que l’homme, en s’efforçant un jour de sortir de la plus primitive grossièreté pour s’élever à la technique la plus poussée, à la perfection intérieure de ses pensées, et (dans la mesure où c’est chose possible sur terre) par là jusqu’à la félicité, en doive porter absolument seul tout le mérite, et n’en être redevable qu’à lui-même; c’est comme si elle avait attaché plus d’importance chez l’homme à l’estime raisonnable de soi qu’au bien-être. Car le cours des choses humaines est hérissé d’une foule d’épreuves qui attendent l’homme. Il semble bien que la nature n’ait pas eu du tout en vue de lui accorder une vie facile, mais au contraire de l’obliger par ses efforts à s’élever assez haut pour qu’il se rende digne, par sa conduite, de la vie et du bien-être.”


KANT. Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique.

Expliquer cela par le début de la 5° prop : “le problème essentiel pour l’espèce humaine, celui que la nature contraint l’homme à résoudre, c’est la réalisation d’une société civile administrant le droit d’une façon universelle.”

Ce qui permet de repenser le problème de l’éducation autrement que dans des termes sociologiques : montrer la différence avec la socio.

Problème : comment éduquer ?

L’opposition Rousseau/Kant.

Pour le premier, pour bien éduquer, il faut connaître sa nature originaire; d’où la distinction entre former un homme et former un citoyen. (Emile)

Pour le second, c’est en créant les conditions politiques de la citoyenneté que l’on pourra pleinement développer toutes les dispositions que la nature a mis en nous.

La nature de l’homme n’est peut-être pas ce qui est à l’origine, mais ce qui doit advenir de l’histoire entendue comme un vaste processus éducatif. Autrement dit, la nature de l’homme est une Idée.

Au sens Kantien : une Idée n’est rien d’autre que le concept d’une perfection, qui ne s’est pas encore rencontrée dans l’expérience. P.75.

Continuer par : que veut dire éduquer si éduquer n’est éduquer que lorsque ce processus est tourné vers l’accés de tous à l’autonomie ?

Textes de “réflexions”



L’homme est la seule créature qui doive être éduquée. Par éducation on entend, en effet, les soins (l’alimentation, l’entretien), la discipline, et l’instruction avec la formation (Bildung). Sous ce triple rapport l’homme est nourrisson, - élève, - et écolier.
Dès qu’ils les possèdent quelque peu, les animaux usent de leur force régulièrement, c’est-à-dire de telle sorte qu’elles ne leur soient pas nuisibles. Il est, en, effet, bien curieux de voir comment, par exemple, les jeunes hirondelles, à peine sorties de l’oeuf et encore aveugles, n’en savent pas moins s’arranger de manière à faire tomber leurs excréments en dehors du nid. Les animaux n’ont donc pas besoin de soins; tout au plus leur faut-il la pâture, la chaleur, être guidés, ou une certaine protection. La plupart des animaux ont besoin d’être nourris certes; ils n’ont pas besoin de soins. On entend par “soins” les précautions que prennent les parents pour éviter que les enfants ne fassent un usage nuisible de leurs forces. Et par exemple si un animal devait en venant au monde crier comme le font les enfants, il deviendrait infailliblement la proie des loups et des autres bêtes sauvages, attirées par son cri.
La discipline transforme l’animalité en humanité. Par son instinct un animal est déjà tout ce qu’il peut être; une raison étrangère a déjà pris soin de tout pour lui. Mais l’homme doit user de sa propre raison. Il n’a point d’instinct et doit se fixer lui-même le plan de sa conduite. Or puisqu’il n’est pas immédiatement capable de le faire, mais au contraire vient au monde (pour ainsi dire) à l’état brut, il faut que d’autres le fassent pour lui.
L’espèce humaine doit, peu à peu, par son propre effort, tirer d’elle-même toutes les qualités naturelles de l’humanité. Une génération éduque l’autre. (...)
La discipline empêche que l’homme soit détourné de sa destination, celle de l’humanité, par ses penchants animaux. Elle doit par exemple lui imposer des bornes, de telle sorte qu’il ne se précipite pas dans les dangers sauvagement et sans réflexion. La discipline est ainsi simplement négative; c’est l’acte par lequel on dépouille l’homme de son animalité; en revanche l’instruction est la partie positive de l’éducation.
L’état sauvage est l’indépendance envers les lois. La discipline soumet l’homme aux lois de l’humanité et commence à lui faire sentir la contrainte des lois. Mais cela doit avoir lieu de bonne heure. C’est ainsi par exemple que l’on envoie tout d’abord les enfants à l’école non dans l’intention qu’ils y apprennent quelque chose, mais afin qu’ils s’habituent à demeurer tranquillement assis et à observer ponctuellement ce qu’on leur ordonne, en sorte que par la suite ils puissent ne pas mettre réellement et sur le champ leurs idées à exécution.

KANT. Introduction des “Réflexions sur l’éducation”.

kant : l’éducation, le développement de la civilité. référence à l’idée d’une histoire universelle.

1 commentaire:

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