lundi 15 mars 2010

La religion

L’existence de Dieu ou des dieux est douteuse alors que celle des religions ne l’est pas, elles sont un phénomène social et culturel qui est universel. Comme tous les phénomènes sociaux et culturels, elles changent à travers le temps, varient selon les sociétés et les époques. Certaines disparaissent ou tombent en désuétude comme la religion des romains et des grecs de l’antiquité. D’autres naissent, comme la religion mormonne. Rien ne peut nous permettre de prévoir l’avenir des grandes religions d’aujourd’hui. Débat également autour du statut de certaines croyances, Les témoins de Jéhovah, les Moon, l’église de scientologie méritent-ils d’être considérés comme des religions ou comme de simples sectes ? C’est pourquoi nous parlerons d’abord de la religion avant de nous poser des questions sur l’existence de Dieu.
Pourquoi s’intéresser en philosophie à la religion ? Et d’abord, pourquoi parler de la religion, alors qu’il y a une pluralité de religions à la fois dans l’espace et le temps ? (Développer avec des exemples) Si on emploie le singulier, c’est qu’on pense que derrière la multiplicité des croyances, des rites et des dogmes, il y a quelque chose comme une essence du religieux, une nature commune à toutes les religions à chercher et à expliciter.
Les questions porteront autour de plusieurs points :
- d’abord essayer de dégager la nature du fait religieux par rapport à d’autres faits sociaux et culturels comme la mythologie et la magie.
- ensuite réfléchir à la compatibilité de la raison et de la religion. La religion propose des discours, sur le salut, sur la destinée après la mort ou sur l’origine du monde qui paraissent souvent difficilement compatibles avec l’exercice de la raison. Choisir la raison implique-t-il un refus de la religion ou pas ?
- ensuite nous réfléchirons sur la place qu’il est légitime d’accorder à la religion au sein de la cité. La religion relève non seulement de la croyance, mais de la législation des conduites en particulier en matière morale. Elle peut entrer en contradiction avec ce que demandent les lois civiles de la cité. Peut-on ou non accorder à la religion une fonction politique ou faut-il la limiter au domaine des conduites privées. Ce qui amènera à réfléchir sur les notions de tolérance (John Locke) et sur celle de laïcité.
- enfin, nous examinerons les discours critiques que la philosophie a pu tenir sur la religion, pour en révéler la vérité et montrer que le sens même des conduites et des croyances religieuses échappent à ceux qui y adhèrent. C’est ce que l’on appellera une critique externe de la religion ( Marx, Freud) qui nous amènera à réfléchir à la valeur même de la religion. Peut-être la philosophie nous aidera-t-elle à répondre à la question de savoir pourquoi il y a de la religion dans le monde humain et si l’homme peut être défini comme un animal religieux.

Difficulté d’aborder le problème de la religion en philosophie pour plusieurs raisons. D’abord des raisons internes : Kant rappelait que la philosophie était le libre exercice de la pensée, et impliquait de penser par soi-même :

Qu’est-ce que les Lumières ? La sortie de l’homme de sa minorité, dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable, puisque la cause en réside non pas dans un défaut de l’entendement, mais dans un manque de décision et de courage de s’en servir sans la direction d ‘autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des Lumières.
La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, après que la nature les a affranchis depuis longtemps d’une direction étrangère, restent cependant volontiers, leur vie durant, mineurs, et qu’il soit si facile à d’autres de se poser en tuteurs des premiers. Il est si aisé d’être mineur ! Si j’ai un livre, qui me tient lieu d’entendement, un directeur, qui me tient lieu de conscience, un médecin, qui décide pour moi de mon régime, etc., je n’ai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même. Je n’ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer; d’autres se chargeront bien de ce travail ennuyeux. Que la grande majorité des hommes (y compris le sexe faible tout entier) tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers leur majorité, outre que c’est une chose pénible, c’est ce à quoi s’emploient fort bien les tuteurs qui, très aimablement, ont pris sur eux d’exercer une haute direction sur l’humanité. Après avoir rendu bien sot leur bétail, et avoir soigneusement pris garde que ces paisibles créatures n’aient pas la permission d’oser faire le moindre pas hors du parc où ils les ont enfermées, ils leur montre le danger qui les menacent, si elles essaient de s’aventurer seules au dehors. Or ce danger n’est pas vraiment si grand; car elles apprendraient bien enfin, après quelques chutes, à marcher; mais un accident de cette sorte rend néanmoins timide, et la frayeur qui en résulte détourne ordinairement d’en refaire l’essai.
Il est donc difficile pour chaque individu séparément de sortir de la minorité, qui est presque devenue pour lui nature. Il s’y est si bien complu; et il est pour le moment réellement incapable de se servir de son propre entendement, parce qu’on ne l’a jamais laissé en faire l’essai. Institutions et formules, ces instruments mécaniques d’un usage de la raison, ou plutôt d’un mauvais usage des dons naturels, voilà les grelots que l’on a attachés aux pieds d’une minorité qui persiste. Quiconque même les rejetterait ne pourrait faire qu’un saut mal assuré par-dessus les fossés les plus étroits, parce qu’il n’est pas habitué à remuer ses jambes en liberté. Aussi sont-ils peu nombreux, ceux qui sont arrivés, par le propre travail de leur esprit, à s’arracher à la minorité et à pouvoir marcher d’un pas assuré.

KANT. Réponse à la question “ Qu’est-ce que les Lumières?” 1784.

D’autre part, Kant définissait la philosophie comme une attitude anti-dogmatique (définir la notion), or, toute religion repose sur des dogmes auxquels l’homme religieux est tenu de croire. D’où une apparente incompatibilité entre philosophie et religion.
Comment alors rendre compte de cette apparente contradiction entre l’exigence de rationalité incarnée par la philosophie et l’universalité de la religion (pas de culture ou de civilisation privée de formes de religions - apparition du religieux avec l’apparition d’homo sapiens, rites funéraires, sans doute croyances, thèse de Leroi-Gourhan sur les “religions de la préhistoire” - chercher dans texte)

D’autre part, nous serions entrés dans ce que le sociologue Max Weber a appelé le “désenchantement du monde”. Par ce terme WEber désigne le trait le plus général des transformations des conceptions du monde au cours du processus de formation des sociétés occidentales modernes.
Deux acceptions différentes de cette expression : d’abord le désenchantement du monde est un phénomène qui concerne exclusivement l’histoire des religions, à savoir l’élimination de la magie en tant que technique de salut. On trouve cela dans le judaïsme ancien et le calvinisme. Dans le catholicisme et dans l’hindouisme et le taoïsme, il y a des traces de magie : la grâce sacramentelle par exemple pour le catholicisme. Important pour Weber dans la mesure où la rupture avec la magie a favorisé la rationalisation du monde en particulier sur le plan technique et économique.
Ensuite le désenchantement du monde signifie le retrait du surnaturel du monde moderne. Il est alors associé à l’intellectualisation et la rationalisation des conceptions du monde, qui fonde la conviction que tout ce qui arrive dans le monde arrive conformément à des lois que la science peut connaître et la technique maîtriser.
Autrement dit, c’est la négation de l’interférence du surnaturel dans le monde. Cette prévisibilité implique qu’il est devenu impossible de prêter au monde une quelconque signification éthique, et de le penser comme un cosmos unifié par un sens.
Le désenchantement c’est aussi le progrès de la connaissance empirique et rationnelle qui conduirait à repousser la religion du côté de l’irrationalité. Et enfin, le désenchantement a entraîné ce que Weber appellera un “polythéisme des valeurs”. C’est-à-dire : le progrès scientifique et technique est un des plus puissants facteurs de rationalisation de la réalité. Et ce mouvement repousse toute croyance et toute quête de sens du côté des convictions privées et de l’irrationnel. Tous les grands systèmes symboliques, religieux ou mythiques, qui donnaient jadis une cohérence à l’appréhension du monde, sont caducs. Le monde moderne se caractérise par un bannissement des valeurs suprêmes proposées par les religions. Elles sont dé-socialisées et elles perdent leur valeur d’évidence et le caractère de consensus qu’elles possédaient jadis au sein d’une communauté de croyants. Tout système de valeurs est désormais affaire de choix individuel (montrer comment cela se traduit pratiquement) Weber oppose le “Kulturmensch” c’est-à-dire l’homme civilisé moderne et le “Naturmensch”, c’est-à-dire l’homme immergé dans une communauté dont il partage les valeurs incontestées. (prendre l’exemple de l’homme primitif, pour lequel l’idée d’une liberté de conscience ou d’une revendication de tolérance n’aurait eu aucun sens) Le monde moderne se caractérise par un historicisme radical, c’est-à-dire le point de vue qui consiste à considérer les savoirs et les croyances dans la stricte perspective de leur contexte historique. C’est une forme de relativisme. Raison pour laquelle lorsqu’il y a aujourd’hui un “retour du religieux”, celui-ci ne puisse se faire que sous la forme du fanatisme et de l’intégrisme et que comme une dénonciation de la modernité.

Mais dès le 19ème siècle, Nietzsche annonçait dans un texte intitulé “le gai savoir” ce qu’il appelait “la mort de Dieu” : “Le plus grand des événements récents - la “mort de Dieu”, le fait, autrement dit, que la foi dans le dieu chrétien a été dépouillé de sa plausibilité - commence déjà à jeter ses premières ombres sur l’Europe”.
Comprendre cette idée de la mort de Dieu comme une métaphore, puisque dieu, être immortel par définition (c’est-à-dire définition du concept) ne peut pas mourir. De quoi dieu est-il alors la métaphore ? Nietzsche donne une indication en parlant de plausibilités : il y a des choses qui ne sont plus plausibles, qui ne “prennent plus”, qui ont fait leur temps. Critique du monde des idées et des idéaux. Il n’y a plus de référents moraux absolus dans la mesure où dieu était défini comme le garant des idéaux moraux. La phrase de Dostoievski : “Si Dieu n’existe pas, tout est permis”. Phrase commentée par Sartre : “ En effet, tout est permis, si Dieu n’existe pas, et par conséquent l’homme est délaissé, parce qu’il ne trouve ni en lui ni hors de lui une possibilité de s’accrocher. Nous ne trouvons pas en face de nous des valeurs ou des ordres qui légitimeront notre conduite “. Se souvenir du cours sur la notion d’existence.

Voilà pour les difficultés d’approche du fait religieux, mais en même temps, cette mort de dieu ou ce désenchantement du monde donnent à la philosophie une distance à l’égard de la religion à partir de laquelle interroger sa signification et sa valeur.
Possibilité de partir de l’étymologie du mot religion. Tous les linguites ne sont pas d’accord, et on propose deux étymologies différentes :
le mot religion viendrait du verbe latin religare qui veut dire relier, ou du verbe relegere, qui veut dire relire ou recueillir.
Premier sens, la religion, c’est ce qui relierait les hommes. Aucune société ne peut se passer de lien social ou de liant. Définition acceptable ? Peut-être pas. Une société peut être reliée par autre chose que des croyances religieuses, par exemple par une mémoire historique ou des mythes politiques partagés ( nos ancêtres les Gaulois).
Cependant la notion de lien peut avoir un sens : dans les monothéismes les gens sont reliés entre eux dans une communauté de croyants parce qu’ils ont tous le sentiment d’être reliés à Dieu. Lien horizontal et lien vertical.
C’est la fonction que les sociologues donnent à la religion : elle favorise la cohésion sociale en renforçant la communion des consciences et l’adhésion aux règles du groupe. La peur du gendarme ni l’intérêt ne suffisent à souder une communauté. Il faudrait une cohésion plus profonde, plus intériorisée, c’est-à-dire une communion. C’est parce qu’il y a communion qu’il y aurait communauté.
Mais qu’est-ce qu’une communion : c’est partager sans diviser. Quand il s’agit de bien matériels, ce n’est pas possible, si vous partagez un gâteau, les parts seront d’autant plus petites que vous serez nombreux à le partager. Mais par contre, dans un groupe d’amis on peut communier dans le plaisir qu’ils ont à manger ensemble le même gâteau : ils peuvent partager sans diviser.
Il n’y aurait donc pas de société sans communion, sinon, il n’y aurait qu’un agrégat d’individus indifférents les uns aux autres. Mais ça ne prouve pas que toute communion nécessite la croyance en un Dieu personnel et créateur, ni même en des forces surnaturelles. Une société peut communier dans un imaginaire politique : par exemple la fonction de la constitution américaine qui facteur d’unité de la société.
Deuxième étymologie, peut-être plus probable. Cicéron disait que religion vient de relegere, qui veut dire recueillir ou relire. La religion, c’est ce qu’on recueille et qu’on relit ou encore qu’on relit avec recueillement : par exemple des mythes, des textes fondateurs comme les Védas en Inde, ou la Bible, ou le Coran ou le Talmud. La religion, ce serait alors l’amour d’une Parole, d’une Loi ou d’un Livre. La religion, c’est ce qui relie le présent au passé et les vivants aux morts, et la piété à la tradition ou à la Révélation.
Toute religion serait alors archaïque, au sens étymologique du terme ( non péjoratif ). Vient d’un mot grec qui veut dire à la fois commencement, ancien et commandement. La religion est un commencement ancien qui commande en guidant les hommes.
La religion relèverait alors de la fidélité : c’est en répétant et en relisant les mêmes paroles, mythes ou textes fondateurs qu’on finit par communier dans les mêmes idéaux et les mêmes croyances. Ce qui signifie qu’il n’y aurait pas de monde humain ou de civilisation sans transmission ni fidélité. Vivre dans le présent, ce n’est pas vivre humainement.
Maintenant, aller au-delà de l’étymologie et essayer de délimiter la nature de “la” religion. D’abord en tant que fait social et collectif. Tentative faite par Durkheim dans “les formes élémentaires de la vie religieuse”.
Une notion qui passe souvent pour caractéristique de tout ce qui est religieux est celle de surnaturel. Par là on entend tout ordre de choses qui dépasse la portée de notre entendement ; le surnaturel, c’est le monde du mystère, de l’inconnaissable, de l’incompréhensible. La religion serait donc une sorte de spéculation sur tout ce qui échappe à la science et plus généralement, à la pensée rationnelle. C’est ainsi que le philosophe anglais Spencer disait “ les religions, diamétralement opposées par leurs dogmes, s’accordent à reconnaître tacitement que le monde, avec tout ce qu’il contient et tout ce qui l’entoure, est un mystère qui veut une explication”.
Mais Durkheim rejette cette définition, parce que pour lui l’idée de surnaturel, telle que nous l’entendons, est très récente. Elle présuppose la reconnaissance d’un ordre naturel auquel elle s’oppose, c’est-à-dire un monde régi par des lois (idée de déterminisme), mais cette idée est apparue seulement avec les sciences de la nature et principalement la physique. Or, tant que le postulat déterministe n’était pas solidement établi et accepté, les événements les plus merveilleux apparaissaient parfaitement concevables.
On a aussi essayé de définir parfois l’idée de religion par celle de divinité, quelque soit la façon dont on la conçoit, âmes des morts, dieu créateur, etc … Le seul commerce que l’on pourrait alors entretenir avec ces êtres serait déterminé par la nature qu’on leur accorde. Ce sont des êtres conscients, on peut alors agir sur eux par des procédés psychologiques, en tentant de les convaincre ou de les émouvoir à l’aide de paroles comme les invocations et les prières soit par des offrandes et des sacrifices.
Mais cette définition, dit Durkheim est problématique, d’abord parce qu’il existe de grandes religions d’où l’idée de dieux et d’esprits est totalement absente, ou ne joue qu’un rôle très secondaire. C’est par exemple le cas du bouddhisme, qui est une religion athée. Et même dans les religions déistes, comme le judaïsme, il y a des interdits comme celui d’atteler ensemble un âne ou un cheval, de porter un vêtement ou le lin soit mélangé au chanvre, dont on voit mal comment ils se rattachent avec l’idée que les hébreux se faisaient de Yahvé.
En fait, pour Durkheim, le critère fondamental du phénomène religieux, qui comporte des mythes, des dogmes, des rites et des cérémonies, c’est la distinction fondamentale du sacré et du profane.
Distinction expliquée par Roger Caillois dans “l’Homme et le sacré”
“ Toute conception religieuse du monde implique la distinction du sacré et du profane, oppose au monde où le fidèle vaque librement à ses occupations, exerce une activité sans conséquence pour son salut, un domaine où la crainte et l’espoir le paralysent tour à tour, où, comme au bord d’un abîme, le moindre écart dans le moindre geste peut irrémédiablement le perdre. A coup sûr, pareille distinction ne suffit pas toujours à définir le phénomène religieux, mais au moins fournit-elle la pierre de touche qui permet de le reconnaître avec le plus de sûreté. En effet, quelque proposition qu’on propose de la religion, il est remarquable qu’elle enveloppe cette opposition du sacré et du profane, quand elle ne coïncide pas purement et simplement avec elle. A plus ou moins longue échéance, par des intermédiaires logiques ou des constatations directes, chacun doit admettre que l’homme religieux est avant tout celui pour lequel existent deux milieux complémentaires : l’un où il peut agir sans angoisse ni tremblement, mais où son action n’engage que sa personne superficielle, l’autre où un sentiment de dépendance intime retient, contient, dirige chacun de ses élans et où il se voit compromis sans réserve. Ces deux mondes, celui du sacré et celui du profane, ne se définissent rigoureusement que l’un par l’autre. Ils s’excluent et se supposent. On tenterait en vain de réduire leur opposition à quelqu’autre : elle se présente comme une véritable donnée immédiate de la conscience. On peut la décrire, la décomposer en ses éléments, en faire la théorie. Mais il n’est pas plus au pouvoir du langage abstrait de définir sa qualité propre qu’il ne lui est possible de formuler celle d’une sensation. Le sacré apparaît ainsi comme une catégorie de la sensibilité. Au vrai, c’est la catégorie sur laquelle repose l’attitude religieuse, celle qui lui donne son caractère spécifique, celle qui impose au fidèle un sentiment de respect particulier, qui prémunit sa foi contre l’esprit d’examen, la soustrait à la discussion, la place au-dehors et au-delà de la raison “.
“ C’est l’idée-mère de la religion, écrit H. Hubert. Les mythes et les dogmes en analysent à leur manière le contenu, les rites en utilisent les propriétés, la moralité religieuse en dérive, les sacerdoces l’incorporent, les sanctuaires, lieux sacrés, monuments religieux la fixent au sol et l’enracinent. La religion est l’administration du sacré.” On ne saurait marquer avec plus de force à quel point l’expérience du sacré vivifie l’ensemble des diverses manifestations de la vie religieuse. Celle-ci se présente comme la somme des rapports de l’homme et du sacré. Les croyances les exposent et les garantissent. Les rites sont les moyens qui les assurent pratiquement.

D’autre part, la religion se distingue de la simple magie. La magie est un ensemble de technique ou de pratiques qui entretiennent avec l’effet escompté une relation de similitude et de contiguïté et qui vise à un effet à distance. Attitude qui surestime l’efficacité des processus psychiques et des souhaits. Donner des exemples. Ce qui manque à la magie et que l’on retrouve dans toute religion, c’est la dimension éthique, c’est-à-dire des normes à partir desquelles mener une vie bonne et juste.

Distinction bien montrée par Durkheim :

Les croyances religieuses sont toujours communes à une collectivité déterminée qui fait profession d’y adhérer et de pratiquer les rites qui en sont solidaires. Elles ne sont pas seulement admises, à titre individuel, par tous les membres de cette collectivité ; mais elles sont la chose du groupe et elles en font l’unité. Les individus qui la composent se sentent liés les uns aux autres, par cela seul qu’ils ont une foi commune. Une société dont les membres sont unis parce qu’ils se représentent de la même manière le monde sacré et ses rapports avec le monde profane, et parce qu’ils traduisent cette représentation commune dans des pratiques identiques, c’est ce qu’on appelle une Église. Or, nous ne rencontrons pas, dans l’histoire, de religion sans Église. Tantôt l’Eglise est étroitement nationale, tantôt elle s’étend par-delà les frontières ; tantôt elle comprend un peuple tout entier (Rome, Athènes, le peuple hébreu), tantôt elle n’en comprend qu’une fraction (les sociétés chrétiennes depuis l’avénement du protestantisme) ; tantôt elle est dirigée par un corps de prêtres, tantôt elle est à peu près complètement dénuée de tout organe directeur attitré. Mais partout où nous observons une vie religieuse, elle a pour substrat un groupe défini. Même les cultes dits privés, comme le culte domestique ou le culte corporatif, satisfont à cette condition ; car ils sont toujours célébrés par une collectivité, la famille ou la corporation. Et d’ailleurs, de même que ces religions particulières ne sont, le plus souvent, que des formes spéciales d’une religion plus générale qui embrasse la totalité de la vie, ces Églises restreintes ne sont, en réalité, que des chapelles dans une Église plus vaste et qui, en raison même de cette étendue, mérite d’avantage d’être appelée sous ce nom.
Il en est tout autrement de la magie. Sans doute, les croyances magiques ne sont jamais sans quelque généralité ; elles sont le plus souvent diffuses dans de larges couches de population et il y a même bien des peuples où elles ne comptent pas moins de pratiquants que la religion proprement dite. Mais elles n’ont pas pour effet de lier les uns aux autres les hommes qui y adhèrent et de les unir en un même groupe, vivant d’une même vie. Il n’existe pas d’Eglise magique. Entre le magicien et les individus qui le consultent, comme entre ces individus eux-mêmes, il n’y a pas de liens durables qui en fassent les membres d’un même corps moral comparable à celui que forment les fidèles d’un même dieu, les observateurs d’un même culte. Le magicien a une clientèle, non une Église, et ses clients peuvent très bien n’avoir entre eux aucun rapports, au point de s’ignorer les uns les autres ; même les relations qu’ils ont avec lui sont généralement accidentelles et passagères ; elles sont tout à fait semblables à celles d’un malade avec son médecin. Le caractère officiel et public dont il est parfois investi ne change rien à cette situation ; le fait qu’il fonctionne au grand jour ne l’unit pas d’une manière plus régulière et plus durable à ceux qui recourent à ses services.
Il est vrai que, dans certains cas, les magiciens forment entre eux des sociétés : il arrive qu’ils se réunissent plus ou moins périodiquement pour célébrer en commun certains rites ; on sait quelle place tiennent les assemblées de sorcières dans le folklore européen. Mais tout d’abord, on remarquera que ces associations ne sont nullement indispensables au fonctionnement de la magie, elles sont même rares et assez exceptionnelles. Le magicien n’a nullement besoin, pour pratiquer son art, de s’unir à des confrères. C’est plutôt un isolé ; en général, loin de chercher la société, il la fuit. Au contraire, la religion est inséparable de l’idée d’Eglise. Sous ce premier rapport, il y a déjà entre la magie et la religion une différence essentielle. De plus en surtout, ces sortes de sociétés magiques, quand elles se forment, ne comprennent jamais, il s’en faut, tous les adhérents de la magie, mais les seuls magiciens ; les laïcs, si l’on peut s’exprimer ainsi, c’est-à-dire ceux au profit de qui les rites sont célébrés, ceux, en définitive, qui représentent les fidèles des cultes réguliers, en sont exclus. Or le magicien est à la magie ce que le prêtre est à la religion, et un collège de prêtres n’est pas une Église, non plus qu’une congrégation religieuse qui vouerait à quelque saint, dans l’ombre du cloître, un culte particulier. Une Église, ce n’est pas simplement une confrérie sacerdotale, c’est la communauté morale formée par tous les croyants d’une même foi, les fidèles comme les prêtres. Toute communauté de ce genre fait normalement défaut à la magie.
Mais si l’on fait entrer la notion d’Eglise dans la définition de la religion, n’en exclut-on pas du même coup les religions individuelles que l’individu institue pour lui-même et célèbre pour lui seul ? Or il n’est guère de société où il ne s’en rencontre. Chaque Ojibway, comme on le verra plus loin, a son manitou personnel qu’il se choisit lui-même et auquel il rend des devoirs religieux particuliers (...) Le chrétien a son saint patron et son ange gardien, etc. Tous ces cultes semblent, par définition, indépendants de toute idée de groupe. Et non seulement ces religions individuelles sont très fréquentes dans l’histoire, mais certains se demandent aujourd’hui si elles ne sont pas appelées à devenir la forme éminente de la vie religieuse et si un jour ne viendra pas où il n’y aura plus d’autre culte que celui que chacun se fera librement en son for intérieur. (...) Restent les aspirations contemporaines vers une religion qui consisterait tout entière en états intérieurs et subjectifs et qui serait librement construite par chacun de nous. Mais si réelles qu’elles soient, elles ne sauraient affecter notre définition ; car celle-ci ne peut s’appliquer qu’à des faits acquis et réalisés, non à d’incertaines virtualités. On peut définir les religions telles qu’elles sont ou telles qu’elles ont été, non telles qu’elles tendent plus ou moins vaguement à être. Il est possible que cet individualisme religieux soit appelé à passer dans les faits ; mais pour pouvoir dire dans quelle mesure, il faudrait déjà savoir ce qu’est la religion, de quels éléments elle est faite, de quelles causes elle résulte, quelle fonction elle remplit ; toutes ces questions dont on ne peut préjuger la solution, tant qu’on n’a pas dépassé le seuil de la recherche. C’est seulement au terme de cette étude que nous pourrons tâcher d’anticiper l’avenir.
Nous arrivons donc à la définition suivante : une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent. Le second élément qui prend ainsi place dans notre définition n’est pas moins essentiel que le premier ; car, en montrant que l’idée de religion est inséparable de l’idée d’Eglise, il fait pressentir que la religion est une chose éminemment collective.

Émile Durkheim. Les formes élémentaires de la vie religieuse.

Maintenant que nous avons cerné la définition de la religion et du fait religieux, il faut nous interroger sur la compatibilité de la religion et de la raison, ou encore de la religion et de la philosophie.

Rappeler la fonction critique, au sens kantien, de la philosophie. Kant faisait remarquer, dans la préface à la critique de la raison pure : “ Notre siècle est le siècle propre de la critique, à laquelle tout doit se soumettre. La religion, par sa sainteté, et la législation, par sa majesté, veulent ordinairement s’y soustraire. Mais alors elles excitent contre elles un juste soupçon”.

Donc, la philosophie n’a pas à s’incliner devant la religion et ses dogmes, mais elle peut lui demander quelle est la valeur de ses prétentions à la vérité. Autrement dit, il n’y a pas de sacré pour la philosophie.

Cependant, on trouve historiquement des tentatives de fonder la religion en raison, en montrant qu’il est possible d’établir des preuves de l’existence de Dieu. Il y a ce qu’on appelle une “théologie rationnelle” qui prétend s’adresser à tout homme pourvu de raison. La théologie rationnelle est une entreprise théorique qui prétend à la connaissance de Dieu et de ses attributs au moyen de la seule raison et indépendamment de toute révélation historique.

Cette théologie rationnelle prétend donc établir des preuves de l’existence de Dieu. S’entendre sur le notion de preuve. La preuve est le résultat d’une opération qui établit une certitude indubitable et universelle, au sujet d’une proposition ou d’un fait controversé.
Cependant, problème. Il faut d’abord définir ce qu’on entend par Dieu ( la fameuse répartie de Einstein ) et ensuite essayer de voir si on peut trouver des preuves de son existence.
Qu’est-ce que Dieu ? Nul ne le sait, il est réputé insaisissable, ineffable, incompréhensible. À défaut de savoir ce qu’est Dieu, on peut s’entendre sur le sens qu’on donne au mot Dieu. ( définition nominale )
On pourrait alors proposer la définition suivante :
On entend par “ Dieu “ un être éternel, spirituel et transcendant ( c’est-à-dire à la fois extérieur et supérieur à la nature ), qui aurait consciemment et volontairement créé l’univers. Il est supposé parfait et bienheureux, onmniscient et omnipotent. C’est l’Être suprême, créateur et incréé ( il est cause de soi ), infiniment bon et juste, dont tout dépend et qui ne dépend de rien.
Maintenant, examiner les “preuves” qui ont pu être avancées et voir s’il s’agit ou non de preuves.
Ces preuves, historiquement, ont pu prendre trois formes principales : preuve ontologique, preuve cosmologique et preuve physico-théologique.
La preuve physico-théologique conclut de la présence de la finalité dans le monde, de la régularité de ses lois et de sa beauté, prises comme des faits établis, à l’existence d’un être originaire divin, à l’intelligence et au vouloir parfaits et ordonnant et dirigeant le monde conformément à des fins. La structure de la preuve est la suivante : dans le monde, il y a partout des signes d’une ordonnance qui répond à un dessein déterminé. Cette ordonnance d’ordre final est totalement étrangère aux choses, elle ne s’y rattache que d’une manière contingente. Il existe donc une cause sublime qui, en tant qu’intelligence, doit être par liberté la cause du monde. L’unité de cette cause est établie à partir de l’unité de l’agencement du monde. Idée que l’on retrouve chez Voltaire sous une forme bien connue : “ l’univers m’embarasse et je ne puis songer que cette horloge existe et n’ait point d’horloger “.
Valeur de cette preuve physico-théologique. L’analogie de l’horloge doit être prise au sérieux. En imaginant qu’un jour des astronomes découvrent sur une planète une montre, ils ne pourraient imaginer qu’une mécanique aussi complexe puisse être le résultat du hasard, et on serait tous tentés de dire que cette montre a été fabriquée par un être doué d’intelligence et de volonté.
Cependant, analogie trompeuse : l’univers n’est pas une horloge, il n’est pas fait de ressorts et d’engrenages. Il y a des phénomènes qui ne sont pas de nature mécanique, comme par exemple le vivant. D’autre part, dans la nature, tout n’est pas ordre et harmonie : il y a des désordres, par exemple des mutations génétiques, il y a des catastrophes, qui le choc d’un astéroïde qui a fait disparaître les trois quarts des espèces vivantes il y a 65millions d’années, et il y a des horreurs, comme les épidémies, qui sont des phénomènes naturels, et il y a des catastrophes naturelles comme les tremblements de terre ou les tsunamis dont on voit mal à quelle intention divine ils pourraient correspondre. Enfin, on peut expliquer le réel sans référence à un Dieu créateur, ce que font les astrophysiciens avec la théorie du big bang il y a 14 milliards d’années ou la théorie de l’évolution darwinienne. De toute façon, dans cinq milliards d’années quand le soleil s’éteindra et que la vie disparaîtra de la surface de la terre, la preuve physico-théologique aura perdu tous ses défenseurs. Autrement dit, cette preuve n’en est pas une.
La preuve ontologique. On la trouve chez Descartes sous la forme suivante : si je puis former l’idée de Dieu, c’est bien celle d’une entité qui comprend au plus haut point toutes les perfections. Or l’existence est une perfection. Donc, l’une des propriétés de mon concept de Dieu affirme qu’il possède l’existence. Descartes avance, dans le discours de la méthode : “revenant à examiner l’idée que j’avais d’un être parfait, je trouvais que l’existence y était comprise, en même façon qu’il est compris en celles d’un triangle que ses trois angles sont égaux à deux droits”.


Ces preuves ne supposent pas l’adhésion au contenu dogmatique des religions particulières, elles visent à établir universellement l’existence de Dieu comme cause première du monde et de l’ordre que l’on peut y trouver. Quelles est la valeur de ces preuves rationnelles ?

C’est Kant qui en montrera le caractère fallacieux. Tout d’abord, le caractère fautif de l’argument ontologique. Il affirme que l’existence ne saurait être un prédicat.
Kant critiquera cet argument en montrant que Descartes a confondu deux sens du mot être : être au sens de l’essence (Dieu est parfait) et être au sens de l’existence (Dieu est). Or l’existence ne peut se déduire d’un concept de la même façon que l’on peut déduire les propriétés du triangle à partir de sa seule définition. Par conséquent, que dieu soit possible, puisque son essence n’implique aucune contradiction, n’implique pas qu’il existe. De la définition des triangles, on peut déduire la nécessité de leurs propriétés, mais pas qu’existent réellement des triangles dans la réalité. Autrement dit, l’existence est irréductible à tout concept.

Kant prend l’exemple de cent thalers et il dit que du point de vue du concept, du point de vue de leur définition, cent thalers réels ne différent pas de cent thalers possibles ou imaginés. L’existence des thalers dans ma poche n’enrichit pas le concept de thaler, qui est déjà parfait en soi-même, du seul point de vue de sa définition. Dans son vocabulaire, Kant dit que l’existence n’est pas un prédicat, alors que bon, raisonnable, sociable, sont des prédicats que l’on attribue à l’homme et qui enrichissent sa définition quand on dit que l’homme est sociable etc …
On peut donc parfaitement penser un être sans que celui-ci existe et peut-être que Dieu n’a pas plus d’existence que les fantômes ou les licornes.
Ensuite la preuve cosmologique : on la trouve chez Leibniz. Elle fonctionne de la façon suivante. On part d’un fait d’expérience, qui est l’existence d’un monde ou d’un univers. Ce fait, comme tous les autres, doit pouvoir s’expliquer. Or le monde est incapable de rendre raison de lui-même, il n’est pas nécessaire mais contingent, il aurait pu ne pas exister. Il faut donc qu’il ait une cause autre que lui-même. Si cette cause était elle-même contigente, il faudrait à son tour l’expliquer par une autre, qui devrait à son tour être expliquée par une troisième, et ainsi de suite à l’infini et finalement le monde resterait inexpliqué. On ne peut échapper à la regression à l’infini qu’en supposant un être qui n’ait plus besoin d’une autre raison pour exister, autrement dit, un être absolument nécessaire. C’est cette raison dernière des choses que l’on appelle alors Dieu. La preuve cosmologique répond à la question de Leibniz “ pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? “. Question en effet troublante et à laquelle la science ne répond pas mais elle n’implique pas du tout qu’il faille répondre en terme de Dieu créateur. On est peut-être tout simplement devant le mystère de l’être qui dépasse toute capacité humaine de comprendre.
En un mot, il n’y a pas de preuve de l’existence de Dieu. Mais il n’y a pas d’avantage de preuve de l’inexistence de Dieu. D’accord, mais ce n’est pas un problème pour l’athée qui répondra que c’est au croyant de démontrer qu’il y a un Dieu. On ne peut pas non plus prouver que le Père Noël n’existe pas puisque c’est un être purement imaginaire mais ce n’est pas pour autant une raison pour y croire.

Rationalisation de l’idée de Dieu également dans ce qu’on appelle la religion naturelle. Cette idée “religion naturelle”, expression surtout employée au XVIII° siècle, est l’ensemble des croyances à l’existence et à la bonté de Dieu, à la spiritualité et à l’immortalité de l’âme, au caractère obligatoire de l’action morale, considérés comme une révélation de la conscience et de la lumière intérieure qui éclaire tout homme. C’est la perspective de Rousseau dans la “profession de foi du vicaire savoyard” qui est un long développement moral qui interrompt le livre IV d’Emile ou de l’éducation.

L’idée de Rousseau est qu’un savoir, pour être légitime, doit être validé par la conscience, d’où une méfiance à l’égard de toute religion révèle et de l’idée de témoignage (les évangélistes) Il s’agit donc pour lui de chercher les principes qui s’imposent naturellement à toute conscience, indépendamment de toutes les religions révélées. Il s’agit découter la voix de la nature en nous pour accéder à la vraie religion. “J’ai donc refermé tous les livres. Il en est un seul ouvert à tous les yeux, c’est celui de la nature”.

Jetez les yeux sur toutes les nations du monde, parcourez toutes les histoires. Parmi tant de cultes inhumains et bizarres, parmi cette prodigieuse diversité de moeurs et de caractères, vous trouverez partout les mêmes idées de justice et d’honnêteté, partout les mêmes notions de bien et de mal. L’ancien paganisme enfanta des dieux abominables, qu’on eût puni ici-bas comme des scélérats, et qui n’offraient pour tableau du bonheur suprême que des forfaits à commettre et des passions à contenter. Mais le vice, armé d’une autorité sacrée, descendait en vain du séjour éternel, l’instinct moral le repoussait du cœur des humains (...).
Il est donc au fond des âmes un principé inné de justice et de vertu, sur lequel, malgré nos propres maximes, nous jugeons nos actions et celles d’autrui comme bonnes ou mauvaises, et c’est à ce principe que je donne le nom de conscience.
Mais à ce mot j’entends s’élever de toutes parts la clameur des prétendus sages : erreurs de l’enfance, préjugés de l’éducation! s’écrient-ils tous de concert. Il n’y a rien dans l’esprit humain que ce qui s’y introduit par l’expérience, et nous ne jugeons d’aucune chose que sur des idées acquises. Ils font plus : cet accord évident et universel de toutes les nations, ils l’osent rejeter ; et, contre l’éclatante uniformité du jugement des hommes, ils vont chercher dans les ténèbres quelque exemple obscur et connu d’eux seuls ; comme si tous les penchants de la nature étaient anéantis par la dépravation d’un peuple, et que, sitôt qu’il est des monstres, l’espèce ne fût plus rien. Mais que servent au sceptique Montaigne les tourments qu’il se donne pour déterrer en un coin du monde une coutume opposée aux notions de la justice ? Que lui sert de donner au plus suspects voyageurs l’autorité qu’il refuse aux écrivains les plus célèbres ? Quelques usages incertains et bizarres fondés sur des causes locales qui nous sont inconnues, détruiront-ils l’induction générale tirée du concours de tous les peuples, opposés en tout le reste, et d’accord sur ce seul point ? Ô Montaigne ! toi qui te piques de franchise et de vérité, sois sincère et vrai, si un philosophe peut l’être, et dis moi s’il est quelque pays sur la terre où ce soit un crime de garder sa foi, d’être clément, bienfaisant, généreux ; où l’homme de bien soit méprisable, et le perfide honoré.
Conscience ! conscience ! instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré d’un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge infaillible du bien et du mal, qui rends l’homme semblable à Dieu, c’est toi qui fait l’excellence de sa nature et la moralité de ses actions ; sans toi je ne sens rien en moi qui m’élève au-dessus des bêtes, que le triste privilège de m’égarer d’erreurs en erreurs à l’aide d’un entendement sans règle et d’une raison sans principe.

Rousseau. Émile Livre IV.

La religion de Rousseau est une sorte de théisme moral : croyance en l’existence d’un dieu puissant et sage, affirmation du libre-arbitre et de la survie de l’âme pour qu’elle puisse être récompensée du bien et punie du mal faits en cette vie.

Religion sans dogmes, sans révélation, sans institution, sans le besoin d’une autorité pour interpréter la parole divine. Quelle véritable différence alors avec un athéisme accompagné d’une morale déduite de l’idée de la dignité de l’homme ? Ce n’est pas parce que quelqu’un perd la foi qu’il devient automatiquement un menteur ou un assassin. Perdre la foi ou ne pas l’avoir peut ne rien changer quand au comportement moral par rapport à celui d’un coyant.

Admettre qu’il n’y a pas de preuve de l’existence de Dieu conduit à l’agnosticisme, c’est-à-dire à la suspension du jugement. Mais peut-être y a-t-il des raisons de ne pas croire qui peuvent conduire à l’athéisme.
Trois raisons fondamentales :
Tout d’abord l’argument de la présence du mal, avec sa démesure, son atrocité. Comment expliquer l’omniprésence du mal dans le monde sous toutes ces formes, la souffrance des enfants innocents, les victimes des guerres ou des catastrophes naturelles etc dans un monde soi-disant créé par un Dieu juste et bon ? S’il y a un Dieu parfait, pourquoi n’a-t-il pas créé un monde qui le soit aussi, et comment peut-il tolérer la souffrance de l’innocent . Un auteur disait : “ si je devais croire en un Dieu, je ne pourrais croire qu’en un Dieu méchant “.
Ce qu’avait bien compris le philosophe Epicure qui disait :
“ Ou bien Dieu veut éliminer le mal et ne le peut, ou il le peut et ne le veut, ou il le veut et le peut. S’il le veut et ne le peut, il est impuissant, ce qui ne convient pas à Dieu. S’il le peut et ne le veut, il est méchant, ce qui est étranger à Dieu. S’il ne le peut ni ne le veut, il est à la fois impuissant et méchant, il n’est donc pas Dieu. S’il le veut et le peut, d’où vient donc le mal ou pourquoi Dieu ne le supprime-t-il pas ? “.
La deuxième raison porterait sur les humains. Comme disait un philosophe contemporain, “ plus je connais les hommes, moins je peux croire en Dieu “. Il y a trop de bassesse, de petitesse et de médiocrité en l’homme. Il n’y a qu’à voir tous ses petits côtés, ses petits vices et ses petits ridicules pour se demander comment un Dieu aurait eu envie de créer une pareille créature.
On lit dans le récit de la Genèse que Dieu créa l’homme à son image, mais ça ferait plutôt douter de l’original. Mais si au contraire on admet, comme le font les matérialistes que l’homme est un produit de la nature et de l’évolution naturelle, il n’y a plus à s’étonner de ses petitesses ( il y a encore tant d’animalité en nous ) et on peut admirer les quelques moments de grandeur auxquels il esst parvenu, en créant des oeuvres d’art, de la science ou de la philosophie. L’athéisme rend humble et le mot humble vient du latin humus qui veut dire la terre. Autant l’assumer plutôt que de nous raconter des histoires sur nos origines.
Enfin, le dernier argument, qui est subjectif. L’athéisme paraît justifié, parce que comme le dit un philosophe athée contemporain : “ si je suis athée, c’est parce que j’aurais préféré que Dieu existe “. L’idée de Dieu répond à nos espérances et désirs les plus forts et c’est pourquoi nous avons des raisons de ne pas y croire.
Que nous dit pas exemple le christianisme ? Que nous ne mourons pas, ou pas vraiment, et que nous ressuciterons, que nous retrouverons en conséquence les êtres disparus qui nous étaient chers, que la justice et la paix l’emporteront au bout du compte. Comme on dit, c’est trop beau pour être vrai.
C’est l’argument de Freud, dans l’Avenir d’une illusion :
“ Il serait très beau qu’il y eût un Dieu créateur du monde et une Providence pleine de bonté, un ordre moral de l’univers et une vie après la mort, mais il est cependant très curieux que tout cela soit exactement ce que nous pourrions nous souhaiter à nous-mêmes “.
C’était déjà l’argument de Nietzsche : “ la foi sauve, donc elle ment “. Dieu est trop désirable pour être vrai, la religion trop réconfortante pour être crédible.

Reste à aborder la critique externe des religions. Tentative philosophique pour montrer la genèse de la religion et de la croyance et sa dénonciation comme illusion et aliénation.

Deux perspectives, celle de Marx et celle de Freud.




Le fondement de la critique irréligieuse est : c’est l’homme qui fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. Certes, la religion est la conscience de soi et le sentiment de soi qu’a l’homme qui ne s’est pas encore trouvé lui-même, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme, ce n’est pas un être abstrait blotti quelque part hors du monde. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’Etat, la société. Cet État, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu’ils sont eux-mêmes un monde à l’envers. La religion est la théorie générale de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa consolation et sa justification universelles. Elle est la réalisation fantastique de l’être humain, parce que l’être humain ne possède pas de vraie réalité. Lutter contre la religion c’est donc indirectement lutter contre ce monde-là, dont la religion est l’arôme spirituel.
La détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple.
L’abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence que formule son bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole.
La critique a effeuillé les fleurs imaginaires de la chaîne, non pour que l’homme porte la sinistre chaîne dénuée de fantaisie, mais pour qu’il rejette la chaîne et cueille la fleur vivante. La critique de la religion déçoit l’homme, afin qu’il réfléchisse, qu’il agisse qu’il élabore sa réalité, comme le fait un homme déçu, devenu raisonnable, afin qu’il gravite autour de lui-même et, par là, autour de son véritable soleil. La religion n’est que le soleil illusoire, qui se meut autour de l’homme, tant qu’il ne se meut pas autour de lui-même.
C’est donc la tâche de l’histoire d’établir la vérité de l’ici-bas, après qu’a disparu l’au-delà de la vérité. C’est en premier lieu la tâche de la philosophie, qui est au service de l’histoire, de démasquer l’aliénation à soi dans ses formes non sacrées une fois démasquée la forme sacrée de l’aliénation humaine. La critique du ciel se transforme ainsi en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique.

Marx. Critique de la philosophie du droit de Hegel.

Freud :

Nous le savons déjà, l’impression d’effroi liée au désaide de l’enfant a éveillé le besoin de protection - protection par l’amour - auquel le père a répondu par son aide ; la reconnaissance du fait que ce désaide persiste tout au long de la vie a été la cause du ferme attachement à l’existence d’un père - désormais plus puissant, il est vrai. Du fait que la Providence divine gouverne avec bienveillance, l’angoisse devant les dangers de la vie est apaisée, l’instauration d’un ordre moral du monde assurant l’accomplissement de l’exigence de justice si souvent demeurée inaccomplie au sein de la culture humaine ; le prolongement de l’existence terrestre par une vie future y adjoint le cadre spatial et temporel dans lequel ces accomplissements de souhaits sont censés s’effectuer. Des réponses aux questions-énigmes posées par le désir de savoir humain, comme celle de la genèse du monde et de la relation entre le corporel et l’animique, sont développées suivant les présuppositions de ce système ; ce qui constitue un formidable soulagement pour la psyché individuelle, c’est que les conflits de l’enfance provenant du complexe paternel, conflits jamais tout à fait surmontés, lui soient retirés et soient acheminés vers une solution admise par tous.
Lorsque je dis que tout cela ce sont des illusions, il me faut délimiter la signification du mot. Une illusion n’est pas la même chose qu’une erreur, elle n’est pas non plus nécessairement une erreur. L’opinion d’Aristote selon laquelle la vermine se développerait à partir des déchets - opinion à laquelle le peuple dans son ignorance reste aujourd’hui encore attaché - était une erreur (...) Il serait abusif d’appeler ces erreurs illusions. En revanche, ce fut une illusion de Christophe Colomb d’avoir cru découvrir une nouvelle voie maritime vers les Indes. La part que prend son souhait à cette erreur est très nette. On peut qualifier d’illusion l’affirmation de certains nationalistes selon laquelle les Indo-Germains seraient la seule race humaine capable de culture, ou bien la croyance selon laquelle l’enfant serait un être sans sexualité, croyance qui n’a finalement été détruite que par la psychanalyse. Il reste caractéristique de l’illusion qu’elle dérive des souhaits humains ; elle se rapproche à cet égard de l’idée délirante en psychiatrie, mais elle s’en distingue par ailleurs, indépendamment de la construction plus compliquée de l’idée délirante. Dans l’idée délirante, nous soulignons comme essentielle la contradiction avec la réalité effective ; l’illusion, elle, n’est pas nécessairement fausse, c’est-à-dire irréalisable ou en contradiction avec la réalité. Une jeune fille de la bourgeoisie peut, par exemple, se créer l’illusion qu’un prince viendra la chercher. C’est possible, quelques cas de ce genre se sont produits. Qu’un jour le Messie vienne et fonde un âge d’or, c’est bien moins vraisemblable ; selon sa position personnelle, celui qui jugera de cette croyance la classera comme illusion ou comme l’analogue d’une idée délirante. Il n’est d’ailleurs pas facile de trouver des exemples d’illusions qui se soient révélées vraies. Telle pourrait bien être néanmoins l’illusion des alchimistes de pouvoir transformer tous les métaux en or. Le souhait d’avoir énormément d’or, d’avoir tout l’or possible, est très émoussé par la compréhension que nous avons aujourd’hui des conditions de la richesse, et cependant la chimie ne tient plus la transmutation des métaux en or pour impossible. Nous appelons donc une croyance illusion lorsque, dans sa motivation, l’accomplissement de souhait vient au premier plan, et nous faisons là abstraction de son rapport à la réalité effective, tout comme l’illusion elle-même renonce à être accréditée.
Si, après nous être ainsi orientés, nous nous tournons de nouveau vers les doctrines religieuses, nous pouvons dire en nous répétant : elles sont toutes des illusions, indémontrables, nul ne saurait être contraint de les tenir pour vraies, d’y croire. Quelques unes d’entre elles sont tellement invraisemblables, tellement en contradiction avec tout ce que notre expérience nous a péniblement appris de la réalité du monde, que l’on peut - tout en tenant compte des différences psychologiques - les comparer aux idées délirantes. On ne peut pas juger de la valeur de réalité de la plupart d’entre elles. Tout comme elles sont indémontrables, elles sont irréfutables. On en sait encore trop peu pour les aborder de façon critique. Les énigmes du monde ne se dévoilent que lentement à notre recherche ; la science, aujourd’hui encore, ne peut pas apporter de réponse à nombre de questions. Mais le travail scientifique est pour nous la seule voie qui puisse mener à la connaissance de la réalité extérieure à nous. Une fois encore, c’est pure illusion que d’attendre quoi que ce soit de l’intuition et de la plongée en soi-même ; elles ne peuvent rien nous apporter, sinon des révélations - difficilement interprétables - sur notre propre vie d’âme, jamais d’informations sur les questions auxquelles la doctrine religieuse donne aussi facilement réponse.

Freud. L’avenir d’une illusion

Ainsi je suis en contradiction avec vous lorsque, poursuivant vos déductions, vous dites que l’homme ne saurait absolument pas se passer de la consolation que lui apporte l’illusion religieuse, que, sans elle, il ne supporterait pas le poids de la vie, la réalité cruelle. Oui, cela est vrai de l’homme à qui vous avez instillé dès l’enfance le doux - ou doux et amer - poison. Mais de l’autre, qui a été élevé dans la sobriété ? Peut-être celui qui ne souffre d’aucune névrose n’a-t-il pas besoin d’ivresse pour étourdir celle-ci. Sans aucun doute l’homme alors se trouvera dans une situation difficile; il sera contraint de s’avouer toute se détresse, sa petitesse dans l’ensemble de l’univers; il ne sera plus le centre de la création, l’objet des tendres soins d’une Providence bénévole. Il se trouvera dans la même situation qu’un enfant qui a quitté la maison paternelle, où il se sentait si bien et où il avait chaud. Mais le stade de l’infantilisme n’est-il pas destiné à être dépassé ? L’homme ne peut pas éternellement demeurer un enfant, il lui faut enfin s’aventurer dans l’univers hostile. On peut appeler cela “l’éducation en vue de la réalité”; ai-je besoin de vous dire que mon unique dessein, en écrivant cette étude, est d’attirer l’attention sur la nécessité qui s’impose de réaliser ce progrès ?

Maintenant la question politique de la place de la religion dans la cité. Expliquer pourquoi il faut poser cette question. Exposé de Locke, lettre sur la tolérance.
Pourquoi réfléchir sur les rapports de la politique et de la religion ? Pour plusieurs raisons :
D’abord religion et ordre politique peuvent entrer en conflit. La religion comporte des normes et des obligations qui touchent les comportements, tout comme les lois civiles et il peut y avoir entre les deux des exigences contradictoires ( prendre l’exemple du pharmacien qui refuse de délivrer des produits anticonceptionnels )
Ensuite parce que le pouvoir politique peut être tenté d’imposer une religion d’Etat au détriment d’autres religions et de la liberté de conscience ( préciser le sens de cette notion, qui ne se réduit pas à la liberté de choisir sa religion, mais aussi de ne pas choisir de religion ou de changer de religion ). Ainsi pendant longtemps en France, la religion du roi devait être la religion de ses sujets. Confusion du politique et du religieux, qui se traduisait par le fait que le roi de France devait se faire sacrer dans la cathédrale de Reims.
Ou alors le pouvoir politique peut interdire la pratique religieuse, comme dans les anciens Etats totalitaires ou l’athéisme était la doctrine officielle défendue par l’Etat stalinien.
Et enfin, parce que les conflits entre religions dans la cité peuvent conduire vers la guerre civile comme pendant le XVI° siècle en France ou aujourd’hui en Irak avec les conflits entre sunnites et chiites. Risque de perdre la paix civile sans laquelle aucune sécurité n’est possible, ni pour sa personne ni pour ses biens. Le fanatisme religieux, c’est-à-dire le fait de prendre sa croyance particulière pour une vérité absolue et de vouloir l’imposer à autrui par la force est un danger pour toute cité.
Donc, nécessité de réfléchir à ce que doivent être les relations de l’Etat et de la religion afin de garantir à la fois la paix civile sans laquelle il n’y a pas de vie sociale digne de ce nom et la liberté de conscience qui est un des droits fondamentaux de la personne humaine.
D’abord, faire remarquer que depuis le XVIII° siècle, il est devenu impossible d’admettre le fait que ce soit la religion qui dicte ses lois à la cité. C’était le point de vue traditionnel de l’église catholique, se référant à la phrase de St Paul disant “ il n’est nul pouvoir qui ne vienne de Dieu “ et qui impliquait la doctrine du droit divin des rois. Désormais, domine la conception contractualiste du pouvoir politique et des lois : un peuple ne doit obéir qu’aux lois auxquelles il a librement consenti et en matière politique, c’est le peuple et non Dieu qui est le souverain. Toute autre conception est une atteinte au droit humain à la liberté.
Il est d’autant plus inacceptable de dire que la loi civile doit venir de Dieu que les sociétés modernes sont composées d’hommes qui ont des croyances différentes, ou pas de croyances du tout, qui sont soit agnostiques soit athées. Or la loi doit vouloir pour tous, ce qui implique qu’elle doit avoir une origine profane et séculière.
Se pencher sur la solution de Locke, auteur de la lettre sur la tolérance.
Locke fait d’abord remarquer qu’il faut distinguer dans la cité deux ordres, qui ne sont pas de même nature et n’ont pas le même but : l’Etat et l’Eglise ( entendant par là toute communauté religieuse organisée ).
La seule fonction légitime de l’Etat, dit Locke, est de protéger et de garantir ce qu’il appelle “ les biens civils “ des hommes, c’es-à-dire la vie, l’intégrité du corps et sa protection contre la douleur, et la possession de biens extérieurs comme l’argent ou ses meubles.
Mais le pouvoir de l’Etat doit s’arrêter là et il ne doit en aucune façon s’étendre au salut des âmes.
Pour plusieurs raisons :
Parce que le magistrat civil n’a pas été chargé par Dieu du soin des âmes des hommes. Personne dit Locke ne doit abandonner le soin de son salut éternel au point de laisser à un autre, qu’il soit prince ou sujet, le soin de lui prescrire un culte ou une foi. de toute façon, ajoute-t-il, personne ne peut croire sur ordre d’autrui ( expliquer )
Ensuite dit Locke, parce que le la vraie religion consiste dans la foi intérieure de l’âme alors que le pouvoir de l’Etat réside dans la contrainte. Or, on peut par la contrainte, imposer à un homme d’abandonner sa religion ou de pratiquer une religion, mais on ne peut le convaincre par la contrainte.
Maintenant, qu’est-ce qu’une Eglise, demande Locke. “ Par ce terme, j’entends une société d’hommes qui se joignent volontairement ensemble pour servir Dieu en public, et lui rendre le culte qu’ils jugent lui être le plus agréable, et propre à leur faire obtenir le salut “.
Précisions importantes : Locke dit qu’une Eglise doit être une société libre et volontaire parce que personne ne naît membre d’aucune Eglise. La religion ne se transmet pas comme des biens matériels des parents aux enfants. À la limite cela impliquerait qu’il faudrait attendre l’âge de raison pour demander de choisir une religion ou pas de religion. L’enfant qu’on élève dans une tradition religieuse va adopter une foi sans savoir pourquoi et en étant privé de sa liberté de penser.
Mais si c’est une société libre et volontaire, cela implique le droit de quitter librement cette Eglise si on vient à perdre la foi. Quel sesn d’ailleurs y aurait-il de maintenir par la contrainte un homme dans une Eglise alors qu’il n’a plus la foi ?
Ensuite, une Eglise ne saurait se substituer à l’Etat, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas avoir le droit de porter atteinte à la vie et aux biens de ses membres. Cela est une prérogative de l’Etat. Tout ce qu’une Eglise peut faire, c’est utiliser la persuasion pour essayer de retenir ses membres mais elle ne peut le faire par la force. Cela implique que dans une société bien ordonnée, il ne saurait y avoir de tribunaux religieux pouvant infliger des peines et des sanctions, pas plus qu’il ne peut y avoir d’ailleurs comme en Arabie Seoudite une police des moeurs. Si un pratiquant ne pratique plus conformément aux règles de l’Eglise, tout ce que cette dernière peut faire est d’exclure cet homme, mais elle n’a pas le droit de lui porter préjudice.
Cela implique que Etat et Eglise doivent être séparés : l’Etat n’a pas à avoir de pouvoir sur les Eglises, mais les Eglises n’ont pas le droit de vouloir imposer leurs normes morales aux lois de la cité. L’Etat n’a pas non plus à protéger une Eglise au détriment d’une autre, mais à l’inverse, aucune Eglise n’a le droit de demander au pouvoir d’Etat de l’aider à imposer sa foi à ceux qui n’en veulent pas.
Ce sont ces principes que Locke nomme tolérance qui on l’a vu, ne signifie pas acceptation molle de tout et n’importe quoi, mais au contraire, un principe de stricte séparation entre politique et religion.
Ce qui conduira au principe de laïcité : à la fois garantie par l’Etat de la liberté de conscience mais limitation de la croyance religieuse à la sphère privée. La religion n’a rien à faire dans la sphère publique, parce que cette dernière est l’affaire de tous et que tous ne partagent pas la même croyance et que certains n’ont pas de croyance du tout. Certains hommes croient en un Dieu, d’autres en plusieurs Dieux, d’autres encore sont athées ou agnostiques mais tous doivent vivre ensemble. Cela implique aussi la neutralité de l’Etat en matière religieuse, qui ne doit financer aucun culte, ni prélever un impôt pour construire par exemple des édifices religieux. Expliquer la notion à propos de l’école.

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