lundi 15 mars 2010

La violence

La violence.


Pourquoi cette interrogation sur la violence, après une réflexion sur l’histoire, le pouvoir, l’Etat, le droit et la justice ?

Après avoir examiné les difficultés de la notion de sens de l’histoire, après avoir réfléchi sur les finalités de l’Etat et du droit : faire advenir la liberté et la sécurité,

Il s’agit à présent de répondre à une question cruciale : peut-on concevoir la possibilité de la disparition de la violence du monde humain, pris dans la double dimension de l’histoire et de la politique?

L’histoire humaine peut-elle nous faire espérer un dépassement de la violence, par le règne du droit garanti par l’Etat et assurant paix et concorde intérieures et extérieures?

Ou bien faut-il considérer que le règne de la violence est une des caractéristiques essentielles de notre condition humaine, bien qu’elle ne se laisse peut-être pas plus justifier que le mal moral ?

Il ne s’agit pas de se laisser aller à un enthousiasme prophétique, mais de demander : est-il possible de penser sans contradion un monde humain sans violence ?


Pour pouvoir répondre à cette question, il y a un préalable :

- définir la nature de la violence

- essayer d’en cerner les causes

La violence est-elle inscrite dans la nature humaine ? Est-elle la marque de la présence en nous de la part de nature qui n’a pas encore été éduquée ? N’est-elle qu’un accident, purement historique et contingent, donc dépassable, ou la marque de notre existence historique et politique?

Puis il s’agira de mener une interrogation sur la légitimité de la violence, du recours humain à la violence, et donc sur la légitimité de l’aspiration si partagée à une disparition de la violence et à l’avènement d’un monde pacifié.

Ce sera le passage de l’examen de la nature de la violence à l’examen de sa valeur : cela peut paraître paradoxal ou scandaleux, ou contradictoire avec la démarche même de la philosophie comme activité de la raison.

En effet : l’homme de raison est celui qui cherche à constituer avec les autres un discours universel, valable en droit pour tous.

Le violent tente d’imposer sa volonté à autrui par la force, la menace, la ruse, la séduction.

Il y a une alternative : entre le discours et la violence. Et la philosophie est choix du discours contre la violence. Cette dernière désespère de l’humain : l’ordre vraiment humain est celui de la parole échangée, de la démonstration, de l’argumentation, du dialogue et de l’entente dans l’élément du langage.

Le philosophe ne peut, sous peine de se renier, devenir homme violent, mais il doit chercher la nature et les causes de la violence, et aussi chercher si elle n’a pas des raisons, un sens et même, pourquoi pas, une certaine légitimité.

Il ne faut pas faire comme si la notion de violence était claire : il est plus facile de la dénoncer que de la définir, c’est-à-dire de la penser. C’est pourquoi il est nécessaire de commencer par en définir le concept.

Sur un plan descriptif, on peut faire remarquer le caractère protéiforme de la violence : menace, chantage; elle est une attitude qui va de la simple agression physique jusqu’à la mise en oeuvre de moyens méthodiques et rationnels et techniques visant à la destruction de groupes humains ou de peuples.

Y a-t-il par-delà cette diversité, une essence de la violence dont tous les comportements violents ne seraient que des manifestations ?

Il faut tenter de répondre à cette question en interrogeant les rapports de la force et de la violence.

Il convient de ne pas mélanger ces deux réalités et ces deux notions :

La force est un pouvoir effectif d’exercer une action sur quelque chose ou quelqu’un.

En physique : la force est l’action qui modifie l’état de mouvement et de repos d’un corps, celui-ci persévérant dans son état aussi longtemps qu’une autre force ne la contraint pas à changer d’état. En ce sens la force est “en acte”, et non pas “en puissance”. Elle est de l’ordre du mesurable.

On parlera également de force morale : un principe d’action impliquant fermeté du vouloir et maîtrise de soi. Sur le plan des relations interindividuelles, la violence naît d’un effort pour compenser un sentiment d’infériorité, ou dépasser une impuissance : les violences du timide, la colère de celui qui ne sait faire preuve d’autorité. La violence de l’autoritarisme, avec la part d’arbitraire qu’il comporte naît donc d’un défaut de la force.

Il est possible aussi d’opposer la force publique, dont dispose l’Etat, et la violence : Julien Freund faisait remarquer que dès que cette force publique est contestée, alors naît la violence.

La force publique contient la violence particulière des personnes ou des groupes à l’intérieur de l’Etat. Elle est l’instrument d’un pouvoir souverain qui possède le pouvoir légal de contraindre au respect du droit. Elle est condition de possibilité du maintien et de la garantie de l’autorité politique, elle-même garantie de l’effectivité du droit.

Se souvenir de la définition kantienne du droit ( doctrine du droit ) et la thèse selon laquelle le droit est lié à la faculté de contraindre, la contrainte étant un obstacle à ce qui fait obstacle à la liberté.

Bien sûr, le recours à la force publique peut aussi bien dans certains contextes constituer un “coup de force”, c’est-à-dire un pouvoir de contraindre donné par la supériorité militaire, auquel cas, elle devient un instrument de la violence politique renversant le droit et la légalité.

Donc, il ne s’agit pas d’affirmer qu’il n’y a pas de rapport entre la force et la violence, mais seulement qu’il convient de les distinguer.

Assimiler la force à la violence, et adhérer sans précaution au préjugé selon lequel toute violence est mauvaise, reviendrait finalement à renoncer au légitime pouvoir de contraindre, sans quoi le droit, fût-il le plus juste, ne pourrait remplir son rôle : garantir la liberté et la sécurité.

Donc il y a dans l’idée même du droit l’idée d’une pérennité sociale de la violence que la force au service du juste doit contraindre.

La force d’autre part n’implique pas nécessairement violence : il peut arriver que l’on montre sa force pour n’avoir pas à s’en servir : c’est le cas de la dissuasion nucléaire.

Ce n’est ni la force ni l’usage de la force qui définissent la violence, mais les fins de l’usage de la force.

L’on pourrait alors dire qu’il y a violence lorsque l’usage de la force est destiné à contraindre autrui à abdiquer sa liberté ou à nier son autonomie, son indépendance, son intégrité morale, sa dignité, son intégrité physique ou sa vie, ou encore à porter atteinte à ses biens ou aux valeurs symboliques sans lesquelles aucune identité sociale n’est possible.

La violence peut alors être directe ou indirecte : on peut tuer de sa propre main ou donner l’ordre de tuer; elle peut comporter des degrés : possibilité de tuer, de blesser, de menacer, d’intimider; on peut faire violence à des hommes sans porter atteinte à leur intégrité physique : en leur interdisant de parler leur langue, de pratiquer leur culte, en brûlant leurs livres ou en les privant de travail.

Ensuite, il convient de se demander si la violence peut être assimilée à l’agressivité, et s’il est possible de voir en cette dernière la cause ultime expliquant toute forme de violence.

De nombreux penseurs affirment que la tendance à la violence est naturelle chez l’homme, sous la forme de l’agressivité.

Partir de la définition de l’agressivité proposée par l’éthologie : ensemble des pulsions c’est-à-dire des poussées dynamiques orientant l’organisme vers un but, par lesquelles un être vivant s’affirme et s’oppose à l’expansion d’autres organismes.

Dans cette perspective, l’homme partagerait avec l’animal une tendance à déployer sa puissance qui peut impliquer la destruction de tout obstacle, y compris l’être humain.

Il y aurait identité de nature entre l’agressivité animale et la violence humaine, sociale, politique et guerrière.

Freud affirme l’existence de pulsions de mort et de destruction en l’homme, qui expliqueraient le comportement des individus comme celui des peuples et des Etats.

Plus exactement, combattraient en l’homme deux grands principes antagonistes : Eros et Thanatos. Eros : les pulsions de conservation de soi et de l’espèce. Thanatos : les pulsions de destruction dont le but final est de ramener tout ce qui vit à l’état inorganique.

D’où le point de vue anthropologique pessimiste de Freud (déjà rencontré dans le cours consacré à “nature et culture”) formulé dans “Malaise dans la civilisation” :

“L’homme n’est point cet être débonnaire, au coeur assoiffé d’amour, dont on dit qu’il se défend quand on l’attaque, mais un être, au contraire, qui doit porter au compte de ses données instinctives une bonne somme d’agressivité. Pour lui, par conséquent, le prochain n’est pas seulement un auxiliaire et un objet sexuel possibles, mais aussi un objet de tentation. L’homme est, en effet, tenté de satisfaire son besoin d’agression aux dépens de son prochain, d’exploiter son travail sans dédommagements, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de s’approprier ses biens, de l’humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer. Homo homini lupus : qui aurait le courage, en face de tous les enseignements de la vie et de l’histoire, de s’inscrire en faux contre cet adage? (...)
Cette tendance à l’agression, que nous pouvons déceler en nous-mêmes et dont nous supposons à bon droit l’existence chez autrui, constitue le facteur principal de perturbation dans nos rapports avec notre prochain; c’est elle qui impose à la civilisation tant d’efforts. Par suite de cette hostilité primaire qui dresse les hommes les uns contre les autres, la société civilisée est constamment menacée de ruine. L’intérêt du travail solidaire ne suffirait pas à la maintenir : les passions instinctives sont plus fortes que les intérêts rationnels. La civilisation doit tout mettre en oeuvre pour limiter l’agressivité humaine et pour en réduire les manifestations à l’aide de réactions psychiques d’ordre éthique. De là, cette mobilisation de méthodes incitant les hommes à des identifications et à des relations d’amour inhibées quant au but; de là cette restriction de la vie sexuelle; de là aussi cet idéal imposé d’aimer son prochain comme soi-même, idéal dont la justification véritable est précisément que rien n’est plus contraire à la nature humaine primitive. Tous les efforts fournis en son nom par la civilisation n’ont guère abouti jusqu’à présent. (...) Mais il serait injuste de reprocher à la civilisation de vouloir exclure de l’activité humaine la lutte et la concurrence. San doute sont-elles indispensables, mais rivalité n’est pas nécessairement hostilité; c’est simplement abuser de la première que d’en prendre prétexte pour justifier la seconde.”

FREUD Malaise dans la civilisation.



D’où l’affirmation freudienne d’une inéluctable violence, que toute civilisation est condamnée à combattre. Par suite de cette hostilité fondamentale dressant les hommes les uns contre les autres, la société civilisée serait constamment menacée de ruine.

Tout au plus peut-on attendre du processus de civilisation, non pas qu’il éduque les pulsions, mais du moins qu’ il les domestique en faisant intérioriser à chacun des interdits sociaux, et en permettant une sublimation de ces pulsions anticulturelles et antisociales : la morale sociale, la recherche intellectuelle, le travail, la création artistique peuvent constituer autant de remparts contenant la violence des pulsions, mais qui ne peuvent arracher cette part de nature qui est en nous.

Faut-il admettre tels quels cette analyse et ce verdict ? Peut-être pas, et pour plusieurs raisons.

D’abord parce que l’agressivité ne se transforme pas nécessairement en violence : la loi et le droit le reconnaissent en ne sanctionnant les intentions agressives qu’à partir du moment où elles se transforment en actes. L’intention agressive joue le rôle de circonstance aggravante une fois l’acte délictueux accompli.

Ensuite parceque l’éthologie montre que l’agressivité animale a des caractéristiques particulières : chez la plupart des mammifères, l’agressivité intraspécifique - expliquer - n’est pas sanguinaire, elle n’a pas pour but de tuer, détruire ou torturer, mais est essentiellement une attitude de menace qui sert d’avertissement.

On trouve chez les mammifères beaucoup de querelles et de chamailleries et de comportements menaçants, mais peu de combats sanglants et destructifs, contrairement à ce que l’on constate dans les conduites humaines. Elle est en outre limitées par la fonction que lui assigne la nature : assurer les conditions de la perpétuation de l’espèce.

En ce qui concerne les rapports interspécifiques, l’agressivité animale a, là encore, un rôle déterminé par des fins naturelles : la chasse, la protection de la progéniture, la défense d’un territoire. Or, c’est seulement chez l’homme que l’on peut assister à un passage à la limite dans les conduites de violence : guerres de destruction, génocides. Pas de génocides entre espèces animales.

( Pour bien comprendre cela, se souvenir de la thèse d’Eric Weil, définissant l’homme comme “négativité” : ce n’est pas assez pour l’homme que d’avoir chassé, comme l’animal peut le faire, le concurrent, l’adversaire; il veut le détruire ou le forcer à se soumettre à lui et à reconnaître sa maîtrise et sa domination. D’autre part, contester la définition freudienne de l’homme en terme d’instinct. Lui opposer la notion de désir, proprement humaine, liée au symbolique et à l’imaginaire, au souci de reconnaissance de la part d’autrui. Rappeler l’opposition du caractère adaptatif de l’instinct animal et du caractère polymorphe, non “fixé”, illimité dans ses aspirations, du désir humain. )

Même en admettant la présence en nous de cette agressivité naturelle, elle ne serait pas encore violence, mais tendance à la violence.

D’autre part, le recours à de telles causes naturelles ne permet pas de rendre compte des différentes formes de la violence : cette explication peut rendre compte de la violence inter-individuelle dans ses formes les plus brutales et spontanées, mais ne rend pas compte de la violence institutionnalisée, politique, ni des formes sociales de la violence : les inégalités économiques, les conditions de la vie urbaine, le chômage accroissent une division de la société et multiplient les formes d’exploitation d’un groupe social par d’autres groupes sociaux. Chercher une cause unique dans l’agressivité animale risque d’entraîner une approche réductionniste de l’histoire.

La thèse anthropologique deFreud ne permet pas de rendre compte des formes de la violence politique : celle que l’on rencontre dans les régimes d’oppression où il s’agit d’une technique de gouvernement visant à exercer et conserver le pouvoir contre une majorité, au profit d’une minorité ou d’un groupe dominant.

Ni de la violence politique de la guerre, guerre civile ou guerre entre Etats, phénomène lié au pluralisme des organisations étatiques, chaque Etat défendant son existence contre la menace réelle ou supposée constituée par la présence d’autres Etats, ou tentative de conquête ou de soumission d’autres Etats.

Ni enfin des coups d’Etat, conjurations, émeutes, séditions, révolutions dont n’est exempte aucune période de l’histoire. Il s’agit là de conflits entre pouvoirs ou pour la conquête du pouvoir, or le pouvoir politique est un phénomène proprement humain dont on ne trouve pas d’équivalent dans la nature où le monde animal.

( Rappeler à ce propos la distinction essentielle entre ordre social, que l’on peut rencontrer dans certaines espèces animales, et ordre politique, proprement humain, lié au langage et à l’indétermination radicale des relations entre les hommes. La thèse de Fichte : l’homme par nature n’est rien, il est le plus indéterminé des êtres, et par là, condamné à s’inventer lui-même. )

Retour à la notion de violence politique : Kant réfléchissant sur les principes a-priori de la condition civile, affirmait :

“ Il s’ensuit que toute opposition au pouvoir législatif suprême, toute révolte destinée à traduire en actes le mécontentement des sujets, tout soulèvement qui éclate en rébellion est, dans une République, le crime le plus grave et le plus condamnable, car il en ruine le fondement même”.

Cette condamnation du “droit à la révolte” laisse intacte le fait que lorsque des hommes détiennent la puissance de jeter à bas les lois et l’autorité politique, ils peuvent le faire, c’est-à-dire qu’ ils ont le pouvoir de le faire, à défaut du droit de le faire.

L’on peut donc dire que les animaux se battent, connaissent des luttes prédatrices ou pour la défense d’un territoire, mais ne connaissent ni la guerre, ni la violence politique qui appartiennent à la dimension spécifiquement humaine de l’histoire.


En réfléchissant sur les fondements de l’Etat, nous avons rencontré l’analyse de Hobbes de l’état de nature et des rapports entre les hommes dans l’état de nature.

Dans le chap XIII de la 1° partie du Leviathan, Hobbes avance qu’il est possible de trouver dans la nature humaine c’est-à-dire dans l’essence même de l’homme trois causes principales d’affrontement : la rivalité, la méfiance et la fierté :

“Si deux hommes désirent la même chose alors qu’il n’est pas possible qu’ils en jouissent tous les deux, ils deviennent ennemis : et dans leur poursuite de cette fin qui est , principalement, leur propre conservation, mais parfois seulement leur agrément, chacun s’efforce de détruire ou de dominer l’autre....Il apparaît clairement par là qu’aussi longtemps que les hommes vivent sans un pouvoir commun qui les tienne tous en respect, ils sont dans cette condition qui se nomme guerre, et cette guerre est guerre de chacun contre chacun.”

Mais possibilité d’opposer des objections à cette analyse : Rousseau dans le chap IV du livre I du contrat social, conteste qu’il puisse y avoir des guerres dans l’état de nature, tout simplement parce que la guerre n’est pas une relation d’individu à individu, mais une relation d’Etat à Etat. Il n’y a de guerre que dans l’histoire et entre des entités politiquement constituées

Ce qui donne de nouveaux arguments pour montrer que la guerre n’est pas simplement manifestation de l’hypothètique agressivité humaine : l’agressivité est aveugle et soumise à des automatismes qui règlent les comportements, alors que la guerre est liée à la réflexion et à la liberté.

Tandis que la lutte animale est une conduite déterminée par certains stimuli, la guerre de par son historicité suppose que la conscience se détermine elle-même à l’action violente. Le fait même de s’écrire prouve la liberté qui habite la guerre : il n’y a qu’une conscience réfléchie en elle-même et responsable de ses actes qui puisse s’inscrire à proprement parler dans la rédaction d’une histoire : la guerre est réfléchie dans une histoire à travers laquelle les hommes tentent d’en saisir l’intelligibilité.

D’autre part, il n’y a pas de guerre sans armées et pas d’armées sans parades militaires, et ces dernières sont des démonstrations symboliques : les drapeaux, les oriflammes, les uniformes montrent que la guerre s’inscrit dans une dimension symbolique, une dimension de signification qui est étrangère au monde animal régi seulement par des signaux. ( Rappeler la distinction signe/signal )

Notre questionnement de la violence va s’orienter essentiellement en direction de la guerre, dont tous les philosophes ont montré qu’elle était une constante de l’histoire humaine. ( se souvenir de l’introduction à la première proposition de l’ Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique de Kant, commentée dans le cours sur l’histoire )

Reste maintenant à s’interroger sur la nature de la guerre avant de se demander si elle possède un sens et une légitimité.

Définition de G Bouthoul ( fondateur de la polémologie ) :

“ La guerre est une forme de la violence qui a pour caractéristique essentielle d’être méthodique et organisée quant aux groupes qui la font et aux manières dont ils la mènent. Elle est limitée dans le temps et dans l’espace, soumise à des règles juridiques particulières, variant suivant les lieux et les époques. “

La guerre est ambiguë : elle est échec du discours : la discussion, la négociation, la persuasion n’aboutissent pas, et c’est la guerre, mais en même temps elle n’est pas étrangère à la rationalité.

D’abord à la rationalité du langage, puisque la guerre est quelque chose qui se déclare et qui s’écrit - ce sont d’ailleurs les vainqueurs qui écrivent l’histoire des guerres.

Ensuite, elle n’est pas étrangère à la rationalité du droit : dans l’histoire se sont progressivement dégagées les conditions juridiques auxquelles doivent se soumettre les belligérants pour se faire la guerre : déclaration publique de la guerre, qui est un acte de l’autorité politique souveraine : un homme ne peut pas déclarer une guerre; soumission à des conventions portant sur le sort à réserver aux prisonniers, aux types d’armes à utiliser ( condamnation au moyen-âge de l’utilisation de l’arbalète; condamnation par les modernes conventions internationales des armes chimiques).

La guerre est violence organisée, et la notion d’état de guerre est une notion juridique. L’état de guerre est l’effet juridique de l’ouverture des hostilités par une déclaration de guerre.

L’état de guerre correspond au statut de belligérance qui, à son tour, engendre des effets juridiques sur les Etats, les citoyens de ces Etats, et même envers des Etats tiers, qui peuvent revendiquer le droit de neutralité. Cela entraîne de distinguer le statut juridique des personnes: les combattants et les non-combattants, les prisonniers de guerre.

En outre, le statut de belligérance entraîne un ensemble de conséquences objectives : les relations diplomatiques sont rompues, les agents diplomatiques rappelés, les biens de l’adversaire situés dans l’état ennemi mis sous séquestre. Le statut des personnes peut également être modifié: quiconque a la nationalité du pays ennemi peut être expulsé, puisque les relations commerciales sont interdites, les contrats passés sont suspendus.

Puis la guerre n’est pas étrangère à la rationalité technique des moyens visant à abattre l’adversaire : par un calcul rationnel, chaque belligérant utilisera les outils les plus efficaces pour la destruction de l’adversaire.

Cependant, si tous les Etats obéissent bien à cette rationalité technique, la présence du droit dans la guerre est plus aléatoire : la guerre obéît bien à des règles juridiques, mais on ne peut pas la juridifier : la décision même de faire la guerre, de la part d’un Etat, ne peut pas être définie par la loi ou la constitution : c’est une décision souveraine d’un peuple ou d’un chef d’Etat. le droit peut seulement fixer qui a autorité pour déclarer la guerre.

D’autre part, le respect des règles juridiques dépend du bon vouloir des belligérants : un pays peut en attaquer un autre sans déclaration préalable, il peut violer les conventions internationales, employer des armes interdites, massacrer des prisonniers.

Ceci est la conséquence d’un fait fondamental : l’existence de la souveraineté politique de chaque Etat.

Définition de Kant dans le Projet de paix perpétuelle de 1795 :

“ Chaque Etat fait consister sa majesté à ne se soumettre à aucune contrainte légale extérieure. “

Ne faut-il pas dire alors que - en vertu de la souveraineté dont disposent les Etats - les rapports entre ceux-ci relèveraient nécessairement de ce que Hobbes appelait “ état de nature “ ? ( c’est-à-dire cette situation où chaque individu - et en ce sens, chaque Etat particulier est comme un individu - est seul juge des moyens à utiliser pour assurer sa conservation. ) Si l’on transpose le raisonnement de Hobbes au plan interétatique, les Etats sont dans leurs relations mutuelles dans un état de nature dont il faudra se demander s’il peut être dépassé. Cet état de nature est, on le sait, pour chacun, un état permanent de crainte et d’insécurité.

C’est pourquoi, malgré le désir éventuel de certains Etats de vivre en paix avec leurs voisins, le rapport entre les Etats relève de l’état de nature, dans lequel la guerre n’est peut-être pas permanente, mais du moins toujours possible; ce que Kant appelait une menace permanente d’hostilités.

Ce que Rousseau faisait remarquer à sa façon :

“ Selon moi, l’état de guerre est naturel entre les puissance ( les Etats ). D’homme à homme, nous vivons dans l’état civil et soumis aux lois, mais de peuple à peuple, chacun jouit de sa liberté naturelle. “

Non que la guerre prenne toujours la forme d’un conflit armé : il y a des paix qui ne sont qu’une absence de guerre, mais l’absence de guerre n’est pas encore la paix : des relations de bon voisinage entre Etats peuvent se dérouler dans le souvenir des conflits passés et dans la crainte de conflits futurs.

La paix entre les Etats n’est donc pas naturelle, elle doit être instituée. Or, comment l’instituer sinon en instaurant un ordre juridique qui serait la transposition sur le plan supra-étatique des rapports juridiques existant entre les hommes au sein d’un Etat particulier ?

C’est la solution juridique proposée par tous les projets de paix perpétuelle avancés au siècle des Lumières, en particulier le “ Projet de paix perpétuelle “ rédigé par Kant en 1795. ( expliquer la distinction entre la notion de trêve et la notion de paix perpétuelle ) :

“ Des Etats en relation réciproque ne peuvent sortir de l’état anarchique qui n’est autre chose que la guerre, d’aucune autre manière rationnelle qu’en renonçant, comme des particuliers, à leur liberté barbare et anarchique, en se soumettant à des lois publiques de contrainte, formant ainsi un Etat des Nations qui s’accroissant il est vrai constamment, engloberait finalement tous les peuples de la Terre. “

Pour faire disparaître la guerre de l’horizon de l’histoire, il faudrait obliger les Etats à renoncer à la violence militaire pour les soumettre à l’arbitrage d’un droit international qui réglerait leurs rapports de la même façon que le droit régit les rapports entre les hommes au sein d’un Etat particulier. ( reprendre la distinction entre droit international et droit supranational )

Peut-on faire entrer dans une telle société des Etats dont l’organisation politique est différente? peut-on fédérer des démocraties, des dictatures, des monarchies et des républiques? Ne faudrait-il pas qu’il y ait déjà une homogénéité politique des Etats pour qu’une telle fédération soit possible et solide?

Cette aspiration est-elle fondée, est-elle compatible avec les critères définissant les conditions de possibilité de l’ordre juridique ?

Peut-on instaurer un droit qui trancherait les différends entre les Etats de façon à ce que ceux-ci ne recourent pas à la violence guerrière ?

Peut-on instaurer un droit pénal supra-étatique qui punirait les violations des lois internationales ?

L’histoire a vu naître des tribunaux internationaux, des Cours internationales de justice, des organisations conçues pour administrer certaines affaires concernant plusieurs Etats à la fois. Mais ces institutions correspondent-elles au concept de droit tel que nous l’avons défini dans le cours consacré à cette notion ?

Il ne va pas s’agir de décrire ces institutions internationales, cela relèverait d’études de droit ou de science politique, mais de penser la cohérence conceptuelle de la notion d’ordre juridique supra-étatique. L’on peut simplement remarquer ce que l’histoire nous enseigne : les institutions internationales sont des moyens mis à la disposition d’Etats souverains qui s’en servent ou en récusent la compétence au gré de leur bon plaisir ou de leurs intérêts. Au mieux, ce sont des arbitres provisoires, au pire, des lieux de négociations où des Etats tentent de parvenir à faire prévaloir leur cause, ou à mettre en oeuvre des accords provisoires, pouvant être à tout instant récusés.

Sur un plan strictement conceptuel, à présent :

Tout d’abord, la soumission des Etats à un tel ordre impliquerait une renonciation simultanée de la part de tous les Etats à leur souveraineté politique et à l’indépendance en quoi il font consister une part essentielle de leur souveraineté. Qu’un seul Etat refuse cet abandon de souveraineté, et l’on n’a pas quitté l’état de nature, qui est état potentiel de guerre de tous contre tous.

On ne voit pas ce qui pourrait pousser un grand Etat, puissant économiquement, militairement à renoncer à sa souveraineté, et à se soumettre à une juridiction qui le priverait de ses prérogatives et pouvoirs naturels.

Seuls de petits Etats paraissent avoir un intérêt naturel à chercher protection auprès d’une telle juridiction internationale.

Si un seul Etat prétendait garder l’intégralité de sa souveraineté, il n’y aurait qu’un moyen pour le contraindre à l’abandonner : le recours à la force des armes ! Faire la guerre pour garantir les conditions de la paix, n’est-ce pas un paradoxe ?

Ensuite, pour qu’il y ait un authentique ordre juridique supra-étatique, il faudrait qu’il y ait une instance neutre afin de trancher les différends entre les Etats, pour dire qui est dans son tort, et qui est dans son bon droit. Peut-on constituer une telle instance ? Les juges qui la composeraient ne risquent-ils pas d’être “juge et partie” ? En effet, ils risqueraient d’être partagés entre deux exigences : celle de dire le droit, éventuellement contre l’Etat dont ils sont par ailleurs citoyens, et celle d’obéissance à l’autorité politique particulière dont ils relèvent. Peut-on servir deux maîtres à la fois ?

En supposant même que cette instance puisse être constituée, comment ferait-elle exécuter ses verdicts ? Il lui faudrait avoir recours à une force publique supra-étatique.

( se souvenir de l’affirmation de Kant : il n’y a pas de droit sans un pouvoir de contrainte; c’est également la définition de Kelsen et le critère par lequel il distingue droit naturel, qui s’impose par la force de sa seule évidence et droit positif qui est un ordre de contrainte; or la contrainte est violence; ce que reconnaît par exemple Max Weber lorsqu’il définit l’Etat par la possession du monopole de la violence légitime )

Cette dernière est-elle possible ? Peut-elle être constituée d’autre chose que de prélèvements sur les armées étatiques ?

Dans ce cas, afin de contraindre un Etat à respecter une décision de l’autorité supra-étatique, il faudrait avoir recours à la force des armes, et l’on retrouve le même type de paradoxe que tout à l’heure. De plus, un soldat appartenant à cette force supra-étatique pourrait être amené à combattre contre l’armée nationale dont il est issu : nouveau paradoxe.

Ou alors, il faudrait obtenir de tous les Etats une renonciation simultanée à leurs forces militaires. Mais on sait que l’existence de cette force armée est condition de possibilité de la garantie de l’indépendance et de la souveraineté de chaque Etat. Nouveau paradoxe.


C’est donc la notion même d’un ordre juridique garantissant un règlement non violent des différends qui paraît être porteuse de contradictions.

Si cette institution d’une société des nations ne peut être le résultat d’une institution volontaire, peut-être faut-il alors penser qu’elle pourrait advenir d’elle-même, en quelque sorte par la force des choses, par la logique même de l’histoire ?

C’est le point de vue de penseurs libéraux du 19° siècle comme Benjamin Constant dans la conférence intitulée : “De la liberté des anciens comparée à celle des modernes” de février 1819.

On y trouve l’affirmation selon laquelle nous sommes arrivés à un moment de l’histoire où les peuples sont essentiellement voués à des activités économiques et principalement au commerce : les nations modernes veulent le repos, avec le repos l’aisance, et comme source de l’aisance, l’industrie; or celle-ci pour se développer, aurait besoin de la paix.

C’est ce qui fait dire à Constant que l’âge de la guerre est antérieure au commerce : nous serions arrivés à une époque historique où les peuples et les Etats, à la suite d’un calcul d’intérêt bien compris trouveraient avantage à ne plus se faire la guerre; mais n’est-ce pas oublier que la guerre peut être également un moyen au service de la vie économique : c’est le colonialisme par lequel des Etats, serviteurs d’intérêts économiques, s’emparent de richesses, de matières premières, de main d’oeuvre d’autres Etats.

Douteux également le postulat libéral selon lequel la rationalité économique serait le seul moteur de la conduite des Etats désormais : la volonté de puissance n’a pas été détruite par ce que Constant nomme l’esprit commercial : il n’est qu’à considérer la volonté de conquête de l’Allemagne nazie, les motivations idéologiques, à base de revendications nationalistes ou religieuses. Naïveté du libéralisme prétendant réduire l’homme au statut d’homo oeconomicus. Naïveté de croire que la rivalité économique pacifique pourra se substituer définitivement à l’hostilité politique.

Il est possible de montrer qu’il peut y avoir un “accord pathologiquement extorqué” entre les Etats, de même qu’entre les individus, un mouvement de progrès qui amènerait les nations à faire la paix par un pur calcul d’intérêt : c’est la logique de l’insociable sociabilité développée par Kant dans la quatrième proposition de l’Idée d’une histoire universelle.

Mais ne pas oublier que cette philosophie de l’histoire formule un jugement réfléchissant, et non un jugement déterminant (reprendre la définition de ces concepts kantiens). Ce n’est pas pour Kant une connaissance objective que de dire que l’histoire humaine est le lieu d’un progrès irréversible, conduisant insensiblement vers une situation de paix juridifiée; c’est la façon dont nous devons (au sens d’un devoir moral) nous représenter les choses pour ne pas désespérer les hommes. Un discours raisonnant en terme de finalité ne peut être un discours de connaissance.


En admettant même qu’un ordre juridique supra-étatique puisse être instauré (et non un simple droit international), celui-ci ne serait pas à même d’empêcher le déclenchement de guerres. Pour une raison fondamentale : le droit n’a pas pour fonction de rendre impossible certaines conduites jugées néfastes, mais de les interdire, et cela justement parce qu’elles restent toujours possibles.

L’idée même de droit suppose l’existence de sujets doués de liberté de la volonté, susceptibles d’être regardés comme responsables de leurs actes, et capables de commettre des actes délictueux. Le droit ne peut avoir pour fonction que de prescrire, d’interdire, et d’accorder des droits, mais jamais de rendre impossibles par exemple le meurtre ou le vol, ou quelque sorte que ce soit d’atteinte aux droits des personnes. Le droit présuppose la possibilité permanente de la violence.

Donc, il est déraisonnable d’attendre du règne du droit supra-étatique - de toute façon peut-être impossible à constituer, et de toute façon impuissant - la garantie de l’avènement d’une “paix perpétuelle entre les nations”.

Cela revient peut-être à dire qu’il y a un tragique de l’histoire humaine, parcequ’il y a un lien qui ne pourra peut-être jamais être rompu entre l’existence politiquement organisée des hommes et la violence.

L’on peut dire que les états sont à l’image des hommes qui les ont fait. Si les hommes étaient raisonnables, sans doute n’y aurait-il jamais eu d’Etats, car la morale réglerait leurs rapports sans que le droit intervienne pour les y obliger. On peut dire que l’existence de l’Etat reflète l’incapacité des hommes à vivre en commun sans un pouvoir qui les tient en respect.

L’on peut, comme le fait Kant se livrer à une condamnation morale de la guerre, considérer comme un devoir moral d’oeuvrer en vue de l’avènement d’une paix perpétuelle entre les nations, cela ne change sans doute rien au fait que l’hostilité soit une relation normale entre Etats souverains.

D’autre part, comme l’a fait remarquer le grand théoricien du droit et de la politique Carl Schmitt, il y peut-être une contradiction dans la notion même de paix perpétuelle avancée par Kant : c’est que la paix et la guerre ne s’opposent pas comme des contraires logiques, comme par exemple le vrai et le faux : le vrai exclut le faux et en vertu du principe de contradiction, une proposition ne peut être vraie et fausse en même temps.

Alors que la guerre et la paix sont des notions dialectiques, c’est-à-dire qu’elles n’ont de sens que l’une par l’autre : on ne peut pas faire la paix avec ses amis puisque par définition avec nos amis nous avons des relations d’entente, on ne peut faire la paix qu’avec ses ennemis, et l’existence même de la paix présuppose que l’on ait des ennemis, et l’existence de l’ennemi implique la possibilité permanente du retour de la guerre.

C’est là que l’on voit la naïveté ou le paradoxe du pacifisme; il faut à ce sujet distinguer entre être pacifique, cad préférer le dialogue à la violence, et en ce sens la philosophie est l’attitude pacifique par excellence puisqu’elle postule la possibilité d’un accord des hommes par l’usage de la raison et du discours, et le pacifisme, qui est peut-être une attitude contradictoire.

Il serait stupide de croire qu’un peuple désarmé ou sans défense n’aurait que des amis : la volonté de ne pas se battre est au contraire ce qui peut susciter les menées agressives d’un autre Etat. d’autre part, certains pacifistes disent que pour avoir la paix, il faudrait détruire toutes les armées, faire la guerre à la guerre; mais faire la guerre à la guerre c’est encore faire la guerre.

La non-résistance pacifiste à la violence peut être également la cause qui peut entraîner l’asservissement politique d’un peuple; le pacifisme oublie sans doute que la guerre peut être le moyen au service de l’instauration ou de la restauration de la liberté politique, ce qui nous amènera vers la dernière étape dans laquelle nous nous interrogerons sur la valeur et la légitimité de la guerre et le fait de savoir s’il n’est pas possible de parler de guerre juste.

Le pacifisme se réclame parfois de l’enseignement évangélique: “aimez vos ennemis”. Mais il y a incompréhension de cette formule, qui concerne le prochain, autrui, et non le citoyen d’un autre Etat.

Interprétée en termes politiques, l’injonction à “aimer ses ennemis” n’est qu’une formule de caractère inapplicable, conviant l’homme davantage au masochisme qu’à la sainteté. L’erreur consiste à faire de l’amour un concept politique, alors qu’il appartient à une toute autre sphère : ce que montre la phrase du Christ sur la nécessité de “rendre à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui est à Dieu”. En aucun cas le précepte évangélique signifie refus de vaincre l’ennemi politique, mais seulement refus de la vengeance et de la haine.

Cette erreur d’interprétation vient d’une équivoque de vocabulaire : le français n’a qu’un seul mot pour désigner l’ennemi public et l’ennemi privé. Alors que le latin distingue “inimicus”, pour désigner l’ennemi privé et “hostis” pour désigner l’ennemi public (c’est-à-dire politique).

Or ce que vise le christ, c’est la paix des coeurs, la paix avec son prochain, et non avec les ennemis politiques, que l’on n’a pas à haïr en tant qu’individus. C’est pourquoi le précepte évangélique dit : “ diligite inimicos vestros” et non : “ diligite hostis vestros “. ( Référence à Rousseau, contrat social, sur la guerre)

Le pacifisme oublie également une chose: c’est qu’une déclaration d’amour au genre humain n’est pas suffisante pour faire advenir la paix; il ne suffit pas de dire aux Etats voisins qu’on ne leur veut pas de mal; il faut être deux pour faire la paix, et il faut que les deux le désirent en même temps, alors que pour déclencher une guerre, il suffit qu’un seul le désire. Comme le dit Spinoza au chap 3 du Traité Politique, pour faire la guerre, il suffit d’en avoir la volonté.

D’autre part, et il y a peut-être là un paradoxe, définir des hommes, des membres d’une autre communauté politique comme des ennemis, c’est reconnaître leur humanité, c’est reconnaître qu’ils sont nos semblables et nos égaux. Je ne peux être l’ennemi d’une chose ou d’un animal, mais seulement d’un homme, que je peux tenter de vaincre ou de réduire en servitude. C’est le problème de la reconnaissance, propre aux hommes.

Lorsque des hommes refusent de considérer d’autres hommes comme leurs ennemis, ils ne les combattent plus, ils tentent de les exterminer ou de les détruire, de la même façon qu’on tente de détruire un obstacle naturel ou une espèce animale que l’on juge néfaste.

Ce phénomène s’est produit au moins une fois dans l’histoire: le génocide des juifs par les nazis. Les juifs n’étaient pas pour les nazis des ennemis au sens politique du terme; ils ne se sont pas tous opposés à la montée du nazisme. Les nazis les considéraient comme des êtres qui n’avaient pas le droit d’être. C’est pourquoi le génocide n’a pas été une guerre, mais une extermination. Se rappeler le mot du juriste allemand C. Schmitt: “Malheur à qui n’a pas d’ennemi !”

Il s’agit maintenant de s’interroger sur la valeur de la guerre et sur la valeur de l’aspiration à la disparition de toute violence et de toute guerre. la question posée peut paraître paradoxale tant pour une fois le discours de la philosophie et le sens commun paraissent se rejoindre dans l’aspiration à un monde pacifié. Le problème est-il si simple?

Et cependant, l’on trouve à l’intérieur même de la philo des glorifications de la guerre. Ainsi Hegel: “ La guerre a cette signification supérieure que par elle, comme je l’ai dit ailleurs, la santé morale des peuples est maintenue en son indifférence vis-à-vis des choses finies qui tendent à se fixer, de même que les vents protègent la mer contre la paresse où la mènerait un durable repos, ou la paix perpétuelle les peuples.” Il insiste également sur le fait que les peuples sortent renforcés de la guerre.

Cela pourrait choquer, mais cette justification est une justification philosophique, liée à la conception héroïque de la liberté qui est celle de Hegel. La guerre n’est pas pour lui l’expression des tendances viles et pour ainsi dire naturelles de l’homme, mais au contraire l’acte par lequel il dépasse et nie sa nature animale par l’affrontement de la mort. La guerre est spiritualisation, transcendance des besoins et des attachements matériels.


Même Kant, celui qui a le plus insisté sur le fait que dans toute guerre il y avait nécessairement atteinte à la dignité des hommes parceque ceux-ci sont considérés comme des moyens par les princes qui les font se battre, même s’il ne fait pas l’apologie de la guerre, en montre du moins la fonction correctrice: si le penchant à la guerre est universel, nous devons nous représenter le développement de l’espèce humaine comme le continuel et gigantesque conflit des volontés:

“ Ainsi dans la forêt, les arbres, du fait même que chacun essaie de ravir à l’autre l’air et le soleil, s’efforcent à l’envie de se dépasser les uns les autres, et par la suite, ils poussent beaux et droits.” Idée d’une histoire universelle.

C’est peut-être la préfiguration de l’idée hégelienne d’une ruse de la Raison.

Maintenant la guerre juste. (reprendre la distinction de Grotius entre “guerre régulière” et “guerre juste”) Nous avons vu que la guerre, même si elle peut être en partie juridifiée, n’est pas un phénomène juridique, mais le phénomène politique par excellence : elle est le contraire du droit. Cependant, on peut se poser la question de savoir si la violence guerrière ne peut pas être un moyen d’instaurer le droit. La révolution française proclame le règne du droit, mais elle n’instaure pas le droit par des moyens juridiques, mais politiques: c’est-à-dire par la violence politique.

N’y a-t-il pas guerre juste lorsque des hommes ou des peuples veulent instaurer, restaurer le règne du droit sans lequel il n’y a pas de liberté politique possible? Faut-il, sous prétexte que la guerre est moralement injustifiable, inciter les hommes à accepter toutes les formes de la servitude politique?

Ne peut-on concevoir une guerre au service de la justice? Bien sûr, nécessité de rester méfiant: derrière l’invocation de la justice, il est toujours possible de soupçonner la défense d’intérêts particuliers. La guerre du golfe était-elle au service du rétablissement du droit ou de la préservation d’intérêts économiques des grandes puissances?


Souhaiter la paix à tout prix impliquerait peut-être une conséquence paradoxale: les controverses fondamentales entre les hommes sont des controverses à propos du bien du juste, et de la définition de la liberté; et l’expression la plus exacerbée de ces controverses sont les conflits politiques; vouloir la paix à tout prix, ce serait exiger des hommes qu’ils renoncent à se demander ce qu’est le juste, le bien etc..., cad que ce serait leur demander de renoncer à leur humanité.

Renoncer à la possibilité de la guerre impliquerait de renoncer à notre statut d’animal politique. C’est là que réside le tragique du politique: c’est dans cette dimension que les hommes visent la liberté et la sécurité, mais c’est également dans cette dimension que se rencontre la possibilité permanente du conflit, c’est-à-dire de la violence.

Si la violence politique peut donner naissance aux plus grands maux, c’est en raison de la place éminente du politique dans l’existence des hommes.

Pour conclure, peut-être serait-il possible de montrer qu’au-delà ou en-deça de toute dimension politique, c’est la nature même du rapport de l’homme à l’homme qui est porteuse de violence. Faire retour sur ce qui a été dit dans le cadre du cours sur le désir : l’homme est d’abord un animal. Il produit son être naturel en intégrant mécaniquement l’objet naturel dont il manque (nourriture par exemple).

Mais, à la différence de l’animal, l’homme est capable de se faire au lieu d’être fait, identique à lui-même, par la répétition des mécanismes dans lesquels il est intégré.

Il lui faut alors porter son désir sur le seul objet non naturel qu’est le désir de l’autre. Il ne s’agit plus pour lui de nier les objets sensibles en les intégrant, mais de nier l’activité négatrice de l’autre dans son désir d’objet sensible (pour employer une terminologie hégelienne), et réciproquement. Pour être humain, pour faire de l’animal un homme, le désir devient désir du désir, il veut être reconnu par le désir adverse, dans sa supériorité à faire admettre sa propre prétention négatrice.

C’est ainsi que s’engage une lutte qui ne peut prendre place dans le monde purement naturel de l’animal : une lutte pour rien, une lutte de pur prestige visant la domination du désir de l’autre, au risque de la vie. Par cette lutte, l’homme sort de l’ordre de la nature qui pousse l’animal à conserver sa vie, tandis que lui, l’homme, risque cette vie pour une valeur : la reconnaissance. Par ce risque inutile, il se libère de l’animalité. La paix aurait toujours reproduit l’animal, elle n’aurait jamais produit l’humain en l’homme.

5 commentaires:

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  2. Passionnant et instructif. Mais je suis sceptique quand à votre conclusion. Je n'ai pas les outils pour vous répondre avec des arguments tirés de la littérature philosophique mais il me semble qu'il n'y a pas de honte pour l'homme à se considérer comme un animal parmi les autres. Je crois que nous gagnerions en sagesse à nous inspirer du règne animal et à vivre dans cette paix "sans prestige ni reconnaissance". Je dirais même que les hommes tireraient davantage de gloire à s'harmoniser avec leur nature animale plutôt que de se livrer à un orgueil et à une vanité somme toute bien dérisoires. Et illusoires de mon point de vue. Vouloir nous séparer de notre animalité n'est-ce pas là encore nous enlever un statut d'être vivant à égalité avec le rester des êtres animés ? N'est-ce pas encore un moyen de nous chosifier nous-mêmes et, selon vos démonstrations, de nous destiner à l'extermination ?

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