vendredi 5 mars 2010

La vérité

D’abord, faire remarquer qu’il n’est pas besoin de justifier une interrogation philosophique sur la vérité, puisque la philosophie se caractérise dès ses origines comme recherche de la vérité, recherche qui s’oppose et qui se confronte à l’opinion qui flatte, qui séduit, qui est avant tout soucieuse de pouvoir sur les hommes.

Mais la notion même pose problème. D’abord, le singulier qui est employé : la vérité. Nous connaissons tous des vérités, ou du moins nous croyons les connaître telles : le mur est blanc, l’eau bout à 90°, la seconde guerre mondiale s’est terminée en 1945, la terre est une sphère, il y a 28 élèves dans cette classe. Peut-on dire qu’il y a une propriété commune à toutes ces propositions vraies, ce qui ferait qu’il y a une essence de la vérité ?

On pourrait se demander ce qu’ont de commun la vérité démonstrative du mathématicien et la vérité expérimentale du physicien ou du chimiste, la vérité de l’historien qui explique des événements collectifs, et celle du psychanalyste qui prétend apprendre à un homme ce qu’il est vraiment ? Y a-t-il un rapport entre la vérité objective apportée par la science et la vérité subjective apportée par une oeuvre d’art, lorsqu’elle nous met en contact avec la réalité, cette réalité que nous avons tendance à oublier derrière les mots que nous employons, ou derrière les relations habituellement utilitaires que nous entretenons avec le monde ?

Peut-on parler de vérité à propos de l’existence, comme le fait le philosophe existentialiste Kierkegaard, pour qui trouver la vérité, c’est d’abord donner un sens à son existence, trouver au nom de quoi il vaut la peine de vivre et de mourir. Autrement dit, faut-il réserver la notion de vérité à la seule activité de la raison, ou a-t-on le droit de parler de “vérités du coeur”, qui seraient d’une autre nature que celles, démontrables et perfectibles, de la raison ?

D’autre part, nous pourrions faire la remarque suivante : il nous arrive de croire que la vérité puisse s’imposer d’elle-même, et que sa force est suffisante pour dissiper erreurs et illusions. La vérité a-t-elle comme seul adversaire l’ignorance ? N’y a-t-il pas des formes du faux qui sont ancrés sur des désirs tellement forts, que la vérité serait impuissante à les déloger ? Souvenons-nous du cours sur l’illusion, dans lequel nous avons vu qu’il pouvait y avoir un désir du faux, à partir du moment où celui-ci s’accorde à nos espérances, à nos attentes, et procure le bonheur. Au nom de quoi aurions nous le droit d’imposer le vrai à celui qui trouve la paix dans l’illusion bienfaisante ? D’où la question de Nietzsche : pourquoi faudrait-il vouloir la vérité plutôt que le faux ?

Et pourtant, Platon disait que philosopher, c’est aller à la vérité avec toute son âme. D’un autre côté, il y a un paradoxe : d’un côté, nous ne chercherions pas la vérité si nous la possédions, mais d’un autre côté, si nous n’avions aucune idée de la vérité, nous ne saurions même pas dans quelle direction la chercher, nous ne saurions même pas ce que nous cherchons. Bref, cela nous fait comprendre que la notion de vérité est une des plus problématiques qui soient.

Avant de chercher à définir la vérité, et de dégager les problèmes qui se posent à son égard, il faut montrer que la notion de vérité a un sens et que sa recherche est elle-même sensée. Pour cela, il faut se débarrasser de plusieurs attitudes qui croient pouvoir se passer de l’idée de vérité : le scepticisme et le relativisme, ou qui donnent une définition irrecevable de la vérité, comme ce que l’on appelle le pragmatisme.

Commencer par ce dernier point. Au sens le plus large du terme, on parlera de pragmatisme pour désigner toute doctrine qui tend à considérer qu’une idée, une affirmation, une théorie sont vraies à partir du moment où elles sont pour nous utiles. Selon les pragmatistes et en particulier pour le chef de file de ce courant d pensée, l’américain William James, le critère de la vérité réside dans la valeur pratique d’une idée, dans le succès et l’efficacité.

Donc l’idée de départ est que la pensée est avant tout au service de l’action. L’homme est un être qui cherche à modifier la réalité avant de la comprendre, il est, pour reprendre les termes de Bergson, homo faber avant d’être homo sapiens. Pour James, les idées ne sont que des outils dont nous nous servons pour agir; l’idée vraie est alors celle qui “paie le mieux”. Bergson, en présentant la philosophie de James, la résumait en ces termes : “une affirmation, pour être vraie, doit accroître notre empire sur les choses”. Et James lui-même disait : “le vrai consiste simplement dans ce qui est avantageux pour notre pensée, de même que le juste consiste simplement dans ce qui est avantageux pour notre conduite”.

Il faut entendre utile au sens de ce qui satisfait un de nos intérêts. Pour le pragmatiste, une loi physique ou chimique est vraie si elle a des implications fécondes sur le plan technique, si elle nous permet par là de mieux dominer la nature. Une croyance politique sera considérée comme vraie si elle est capable de justifier mes engagements ou me donner une bonne conscience. Une théorie philosophique sera considérée comme vraie si elle calme mes inquiétudes. Une religion sera considérée comme vraie si elle m’apporte une consolation, si elle me permet de m’améliorer moralement. Dans cette perspective, la vérité n’est plus une valeur de la raison, mais une simple valeur d’existence.

Ce qui se voit bien dans la façon dont les pragmatistes conçoivent la connaissance : elle est simplement un processus vital par lequel une espèce animale s’adapte à son milieu. Autrement dit, la preuve de la vérité des connaissances humaines, c’est qu’elles ont permis à une espèce de durer dans le temps. Si ce que nous appelons nos connaissances n’étaient pas vraies, nous aurions péri.

Cependant, la nature même des choses s’oppose à une connaissance définitive de la réalité : le monde n’est pas rationnel, la vie dépasse la logique, le hasard intervient. Les axiomes de base dont nous partons pour connaître le monde dépendent de notre structure cérébrale. Ce que nous serions tentés d’appeler la vérité est seulement propre à notre espèce.

Mais dans une telle perspective, peut-on encore vraiment parler de vérité et d’erreur ? Peut-on encore faire la distinction entre vérité et illusion ? Il pourrait en effet y avoir plusieurs vérités contradictoires, dans la mesure où des hommes différents pourraient par exemple trouver une consolation dans des religions totalement différentes : un serait consolé à l’idée d’une survie de son âme, un autre à l’idée d’une extinction totale de son être, etc... Des êtres différents pourraient s’épanouir dans des systèmes de pensée différents.

Au moment de l’affaire Dreyfus, certains anti-dreyfusards pensaient : peu importe que l’accusé ait été condamné à partir de témoignages truqués, parce qu’une reprise du procès ne pourrait que porter atteinte à l’image de la nation et de l’armée française. Barrès écrivait : une erreur, lorsqu’elle est française, n’est plus une erreur.

On pourrait dire que le pragmatisme ôte à l’idée de vérité toute espèce de signification. Bien souvent, la vérité et sa découverte sont pénibles pour nos passions, nos tendances, nos habitudes de pensée. Freud disait que les grandes vérités scientifiques furent toujours des blessures pour le narcissisme de l’homme et ainsi, furent difficilement admises. Contre le pragmatisme, il faut restaurer les droits de l’objectivité de la connaissance, même si, comme nous le verrons, cette notion d’objectivité de la connaissance pose de nombreux problèmes. Contre la préoccupation subjective de l’intérêt et de l’utilité, il faut revaloriser les exigences rationnelles de la vérification objective.

Le pragmatisme substitue à une problématique de la vérité une problématique du pouvoir; c’est une doctrine qui ne reconnaît que ce qui accroît notre maîtrise de la nature. N’est-ce pas l’expression idéologique d’une société technicienne avide d’efficacité, de puissance ? Nietzsche ne disait-il pas :”il n’existe d’autre critère de la vérité que l’accroissement du sentiment de puissance”.

L’on pourrait définir le scepticisme comme la doctrine qui consiste à dire que l’esprit humain ne peut atteindre avec certitude aucune vérité. L’esprit serait incapable d’affirmer ou de nier quoi que ce soit de quelque objet que ce soit.

Étymologie de “scepticisme” : vient du mot skepsis qui veut dire examen. Les philosophes sceptiques de l’antiquité se nommaient eux-mêmes zétètiques, cad des chercheurs; ephectiques, cad qui pratiquent la suspension de jugement; et aporétiques, cad des penseurs qui affirment la perplexité de l’esprit et de l’issue impossible de quelque problème que ce soit. Les sceptiques s’en tiennent à une attitude de doute et de suspension de jugement(on ne peut ni dire ni ne pas dire une chose ou son contraire à propos de quoi que ce soit)

Ce scepticisme est argumenté : les sceptiques font le constat de la contradiction permanente des opinions humaines. A force de rencontrer des peuples qui adhèrent à des valeurs si diverses et si incompatibles, l’on doit finir par renoncer à dire quoi que ce soit sur quoi que ce soit. Blaise Pascal : vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà.

D’autre part, les sceptiques font remarquer qu’une affirmation ne peut pas être dite vraie, si l’on n’apporte pas de preuve de cette dernière. Or, si je propose une preuve, on pourra toujours me rétorquer : il faut prouver cette preuve. Il y donc le problème d’une régression à l’infini, qui fait que nous ne saurions faire reposer aucune de nos affirmation sur aucun fondement certain. Tout ce que nous disons reposerait en dernière instance sur des postulats invérifiables.

Donc, pour le sceptique, tout n’est qu’opinion, et il est impossible de dépasser ce niveau. Relativité des opinions. L’affirmation des hommes diffèrent sur un même objet, mais de plus les opinions d’un même homme diffèrent d’un moment à l’autre : le monde ne m’apparaît pas de la même façon, selon que je suis gai ou triste.
Les sceptiques qui ont théorisé leur scepticisme (Aénésidème, 1er siècle avant notre ère; Alexandrie) montrent qu’il y a une très grande diversité de systèmes perceptifs entre les espèces animales; donc, la perception du monde ne saurait être unique, et pouvons nous dire laquelle est la bonne ? D’autre part, la diversité humaine : les objets extérieurs affectent différemment les hommes selon leur caractéristiques physiologiques ou selon leurs états d’âme. Il y a également une diversité des sens pour nous : une chose nous apparaît différemment selon qu’elle apparaît à notre vue, à notre odorat, à notre goût, ou à notre toucher; quelle est alors la vraie nature de cette chose ? Puis, nous percevons les choses selon diverses circonstances de notre vie, et nous ne les percevons pas de la même manière, quand ces circonstances changent. Diversité des moeurs, des croyances, qui produit une discordance universelle des opinions. Puis la perception des objets diffère selon le lieu à partir duquel nous les percevons.

Cette position amène à dire qu’il n’y a pas d’Etre, qui posséderait permanence et stabilité. Il n’y a que l’apparence. Il n’y a même pas de choses stables, pas d’essence que nous pourrions saisir. Donc, il n’y pas de connaissance possible, et pas de vérité.

“J’affirme que nous ne savons rien ni si nous savons quelque chose ni si nous ne savons rien, et que nous ne savons même pas s’il existe un ignorer et un connaître, et plus généralement s’il existe quelque chose ou s’il n’existe rien”

Les plus radicaux des sceptiques renonceront même à affirmer que nous ne pouvons rien savoir; ils diront que nous ne pouvons même pas affirmer que nous ne pouvons rien savoir, parce que l’affirmer serait encore une position dogmatique qui prétendrait dire quelque chose de vrai. C’est pourquoi, pour Pyrrhon (325-235), la sagesse consiste dans la suspension du jugement, ne plus chercher à dire quoi que ce soit à propos de rien, ce qui conduit à une renonciation au langage; méfiance à l’égard du langage, qui nous fait croire qu’en parlant nous saisissons le réel. (aphasie); recherche de l’indifférence à l’égard du monde, ataraxie. Attitude qui conduit le sage au bonheur ( proximité à l’égard des écoles indiennes de détachement à l’égard du monde)

Le scepticisme n’est pas une absurdité, il faut prendre au sérieux sa démarche, dépasser ses arguments, montrer qu’il y a un sens à parler de la vérité, et qu’une connaissance vraie est possible.

Par contre, on peut balayer plus facilement une forme beaucoup plus ordinaire de relativisme, qui ne repose pas sur une attitude philosophique (alors que le scepticisme est une authentique attitude philospshique). Le relativisme banal qui affirme : à chacun sa vérité. Ce qui n’est pas le cas du scepticisme, qui remet en question la notion même de vérité, sa pertinence.

Pour le relativiste au sens banal, toutes les opinions humaines sont des jugements de valeur, et donc, toutes se valent, parce que les valeurs sont indépendantes de toute instance de vérité objective : dès qu’il s’agit de croyance et d’opinions, éthiques, politiques ou religieuses, il faudrait dire “à chacun sa vérité”.

Ce relativiste n’épargne qu’un domaine : celui de la connaissance scientifique, parce que là au moins, croit-il, on a affaire aux faits et rien qu’aux faits. Ce relativisme est donc lié à une attitude qui en est le complément : le scientisme, qui consiste à affirmer qu’il n’y a de vérité et de connaissance vraie que dans le domaine de la connaissance scientifique, parce que là au moins, on disposerait de la méthode de vérification expérimentale des hypothèses, et que le raisonnement s’appuie sur la rationalité des mathématiques.

Mais en dehors de ce domaine, nous serions condamnés à la relativité et à la subjectivité de nos préférences individuelles qu’il nous serait impossible de fonder. Il y a là une naïveté à propos de la nature de la connaissance scientifique, lorsque l’on croit que les sciences nous donnent à connaître la réalité. Naïveté également qui consiste à croire que le problème de la vérité ne peut être posé qu’à propos des sciences, et qu’il n’y aurait pas de vérité par exemple en philosophie.

Contre le scientisme, on pourrait montrer la pertinence de l’attitude des sceptiques qui nous font comprendre que nous ne pouvons pas posséder la vérité. Si une théorie scientifique était vraie, elle correspondrait intégralement à la réalité, cela veut dire qu’il ne saurait y avoir de progrès ou d’amélioration de cette théorie; or il y a un progrès des sciences : les théories sont progressivement affinées, compléxifiées, quelque fois abandonnées pour des théories plus explicatives. Cela veut dire que les sciences elles-mêmes sont des approximations du réel, et que même dans le domaine des sciences dites exactes, la vérité est l’horizon de la recherche, et non ce qui est possédé.

Possibilité de prendre un exemple : la proposition “la nature obéit à des lois” est une proposition vraie extrêmement féconde, elle a permis l’émergence de la science moderne de la nature; mais si on fait de cette proposition un absolu, si on considère que c’est là la vérité définitive du monde, on exclut de la recherche tout ce qui ne relève pas du déterminisme.

Nous pourrions commencer en distinguant deux notions que l’on a l’habitude de confondre : la vérité et la réalité.

Un objet, quelqu’il soit, doit être qualifié de réel; en lui-même, il n’est ni vrai ni faux, il est simplement. Pour que l’on puisse parler de vrai ou de faux, il faut que nous parlions, et disions quelque chose sur l’objet. Donc, il n’y a de vérité que par le discours que nous tenons sur le réel, c’est une propriété des propositions et non des choses elles-mêmes. Et pourtant, nous parlons de fausses dents ou d’un faux Picasso. Mais c’est simplement par une maladresse de langage; il faudrait dire : le jugement par lequel nous attribuons ce tableau à Picasso est faux.

On tire de cela l’idée selon laquelle la vérité servirait alors à qualifier notre discours ou nos idées en tant qu’ils s’accordent à la réalité. C’est la définition classique : la vérité comme correspondance du discours et du réel. Cela paraît aller de soi mais en fait pose bon nombre de problèmes :

- on pourrait se demander comment est possible une correspondance entre deux réalités de nature si distinctes que le langage et la réalité elle-même.
- a-t-on saisi là toute la nature de la réalité ? Quand on dit d’un raisonnement mathématique qu’il est vrai, avec quelle réalité extérieure à l’esprit le discours mathématique est-il en relation, en correspondance ?

Ne faut-il pas proposer deux définitions fondamentales, celles avancées par Kant dans la CRP ? la vérité comme correspondance du discours et du réel, et la vérité comme accord de la pensée avec elle-même, cad la vérité comme cohérence logique ?

Reprenons la première définition et essayons de voir les problèmes qu’elle pose.

On pourrait penser que nos idées ou notre discours est une sorte de copie ou d’image de la réalité, et qu’il suffit de vérifier la conformité de cette copie, comme lorsqu’on s’assure qu’un portrait ressemble bien à son modèle. Mais il y a une différence fondamentale entre ces deux situations : alors qu’un paysage et un tableau sont de même nature, tous deux également visibles, nos idées et notre discours sont fondamentalement différents en nature. Les propositions vraies ne sont pas des copies des faits.

Par exemple, la proposition “la terre est une sphère” est vraie, du moins approximativement, car la terre est aplatie aux deux pôles et renflée aux équateurs. Quand nous qualifions de vraie une telle proposition, que voulons-nous dire ? Nous disons qu’il y a un rapport entre la proposition et la réalité. Ce rapport n’est pas un rapport d’identité, car le mot “terre” n’est pas la terre. Les mots ne sont pas les choses. Le mot “terre” est un signe linguistique qui désigne la planète sur laquelle nous habitons.

La notion de sphère, quant à elle, est une notion mathématique parfaitement définie. La proposition “la terre est une sphère” revient à appliquer un concept mathématique à une réalité. Mais ce concept est-il adapté pour décrire cette réalité ?

Pour établir le rapport entre le concept et la réalité, nous avons simplifié les choses : nous avons gommé intellectuellement toutes les aspérités qui se trouvent à la surface de la terre. Cette manière de procéder est courante : c’est de cette façon que nous forgeons les mots dont nous nous servons. Pour pouvoir penser et nommer un objet, nous laissons de côté ce qui fait l’ensemble des particularités individuelles de cet objet et nous n’en retenons les traits généraux ou encore les traits qu’il présente en commun avec d’autres objets similaires.

Une fois que nous avons isolé ces traits, nous les mettons en relation avec autre chose. En face d’un stylo, nous disons qu’il est noir; or ce stylo a bien d’autres caractéristiques que sa couleur : il a une matière, une forme. A y bien regarder, nous ne saurions décrire par le discours tout ce qu’il y a de réalité dans le moindre objet, fût-il le plus simple et le plus familier. La réalité est inépuisable.

Remarque apparemment simple, mais qui a d’importantes conséquences. D’abord, cela permet de distinguer l’adjectif “vrai” de la notion de vérité. Des propositions vraies permettent de saisir un aspect de la réalité, une relation entre des choses. Mais l’énoncé n’est jamais qu’approximatif. La vérité, elle, si l’on entend par là la saisie du réel, est proprement inaccessible. Nous découvrirons toujours davantage d’aspects de la réalité, toujours davantage de relations entre les choses. Ce qui veut dire que la vérité est l’horizon du discours, mais que celui-ci ne pourra jamais énoncer la totalité du réel. Le vrai est un résultat toujours partiel de la recherche et de la connaissance, alors que la vérité est l’horizon de notre savoir.

Cela veut dire aussi que la vérité est le résultat d’une construction intellectuelle bien fondée. Si c’est notre discours qui est vrai, ce discours prend la forme de mots, de symboles, de formules chiffrées, toutes choses qui ne se trouvent pas dans le monde réel. Cela veut dire que notre discours vrai sur le réel ne ressemble pas au réel. Nous ne pouvons pas connaître la réalité telle qu’elle est en elle-même, mais toujours telle que l’esprit se la donne à connaître, avec les outils qui sont les siens et à travers les formes que notre raison donne à la réalité.

C’est la raison pour laquelle Kant dit que lorsqu’on définit la vérité comme accord ou correspondance du discours ou de la pensée et de la réalité, on ne donne en fait de la vérité qu’une définition nominale, cad une simple définition de dictionnaire, qui ne se pose pas la question de savoir comment est possible cet accord. Poser cette question reviendra en fait à réfléchir sur la connaissance, les conditions de possibilité de la connaissance de la réalité et les conditions de vérité de la connaissance.

Mais pour le moment, nous allons poser un autre problème. nous avons dit que la vérité est le résultat d’une construction intellectuelle. Mais il y a au moins un domaine dans lequel les idées, les signes qui les désignent et les objets à connaître sont identiques, c’est celui des mathématiques. Ce qu’on nomme vérité en mathématiques consiste dans l’accord de l’esprit avec lui-même ou avec ses propres règles. La proposition “deux plus deux font quatre” se déduit des définitions des nombres entiers et de l’addition. Cad que dans ce cas, la vérification, au sens de recours à l’expéience, ne s’impose pas.

Les mathématiques ne s’intéressent pas à ce que sont les choses, mais au seul fait qu’on peut les mettre en ordre et les mesurer. Quant à la logique, elle est la science des jugements en tant qu’ils s’appliquent à la distinction du vrai et du faux.

La logique naît avec Aristote, comme logique formelle, cad comme discipline qui définit quelles sont parmi les opérations de l’esprit (formation des concepts, des jugements, des raisonnements), celles qui sont valides, indépendamment de leur contenu, et en vertu de leur seule forme. La logique étudie la façon doit les jugements doivent d’enchaîner pour donner naissance à un raisonnement vrai. La logique est la discipline qui établit les règles du raisonnement correct. Ou encore, c’est “l’art de bien conduire sa raison”, pour reprendre l’expression du Traité de logique de Port-Royal. Le vrai doit être considéré comme une norme à laquelle nos raisonnements doivent se plier pour être justes.

On la nomme logique bivalente, cad qu’elle ne connaît que deux valeurs : le vrai et le faux, en vertu du principe du tiers-exclu, cad le principe qui dit qu’une proposition et sa contradictoire ne peuvent être vraies en même temps.

Il faut alors distinguer deux façons d’aborder le jugement et le raisonnement : le point de vue de la logique et celui de la psychologie. Ce qui intéressé le logicien, ce sont les raisons d’un jugement. Le psychologue lui ne se demande pas si un jugement est vrai ou faux, mais pourquoi il a été porté par telle personne, en telle circonstance. Le logicien cherche un fondement à nos jugements, alors que le psychologue en cherche l’origine.

On pourrait même ajouter que pour le psychologue, le jugement faux est pour lui beaucoup plus intéressant, parce qu’il lui apporte beaucoup d’informations sur la personnalité de celui qui vient de le proférer. Alors que celui qui porte un jugement vrai montre par là qu’il a pu se délivrer pour un moment des complexes, des passions, des habitudes, de tous ces facteurs proprement psychologiques qui sont susceptibles de fausser l’exercice de la pensée logique.

L’homme capable de formuler un jugement vrai est parvenu, pour reprendre une expression de Descartes, à “ajuster sa pensée au niveau de la raison”. Il s’identifie à la raison universelle, et par là, il échappe à l’investigation psychologique. Il n’y a qu’une manière de penser vrai sur un problème, et cette vérité vient non pas de nous-même, de notre personnalité singulière, mais de la structure objective de notre affirmation. En revanche, il y a mille façons de se tromper, et chacune est caractéristique de notre psychologie. Aristote disait que l’erreur était plurivoque. Nous sommes tout entier dans nos erreurs, alors que la vérité au sens logique est impersonnelle.

Cependant, la psychologie peut apporter beaucoup à la logique en montrant les mécanismes qui viennent perturber la pensée logique, ceux de l’imagination, de l’amour-propre, de l’intérêt, des passions. La recherche du vrai suppose une ascèse par laquelle se débarrasser des pièges de notre être psychologique. Les lois de la logique sont donc des lois de l’intelligence pure.

Aristote pose donc les fondements d’une science des formes du raisonnement. La forme d’une opération de l’entendement, c’est la nature du rapport qui relie entre eux les termes auxquels s’applique cette opération, abstraction faite de ce que sont ces termes en réalité, ou de ce à quoi ils renvoient dans la réalité.

C’est dans cet esprit qu’Aristote va dégager la première forme de raisonnement, le syllogisme. C’est un raisonnement qui permet, en partant de deux premières propositions qu’on appelle des prémisses, de tirer une conclusion. Dans un de ses textes consacrés à la logique et intitulé “Organon” (terme qui signifie étymologiquement instrument de travail, qui a donné également organe, orgue), Aristote donne la définition suivante :

“Le syllogisme est un discours dans lequel certaines choses étant posées, quelque chose d’autre que ces données en résulte nécessairement du seul fait de ces données.”

Partir du syllogisme traditionnel
- Tout homme est mortel
- Socrate est un homme
- Donc Socrate est mortel.

La validité de ce raisonnement n’est nullement dépendante du personnage sur lequel il porte. On pourrait mettre Platon ou n’importe qui à la place de Socrate. C’est la raison pour laquelle il serait possible de remplacer les mots de la langue quotidienne par de purs symboles dépourvus de référence dans la réalité : f, g, x. et dire :

- Tout f est g
- x est f
- Donc x est g.

On a donc affaire là à un schéma de raisonnement, et qui reste vrai, même si on remplace les symboles par des propositions qui elles ne correspondent pas à la réalité. (prendre des exemples) Le syllogisme est toujours vrai, et une telle vérité, on l’appelera une tautologie.
Il faut donc bien distinguer pensée intuitive et pensée discursive. Nous avons dit que le raisonnement logique se caractérise par sa forme, cad par la manière dont sont liées entre elles les propositions. Mais le contenu de chaque proposition est connu par intuition. L’intuition est une connaissance directe.

Kant définit l’intuition comme “une connaissance se rapportant immédiatement à des objets”. Par exemple, l’intuition sensible est la connaissance immédiate que me donnent les organes des sens; j’éprouve qu’il faut chaud ou froid, que le mur est blanc etc... L’intuition est une vision directe, sans intermédiaire.

Par contre, le raisonnement se distingue de l’intuition parce qu’il exige des détours, des médiations, que l’intuition exclut. L’intuition nous révèle des réalités singulières, des êtres concrets, le raisonnement circule à travers des concepts. Un concept se caractérise par deux points : sa compréhension et son extension. La compréhension d’un concept, c’est l’ensemble des caractères qui le définissent. L’extension d’un concept, c’est l’nsemble des individus auxquels il s’applique.

L’extension et la compréhension varient en sens inverse. Ainsi, l’idée d’homme a une compréhension plus riche que celle de mortel, cad que l’homme , outre les caractères généraux du mortel, a des caractéristiques spécifiques, propres à son espèce. Je dirai par exemple que l’homme est un mortel raisonnable. Mais par là même, l’idée d’homme a une extension moindre que l’idée de mortel, cad qu’il y a moins d’hommes que de mortels.
C’est cette possibilité de hiérarchiser les concepts qui permet le syllogisme. Puisque les hommes font partie de la classe des mortels, Socrate, qui appartient à la classe des hommes, fait donc partie de la classe des mortels. Le syllogisme repose sur un emboîtement de classes, représenté au 18° par le mathématicien Euler par des cercles concentriques.

Le raisonnement portant sur des concepts exige le langage. C’est pourquoi le raisonnement est appelé discursif. Le terme discursif évoque le rôle fondamental du langage. Pas de concept sans mot. Le raisonnement, fondé sur le langage est communicable, tandis que l’intuition, qui porte sur une réalité singulière, est ineffable. Bergson disait : “elle coïncide avec l’objet, en ce qu’il a d’unique et par conséquent d’inéxprimable.”

Je pourrais faire un cours d’optique à un aveugle-né intelligent, le faire raisonner à partir des définitions et des relations mathématiques énoncées dans cette science, mais je ne pourrait pas lui faire partager mon intuition de la couleur. Les mots ne peuvent traduire cette expérience particulière. Pour saisir ce que j’éprouve en disant “ cet objet est rouge”, il faudrait qu’il soit lui-même voyant, qu’il puisse faire l’expérience de la couleur. Donc l’intuition est inexprimable parce que singulière et concrète alors que le raisonnement porte sur des relations abstraites et générales. Je ne saurai jamais si votre vision de la couleur rouge est la même que la mienne, mais je peux savoir si vous faites correspondre le mot rouge au mêmes objets que moi. Nous pouvons donc nous entendre sur les mots et raisonner à partir d’eux.

Autre conséquence : un raisonnement peut être matériellement faux et pourtant formellement correct. Et inversement, un raisonnement peut correspondre à notre intuition de la réalité et être formellement incorrect.

Le syllogisme suivant :
- tous les hommes sont des vertébrés
- or je suis un vertébré
- donc je suis un homme.
C’est un syllogisme logiquement incorrect. Transposition :
- tous les hommes sont des vertébrés
- or mon chien est un vertébré
- donc mon chien est un homme

La fausseté matérielle d la conclusion ne vient pas de la fausseté des prémisses, puisqu’elles sont toutes les deux correctes matériellement, mais d’une faute dans le raisonnement. Des deux premières prémisses, je ne peux rien conclure, parce que la première et la deuxième proposition ont le même attribut. Le raisonnement syllogistique est une déduction a priori, cad indépendante de l’expérience. C’est par la seule vertu du raisonnement que je tire des conclusions à partir de prémisses. Et la conclusion est rigoureusement nécessaire, cad qu’elle ne peut pas ne pas être. Et si elle est nécessaire, c’est parce qu’elle dit la même chose que les prémisses. Conclure autrement serait me contredire.

De la même manière, la vérité mathématique signifie accord de la pensée avec elle-même, ou encore non-contradiction. Il faut considérer que les mathématiques sont une science qui procède, comme le dit Kant par “construction de concepts”. Les définitions mathématiques s’opposent radicalement aux définitions empiriques, car les êtres mathématiques ne sont pas des objets qu’on découvre dans la nature.

Les définitions empiriques sont de simples descriptions de choses existant avant elles. Elles nécessitent un certain travail de l’esprit, d’observation et de classification. Par exemple la définition du naturaliste qui définira l’oiseau comme un vertébré ovipare qui a des ailes et des plumes. Cependant, le polygone et le triangle ne sont pas comme l’oiseau des réalités empiriques. Alors que la définition mathématique du cercle crée le cercle. Définir le cercle comme la figure décrite par un point en mouvement dans un plan, toujours à égale distance d’un point fixe appelé centre, c’est construire et créer le cercle. Il n’est même pas nécessaire que quelque chose de concret lui corresponde (les nombres négatifs, les nombres imaginaires).

Les mathématiques sont une science hypothético-déductive, cad un domaine du savoir où tout ce qui est établit procède d’enchaînements déductifs. Un raisonnement est déductif lorsqu’il énonce logiquement une conclusion nécessaire à partir de propositions de départ données.

La déduction s’oppose à l’induction, qui consiste à passer du particulier à l’universel, c’est-à-dire des faits aux lois, d’un petit nombre de faits observés à la formulation d’une loi universelle; donner l’exemple des cygnes. L’induction procède donc à une généralisation. L’on pourrait se poser la question de la valeur de l’induction.

Du point de vue logique, l’induction n’est qu’un faux raisonnement. L’induction consiste à aller au-delà de ce qui est constaté, à dire plus que nous n’avons vu. Le philosophe anglais David Hume (1711-1776) a montré que l’induction relevait beaucoup plus d’une illusion psychologique que d’un raisonnement logique. C’est l’habitude qui nous fait croire qu’un fait que nous avons constaté fréquemment doit nécessairement se reproduire.

L’induction du poulet qui découvre une relation constante entre la main de la fermière et le grain qui le nourrit, jusqu’au jour où la main de la fermière vient lui tordre le cou. De multiples constatations permettaient d’induire que tous les cygnes étaient blancs. Nous savons que c’est faux depuis que nous avons découvert les cygnes noirs en Australie. Pour que le raisonnement inductif soit valable, il aurait fallu déduire la blancheur des plumes des autres caractères du cygne, ce qui est impossible.

Maintenant, pourquoi hypothético-déductives ? Parce que le raisonnement mathématique part de vérités de départ qu’on appelle des postulats et des axiomes. On définit l’axiome comme une proposition indémontrable parce qu’évidente et admise comme point de départ d’un raisonnement. Le postulat est une proposition que l’on demande d’admettre comme point de départ parce qu’elle n’est ni évidente ni démontrable. Exemple : le postulat d’Euclide qui dit que par un point extérieur à une droite, on ne peut faire passer qu’une parallèle et une seule. (continuer Khodoss page 263)

Mais il est possible de construire des systèmes mathématiques ou géométriques à partir d’ensemble d’axiomes et de postulats différents les uns des autres : ce sera le cas des géométries non-euclidiennes, qui partent d’autres points de départ que ceux de la géométrie d’Euclide, et dans lesquelles on aura des triangles dont la somme des angles sera inférieure ou supérieure à 180°; elles sont en contradiction avec nos évidences intuitives, mais cependant vraies, parce que rigoureusement déduites des axiomes de départ.

Donc, la vérité des mathématiques ou de la logique ne concerne que la forme du raisonnement et pas la correspondance avec le monde extérieur à notre esprit. On comprend donc que la vérité devra avoir un autre sens lorsqu’elle concernera les discours qui portent sur le réel en dehors de notre esprit, comme les sciences de la nature, qui ne peuvent se contenter de la rigueur démonstrative. Ce qu’a montré Kant en distinguant vérité formelle et vérité matérielle et en montrant qu’il ne suffit pas de bien penser ou de bien raisonner, cad de raisonner logiquement pour connaître. Puis il faudra montrer comment est possible le rapport de notre esprit à la réalité à connaître, pour ensuite se demander comment est possible une connaissance vraie de la réalité.

Explication du texte de Kant.

Kant veut nous faire comprendre qu’il ne suffit pas de bien raisonner pour connaître. Il faut maintenant se demander comment une connaissance vraie de la réalité en dehors de nous est possible. Ce qui revient à s’interroger sur les rapports de la pensée et de la réalité. Comment peut s’effectuer le rapport entre l’objet connu et le sujet qui connaît ?

(Faut-il raisonner en termes empiristes ? Cad affirmer que l’experience est la seule source possible de notre connaissance. Ou raisonner comme le rationalisme kantien en montrant que dans l’acte de la connaissance, notre raison est active, et construit elle-même l’objet qu’elle va connaître ?

Le principe fondamental de l’empirisme consiste à dire qu’il n’y a rien dans l’entendement qui n’ait son origine et son fondement dans les observations que nous faisons sur les objets extérieurs et sensibles (cad qui se donnent à nos sens) ou sur les opérations intérieures de notre âme. Un peu comme si l’esprit était une sorte de tableau blanc qui reçoive des impressions sensibles, et en les combinant, élabore des idées de plus en plus complexes, qui constitueraient alors notre connaissance.)

L’empirisme suffit-il pour rendre compte de la connaissance scientifique de la nature ? Nous avons vu, à propos des mathématiques, qu’elles sont une science hypothético-déductive : le mathématicien se donne un système de définitions et d’axiomes, et de ces hypothèses de départ, il tire toute une série de conséquences. Il suffit que les axiomes de départ soient indépendants et compatibles, et que les théorèmes qui en découlent soient correctement déduits. En tout ceci, le mathématicien n’a affaire qu’à des conventions qu’il a lui-même posées, et aux enchaînements logiques de sa propre pensée. C’est pourquoi le monde mathématique est entièrement transparent à l’esprit qui l’a créé.

Tout au contraire, les sciences de la nature se présentent comme un effort pour connaître le monde réel, comme une exploration de la nature. On dit souvent que ce sont des sciences d’observation, qui portent sur des faits. Mais peut-on dire que l’expérience sensible est la seule source possible de la connaissance, et que la démarche du scientifique se contente d’enregistrer passivement ce qui est ?

On pourrait déjà faire remarquer que les sciences de la matière ne sont pas une accumulation de constatations empiriques. Il ne s’agit pas de collectionner les faits, mais de les coordonner, de les expliquer, cad de mettre à jour des lois, cad des relations régulières et nécessaires entre les phénomènes. Les sciences ne prétendent pas dire pourquoi se déroulent les phénomènes, mais seulement comment ils le font. Affirmation qu les mêmes causes engendrent les mêmes effets. Principe de déterminisme, qui consiste à dire que l’apparition d’un phénomène est strictement déterminée par des conditions d’existence bien définies. Le phénomène ne se produit que si elles sont réalisées, mais alors il se produit nécessairement.

Or, l’empirisme remet en question la notion même de loi, en mettant en cause la notion de causalité; or, si la notion de loi, par laquelle nous prétendons expliquer la réalité n’a pas de valeur, c’est tout l’édifice de la science qui perd sa pertinence. Voila comment se met en place la critique de la causalité par l’empirisme de Hume.

Hume pose une question-clef pour la philosophie de la connaissance : d’où vient la certitude que ce que nous apprenons de l’expérience correspond bien à la façon dont elles se passent dans la réalité ? C’est ainsi que la répétition des expériences nous fait croire qu’il y a entre les faits, les événements, des relations de cause à effet. Cependant, cette relation constatée ne suffit pas à établir de façon indiscutable l’existence de lois causales dans la nature.

Argumentation de Hume : dans la vie quotidienne, nous ne cessons, quand nous nous référons à des faits, de supposer entre eux des connexions telles qu’ils doivent se produire selon des lois causales, cad selon un ordre invariable et nécessaire. Notre croyance la plus commune présuppose que le futur ressemblera au passé, et qu’une même cause produira toujours les mêmes effets. C’est un fait que l’eau gèle par grand froid, et chaque homme qui a constaté ce fait croit que le prochain grand froid produira le même effet. Il est donc remarquable que notre croyance naturelle dépasse toujours l’évidence des sens et de notre mémoire. En effet, quand nous disons que le prochain grand froid fera geler le lac, nous disons quelque chose sur le futur, cad sur quelque chose dont nous n’avons pas encore fait l’expérience. D’où vient cette certitude en nous ?

Pouvons nous dire que nous pouvons connaître l’effet d’une chose par l’analyse de l’idée de cette chose , sans consulter l’expérience ? Pour répondre à cette question, imaginons la situation d’un homme qui se trouverait pour la première fois devant un objet dont il n’aurait jamais vu quel effet peut en résulter. C’est donc une fiction, une hypothèse. Cet homme, pourrait-il, par le seul pouvoir de son esprit, tirer de l’idée d’une chose, l’idée de l’effet qu’elle peut produire ? (comme en logique, on tire une conséquence d’un principe)

Imaginons le spectateur du spectacle entièrement nouveau pour lui du jeu de billard et des mouvements des boules. S’il regarde la rencontre de deux boules et le choc de la première avec la seconde, peut-il deviner que la seconde va être mise en mouvement ? Pas du tout. A priori, par analyse, par la raison seule, nous ne pouvons connaître le moindre effet. De la même façon que le roi de Siam, dit Hume, ne pouvait croire, avant de l’avoir vu, que l’eau d’un lac pouvait se congeler jusqu’à pouvoir supporter le poids de ses éléphants. Donc seule l’expérience peut nous apporter la connaissance d’un effet.

Nous ne pouvons déduire l’effet de l’idée de sa cause. Inversement, il n’y a aucune contradiction à penser qu’un morceau de métal ou une pierre sans support reste en l’air. Certes, un tel événement nous étonnerait, mais simplement parce qu’il est contraire à notre expérience, et non pas parce qu’il est logiquement contradictoire. Autrement dit, l’idée de chute n’est pas analytiquement incluse dans l’idée de la pierre. De même, il n’y a rien de logique ou de rationnel dans le fait que la chaleur fait fondre la glace mais au contraire durcit l’argile, ou que la glace est l’effet du froid et la cristal l’effet de la chaleur. Donc, nous ne saurions découvrir a priori de telles relations entre les faits. La cause n’est pas la raison d’un phénomène.

Plaçons nous de nouveau dans l’hypothèse d’un homme qui assisterait pour la première fois à un phénomène. “La première fois qu’un homme vit le mouvement se communiquer par l’impulsion, par exemple le choc de deux billes de billard, il ne put affirmer que l’un des deux était en connexion avec l’autre; il affirma seulement qu’il y avait conjonction.” Ce n’est donc pas plus l’évidence des sens que la raison seule qui nous fait affirmer la liaison causale : elle n’est pas plus a posteriori qu’a priori.

Mais après avoir vu les mêmes événements se succéder plusieurs fois, ne sommes-nous pas instruits, par l’expérience, d’une relation causale ? Ne sommes-nous pas en droit d’inférer que désormais les choses se passeront toujours nécessairement de la même manière ? C’est bien ainsi que nous réagissons. Mais que s’est-il passé pour que nous réagissions ainsi ? Hume demande ce qui a changé entre la première fois que nous voyons cette conjonction et la millième. La millième fois, nous ne voyons rien de plus que la première, et par conséquent notre croyance en la relation causale ne vient ni de l’objet ni de la connaissance que nous en avons par les sens.

Quand nous avons vu plusieurs fois la même conjonction, nous concluons qu’il y a connexion nécessaire et qu’à l’avenir il en ira de même, mais nous disons ainsi plus que nous pouvons voir et savoir. Nous présupposons que l’avenir ressemblera au passé, ce que l’expérience ne peut manifestement pas montrer; l’expérience ne peut nous montrer qu’une chose : c’est que jusqu’ici les choses ont toujours suivi le même train, mais elle ne peut rien nous dire sur le futur, qui n’existe pas encore.

Cela veut dire que notre croyance en la causalité ou en la ressemblance du passé et du futur ne repose sur aucune intuition ou démonstration, elle dépasse l’expérience. Ni la raison ni l’expérience ne peuvent justifier notre croyance en la causalité. Cependant, nous n’en doutons pas un instant. Nous en sommes intimement convaincus, mais une croyance n’est pas une raison, ni une justification. Il faut alors se demander ce qui peut bien nous pousser à affirmer qu’il y a des connexions nécessaires entre les événements.

Toutes les fois qu’un acte ou une opération de l’esprit se répète, nous disons que c’est l’effet de l’habitude. C’est donc une disposition simplement psychologique, l’habitude, qui nous fait comprendre pourquoi, après avoir vu mille fois une chose en suivre une autre, nous ne pouvons nous empêcher, quand la première apparaît, d’attendre ou d’imaginer la seconde.

C’est l’imagination qui associe deux idées et l’habitude donne à cette liaison subjective une force qui s’impose à nous. Et c’est ce sentiment qui nous fait croire qu’il y a connexion nécessaire. L’habitude produit le passage entre la liaison subjective entre deux idées à la croyance à la liaison objective entre deux choses.

Notre croyance en la liaison causale a pour principe (ce qui ne veut pas dire justification) l’expérience, cad qu’il a fallu voir plusieurs fois la même répétition, et l’habitude, qui nous fait transformer la conjonction en connexion.

Cette critique de la causalité a des conséquences importantes : cela veut dire que même la connaissance scientifique, qui prétend mettre à jour les lois auxquels obéissent les phénomènes, repose en dernière instance sur une simple croyance. Elle n’aurait pas de fondement rationnel, mais un simple soubassement psychologique. C’est pourquoi la démarche de Hume le conduit inévitablement à une conclusion sceptique. Il est impossible de fonder rationnellement nos croyances. Cela ne veut pas dire que Hume doute que le soleil par exemple se lève demain ou qu’il se brûle s’il met sa main dans le feu, mais il veut dire que ces croyances ne sont pas justifiables. Dans l’enquête sur l’entendement humain de 1748, Hume dit : “ Le soleil ne se lèvera pas demain, cette proposition n’est pas moins intelligible et elle n’implique pas plus contradiction que l’affirmation : il se lèvera. Nous tenterions donc en vain d’en démontrer la fausseté. Si elle était démonstrativement fausse, elle impliquerait contradiction, et l’esprit ne pourrait jamais la concevoir distinctement.” Ce qui revient à propos de la connaissance scientifique à remettre en doute la nécessité et l’universalité des lois causales.

Kant va dépasser l’impasse dans laquelle Hume s’est enfermé, en montrant que la connaissance scientifique de la réalité est possible, qu’elle est fondée sur la mise à jour de lois qui sont bien des relations nécessaires entre des causes et des effets.

L’idée de cause est bien l’idée d’une liaison nécessaire entre cause et effet. Mais Kant admet avec Hume que cette idée ne peut être tirée de l’expérience. Mais elle n’en a pas moins une valeur. Quelle peut bien alors en être la source ? Pour Kant, cette idée est a priori, c’est-à-dire qu’elle est produite purement par la raison.

C’est la théorie kantienne de la connaissance, qui va éviter à la fois l’empirisme qui consiste à dire que toutes nos connaissances proviennent des sens, et l’attitude qui consiste à dire que la raison pourrait tirer d’elle-même, purement, sans aucun rapport à l’expérience, toute la connaissance.

La démarche de Kant consiste à montrer que pour qu’il y ait connaissance, il faut la coopération de deux choses : l’expérience, qui nous apporte des données des sens, et l’entendement, qui comporte des catégories a priori, qui vont mettre en forme les données brutes qui nous sont données par les sens. S’il n’y avait que les données des sens, nous ne pourrions rien connaître, puisque connaître, c’est établir des relations nécessaires entre les phénomènes, nous n’aurions qu’un chaos d’impressions sensibles. Mais inversement, si la raison était seule, elle serait aveugle, et n’aurait aucun matériau sur lequel s’exercer.

Kant fait la distinction entre “commencer par l’expérience” et “dériver de l’expérience”. Pour l’empiriste, toute notre connaissance dérive des sens, mais ne possède alors aucun fondement, aucune justification.

Kant admet que toute notre connaissance commence avec l’expérience, sur le plan temporel, pourrait-on dire.
“ En effet, par quoi notre pouvoir de connaître pourrait-il être éveillé et mis en action, si ce n’est par des objets qui frappent nos sens et qui, d’une part, produisent par eux-mêmes des représentations et d’autre part, mettent en mouvement notre faculté intellectuelle, afin qu’elle compare, lie ou sépare ces représentations, et travaille ainsi la matière brute des impressions sensibles pour en tirer une connaissance des objets, celle qu’on nomme l’expérience ? Ainsi, chronologiquement, aucune connaissance ne précède en nous l’expérience et c’est avec elle que toutes commencent.”

Mais ces impressions doivent être mises en forme par les catégories a priori de notre entendement. Ainsi, on comprend la nature des jugements qui constituent la connaissance scientifique de la réalité : ce sont des jugements synthétiques a priori. Cad ?

Nous avons déjà dit que connaître, c’était juger, cad mettre un cas particulier sous une règle générale, comme par exemple : tous les hommes sont mortels. Or, il faut distinguer plusieurs types de jugement : les jugements analytiques et les jugements synthétiques.

Un jugement analytique est un jugement qui ne fait qu’exposer ce qui est déjà contenu dans le concept, comme dans le jugement suivant : tous les chats sont des félins. En disant cela, je n’ai rien appris de nouveau, puisque “félin” fait partie de la définition de “chat”. Dans un jugement analytique, je ne fais qu’expliciter le concept dont je me sers, mais je n’enrichit pas ma connaissance.

Si je veux connaître quelque chose, il faut que je sois en mesure de lier entre eux deux concepts différents, en d’autres termes, il faut que je fasse une synthèse (qui veut dire “poser ensemble”), par exemple : le mur est blanc. En effet, la blancheur n’est pas comprise dans le concept de mur. Quand je dis qu’il est blanc j’ajoute quelque chose à ce qui est simplement contenu dans le concept de mur.

Les jugements analytiques sont sans fécondité, ils ne font pas avancer la connaissance, mais ils possèdent le caractère de la nécessité : ils n’ont pas besoin du recours à l’expérience, ils sont donc a priori. Les jugements synthétiques eux sont féconds, ils enrichissent notre connaissance, mais ils ne peuvent être produits qu’à partir d’une expérience. Ils sont donc empiriques et a posteriori. Pour accomplir une synthèse, il faut donc plus qu’un concept, il faut que quelque chose soit donné à nos sens dans une intuition sensible. Mais comme l’a très bien montré Hume, l’expérience sensible ne permet pas de fonder une connaissance nécessaire : un mur n’est pas nécessairement blanc.

Cependant, il y a des jugements synthétiques d’un autre type ; ceux que l’on rencontre dans les sciences de la nature : ce sont des jugements qui présentent le caractère de la nécessité et cependant qui ne sont pas analytiques.

- tous les corps sont étendus : jugement analytique
- tous les corps sont pesants : jugement synthétique a posteriori
- tout ce qui arrive a une cause : jugement synthétique a priori.

La question que pose alors l’existence de la connaissance scientifique à la philosophie, qui essaie de mettre à jour les conditions de possibilité de la connaissance est celui-ci : comment des jugements synthétiques a priori sont -ils possibles ?

Ce serait incompréhensible si on oubliait que l’objet que connaît la science n’était pas l’objet tel qu’il est en lui-même, mais l’objet tel qu’il est pour nous, tel qu’il est structuré par notre faculté de connaître. La causalité, par exemple, est une catégorie a priori, elle est ce qui va nous permettre de lier les phénomènes entre eux et ainsi les rendre connaissables pour nous.

L’objet que la science peut connaître, ce n’est pas la réalité telle qu’elle est en soi; indépendamment de notre faculté de connaître, nous ne pouvons rien saisir de la réalité. L’objet, c’est la diversité des impressions qui viennent des sens, cad de l’expérience, mais qui est unifiée, structurée par les catégories a priori de l’entendement. L’objet, c’est le phénomène, que Kant distingue de la chose en soi ou noumène, dont la seule chose qu’on puisse dire est qu’elle existe, mais dont on ne peut rien connaître.

Cela permet de comprendre que ce qu’on appelle la nature n’est pas une réalité qui existe indépendamment de nous. Bien sûr, avant nous et en dehors de nous, il y a bien quelque chose; mais ce qu’on appelle nature dans les sciences de la nature, c’est l’ordre que notre esprit, notre entendement a introduit dans la réalité pour la rendre connaissable. La nature, ce n’est pas la réalité effective telle qu’elle existe en soi, mais la la liaison des phénomènes physiques sous des lois qui règlent leur cours. Or ces lois, ce ne sont pas des propriétés des choses, mais la façon dont notre esprit ordonne la réalité pour qu’elle soit connaissable pour nous.

L’unité de la nature, c’est en fait l’unité que notre esprit introduit dans le cours des choses. “C’est donc nous même qui introduisons l’ordre et la régularité dans les phénomènes que nous nommons nature, et nous ne pourrions les y trouver, s’ils n’y avaient été mis originairement par nous ou par la nature de notre esprit.” Cela permet donc de comprendre que dans la connaissance, l’esprit est actif, il ne se contente pas de recevoir simplement l’empreinte du monde extérieur, un peu comme si des choses pouvaient venir s’imprimer sur un morceau de cire vierge.
On peut donc dire que la connaissance que nous avons du monde est relative à la structure de notre faculté de connaître, mais cela n’implique aucun “relativisme”. On parlera de relativisme pour le doctrines qui pensent qu’il n’y a pas de connaissance objective possible, que tout ce que nous pouvons connaître des choses porte l’empreinte de nos particularités individuelles. C’est le cas du sceptique Aenésidème, mais pas celui de Kant. Pour ce dernier, la connaissance scientifique vaut identiquement pour tous les sujets connaissant, étant donné que tous sont dotés de la même faculté de connaître. Et comme nous le verrons, l’objectivité de la connaissance peut être établie par des procédures de vérification expérimentale, valant pour tout être doué de raison.

Le fait que nous ne puissions connaître que les phénomènes ne veut pas dire que notre connaissance soit illusoire. Il ne faut pas confondre “phénomène” et “apparence”. L’apparence peut être trompeuse : de loin, nous voyons une tour ronde, nous nous approchons et nous découvrons qu’elle était carrée. En ce sens l’apparence était trompeuse. Mais une fois cette apparence dépassée, nous ne pourrons de toute façon jamais connaître que le phénomène de la tour, c’est-à-dire telle qu’elle peut être saisie par notre faculté de connaissance. Donc la connaissance phénoménale peut être vraie.

Le fait que c’est l’esprit qui construit l’objet qu’il connaît (ce n’est pas une table rase) permet également de comprendre un autre aspect de la connaissance scientifique de la nature : c’est que ce soit une connaissance mathématisée. Comment en effet appliquer les mathématiques, qui sont un produit de notre raison (les mathématiques procèdent par construction de concepts), à la réalité naturelle ?

On pourrait effectivement se demander comment il se fait que des spéculations mathématiques abstraites, purement théoriques, puissent si bien traduire la réalité. Comment rendre compte de cet accord entre l’intelligence mathématique et le réel ? Einstein disait : “ce qu’il y a d’incompréhensible, c’est que le monde soit compréhensible.”

Toutes les sciences de la nature utilisent l’outil mathématique. Kepler découvre que la trajectoire de Mars est une ellipse, cad une des sections coniques dont le mathématicien Apollonius avait dès le troisième siècle avant J-C étudié les propriétés géométriques. Galilée donne l’expression algébrique de la chute des corps; Descartes utilise les relations trigonométriques pour exprimer les lois de la réfraction en optique. La biologie moderne utilise le calcul des probabilités pour étudier la distribution statistique des caractères héréditaires etc...

Un empiriste ne saurait rendre compte de cette correspondance entre le réel et l’outil mathématique. Mais si on admet avec Kant que l’esprit ne retrouve dans le monde que les relations qu’il y a lui-même introduites, le problème peut être résolu, et il n’y a plus de miracle. Ce n’est pas que la nature serait écrite en langage mathématique, puisque les nombres par exemple n’ont de réalité que dans notre esprit. Mais l’esprit construit mathématiquement la réalité connaissable. Pour reprendre le mot de Kant, l’esprit ne retrouve dans la nature que ce qu’il a mis lui-même. Mais il faut abandonner en même temps abandonner la prétention naïve à connaître la réalité telle qu’elle est en elle-même. Malgré tous les progrès de la connaissance scientifique, nous ne connaîtrons jamais que les phénomènes.

Dans la seconde préface (1787) de la critique de la raison pure, Kant prend acte de la révolution méthodologique apportée par les inventeurs de la physique nouvelle, en particulier Galilée. Pour ces derniers, la connaissance n’est plus un tâtonnement, elle devient une question qu’elle pose à la nature. La nature par elle-même est muette, elle ne nous dit rien, ne nous apporte aucun savoir. Il faut l’interroger.

“ Ils (les physiciens) comprirent que la raison ne voit que ce qu’elle produit elle-même d’aprés ses propres plans et qu’elle doit prendre les devants avec les principes qui déterminent ses jugements, suivant des lois immuables, qu’elle doit obliger la nature à répondre à ses questions et ne pas se laisser conduire pour ainsi dire en laisse par elle; car autrement, faites au hasard et sans aucun plan tracé d’avance, nos observations ne se rattacheraient point à une loi nécessaire, chose que la raison demande et dont elle a besoin. Il faut donc que la raison se présente à la nature, tenant, d’une main, ses principes qui seuls peuvent donner aux phénomènes concordant entre eux l’autorité de lois, et de l’autre, l’expérimentation qu’elle a imaginée d’aprés ces principes, pour être instruite par elle, il est vrai, mais non pas comme un écolier qui se laisse dire tout ce qu’il plaît au maître, mais, au contraire, comme un juge en fonction qui force les témoins à répondre aux questions qu’il leur pose.”

On a parlé à propos de Kant de “révolution copernicienne”, en faisant référence à l’astronome Polonais Copernic : ce dernier avait inversé les positions respectives de la terre et du soleil dans l’univers; dans l’univers de la connaissance, il faut faire de même, changer de centre, et et faire du sujet connaissant et non de l’objet la véritable origine du savoir.

Maintenant, nous allons essayer de comprendre comment est possible la connaissance vraie de la nature, en interrogeant la démarche expérimentale des sciences de la nature. La simple observation de la réalité serait impuissante à elle seule à faire naître la connaissance scientifique, et le hasard non plus. Autrement dit, il faut une démarche rationnelle que l’on peut appeler la méthode expérimentale.
On a l’habitude de la décrire comme une méthode à trois temps :
-observation des faits
-formulation d’une hypothèse conjecturale qu’on nomme une hypothèse
-vérification de l’hypothèse par le moyen de la construction d’une expérimentation scientifique.

D’abord, l’observation des faits. Il n’est pas complètement exact de dire que la science part des faits. Il n’y a pas de faits purs, de faits bruts. Même aux époques historiques les plus reculées, les hommes ont proposé des pseudo-explications de la réalité, de type religieux ou mythique, par exemple. De telles tentatives peuvent n’avoir rien de scientifique, mais elles traduisent une tendance de l’esprit humain à chercher à dépasser le donné pour essayer de le rendre intelligible.

Le fait dont part le savant, ce peut être la contradiction entre la théorie admise par une époque et un phénomène qui ne concorde pas avec cette théorie. Le point de départ n’est pas un fait empirique brut, mais un problème qui se pose à l’esprit du savant. Par exemple, en 1643, les fontainiers de Florence, en tirant l’eau de citernes au moyen de pompes aspirantes, constatent qu’au-delà d’une certaine hauteur, l’eau ne monte plus dans la pompe pourtant vide. Cela contredit la théorie admise à l’époque : la nature a horreur du vide. Ce fait constitue un problème que les physiciens du temps s’attacheront à expliquer. Ils y parviendront en formulant l’hypothèse d’une pression atmosphérique. Cette contradiction entre une théorie et un fait est ce que Bachelard appelle un “fait polémique”. (1884-1962) On voit déjà que le fait n’est pas simplement quelque chose de costatable, il est le résultat d’une élaboration intellectuelle.

Bachelard d’autre part fait observer que l’observation naïve de la nature est un “obstacle épistémologique”; cad un obstacle qui empêche l’apparition de la connaissance scientifique. En effet les sens nous donnent à percevoir une réalité diverse, bigarrée, hétérogène. Or connaître, c’est aller au-delà de cette apparence sensible, pour saisir les régularités, les relations régulières entre les phénomènes.

C’est la raison pour laquelle la connaissance et ses progrès ne partent pas de rien. Ce qui est premier, c’est l’erreur dont il faut se débarrasser. L’esprit, dit Bachelard n’est jamais jeune, il a toujours l’âge de ses préjugés. La connaissance scientifique est donc un dépassement permanent d’erreurs périmées. Plus la connaissance scientifique progresse, et plus les faits s’éloignent de ce qui est simplement accessible à nos sens, plus ils sont conceptuellement élaborés.

Maintenant, la formulation de l’hypothèse. Pour les empiristes, l’hypothèse est directement suggérée par les faits, il suffirait d’observer de plus en plus minutieusement la réalité pour voir l’hypothèse s’imposer d’elle-même. Mais c’est une illusion, parce que l’empiriste croit que la nature offre spontanément à l’observateur tous ses phénomènes. En réalité, la cause d’un phénomène que l’on cherche à expliquer est souvent cachée, et il faut commencer par la supposer, l’imaginer.

Reprenons le cas des fontaines de Florence : le seul fait directement perceptible, c’est la hauteur de l’eau dans les pompes. Il faut alors risquer une hypothèse pour rendre compte du fait que l’eau ne monte pas au-dessus d’une certaine hauteur. Torricelli propose l’hypothèse de l’existence d’une pression atmosphérique, qui empêche la montée de l’eau. Il a supposé que l’athmosphère forme au-dessus de la surface terrestre une colonne d’un poids déterminé dont la pression sur les corps placés à cette surface s’exerçait exactement comme celle des corps solides ou liquides.

Hypothèse qui va contre l’évidence du sens commun : l’air n’a pas de poids. C’est donc un acte de l’imagination, puisque cette pression ne se donne pas spontanément aux sens. Elle est une construction de l’esprit. Cela permet de faire comprendre le rôle productif de l’imagination dans la construction de la connaissance scientifique. Elle n’est pas seulement productrice d’erreurs ou d’illusions. L’hypothèse est donc un effort de l’intelligence pour résoudre la contradiction proposée par un fait polémique. Elle est une question que le savant pose à la nature.

Mais l’hypothèse n’a de signification scientifique que si elle est vérifiable. C’est-à-dire qu’il faut maintenant retourner à l’expérience. Mais l’expérience scientifique est plutôt ce qu’on pourrait appeler une expérimentation, et non pas la simple expérience naïve que les empiristes prétendaient mettre au point de départ de la connaissance. L’expérience naïve consiste à croire que nos sens laissés à eux-mêmes sont capables de nous instruire, alors que l’expérimentation est une construction rationnelle, guidée par une hypothèse théorique.

L’expérimentation consiste à agir sur la cause supposée d’un phénomène pour provoquer ou supprimer ce phénomène. Prendre l’hypothèse de l’existence de la pression atmosphérique et la vérification de cette hypothèse par Blaise Pascal. Il s’agit pour lui de raisonner ainsi : si c’est bien la pression atmosphérique qui empêche l’eau de monter dans les pompes aspirantes au-delà d’une certaine hauteur, alors cette hauteur devrait logiquement diminuer en raison directe de l’altitude on place les pompes. Pascal va faire cette expérience avec un tube à mercure : il va faire mesurer la hauteur du mercure dans un tube à deux endroits différents placés à des altitudes différentes : un au sommet de la tour Saint Jacques à Paris, et un autre au sommet du Puy de Dôme, dans le massif central. Il peut alors vérifier que la hauteur du mercure dans le tube diminue avec l’altitude, et l’hypothèse est vérifiée. On voit donc qu’il y a dans les sciences de la matière une démarche hypothético-déductive, comme dans les sciences mathématiques, mais que ce raisonnement ne se suffit pas à lui-même. Il faut qu’il passe un test expérimental pour être admis dans la connaissance scientifique.

Maintenant, nous pourrions nous demander quelle est la valeur de ce schéma classique qui pense pouvoir rendre compte de la connaissance scientifique et de sa vérité.

On pourrait se poser deux questions : est-il vrai que la première étape de la connaissance scientifique soit l’observation ? Est-il vrai que l’expérimentation construite par le savant prouve la vérité de l’hypothèse ?

Pour reprendre la première question. On pourrait dire que plus la connaissance scientifique progresse, plus le rapport entre les théories et leur “assise observationnelle” se distend. Ainsi la physique moderne est extrêmement abstraite, très mathématisée, et il est très difficile de montrer le lien avec l’observation. De plus, c’est parfois au nom de l’observation de la réalité que l’on a opposé des objections contre des théories par la suite admises comme scientifiques : ainsi l’anglais Bacon faisait remarquer que le système coprenicien, qui plaçait le soleil au centre de l’univers “faisait inutilement violence à nos sens”.

La deuxième question. L’expérimentation peut-elle prouver la vérité d’une hypothèse ? Lorsqu’on dit qu’une expérimentation a prouvé la vérité de l’hypothèse, on peut dire en fait deux choses différentes :
- ou bien on part d’un cas particulier, et on en tire une proposition d’ordre général; cad qu’on part d’une expérimentation qui est faite une fois (mesure de la hauteur de mercure à deux altitudes différentes), et on en tire une proposition universelle : la pression atmosphérique exerce sur les corps une poussée etc... Ce raisonnement est alors de type inductif, mais nous avons vu que l’induction, qui passe du particulier à l’universel pouvait être trompeuse. (l’exemple des cygnes)
- ou bien on considère qu’on déduit la vérité de l’hypothèse à partir de l’expérimentation. Mais alors là, il y a un problème de raisonnement logique : en effet, les logiciens nous montrent qu’on peut tirer des conséquences vraies de propositions matériellement fausses. Prenons l’exemple du syllogisme suivant :
-première proposition matériellement fausse : tous les chiens sont des poissons.
-deuxième proposition matériellement vraie : tous les poissons sont des vertébrés.
-conclusion vraie : tous les chiens sont des vertébrés.
Cela amènera un philosophe des sciences, Karl Popper à avancer que l’expérimentation ne pouvait pas établir la vérité d’une hypothèse scientifique, mais seulement l’infirmer. Si l’on peut montrer expérimentalement que le résultat attendu d’une hypothèse ne se produit pas, alors on est sûr que l’hypothèse est fausse : si on n’avait constaté aucune différence de hauteur du mercure dans deux tubes placés à des altitudes différentes, alors la fausseté de l’hypothèse d’une pression atmosphérique était prouvée. Mais l’expérimentation ne peut établir aucune vérité.

C’est pourquoi popper refuse de parler de vérité de la connaissance scientifique; il dit qu’une théorie a été corroborée par l’expérimentation, ce qui est plus modeste que de dire qu’elle a été vérifiée; et dire qu’elle a été corroborée, cela veut dire qu’elle n’a pas encore réfutée. Donc, la science serait un ensemble de théories qui sont provisoirement acceptées, parce que pour le moment elles n’ont pas été réfutées par l’expérimentation. Donc la science ne dit pas la vérité sur la nature, mais formule un ensemble d’hypothèses provisoires, qui peuvent toujours être remises en causes par des expérimentations plus complexes, ou par des faits nouvellement découverts qui viendraient contredire une théorie jusqu’à présent acceptée.

Cela permettrait de rendre compte du caractère provisoire, jamais achevé de la connaissance scientifique : elle formule des propositions vraies, cad qui jusqu’à présent ont résisté aux tests expérimentaux mis en place pour les réfuter, mais elle ne formule pas la vérité sur la nature. Ce qui doit mettre en cause le dogmatisme de ceux qui pensent naïvement que les sciences détiennent la vérité sur le réel, attitude qui s’appelle du scientisme.

Donc, l’expérimentation ne serait pas un critère de vérification, mais un critère de falsification. Cela amène Popper à avancer un autre idée intéressante. Comment peut-on, se demande-t-il, tracer une ligne de démarcation entre les théories scientifiques et celles qui n’ont aucun droit à la scientificité ? En effet, la critique de la méthode expérimentale par Popper ne l’amène absolument pas à remettre en cause la valeur et la pertinence explicative des sciences de la nature, mais seulement leur prétention à dire la vérité sur le réel.

Il y a en effet des théories qui prétendent à la scientificité : c’est le cas du marxisme, qui prétend proposer une théorie scientifique du devenir humain (le matérialisme historique), reposant sur une “loi” fondamentale : l’histoire des sociétés humaines est l’histoire de la lutte des classes. C’est aussi le cas de la psychanalyse, qui prétend être une science de l’inconscient, du psychisme humain (se souvenir de la théorie de l’appareil psychique, le ça, le moi, le surmoi etc...)

Prendre deux exemples précis : un exemple d’interprétation de rêve donné par Freud, et un exemple d’explication d’un événement historique donné par Marx.

- Analyse par Freud du rêve d’une de ses patientes : une jeune fille rêve que le deuxième enfant de sa soeur vient de mourir. La jeune fille se retrouve devant le cercueil exactement comme quelques années auparavant, elle s’était trouvée, mais dans la réalité cette fois-ci, devant le cercueil du premier enfant, réellement mort. Chose étrange, dans son rêve, elle n’éprouve aucun chagrin, mais au contraire une très grande joie. Quel est le sens caché de ce rêve ?
On sait que pour Freud, tout rêve est réalisation hallucinatoire de désir, le plus souvent refoulé à l’état de veille. Cela ne veut pas dire que la rêveuse désire la mort du second enfant de sa soeur. Mais Freud apprend qu’à l’enterrement réel, la jeune fille a rencontré un homme jamais revu depuis, mais auquel elle ne cesse de penser. Le rêve, dit alors Freud, fait ressurgir la situation-type dans laquelle la rencontre avec cet homme désiré s’était faite. tel est le sens caché du rêve : cet homme, elle désire le revoir une seconde fois;

Quelle peut bien être la valeur d’une telle interprétation ? Popper dira qu’elle n’a aucune valeur scientifique, tout simplement parce qu’il n’est pas possible de construire une expérimentation qui pourrait l’infirmer. L’inconvénient avec la psychanalyse, comme avec le marxisme, c’est que ces théories paraissent pouvoir tout expliquer. Freud ne sera jamais en peine pour trouver une démarche parfois très détournée pour montrer que n’importe quel rêve n’est rien d’autre qu’une réalisation de désir.

Faut-il alors dénier toute valeur à la psychanalyse et à la théorie marxiste de l’histoire ? Peut-être pas, mais cela peut amener à dire qu’elles ne sont pas des sciences expérimentales comme la physique, la chimie ou la biologie. Elles sont peut-être des théories herméneutiques, cad qui n’expliqueraient pas au sens propre la réalité, mais des théories qui chercheraient de la signification à des phénomènes apparemment absurdes. Ces théories auraient une valeur, mais pas une valeur de vérité : la psychanalyse aurait une valeur thérapeutique, le marxisme une valeur de libération politique pour les groupes qui s’en serviraient pour donner un sens à leur combat pour l’amélioration de leurs conditions matérielles de vie.

On est donc en présence d’un type de vérité que l’on pourrait appeler interprétative : il ne s’agit plus de coïncidence entre le discours et le réel (dont nous avons montré de toute façon à quel point il pouvait être problématique), mais de donner du sens. Cette vérité est à l’oeuvre quand on est face aux phénomènes humains et non plus naturels. C’est le type de vérité que l’on rencontre dans les sciences humaines, où il s’agit de rendre intelligible des actes, des choix, des conduites ou des comportements.
Par exemple, le sociologue Durkheim dans un ouvrage consacré au suicide a observé que ce dernier était moins fréquent chez les jeunes, les femmes et les personnes mariées. Il a émis l’hypothèse que le fait de se sentir intégré dans un groupe familial protégeait contre l’idée de mettre fin à ses jours, protégeait de l’anomie. Mais on ne peut pas montrer de lien de causalité direct entre la désintégration du groupe familial et la fréquence du suicide. Peut-être faut-il faire intervenir d’autres facteurs, comme la crise économique, et le fait de perdre le sentiment de son utilité sociale, quand on est au chômage. Mais ce facteur économique agit-il directement ou par l’intermédiaire de la désintégration de la cellule familiale qu’il peut contribuer à produire ? On le voit, on est là dans un travail d’interprétation qui est sans fin.

Donc, on a vu qu’il fallait distinguer vérité logico-mathématique, vérité expérimentale et interprétative. Mais ce que nous avons surtout montré, c’est que la connaissance rationnelle se révèle toujours relative, provisoire, inachevée et néanmoins vraie. Mais la vérité est l’horizon indéfiniment repoussé de la connaissance. On pourrait presque dire que c’est une Idée au sens kantien, c’est-à-dire une exigence qui oriente notre effort pour connaître et pour comprendre, mais non pas un bien que l’on pourrait un jour posséder.
C’est le fanatique qui croit être en possession de la vérité, et qui donc est tenté de détruire ce qui n’adhère pas à son dogme. Le philosophe Paul Ricoeur faisait remarquer qua la prétention à la possession de la vérité se trouvait dans deux types de pouvoir qui incarnaient la violence : le pouvoir clérical et le pouvoir totalitaire. Il faut prétendre dépasser le niveau de la simple opinion et admettre qu’il est possible de mettre au jour des vérités, mais se méfier de toute les prétentions à la totalisation de la vérité. La vérité est l’objet d’une recherche infinie dans laquelle s’exerce l’activité critique de la raison.

Cela peut nous amener alors à poser la question de savoir quels sont les rapports de la philosophie et de la vérité. D’abord, la philosophie admet qu’elle n’est pas une science, elle laisse aux sciences constituées le soin d’enrichir notre connaissance de la réalité, elle n’est pas leur rivale; mais inversement, les sciences ne peuvent se substituer à la philosophie, parce qu’elles n’ont pas le même domaine d’investigation. La philosophie, ou plutôt, les philosophies sont autant de tentatives pour s’attaquer à des objets problématiques sur lesquels les sciences n’ont rien à dire. La philosophie est questionnement, et là réside sa vérité : non pas en ce qu’elle enrichirait notre savoir, mais en ce qu’elle bouscule les dogmes, les préjugés, les idées toutes faites, les convictions infondées. Une philosophie est vraie à la mesure de son pouvoir de faire naître en nous un étonnement à l’égard du monde et de susciter une attitude de doute, doute dont Alain disait qu’il était le “sel de l’esprit”, cad ce qui empêche l’esprit de pourrir.
En posant le problème du statut de la Métaphysique.

Définition de la notion. Le mot vient du grec meta ta physika, cad qui vient après la physique. Le mot a été initialement donné par un commentateur d’Aristote au traité de ce dernier qui venait après son traité de physique, portant sur la nature. La métaphysique d’Aristote est alors la science de l’être en tant qu’être, de ce qui est premier, des principes fondamentaux des choses. Au moyen-âge le mot métaphysique désignera la partie de la philosophie qui dépasse la réalité empirique pour atteindre la connaissance des choses divines et transcendantes, mais par la seule voie de la raison, et indépendamment de la révélation. C’est ainsi qu’une des parties fondamentales de la métaphysique sera la théologie rationnelle, cad la connaissance de Dieu et l’énoncé des preuves de son existence. On peut donc dire que c’est une ambition d’accéder à l’absolu. Et si des grands philosophes du passé ont cru à la possibilité d’une connaissance métaphysique, c’est parce qu’ils estimaient que la raison humaine pouvait accéder à l’absolu, et que l’expérience sensible était mensongère.

Le coup fondamental porté à la métaphysique vient de la philosophie kantienne.

Kant reproche à la métaphysique de chercher à connaître des objets qui ne peuvent être objets d’une expérience : ainsi, lorsqu’on prétend connaître la nature de Dieu ou la nature de l’âme. Là, on pourrait dire que notre esprit en quelque sorte tourne à vide. Car aucun de ces discours ne peut être ramené à la pierre de touche de l’expérience.

C’est la distinction entre penser et connaître. Nous pouvons penser Dieu, mais pas le connaître. Lorsque nous prétendons connaître un objet qui se situe au-delà de l’expérience, nous pouvons tenir des discours contradictoires et cependant aussi cohérents les uns que les autres. C’est ce que Kant nomme les “antinomies de la raison pure”. Une antinomie est une contradiction dans laquelle la raison se prend elle-même quand elle prétend penser l’inconditionné (cad ce qui ne peut être un objet possible d’expérience), ou encore, une antinomie est un conflit entre deux propositions contradictoires dont chacune paraît juste, vraie, démontrable.

Première antinomie : le monde a un commencement dans le temps et il est aussi limité dans l’espace; le monde n’a ni commencement dans le temps, ni limite dans l’espace, mais il est infini aussi bien dans le temps que dans l’espace.

Deuxième antinomie : la causalité selon les lois de la nature n’est pas la seule dont puissent être dérivés tous les phénomènes du monde. Il est encore nécessaire d’admettre une causalité libre pour l’explication de ces phénomènes. Il n’y a pas de liberté, mais tout arrive dans le monde uniquement suivant les lois de la nature. Impossibilité de trancher entre ces propositions. cela veut-il dire que la métaphysique n’ait aucune espèce de signification et d’intérêt ?

Non, Kant dit que c’est une sorte de besoin de la raison que d’interroger au-delà de l’expérience. Ainsi, on ne peut pas prouver l’existence de la liberté humaine, puisque prouver, c’est montrer les causes qui produisent un phénomène. Démontrer l’existence de la liberté humaine reviendrait à la nier. (il faut entendre ici la liberté au sens métaphysique, cad comme empire du sujet sur soi-même, capacité à accomplir un acte qui ne soit pas déterminé par des causes extérieures, en un mot la liberté de la volonté)

Mais on peut postuler la liberté humaine en montrant que c’est la condition de la moralité : il faut affirmer la liberté humaine pour pouvoir considérer l’homme comme une personne, cad un être à qui on peut imputer la responsabilité de ses actions. Refuser cette liberté reviendrait à considérer l’homme comme une chose, cad un être dépourvu de dignité et de valeur. Kant alors parle de postulat de la raison pratique ( se souvenir du sens de la notion de postulat).

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